Archives de catégorie : Partie 2 – Chap. 4

16 novembre

Relève au bois de la Gruerie

C’est ce soir que nous relevons. Nouvelle toujours pénible à apprendre. Ce maudit bois est donc notre lot, il nous en aura fait voir de drôles.

La journée se passe à se préparer, à s’approvisionner en conserves, bougies, tabac et allumettes.

On attend ensuite de communiquer l’heure du départ. Le temps se maintient beau. C’est déjà un grand avantage.

Dans l’après-midi, Carpentier et moi réussissons à avoir les bandes molletières* commandées. Joie nouvelle.

Nous partons vers 5 heures comme cela commence à devenir l’habitude. Le capitaine Sénéchal est à cheval en tête avec Jacques, le maréchal des logis de liaison.

Nous suivons en groupe. Derrière nous vient le bataillon. Le temps est sec. Cela nous change de la pluie. Il a gelé et il fait bon à marcher.

Nous faisons la pause au parc d’artillerie et repartons bientôt pour la Placardelle.

Il fait un beau clair de lune. Si les boches sont calmes, nous ferons une belle relève.

TomeVI

16 novembre (suite)

À la cote 211, les officiers descendent de cheval. Ceux-ci, conduits par les ordonnances et Jacques, vont cantonner dans une ferme à la Grange au Bois, village situé à 3 km de Florent et 4 de Sainte-Ménehould.

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

À la Harazée, nous laissons les cuisiniers des officiers et partons aussitôt sans pause vers la première ligne. Le secteur est calme. Le terrain assez bon. Grâce à la clarté de la lune, on peut se guider un peu. Nous sommes contents.

Il peut être 8 heures quand nous arrivons au poste du colonel où nous faisons une halte d’une heure, tandis que le capitaine Sénéchal se trouve avec le colonel.

Il fait froid et nous sommes gelés.

Bientôt nous repartons, traversons la clairière dans le plus grand silence et tombons enfin au même secteur [?] que nous quittâmes quelques jours auparavant.

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Plan extrait du J.M.O.* du 272e régiment d’infanterie (26 N 734/1) – 16 au 22 novembre 1914

Jamais relève ne se fait plus facilement. Chacun connaît son coin. J’accompagne le capitaine Aubrun qui retrouve son gourbi* avec satisfaction.

Peu après, je suis avec Blanchet occupé à m’installer dans le gourbi que j’ai cédé aux officiers du 272e. Ce gourbi est vide et transformé en mieux. Il y a une table et un banc et deux banquettes couvertes de paille en guise de couchettes. C’est une aubaine pour nous. Les autres de la liaison sont installés. a6_agents_de_liaisonÀ deux dans un tel gourbi, nous serons des rois. Nous allumons une cigarette avant de nous étendre. Rien à signaler tout est calme. C’est donc le sourire aux lèvres que nous nous endormons.

15 novembre

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Topo Cote 211 – Plan dessiné par Émile Lobbedey

Cote 211

Il fait un temps détestable et pleut continuellement depuis le petit jour. Notre gourbi* laisse filtrer l’eau et nous nous ingénions à arrêter le courant au moyen de couvertures. La journée se passe comme les autres à copier, etc., communiquer, voir l’un et l’autre de la compagnie, malgré la pluie persistante.

Vers 1 heure, le temps se lève. Du 120e nous remplace. Deux bonnes choses. Nous repartons à Florent et reprenons le même cantonnement*, pestant contre cette cote 211 qui nous a empoisonnés 24 heures. Une heure trente après, nous sommes réinstallés.

Quelques maisons sont ouvertes : on y vend des conserves. Des voitures arrivent également dans l’après-midi. Tout est acheté, mais on nous vole.

Un débit de tabac fonctionne même. Le malheur, c’est qu’il est toujours vide et vend surtout des cartes postales. Il est évident que tout est acheté en peu de temps.

Vers 4 heures, nous entendons quelques détonations qui nous font l’effet d’éclatement de marmites. On ne s’en préoccupe pas outre mesure, mais vers le soir, j’apprends qu’à 200 mètres du village, à l’ouest, des obus sont tombés. On ne sera donc jamais tranquille, même au repos à 12 km du front !

14 novembre

Départ pour cote 211

Le temps s’est remis au beau. Nous pouvons donc sortir un peu car on étouffe à dix dans notre modeste pièce.

