Archives de catégorie : Partie 2 – Chap. 1

2 octobre

Les jours se suivent et se ressemblent. On commence à désespérer d’être relevés [1].

Dans l’après-midi, profitant d’une communication au capitaine, je vais voir quelques amis dans le bois : la sectionen réserve, car il n’y a que trois sections en ligne.

Vers midi, ce sont toujours des obus jusque 2 heures. On connaît l’heure.

Les nuits sont toujours froides. On se réveille les pieds gelés. Les repas, à part celui que nous prenons à minuit et qui est en moitié chaud, sont toujours froids. De plus, l’abus de conserve fait que beaucoup se plaignent de diarrhée. J’en ai ma part.

 


[1] La relève : c’est le remplacement d’une unité par une autre dans les tranchées. Opération dangereuse car bruyante et conduisant au regroupement d’un grand nombre de combattants, elle se fait généralement de nuit. Sa périodicité n’est pas fixée strictement, mais une unité en première ligne est généralement relevée au bout de quatre à sept jours. La relève s’effectue par les boyaux.

1er octobre

Nouvelle anecdote que le sergent major me raconte. La nuit, le lieutenant Girardin fait faire des feux par salves [1].CP-salveInfanterie

Le capitaine lui fait dire par Delbarre que « c’est idiot de tirer comme cela et d’user des munitions en pure perte. Ensuite les feux des coups de fusil aident l’ennemi à repérer les positions la nuit ». Delbarre fait la commission et répète le mot « idiot » qui froisse l’officier. Celui-ci passe le commandement à un sous-officier et vient demander des explications au capitaine. C’est désagréable pour lui ! Il veut relever Delbarre. Lannoy, le sergent major, a heureusement tout aplani.

Gallica-patrouilleDans la matinée, le sergent Rozoy, faisant une patrouille*, est blessé au bras légèrement, « le temps de me faire panser, dit-il au capitaine, et je reviens ». Ce dernier déclare que c’est un brave. Rozoy salue le commandant en partant.


[1] Salve : Plusieurs coups d’armes à feu qui se tirent en même temps à l’exercice ou dans le combat.

30 septembre

Pour communiquer à la compagnie, c’est plus agréable. J’ai 150 mètres à parcourir pour me trouver au gourbi [1] du capitaine. Celui-ci, qui a toute confiance en moi, me déclare quelques confidences sur le capitaine de la 6e compagnie.

Je dis bonjour à Lannoy, Delbarre, etc… qui sont occupés à pelleter afin de s’aménager un gourbi. Lannoy m’annonce que Février a été blessé par un obus dans les ruines de l’église de Saint-Thomas où il avait installé son poste.

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Vue intérieure des destructions de l’église – 1915.07.15 ©Ministère de la Culture (France) – Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine.

La 3e section est actuellement commandée par le sergent rengagé Huyghe, un de mes compatriotes, en remplacement de l’adjudant blessé à l’arrivée dans le bois de la Gruerie.


[1] Gourbi : Dans l’argot des combattants, désigne un abri. Le terme s’applique peu en première ligne, il est utilisé surtout à partir de la seconde ligne jusqu’au cantonnement. (Renvois : Abri, Cagna, Guitoune)

CP-Gourbi

29 septembre

La journée se passe tranquille. Revenant de porter une note au capitaine, je rencontre Masson décoré. Il est heureux et dit avoir été embrassé par le général de division.

Dans l’après-midi, j’ai une forte émotion. En communiquant, je reçois de gros obus percutants* tout près de moi, non loin du verger, au sortir du bois en X, à 100 mètres du capitaine. Je file en vitesse vers son emplacement.

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Plan dessiné par Émile Lobbedey (en couverture du Tome III)

Nous sommes à flanc de coteau heureusement. J’y arrive sans à-coups malheureux. Je suis obligé d’attendre la fin de la rafale. (Voir topo Tome III [ci-dessus])

Explosion-129046255356Ce soir, les compagnies se relèvent, la 5e relevant la 6e. Vers 9 heures, cela s’effectue normalement. Un malheur est à déplorer cependant. Une section de la 5e stationnait sur la route, non loin du boqueteau précédant le PC du chef de bataillon, quand un shrapnell* tomba sur elle, tuant un soldat, Latinus [1] , et en blessant deux autres. Latinus était un de mes anciens hommes d’escouade* quand j’étais caporal. Excellent soldat !

 


[1] Latinus Il s’agit sans doute de Fernand LATINUS, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui (en dehors de la date de décès du 02 oct. au lieu de 29 sept.) semble correspondre.FicheMDHarchives_G711073R

 

28 septembre

Les cuisiniers arrivent comme d’habitude à minuit. Nous mangeons.

