Archives de catégorie : Partie 2 – Chap. 3

30 octobre

Les blessés sont nombreux et les brancardiers ont de la besogne. Beaucoup de malheureux ont des plaies affreuses à cause des bombes.

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Soir d’Attaque en Champagne – eau-forte de Georges Barrière – Source : http://www.dessins1418.fr/wordpress/

Le matin, j’apprends avec un soupir de soulagement que la tranchée* Culine est reliée à la tranchée Lambert. Le capitaine Aubrun est satisfait.

Huvenois revient rayonnant. Au petit jour, l’arbre déchiqueté devant la tranchée de la 6e est tombé du côté ennemi et forme aussi une défense accessoire des meilleures.

La journée se passe comme les précédentes.

Les cuisiniers au petit jour et le vaguemestre* l’après-midi sont deux visites toujours bien reçues.

La position de la 8e, aux dires de Carpentier, est de plus en plus précaire. Dans l’après-midi, le commandant s’absente deux heures pour aller voir le lieutenant Péquin.

Vers le soir, je trouve le capitaine en pleurs. Le pauvre Lambert [1] est tué d’une balle au cœur. Le sergent Gibert a pris le commandement de la section. J’en conçois une profonde tristesse car le lieutenant tué était un modèle d’officier : brave, aimé de ses hommes, il était estimé de ses chefs. C’est une perte sans nom pour la compagnie. Le caporal Masson [2], médaillé militaire, est tué également. Le commandant apprend toute nouvelle à son retour. Il est grave et pensif.

Pour nous, nous ne vivons plus. Les nouvelles de la 8e compagnie sont de moins en moins bonnes. Là-bas, c’est un déluge de bombes qui causent des trous énormes dans les rangs.


[1] Lambert : il s’agit de LAMBERT Auguste. Voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (28 octobre 1914 au lieu du 30 octobre) semble correspondre.

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[2] Masson : il s’agit peut-être de MASSON Émile .
Voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (30 novembre 1914 au lieu du 30 octobre) pourrait correspondre.
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29 octobre

Les brancardiers se dévouent. Il y a particulièrement une équipe qui y met du cœur. Toute la nuit, ils passent et repassent car de jour, il est dangereux, à part quelques exceptions, de procéder à toute évacuation.

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T’en fais pas mon vieux, tu la reverras ta mère… , lithogravure de Georges Bruyer – Source : http://www.dessins1418.fr/wordpress/

Le ravitaillement se fait bien également. Au petit jour, les cuisiniers des compagnies passent.

VienneLeChateau-APD0000693Vers 9 heures, j’apprends en communiquant que deux cuisiniers de la section* Culine, un peu en retard, ont voulu traverser quand même à découvert. Ils furent tués. Le capitaine est hors de lui.

Vers midi, j’apprends également la mort, d’une balle au ventre, d’un de mes bons amis, le caporal Gillet [1] de Vrigne-aux-Bois. Que de deuils !

Mon ami Carpentier dit que la 8e compagnie occupe une très mauvaise position et a affaire à des boches actifs et entreprenants.

À la 6e, un arbre se trouvait entre les deux tranchées. Les boches, à coups de mitrailleuses, le déchiquettent. La section est en mauvaise posture s’il tombe sur la tranchée.VienneLeChateau-APD0000696

En somme, le secteur est des plus mauvais. On fait une consommation énorme de bombes et de munitions. Le commandant nous fait dire de tirer moins, sinon, il déclare ne plus se tenir garant d’un approvisionnement régulier.

Je songe beaucoup à mon cousin Louis qui se trouve à la 8e compagnie. Le temps est toujours pluvieux.


[1] Gillet : il s’agit peut-être de GILLET Edmond indiqué comme originaire de Vrigne-aux-Bois. Voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (1er novembre 1914 au lieu du 29 octobre) mais aussi du grade (sergent au lieu de caporal), pourrait correspondre.
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28 octobre

On a dormi un peu. Au petit jour, l’arrivée de nos cuisiniers nous met aussitôt debout. On allume un peu de feu et on fait chauffer le café.

VienneLeChateau-APD0000693Nous ne recevons pas d’obus dans ce coin. Pourquoi, nous ignorons.

Je n’ai pas eu à communiquer cette nuit. Je vais chercher le rapport du matin et manque de m’égarer. Heureusement, je m’en aperçois à temps, sinon je courais droit sur la première ligne, trop veinard de ne pas être vu de l’ennemi.

Dans l’après-midi, le vaguemestre* arrive avec des lettres, des bulletins des armées et un nouveau petit journal hebdomadaire à nous : L’Écho de l’Argonne. Je porte mon stock au PC de la compagnie.

EchoArgNov14Dans la journée, des corvées* viennent à plusieurs reprises prendre des bombes et des cartouches. On me dit que c’est un enfer et qu’il y a plusieurs tués.

