1er novembre

Relève* des tranchées

Le temps, heureusement, n’est pas à la pluie. En cherchant le compte rendu du matin, le capitaine me dit qu’il déplore encore la perte d’un chef de demi-section. Les tranchées* sont un enfer, même la nuit. Les hommes n’en peuvent plus de ne pouvoir fermer l’œil et d’être toujours sur les dents. C’est un déluge continuel de bombes. C’est insensé.

Dans la matinée, je vais, selon les ordres du capitaine De Lannurien, chercher un agent de liaison en second ; je prends Garcia qui est dégourdi et n’a pas froid aux yeux.

L’attaque est terminée à la 8e. L’ennemi a subi de fortes pertes. Malheureusement la compagnie est réduite à la moitié de son effectif. Carpentier, de retour d’avoir communiqué, m’annonce que mon cousin Louis est toujours là. Je pousse un soupir de satisfaction.

À la 6e compagnie, un brave parmi les braves, de mon pays, le sergent Vanholme [1], est grièvement blessé au bras par une bombe.

Vers 9 heures, le sous-lieutenant Vals passe. Il quitte la 6e compagnie et se rend à la 5e prendre la place de Lambert. Dans l’après-midi, le capitaine me dit que nous avons déjà pour la compagnie 9 tués et 26 blessés. Et ce n’est pas fini.

Cependant on parle vaguement de relève. Est-ce exact ? Que nous serions heureux car c’est un des coins les plus mauvais que nous ayons eus jusqu’ici.

Il peut être 6 heures du soir quand le capitaine De Lannurien nous fait appeler, nous place en cercle et constate que tout le monde est là. Les doubles restent. Les quatre fourriers*et le clairon sous la direction de l’adjudant De Juniac partent faire le cantonnement à la Placardelle. Nous partons donc dans une demi-obscurité à travers les terrains détrempés.

Sans trop grand mal, ayant le clairon Gauthier qui connaît le chemin, nous arrivons à la Harazée.

La Harazée : entrée du village - 1915.07.18 ©Ministère de la Culture (France)

La Harazée : entrée du village – 1915.07.18 ©Ministère de la Culture (France)

La marche à travers bois est fatigante. Nous faisons donc une longue pause que je ne juge pas suffisante car je reste avec l’intention de rejoindre en route.

Peu après, une aubaine m’arrive. Je suis dépassé par un caisson d’artillerie qui me charge avec mon fourniment. À la Placardelle, je ne tarde pas à retrouver la liaison à peine arrivée. Nous entrons dans une maison abandonnée où se trouvent des artilleurs qui font du feu. Il pleut ; nous attendons que la pluie cesse. De Juniac s’absente afin de s’informer des coins vacants. Il revient bientôt, armé toujours de son bâton et de sa lanterne qui ne le quittent plus.

Je fais le cantonnement dans le coin qui m’est destiné, c’est-à-dire les dernières maisons vers Florent ainsi qu’un pâté de maisons situées à 100 mètres au-delà.

Il peut être 10 heures. Quelques maisons sont habitées et les gens sont peu conciliants. D’autres maisons logent des officiers de génie et d’artillerie ayant leurs pièces en avant du village ; ceux-ci déclarent être à demeure. Enfin, le reste est inhabité et dans quel état : granges ouvertes à tous vents ; maisons aux fenêtres cassées et sans aucun meuble.

Les meilleurs coins sont occupés par des artilleurs ou des ordonnances de régiments voisins. Ces gens sont là, resteront là et ont tout de la dignité d’un Mirabeau.

Je suis furieux, je suis désolé. Quel triste métier que celui de fourrier. Je vais ainsi naviguer toute la nuit à travers une petite pluie fine qui mouille bien, butant à toute sorte de monde qui passe.

De Juniac a trouvé pour nous une maison abandonnée mais infecte. Je place mon sac dans une chambre de derrière où un coffre-fort voisine avec une table couverte de débris de viande et une mitrailleuse. Je regrette de ne pas être peintre pour fixer le tableau à la lueur d’une bougie. Si Boileau eût vu cela, il n’eût pas prononcé son vers sur le désordre effet de l’art. Du moins je laisse mon sac. Il est en sûreté.


[Sergent Vanholme mars 19151] sergent Vanholme : il s’agit de Abel VANHOLME, évoqué plus en détail ici : http://147ri.canalblog.com/archives/2014/04/19/29694542.html
Vous pourrez lire d’autres informations sur

ce 1er novembre 1914 à cette adresse : http://147ri.canalblog.com/archives/2009/05/25/13841946.html

Merci à Christophe Lagrange pour ces précisions et son site dédié aux hommes du 147e R. I. : http://147ri.canalblog.com/.

2 réflexions sur « 1er novembre »

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