14 octobre

Dans la journée, nous changeons de gourbi* et nous installons à côté, dans un gourbi plus grand, occupé par l’agent de liaison* en second de la 6e compagnie, caporal fourrier* Legueil. On passe sa journée à aménager l’intérieur et l’extérieur du gourbi, cela nous réchauffe. Nous coupons également des brindilles d’arbres très sèches afin de pouvoir faire du feu sans fumée le jour. De cette façon nous mangerons chaud.

Le temps se maintient sec. Ce qui commence à nous peser, c’est le manque de nécessaire de toilette. Je profite, l’après-midi, de ce que nous avons plusieurs bidons de thé pour me laver un peu dans un quart. Cela me rafraîchit un peu et me fait sourire. Quelle misère ! J’écris le fait chez moi.

Le soir, la 5e relève* la 7e. Nous suivons un boyau coupé par une tranchée en deux endroits. Il faudra faire attention la nuit. Puis il faut tourner à gauche et 200 mètres plus loin, on arrive. Jamais la nuit, je n’arriverai à communiquer. À mon retour, de toute façon, avec Garcia, mon second, nous tâchons de prendre des points de repères et de nous les rappeler.

Vers le soir, après l’installation de la compagnie, une longue fusillade crépite. Je vais rapidement dire de ne pas envoyer les cuisiniers [1]. Le capitaine me dit qu’il ne sait ce qu’il y a et rapidement, sous les balles, après m’être quasi égaré deux fois à l’aller et au retour, je rentre au gourbi. Vers 10 heures, nous recevons chacun l’ordre de nous rendre à nos compagnies respectives afin de dire que la fusillade calmée, on peut envoyer les ravitailleurs.

Il fait nuit noire : on n’y voit pas à deux pas. Je pars avec Garcia le tenant par la main. Malgré ma bonne volonté, je renonce à arriver. Je compte mes pas, mais tombe dans la première tranchée coupant le boyau. Pas de mal ! J’allume, risquant tout, des allumettes et trouve ainsi le chemin de gauche. Je rencontre la seconde tranchée et tombe de nouveau. Heureux suis-je malgré tout, car nous ne sommes pas encore égarés !

Tâtonnant, on continue. Et ne sachant plus où nous sommes, je prends le parti d’appeler.

Au bout d’un instant, un peu de lumière apparaît. Sauvés, nous y sommes ! Le capitaine maugrée* pour mes cris et comprend la difficulté qu’il peut y avoir à se guider en pleine nuit noire, dans un bois méconnu, à proximité de l’ennemi.

Il est presque minuit. J’ai mis plus d’une heure pour faire 300 mètres. Inutile de ce fait d’envoyer les cuisiniers. Le ravitaillement doit avoir quitté La Harazée et d’ailleurs, jamais il ne serait rentré pour le petit jour.

Plein de courage après une bonne pause, nous repartons Garcia et moi. La route est aussi longue et les tâtonnements aussi grands. Je n’évite pas une nouvelle chute, j’évite la seconde. Ma boite d’allumettes est épuisée mais nous arrivons.

Je suis fier de dire l’ordre transmis à mon chef. Celui-ci me félicite et déclare que les trois autres ont déclaré qu’il était impossible d’aller à leur compagnie. Il les a renvoyés. Quelle bonne nuit je passe !


[1] Parmi les cuisiniers du 147e régiment d’infanterie, Paul Leleu.
Originaire du Nord, il meurt le 15 octobre 1914 (fiche Mémoire des Hommes ci-dessous) au combat dans le Bois de la Gruerie (Marne).
En savoir plus : http://europeana1914-1918.eu/fr/contributions/10169#prettyPhoto

1 - Main frame

Fiche MDH-archives_H030357R

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