Vers le soir, le capitaine demande à cor et à cris des rondins afin de pouvoir couvrir certaines parties de tranchées* où les hommes sont exposés aux bombes ennemies qui foisonnent.

À la tombée de la nuit, des corvées viennent en prendre au PC en quantité.

Je communique vers 9 heures et vois, étendu près du PC du capitaine, un brave garçon qui va mourir d’une balle à la poitrine, le soldat Massy [1] de la classe 1913. Cela me fait pitié.


 [1] Massy : s’agit-il de MASSY Léon ?
Voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (19 novembre 1914 au lieu du 28 octobre) mais aussi de l’année de la classe (1912), pourrait correspondre.
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27 octobre – Chapitre III

Bois de la Gruerie : secteur Bagatelle Pavillon – Troisième séjour

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

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Plan extrait du  J.M.O.* du 147e régiment d’infanterie (26 N 695/11) – 1er novembre 1914

Toute la nuit la fusillade a été incessante. Nous n’avons pas fermé l’œil.

Au petit jour, chacun de nous se rend à sa compagnie pour prendre le compte rendu de la nuit. Je trouve le capitaine assez satisfait. La relève* s’est bien passée. Il me dit que le secteur est mauvais et qu’il a des soucis pour la section* Culine qui est isolée et avec qui il est difficile de communiquer de jour.

Pour l’aller et le retour, je suis un chemin boueux dans le bois. Il me faut au bout de 200 mètres obliquer à droite et foncer sur le PC du capitaine que j’aperçois car je puis être vu.

Sur mon chemin, je rencontre des éléments de tranchée*. Ce n’est pas chose facile et la difficulté doit s’accroître la nuit. Heureux ai-je été la nuit dernière de suivre le commandant de la compagnie relevée. Je ne m’y serais pas reconnu.

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Secteur Z : boyau conduisant à l’ouvrage Prévost – 1916.05.20 ©Ministère de la Culture (France)

Dans le jour, je communique plusieurs fois et profite de chaque voyage pour amener un sac de 1000 cartouches. Je prends des points de repère pour la nuit. Je compte mes pas malgré les balles qui sifflent et me font instinctivement baisser la tête. Le terrain est boueux. Je souhaite n’avoir pas à communiquer dans l’obscurité.

Nous passons notre journée à nous installer. Le gourbi* que nous occupons prend tournure. Nous pouvons y faire un peu de feu en prenant soin à la fumée. Gauthier fait la popote* du commandant que nous voyons souvent à la porte de son gourbi, fumant tranquillement sa pipe.

Le mitrailleur René nous raconte que le matin, il a manqué de se faire tuer en s’égarant entre les deux lignes. Heureusement, en se repliant en rampant sous les balles ennemies, il est tombé dans la tranchée du lieutenant Lambert de la 5e compagnie. Il a mis deux heures à se reconnaître et trouver l’emplacement des sections de mitrailleuses. Sale métier que celui d’agent de liaison*.

Gallois et Carpentier se plaignent que leurs compagnies sont éloignées et qu’il leur faut une heure pour l’aller et le retour. Nous sommes tous pleins de boue.

Une fraction du 272e est derrière nous en soutien. Deux officiers logent avec le commandant.

Je porte vers le soir un sac de bombes en forme de boîtes de conserve, des pétards à mèche en forme de nougats au capitaine. Celui-ci envoie une corvée [1] pour en toucher ainsi que des cartouches au PC du bataillon. Ces pétards sont bien reçus par la troupe qui, aussitôt, accable les boches de projectiles. On entend les détonations et la fusillade crépite. Les tranchées sont très rapprochées : le sergent Collin est à 15 mètres d’eux. Le plus tranquille est le sergent Huyghe qui se trouve à 60 mètres et derrière un dos d’âne. Quant à Culine, il est presque impossible de communiquer avec lui de jour. Il se trouve à droite d’un boyau séparé du lieutenant Lambert par une trentaine de mètres, qu’on creuse sous les bombes ennemies afin de faire communiquer les deux tranchées. Dans le rapport du soir, on signale quelques pertes en blessés surtout.

À la nuit, les cuisiniers partent. Ils doivent rentrer au petit jour. Le commandant garde ses fourriers* il n’y a pas d’ailleurs d’agent de liaison en second. Gauthier, le mitrailleur René et Crespel partent donc pour La Harazée.

Nuit assez calme malgré une intense fusillade.


[1] Corvée : Désignation générale de tous les travaux pénibles susceptibles d’être effectués par les combattants, au front comme au cantonnement. Les corvées peuvent être de nature très diverse : de cuisine, d’eau, de feuillées, de réparation, de barbelés… Le terme désigne enfin les hommes qui sont chargés de les accomplir.