10 décembre

Les nuits sont excellentes dans l’abri bien clos, spacieux et élevé.

Je continue ma chanson car elle me tient au cœur.

Dans la matinée, je me rends près du capitaine Aubrun et lui en montre quelques fragments ainsi qu’aux lieutenants Péquin et Vals. Cela les met en gaieté et le capitaine me promet de la faire imprimer aussitôt finie pour la distribuer à la compagnie. Gauthier et Jombart arrivent vers 10 heures. Ils ont eux aussi fait une nuit excellente et la grasse matinée, car plus que fatigués par les promenades de ces derniers jours, ils n’en pouvaient plus. On fait un feu d’enfer afin de faire un repas chaud. Jombart d’ailleurs s’est procuré des tas de choses aux voitures de ravitaillement qui amélioreront l’ordinaire.

Nous mangeons de bon appétit et nous croyons revenus aux séances de La Harazée quand Carpentier de sa plus belle voix entonne une chansonnette, « Le petit loupiot ».

Le capitaine Sénéchal l’entendant l’appelle et l’envoie communiquer une note à son commandant de compagnie. On rit beaucoup.

La vermine recommence à nous prendre dans la chaleur de l’abri. Nous nous plaignons tous et chacun se gratte dans son coin, malheureux souvent, car on n’est pas une minute sans avoir une démangeaison. À tout instant, on surprend l’un d’entre nous presque complètement dévêtu et tuant les misérables animaux par douzaines, de toutes les formes et de toutes dimensions.

Dans l’après-midi dégoûté, je mets le linge que j’ai dans mon sac et jette le linge enlevé en plein bois. Il est rempli de bestioles : il y a quatre jours à peine que je l’ai sur le corps. C’est à en être malade.

Je vais communiquer un ordre le soir dans l’obscurité. Tout notre entourage est rempli de petites lumières qui scintillent, les bougies des nombreux gourbis occupés par la 6e : c’est un véritable village nègre. Heureusement que le bois est des plus touffus et l’ennemi éloigné sinon ce serait une cible magnifique.77-marne-1915-abris

Dans la soirée, après le repas chaud grâce à notre foyer, au cœur du feu, ce sont entre nous des causeries sans fin, quelques morceaux chantés en sourdine et même quelques pitreries qui font toujours rire. Nous ne pouvons nous imaginer que nous sommes en première ligne tant le secteur est différent des autres secteurs que nous avons pu précédemment.

Côte à côte sur les fougères, nous nous étendons avec consigne que celui d’entre nous qui se réveille la nuit mette du bois dans le feu. Nous nous endormons alors au milieu de grattages sans pareil, cause bestioles qui, heureuses d’être au chaud, remuent sans discontinuer.

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