Les notes, comme à chaque repos, abondent. Nous passons notre journée à copier et à communiquer. J’ai une minute. Je vois mon cousin Louis. Il a reçu une carte de son frère Charles, prisonnier à Ohrdruf [1]. Nous nous réjouissons. Nous parlons des nôtres, des lettres reçues, échangeons nos impressions ; tout cela nous remonte et nous réconforte mutuellement.

J’apprends qu’une personne du village confectionne des bandes molletières* de velours. Aussitôt j’y suis. Carpentier m’accompagne. La commande est faite pour notre prochain retour.

Vers 1 heure, nous partons pour 24 heures à la cote 211. On y relève du 120e vers 3 heures. La 5e compagnie est en réserve au point D (voir topo Tome IV [ci-dessous]). TopoTIVJe prends avec moi Blanchet ; nous occupons un modeste gourbi* ; le caporal Menneval, futur fourrier* de la 6e compagnie, se joint à nous. L’adjudant De Juniac est resté à Florent, bien fatigué, sur l’ordre du capitaine commandant. Le titulaire, caporal fourrier Legueil, étant évacué, Gallois le remplace.

 


[1] Ohrdruf : Camp de prisonniers situé dans le Thuringe, en Allemagne.

Camp de prisonnier d Ohrdruf 9 janvier 1916 Camp de prisonnier d’Ohrdruf, 9 janvier 1916

CP-Lobbedey14-18Carte postale envoyée à Émile Lobbedey par son cousin Charles (frère de Louis) depuis le camp d’Ohrdruf.

C_G1_E_13_01_1381_0116_0C_G1_E_02_02_0215_0144Documents d’archives faisant référence à Charles LOBBEDEY, prisonnier de guerre au camp d’Ohrdruf (Allemagne).
Documents extraits de : Les archives historiques du CICR, http://grandeguerre.icrc.org/fr

 



 

13 novembre

Repos à Florent

Nous nous levons à 4 heures, gelés. Impossible de se recoucher, il faut qu’on se réchauffe. Je sors donc dans la rue. La pluie a cessé. Je cours pour me remuer le sang et mes camarades en font autant.

Gauthier tâche de trouver du bois. Enfin, après maintes recherches, nous allumons un peu de feu dans la rue. On écrase du café dans un couvercle de marmite avec une crosse à fusil. Une heure après, nous buvons le « jus » fameux que connaît tout troupier.

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Une rue avec des soldats – 1915.07.27 ©Ministère de la Culture (France)

Le jour est levé, mais point les habitants. Nous pouvons toujours cantonner la troupe puisque les granges sont ouvertes. Celles-ci sont potables, vastes et pleines de paille.

Le cantonnement* n’est donc pas trop mauvais.
(Cantonnement dans la rue B) voir topo Florent Tome IV

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Topo Florent Tome IV – Plan dessiné par Émile Lobbedey

D’autre part, les maisons potables sont rares pour y loger nos chefs. Après plusieurs insuccès, je réussis quand même à trouver une chambre à deux lits très peu luxueuse. N’ayant que cela, force m’est de m’en contenter. Seulement, le capitaine de musique occupe un lit, son tambour major l’autre. Ils sont arrivés hier soir, me dit l’habitant, brave homme très déférent et très conciliant. Je suis donc obligé de réveiller ces Messieurs pour leur faire observer poliment qu’ils ne sont pas dans leur cantonnement. Quelle misère tout cela !

Il est 8 heures du matin quand, après deux longues heures d’attente, je reçois la compagnie. Capitaine en tête, tout le monde est fourbu, trempé, couvert de boue ; on procède vivement à l’installation.

Le capitaine fait grise mine en voyant son appartement. Le sous-lieutenant Vals rit à gorge déployée. Je m’excuse de mon mieux. Nécessité oblige. D’ailleurs, les chefs des autres compagnies sont encore plus mal logés. En bas, les cuisiniers se sont emparés de la cuisine, enjôlant les habitants comme seul sait le faire un « cuistot », et Chochois, Chopin font merveille. Le café est déjà prêt à être servi.

