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18 février

Au petit jour c’est un remue-ménage des gens de notre popote qui partent en marche à 8 heures. Jamesse ne tarde pas à arriver et avale rapidement son chocolat en nous traitant de veinards à l’annonce que nous ne marchons pas. Nous retenons notre ami à la dernière minute tandis que la compagnie se rassemble et s’en va.

Je profite de la matinée pour faire porter à la voiture les débris du magasin, souliers trop grands, vestes trop petites, etc. ainsi que quelques paires de galoches. De cette façon si nous partons rapidement la question du magasin sera liquidée d’avance.

À midi la compagnie est rentrée et nous nous mettons à table. Le capitaine arrive à ce moment et prescrit une revue en tenue de départ à 4 heures pour les hommes disponibles. Tout ceci sent le départ de plus en plus.

Pendant que nous sommes à table Brillant nous apporte une proclamation du général de division déclarant que les nouvelles du front sont bonnes : le centre allemand serait enfoncé en Champagne et on marcherait sur Vouziers. Heureux nous trinquons à la gloire de nos armes.

Un cri de surprise échappe à Lannoy en dépouillant un autre papier. C’est un ordre du jour de la division à Culine, Gibert et lui sont cités pour leur conduite en Argonne. Du coup c’est un hourra de félicitations. Mes amis sont heureux et nous aussi car cela nous vaudra le champagne.

Dans l’après-midi je reçois quelques lettres, de ma famille, du sergent Pellé blessés à Fontaine Madame, en traitement à Lyon, du futur aspirant Blanckaert de mes amis du pays, élève officier à la Courtine dans la Creuse, de notre ami incorporé au 16e bataillon de chasseurs à pied, Alidor Leceuche.

À 4 heures a lieu la revue. Le capitaine vient signer les pièces et s’en va, après avoir félicité Culine, Lannoy et Gibert à l’occasion de leur citation.

Vers 5 heures selon notre habitude nous nous dirigeons en bande chez La Plotte où nous passons deux heures agréables. Puis la soirée se passe avec la visite des agents de liaison du bataillon qui nous apprennent d’après une note qu’on doit s’attendre à partir d’un jour à l’autre.

Nous devons exécuter demain la dernière marche des cinq jours préconisée par le lieutenant-colonel Desplats. Départ comme ce matin, itinéraire renversé : Le Chemin, Passavant, Sénard, Charmontois.

Rogery va communiquer ceci au capitaine qui de nouveau met les mêmes ordres. Réellement nous lui sommes reconnaissants de nous faire trotter le moins possible.

La soirée se passe gaiement. Il faut profiter des derniers jours qui nous sont donnés. Vive la joie ! Au dessert nous buvons le champagne à la santé de nos glorieux amis cités à l’ordre du jour sur la proposition du capitaine Aubrun.

Mon lit me semble meilleur depuis que je songe au départ. Il est près de 11 heures quand je me couche.

17 février

Remise de la croix aux capitaines Claire et Aubrun

Nous nous levons tard. Ce n’est qu’à 7h30 qu’un premier bruit de casseroles m’annonce que les cuisiniers sont dans la cuisine. Mes amis ne tardent pas à apparaître et à commencer la séance d’astiquage et de préparation à la marche tandis que je fais la situation de prise d’armes.

Nous prenons le chocolat et parlons encore de départ. Réellement cela devient le cauchemar. Enfin il n’y a qu’à se tenir prêt. Je conseille à Lannoy de laisser Jacquinot et de commencer à déménager le magasin pour la voiture de compagnie. Il ne veut pas en entendre parler.

Après un modeste acompte à 10 heures, toute la bande s’en va. Levers et moi nous restons. Peu après j’entends la musique et un pas redoublé : le bataillon s’en va.

J’ai peu de travail. J’écris donc chez moi et mets un peu d’ordre dans mon fourniment. On ne sait jamais. Un départ est si vite arrivé.

Tome VIII (dernier cahier)

tomeVIII(Suite du 17 février)

Il est 2h30 quand j’entends au loin la musique. C’est le régiment qui rentre à Charmontois-le-Roi. Je sors et de loin encore arrive à reconstituer la scène de la remise de décorations. J’entends les clairons et tambours ouvrir et fermer le bataillon ; la Marseillaise éclate ensuite.

Bientôt la compagnie rentrait au son d’un pas redoublé. Lannoy est le premier à arriver en coup de vent. Il est suivi du capitaine qui vient heureux la mine souriante avec la croix sur la poitrine. Je le félicite. Il signe les pièces et s’en va.

