Archives de catégorie : Partie 1 – Chap. 1

15 août

Les nouvelles de nos succès en Alsace sont affichées. C’est l’enthousiasme le plus complet. On ne doute pas de la victoire. Nous passons la journée dans le village. L’après-midi, il y a procession. C’est fête dans le pays.

L’après-midi, une automobile s’arrête devant la mairie. On y voit une capote [1] allemande qu’on dit appartenir à un officier boche tué.

Le soir, à 7 heures, à la fin du repas des sous-officiers, on apprend que les chasseurs à pied du 18e B.C.P. [2] arrivent à Marville, venant de Longuyon où ils se sont repliés devant des forces très supérieures. L’adjudant Simon amène un chasseur [3] de ses parents.

Fatigué, affairé, il se restaure et raconte combien sont terribles les engins et combien nombreux est l’ennemi. On l’admire lui qui vient d’avoir le baptême du feu ; mais on croit que la fatigue et les émotions le poussent à exagérer.


[1] Capote : Vêtement militaire porté sur la tunique.

[2] B.C.P. : Bataillon de chasseurs à pied.

[3] Chasseur : nom d’une charcuterie belge de la forme d’une saucisse à base de porc ou de cheval.

13 août

Avant-postes à Ham-les-Saint-Jean

Le peloton d’Othe rentre au cantonnement*. Les pauvres ont fait connaissance avec une pluie diluvienne de plusieurs heures. Ils sont plus que trempés et heureux de revenir à Marville.

La situation générale est toujours calme ; sans doute la purge de Mangiennes a-t-elle fait réfléchir l’ennemi trop entreprenant.

Le soir, la 5e compagnie part pour la nuit dans un petit village situé à 4 km en avant de Marville au sud-est : Ham-les-Saint-Jean. On passe la nuit dehors dans les rues du village qui est mort et paraît presqu’inhabité. Nuit calme. Au petit jour, nous rentrons par petites fractions au village de Marville. Nous sommes exempts de suivre le régiment à sa position quotidienne. Nous nous nettoyons durant la journée. Journée ensoleillée et très agréable pour nous.

Jamais de nouvelles des nôtres. On écrit quand même chez soi.

Je couche dans un petit salon chez M. Gaillot, sur un canapé, car j’ai peur d’une alerte et trouve la chambre de M. Royer trop éloignée.

Dans l’après-midi, madame l’institutrice est rentrée. Elle a la nostalgie du pays.

 

12 août

Le temps est pluvieux. Même situation que la veille.

Je porte en automobile le ravitaillement. Avec moi monte un gendarme. Nous circulons dans les alentours : Bazeilles [-sur-Othain], Othe, Velosnes.

Extrait de la carte d’état-major.

Jusqu’à la frontière belge, non loin de Torgny, où j’achète du tabac. KubLa gendarmerie réquisitionne les bouillons Kub [1] dans les épiceries ; on les dit empoisonnés ; et les jette à l’eau. Les alentours sont calmes. Pas de boches en vue. Nous rentrons à Marville par Saint-Jean. Il pleut à verse. Nous sommes trempés.

Souvent je mange avec M. et Mme Gaillot qui sont des plus aimables. Madame quitte pour Dun-Sur-Meuse ; son mari a peur d’une invasion.


[1] Bouillon Kub : il est inventé dans les années 1880. Au début il s’agissait d’extrait de viande. En 1908 Julius Maggi commença sa commercialisation de bouillon dans sa forme de cube, produit déshydraté.

11 août

Mangiennes

Vers midi, de la position qu’occupe chaque jour le régiment, la suite du colonel, qui se trouve à la lisière du bois, voit devant elle, en pleine campagne, dans la direction de Ham-les-Saint-Jean et Mangiennes, un fort rassemblement de cavalerie et quelques 75 qui se mettent rapidement en batterie [1].
Vers 14 heures, les 75 se mettent à cracher ; la cavalerie s’ébranle et disparaît derrière un mamelon.canon75Action
Je porte le ravitaillement aux avant-postes à Othe. La voiture de monsieur Gaillot n’étant pas disponible, le fils de monsieur Royer nous conduit, nos hommes de corvée* et moi, avec son chariot. Madame, au passage, nous donne une bouteille de vin qui est bien reçue.

Le soir, à mon retour du ravitaillement, je retrouve le régiment rentré au cantonnement*. On voit ensuite, sur une voiture d’ambulancier, quelques dragons* blessés et quelques tués. On les descend à l’école des sœurs.
Que s’est-il passé ?
L’échauffourée [2] s’est passée à Mangiennes où une division de cavalerie ennemie s’avançait vers nous.

Huszards allemands en reconnaissance.

Hussards allemands en reconnaissance.

Elle fut repoussée avec de lourdes pertes. On a fait appel au 91e d’infanterie* qui s’est distingué.

Défense formelle à partir d’aujourd’hui de coucher en dehors de son cantonnement de compagnie. Je continue quand même à coucher chez monsieur Royer.



[1] Batterie : Ensemble coordonné de canons, faisant partie d’un régiment d’artillerie.

canon75Batterie

[2] Échauffourée : Petit combat isolé.

09 août

Avant-postes à Othe

Départ ce matin à 3 heures. Nous reprenons nos positions de la veille.

Le peloton de la Maisonneuve part en avant-poste à Othe, petit village situé à 6 km au nord de Marville.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Je suis désigné pour en opérer le ravitaillement que je dois faire chaque soir à la tombée de la nuit. Le mari de la maîtresse d’école où loge une partie de la compagnie, monsieur Raoul Gaillot, possède une petite auto qui est réquisitionnée par la gendarmerie et qu’il conduit. Il se charge d’amener avec moi le ravitaillement aux avant-postes.

Je rentre au village l’après-midi. Je porte le ravitaillement le soir. Une section se trouve en embuscade sur une route. Une demi-section en avant-poste en plein champ avec le sergent Rozoy ; une demi-section en observation sur une crête surplombant le village.

Au centre du village se trouve un pont gardé par quatre hommes et un caporal, le caporal Gillet de Vrigne-aux-Bois.