Notre logis à la liaison est minable. C’est une simple pièce remplie de paille répugnante. Comme siège, néant ; comme lit, néant ; comme carreaux, néant. Comme siège, nous aurons nos sacs ; comme lit, le plancher débarrassé de la paille infecte ; comme carreaux, des bulletins des armées de la république sont tout indiqués.

On se met donc à l’œuvre. Du bois est trouvé par Gauthier : quelques planches d’une grange voisine. On allume le feu, on nettoie la pièce, faisant place nette de tous les détritus qui jonchent le sol ; chacun a sa place assignée non sans quelques discussions. Je vais chercher le ravitaillement aux voitures qui sont stationnées sur la place.

À midi, nous pouvions nous restaurer.

L’après-midi, nous nous nettoyons. Ce n’est pas un luxe, inutile d’insister. Mais c’est toute une affaire et pas facile.

De l’eau, il faut en chercher à un puits, le seul du village qui en possède encore. Heureusement qu’il pleut, dira-t-on ; ce puits, il faut en connaître l’emplacement ; il faut y aller ensuite.

Il faut un récipient qu’on n’a pas, qu’il faut chercher, qu’il faut trouver.

Il faut une place ; la rue, dira-t-on ; précisément. Encore faut-il qu’il ne pleuve pas. Je ne vois pas d’ailleurs dix hommes dans une pièce de six mètres sur quatre se lavant en même temps tandis que d’autres écrivent, font la cuisine, entrent, sortent, etc…

La fontaine de Florent : les lavabos - 1915.07.18 ©Ministère de la Culture (France)

La fontaine de Florent : les lavabos – 1915.07.18 ©Ministère de la Culture (France)

Que de choses qui, autrefois, paraissaient si simples et qui, aujourd’hui, sont une affaire d’État. Que de discussions aussi entre nous ! Que de mots aigres-doux échangés !

Vers le soir, je vais voir le capitaine. Enjôlant à son tour ses hôtes, il a réussi à avoir un coquet petit salon dont les fenêtres donnent sur la place. Je le trouve dans un fauteuil, en pantoufles au coin d’un bon feu. Il me fait tout à fait l’effet d’un brave père de famille.

De bonheur, nous nous étendons côte à côte dans notre home. Nous aurons chaud, nous ne craignons pas la pluie. Que faut-il de plus ?


 

12 novembre

Relève des tranchées

Au petit jour, je trouve le capitaine endormi. C’est dire que tout s’est calmé.

Lannoy ne m’apprend rien de particulier. Mon opinion est que le simulacre d’attaque de l’ennemi et le déluge de bombes proviennent des invectives du capitaine.

Jombart, le caporal fourrier* de la 8e, revient avec nos cuisiniers. Il nous parle de relève* pour le soir. Les voitures de ravitaillement croient ne pas venir ce soir à La Harazée. On reste sceptique cependant. Le temps est à la pluie aujourd’hui ; mauvais temps donc.

Vers midi, nous apprenons la relève pour le soir. Cette nouvelle est accueillie chaque fois avec satisfaction. Nous allons de plus à Florent. Tout ceci nous mit la joie au visage.

Vers 2 heures, on amène de la compagnie un malheureux caporal qui a la main droite enlevée par l’éclatement d’une bombe. Le bras est solidement lié par une courroie afin d’empêcher la trop grande perte de sang. Les brancardiers enlèvent le blessé, tandis que celui-ci geint lamentablement.

Transport d'un blessé (Artois)Vers 5 heures, sous la pluie qui tombe à flots, nous partons, De Juniac, l’adjudant de bataillon, en tête, toujours armée de son bâton et de sa lanterne, les quatre fourriers Huvenois, Carpentier, Gallois sergent major faisant fonction et moi, et le clairon cuisinier Gauthier. Nous partons sur Florent afin de préparer le cantonnement. Au bout de 600 mètres, la pluie cesse de tomber. Cela nous plaît. N’empêche que cela a suffi à nous mouiller plus qu’au gré de nos désirs. Nous filons donc à travers bois, passons la clairière connue, le poste du colonel et après quelques chutes toujours accompagnées de rires, arrivons dans La Harazée alors que la nuit tombe.

Nous y rencontrons pas mal de cuisiniers, particulièrement cuisiniers d’officiers, qui a notre vue, devinent, bouclent leurs sacs et, armés de leurs marmites, nous font une digne escorte.