La marche n’a pas été fatigante aux dires de mes amis. Ceux-ci sont déjà autour du poêle et me donnent quelques détails sur la remise des décorations. Le capitaine était rayonnant.

5 heures arrivent vite : nous partons en bande chez La Plotte. On est joyeusement reçu. Les gendarmes nous disent que nous devons nous préparer à partir bientôt ; ils ont reçu des ordres. Nous sommes heureux d’avoir la nouvelle : au moins nous sommes fixés. Malgré tout la gaieté de ce fait diminue un peu de son entrain.

Nous nous mettons à table à 7 heures. Mascart ne tarde pas à arriver. Il me dit qu’on parle d’un prochain départ ; de ce fait je dois rejoindre la liaison ; il faut donc choisir un agent de liaison* pour moi et renvoyer l’autre. Je prends donc Brillant et adjoint Mascart à la liaison du colonel. Des notes nous disent qu’une nouvelle marche aura lieu demain par bataillon.

Départ à 8 heures ; rentrée à 12 heures.

Rogery va communiquer ceci au capitaine qui exempte le bureau et l’ordinaire. J’en suis satisfait outre mesure quand j’apprends cela avant de me coucher. Il est 10 heures. Je ris de la tête que va faire Jamesse qui est parti chez le maire : il croit naturellement marcher demain et arrivera de bonne heure.

16 février

Toute la bande se lève tard. Si nous mangeons les kilomètres, au moins nous les digérons.

À 8 heures on commence à se lever. Nous prenons le chocolat et nous astiquons pour le départ, tandis que nos cuisiniers font en hâte la popote. À la lecture du rapport à 9 heures je vois le sous-lieutenant Alinat qui me demande des renseignements sur Prunier qui lui a répondu un peu vertement et à qui il inflige quatre jours de salle de police. Cela commence bien !

Lannoy fait la situation de prise d’armes qu’il arrange de façon à ce que Licour et Delacensellerie restent. Ceux-ci sont heureux. Nous y gagnons d’ailleurs au repas qui est préparé un peu moins fébrilement. On se met à table à 10 heures.

Puis sac au dos. Il est 11h15. Je vais rejoindre la liaison du bataillon.

Le point de rassemblement est la sortie de Charmontois-le-Roi route de Le Chemin. Nous partons donc de ce côté. En route, dans Charmontois-le-Roi, je vois les gendarmes qui nous regardent passer et rient de me voir. Nous nous arrêtons à la sortie du village juste en face de la maison Adam devant laquelle nous faisons une longue pause.

Je vois les jeunes filles, le sergent major du génie à qui je serre la main. On m’offre une tasse de café que je bois de bon cœur.

Une fois le bataillon rassemblé, nous partons après une longue conversation entre le chef de bataillon et les commandants de compagnie. Ceux-ci partent en tête. Devant nous à 200 m je vois donc à cheval les capitaines Aubrun et Crouzette et les sous-lieutenants de Monclin et Vals commandant les 5e, 7e, 6e et 8e compagnies. Le capitaine Claire a toujours le commandement des élèves caporaux ; le sous-lieutenant de Monclin commande donc toujours la 6e compagnie.

J’apprends en route que le sous-lieutenant Monchy est affecté à la 7e compagnie. Notre marche est agrémentée de quelques singeries du lieutenant Vals qui s’amuse à sauter en croupe sur le brave cheval du capitaine Crouzette. La brave bête ne bronche pas et le lieutenant Vals se livre avec joie à des exercices de voltige. Nous faisons la pause à une intersection de route à 3 km de Le Chemin. Nous commençons bientôt la manœuvre sous les ordres du colonel Desplats. Les compagnies font la marche sous le feu de l’artillerie. Durant deux heures, c’est la marche à travers champs pour les compagnies qui font des bonds par section formant la carapace, les sections à 50 m les unes des autres échelonnées en deux vagues distantes de 100 m. Je suis avec la liaison le chef de bataillon sur la route et me paie quelques courses effrénées de lui au capitaine Aubrun en courant à travers champs. Enfin le clairon sonne : rassemblement à l’intersection des routes d’où est partie la manœuvre.

1h30 après le bataillon est rassemblé. Nous faisons une pause d’une heure pendant laquelle le colonel ayant rassemblé les officiers fait la critique de la manœuvre. Pendant ce temps nous voyons passer à cheval le capitaine Garde de l’état-major de brigade ainsi que le sous-lieutenant Dupont interprète à la division.

Le temps sans être beau n’est du moins pas pluvieux. Nous rentrons donc sans pluie au cantonnement. Il est 5 heures. Je rentre au bureau et trouve le capitaine occupé à signer les pièces du jour. Il nous annonce à Lannoy et moi que demain il sera décoré. On le félicite et il s’en va en riant ; qu’il est heureux !