Le matin, au petit jour, je vais voir Louis qui se chauffe avec un peu de feu. Il m’offre un quart* de café. Je lui annonce la bonne nouvelle d’une lettre reçue cette nuit de la maison, datée du 15. Les cuisiniers l’avaient reçue du vaguemestre*. Mon cousin m’en fait lire deux reçues, datées du 8 et du 14. C’est un veinard !

courrier

Lecture des lettres dans les tranchées. © Photo ARCHIVES « SUD OUEST »

Nos cuisiniers imitent la compagnie voisine et font rapidement un peu de café car il faut profiter du brouillard. Le brouillard levé, défense expresse de faire du feu.

Je communique dans la matinée au capitaine. La route est longue, car je dois faire un détour de 1500 mètres, pouvant être vu de l’ennemi le jour. Je dois suivre la route vers Saint-Thomas, contourner le bois pour remonter ensuite vers l’emplacement de la compagnie.

En route, je rencontre un verger. J’abats des fruits qui sont délicieux.

Je trouve le capitaine dans une petite baraque souterraine en planches. Il est étendu sur la paille. Il me parle gaiement. Deux officiers, lieutenants d’artillerie, sont avec lui. Ils commandent les batteries voisines. Ils sont très gais.

Il faut envoyer un sergent et quatre hommes en poste de police dans Saint-Thomas. Le sergent Février s’en va. Ceux-ci seront relevés par un poste de la compagnie de réserve qui succèdera.

Je rentre les poches remplies de fruits que la liaison mange avec plaisir. J’écris à la maison, leur demandant de m’envoyer des colis. Je ne sais presque plus manger.

À midi, nous recevons des obus qui sont toujours précis et nous occasionnent toujours quelques tués. Deux hommes de la liaison du lieutenant Péquin, qui se trouvent dans le gourbi voisin du nôtre, sont blessés.

C’est à croire que les boches ont une heure fixée pour tirer sur chaque coin.

Je communique encore des ordres dans la soirée. J’en profite pour conduire à la compagnie un petit renfort commandé par le sergent Gabriel blessé en août, un de mes amis. À partir d’aujourd’hui, une voiture d’outils et de munitions se trouvera de 9 heures du soir à 5 heures du matin près du PC du commandant. Si les compagnies ont besoin d’outils et de cartouches, elles n’auront qu’à envoyer des corvées*. Le matin, la voiture repartira sur Saint-Thomas.

Gallica-VoitMunit

27 septembre

Couverture du cinquième cahier intitulé Tome IV

Couverture du quatrième cahier intitulé Tome IV

J’ai reçu pour la première fois une lettre depuis un mois. C’est M. René Parenty, lieutenant au 8e territorial, qui m’envoie ses vœux.

Dans la matinée, je m’amuse à réparer les dommages causés par la guerre à mes effets grâce à du fil et des aiguilles prêtés par mon ami Gallois.

entretienUniforme

Deux soldats du 14e régiment du train des équipages militaires entretiennent leur équipement.

Nous commençons à nous habituer au coin et à notre régime. On mange chaud à minuit, froid le jour. On dort peu la nuit, on somnole l’après-midi. On s’abrite vers midi, car il y a menace d’obus. Le grand avantage que j’apprécie est qu’on peut se laver. La température est basse la nuit ; tous les matins nous avons les pieds gelés.

Au petit jour, j’ai communiqué deux fois à bicyclette sur la route grâce au brouillard. Le capitaine Rigault se promenait aux avant-postes, couvert d’une couverture blanche. Le capitaine Aubrun l’a traité de fou. Certainement que s’il continue il se fera tuer.

Vers 11 heures, nous subissons un bombardement terrible et assez précis. Les obus tombent très près de nous. Nos batteries ripostent ; or elles tirent trop court et leurs obus tombent sur nous.

Le cycliste Caillez, au risque d’être tué cent fois, enfourche sa bécane et part vers nos batteries. Il nous semble bientôt qu’elles cessent de tirer. En retour, les boches continuent.

Quelques hommes des compagnies voisines, 5e et 7e, arrivent, affolés, près de nous. Nous avons quelques morts à déplorer. Les obus tombent très près de nous. L’un d’eux tombe sur la route en face de notre abri. Les éclats sont projetés sur les parois.

Il y a accalmie vers 1 heure et demie. Enfin vers 3 heures, on se décide à sortir.

Une note arrive du colonel disant d’envoyer tel et tel soldat à la division pour recevoir une récompense. À la 5e compagnie, il y a Masson, 2e classe. C’est un brave qui, à de maintes reprises, a bien fait et même fait plus que son devoir. Il va recevoir la médaille militaire.

Je vais communiquer au capitaine. Celui-ci ne peut communiquer de jour avec la section Culine sinon il risque de faire tuer l’agent de liaison. Je repars dire cela au commandant. Il faut quand même ; j’ignore d’ailleurs pourquoi.