On traverse la Placardelle après un léger pas de course au haut de la côte de La Harazée. C’est un coin dangereux, fréquenté des marmites [1].

Après une longue pause où on commence à respirer librement, le danger immédiat est passé, nous partons cahin-caha vers Florent.

Cote 211. Parc d’artillerie. Nous approchons. Nous sommes trempés, car la pluie tombe sans discontinuer depuis la Placardelle, petite pluie fine agaçante au possible. Nous sommes presque arrivés à Florent quand nous rencontrons les troupes de relève. Il peut être 8 heures du soir.

De ce fait, nous ne sommes pas près de voir le régiment de sitôt.

Nous faisons donc une entrée épique dans Florent, suivis d’une colonne de cuisiniers tous armés de marmites, plats, seaux et bidons.Gallica-Cantont-Cuis

Une pause sur la place de Florent permet à De Juniac de se rendre à la mairie. Il revient bientôt, ayant eu désignation de son coin.

La fontaine sur la grande place - 1915.11 ©Ministère de la Culture, France

La fontaine sur la grande place – 1915.11 ©Ministère de la Culture, France

Il est 9 heures. La pluie continue. Nous prenons le parti de nous coucher dans une grange en attendant le petit jour, car le régiment n’arrivera certainement pas avant 6 heures du matin. Au-dehors, la pluie et le vent font rage. Quel triste temps !

Malgré nos effets et nos couvertures mouillés, nous dormons à poings fermés.



[1] marmites : Dans l’argot des combattants, désignation des projectiles allemands par les soldats français, en particulier des Minenwerfer sans doute en raison de leur forme et de leur poids.

 

11 novembre

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

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Plan extrait du J.M.O.* du 147e régiment d’infanterie (26 N 695/11) – 10 novembre 1914

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Plan extrait du J.M.O.* du 272e régiment d’infanterie (26 N 734/1) – 6 au 12 novembre 1914

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Plan extrait du J.M.O.* du 272e régiment d’infanterie (26 N 734/1) – 10 au 11 novembre 1914

Nuit peu agitée. Le coin est assez bien.

Les cuisiniers nous apportent notre béquée comme d’habitude, sous la direction de Gallois.103-cuisine-dans-les-bois

Un de mes amis, sergent à la compagnie, brave entre tous, est tué. C’est un nouveau deuil pour nous.

Nous passons notre journée à confectionner des pétards dont on fait une énorme consommation. Aux dires du capitaine Aubrun, c’est en empoisonnant l’ennemi et lui faisant sentir qu’il a une troupe forte devant lui qu’on réussit à avoir la paix.

Depuis ce matin, nous avons des batteries alpines et, de temps en temps, un sifflement rapide passe ; un éclatement plus loin ; on tire et cela nous donne confiance. Nous sentons en quelque sorte notre supériorité.

Dans l’après-midi, le capitaine Aubrun va en première ligne et invective les boches d’en face. Je le vois à son retour ; il est tout rayonnant d’avoir lancé quelques bombes.

Une alerte vers le soir nous met sur les dents. Le capitaine fait dire au bataillon que les boches redoublent d’activité. Est-ce le prélude d’une tentative d’attaque ?

Le 272e est alerté et prêt à intervenir.

Les cuisiniers descendent quand même pour le ravitaillement. La fusillade fait rage plusieurs fois, nous sommes tous en éveil. La nuit se passe quand même et le jour se lève rayonnant. Belle journée en perspective.


 

10 novembre

Au petit jour, nos cuisiniers rentrent par un temps sec. Ils déclarent que c’est un plaisir de marcher. Huvenois nous annonce le retour de Courquin, notre ami fourrier* blessé à Thiéblemont. Il est parti retrouver la 6e compagnie.

Beaucoup de monde se plaint de coliques. Cela provient de ce que l’on mange toujours froid.

Et comment résoudre le problème de manger chaud ?

La journée se passe calme. Nous ne recevons pas d’obus. On peut donc circuler tranquillement à l’abri du bombardement qui n’a pas lieu, mais par contre, les balles sifflent assez souvent.

Le vaguemestre* vient chaque jour vers 3 heures. C’est la grande distraction.CP-arriveecourrier

Le soir tombe. À part quelques blessés, depuis notre arrivée, nous avons peu de casse.