C’est pourquoi le capitaine envoie Férot un excellent petit soldat. Il l’envoie à la mort, me dit-il. 10 minutes après, Masson s’amène couvert de poussière, pâle, sans képi et sans armes, avec un mot de l’adjudant Culine. Il est arrivé en rampant sous les balles et a rencontré le corps de Férot [1] tué. Des obus ont complètement bouleversé la tranchée : il reste onze hommes. Tranchee-bouleverseePlusieurs ont été enterrés dont l’un d’eux, ami de Masson, qui arrive en bégayant, il a presque perdu la notion des choses et a réussi à passer à travers les balles. Culine déclare garder sa position. Le caporal Backhausen [2] de Sedan, un de mes amis, est tué.

Je pars rendre compte au commandant. Masson a bien gagné de nouveau sa médaille.

À part son artillerie, l’ennemi est calme. Le soir, la compagnie part à ses emplacements de réserve, laissant la 7e compagnie en ligne.

Le commandant lui fait dire de prendre les emplacements en A (voir topo [ci-dessous]).

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Plan dessiné par Émile Lobbedey (en couverture du Tome III)

Il faudra chercher. Le capitaine envoie des patrouilles. Enfin vers 9 heures, tout est installé et je puis quitter la 5e pour réintégrer mon logis près du commandant. La liaison s’installe dans l’abri voisin. Il y a un gai luron parmi eux, le soldat Paradis. Le lieutenant Péquin est avec nous.

La 8e compagnie est en réserve en B (voir topo), ayant laissé la 6e en première ligne.


[1] Pérot ou Férot : Pas de certitude quant à la lecture du nom de famille.Ferot

S’agit-il alors de Jules FÉROT ? Dont le lieu de décès pourrait convenir, mais pas la date plus tardive. Voir fiche Mémoire des Hommes.
Le seul Pérot du 147e RI est décédé en janvier 1915.
FicheMDHarchives_E790597R

[2] Backhausen :  Il s’agit sans doute de Marcel François Backhausen, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (29 sept. au lieu de 27), semble correspondre.

FicheMDH-archives_B420109R

26 septembre

Au très petit jour, nous sommes réveillés en sursaut par une fusillade intense. La relève* des compagnies du bataillon commençait à se faire.

Aussitôt, je pars vers le capitaine Aubrun. Je traverse rapidement le boqueteau à gauche de la route dans lequel se trouve une portion de la compagnie dans les tranchées* face à Melzicourt. Je vois les hommes tirer. Des balles sifflent à mes oreilles. Enfin j’arrive au capitaine. Celui-ci me donne un instant ses jumelles. Gallica-Argonne-Observ2Je vois à 1200 mètres une ferme désolée, d’où sortent quantité de boches dont les uns arrivent sur nous, les autres sur le bois d’Haulzy. Le capitaine déclare que nous n’avons qu’à tirer pour tuer le plus de monde, n’ayant rien à craindre à cause de l’Aisne qui nous sépare. Quant au bois d’Haulzy, c’est une autre question.

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

La 7e compagnie renforce les lignes et bientôt Rigault rejoint Aubrun.

Je rends compte au commandant pour revenir bientôt après, malgré les rafales d’obus.

J’assiste des tranchées à un spectacle inoubliable : les coloniaux qui tenaient le bois d’Haulzy, ayant laissé approcher l’ennemi, déclenchent tout à coup un feu infernal à en juger par le nombre de boches qui tombent et la fusillade qui crépite. Tout ceci se passe à 800 mètres de moi. Aussitôt après, nous entendons des cris : ce sont les coloniaux qui contre-attaquent à la baïonnette et enfilent les boches survivants qui, les bras levés, se rendent.

Gallica-Argonne-chargeDu coup, l’ennemi, qui voulait avancer sur nous et qui se tenait sous notre feu commençant des tranchées, rebrousse chemin en hâte vers la ferme où il est aux prises avec les coloniaux qui les repoussent.

Il peut être 8 heures quand notre artillerie tire sur la ferme. On est aux aguets et on voit des fuyards quitter les décombres. On tire à 1000 mètres sur eux. Tout le monde tire en rigolant et le capitaine fait le coup de feu comme nous.

Je suis à peine rentré au PC du commandant pour lui rendre compte que nous recevons des obus en quantité. Nous en avons jusque midi. C’est le tir des représailles. Nous n’avons pas encore eu de pertes jusqu’ici.

Jamais après-midi n’a été aussi calme.

Le soir tombe mais il n’y a pas de relève*. Toutes les compagnies doivent rester en ligne en cas de nouvelle tentative de l’ennemi.

Les cuisiniers partent quand même, comme à l’habitude.