Le capitaine me fait chercher Prunier. Nous assistons en comité secret à une scène épique. Prunier déclare qu’il n’est pas venu pour faire des balivernes, mais pour se cogner avec les boches. Il reçoit huit jours de prison et est amené incontinent au poste de police pour purger sa peine. L’enthousiasme du capitaine est tombé.

Je n’ai nulle envie de sortir ce soir. Je suis beaucoup trop fatigué. Il n’y a que Culine, Maxime et Cattelot qui sortent. Je reste au coin du feu et écris chez moi.

Tandis que nous nous mettons à table, Mascart arrive avec des notes. Demain, lisons-nous, même manœuvre qu’aujourd’hui. Remise de décoration au retour par le général Guillaumat.

Départ 11 heures ; rassemblement du régiment 12 heures ; rentrée 15 heures à Charmontois-le-Roi pour la cérémonie. Le peloton des élèves caporaux est dissous. Le peloton des élèves sous-officiers continue à fonctionner. Rogery part communiquer tout ceci au capitaine.

Nous nous mettons à table et mangeons de bon appétit.

Rogery ne tarde pas à revenir. Je jette un cri de joie en lisant que je reste au bureau demain. Tout le monde marche. Lannoy décide de laisser Levers pour faire notre cuisine. Licour marchera ; il désire d’ailleurs, car il n’a jamais vu de remise de décorations. Sa déclaration nous fait bien rire.

Cattelot déclare que le sous-lieutenant Carrière croit que nous partons bientôt. Cette annonce nous refroidit. Il est vrai qu’il faut se faire une raison et que voici un mois que nous sommes ici.

Le dîner se termine et nous nous couchons bientôt mélancoliques quand même à penser que nous allons quitter cet oasis.

15 février

Visite au village de Sommeilles

À 5 heures, je suis réveillé par nos cuisiniers qui allument le feu. Licour me demande s’il marche ; je lui dis que oui et il bougonne. Bientôt le plus grand remue-ménage existe dans la maison. Chacun se prépare hâtivement pour le rassemblement. Nous avalons le chocolat, prenons un bout de pain et une boîte de pâté dans notre musette, du vin dans les bidons et en route.

Je rejoins la liaison du bataillon et nous voici bientôt au point de rassemblement.

Les compagnies et le capitaine Sénéchal ne tardent pas à arriver. Il est 6 heures 30. Après une pause d’un quart d’heure, nous partons.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous filons dans la direction de Belval, où nous nous arrêtons dix minutes, puis nous enfonçons dans la forêt de Belnone. Après avoir fait une marche fatigante dans des layons à travers bois, nous tombons sur une grand-route. Nous nous arrêtons. Le capitaine Sénéchal fait colloque avec les commandants de compagnie. Je vois aussi de près le capitaine de la 7e, Crouzette, récemment arrivé, tandis que le sous-lieutenant Carrière était remplacé par le sous-lieutenant Blachon et repartait au 3e bataillon. J’entends la manœuvre. Il faut se placer à la lisière du bois. Puis à une heure donnée par le chef de bataillon qui a eu l’heure du colonel, 9h45, les compagnies sortiront simultanément du bois, en ligne de section par quatre. Devant nous à cet instant se trouvera une petite crête, derrière cette crête le village de Sommeilles. L’objectif est la prise du village.

L’heure donnée au régiment est 9h45. À 7 heures les douze compagnies échelonnées dans le bois à la lisière sortiront.

Aussitôt les compagnies prennent leurs positions, les sections à 25 m, les compagnies à 100 m, l’une de l’autre. Quant au chef de bataillon et à la liaison qui le suit, nous partons par la route à la lisière du bois. J’ai entendu la manœuvre qui n’est autre que celle des Allemands quand ils prirent Sommeilles au petit jour lors de la retraite française qui précéda la Marne. Cela m’intéresse.

À 9h45, la manœuvre commence. Elle réussit pleinement. À plusieurs reprises je vais porter des ordres au sous-lieutenant Alinat qui a pris le commandement de la compagnie, le capitaine Aubrun supposé blessé.

Au haut de la cote se trouve le lieutenant-colonel Desplats avec son état-major. Il regarde la manœuvre. Soudain le clairon sonne la fin et chaque compagnie revient sur la route. Nous faisons la pause à l’entrée du village, le bataillon termine de se placer en colonnes par quatre.

Puis les officiers se rendent près du colonel pour la critique. Je vois le village. Il n’est plus que ruines et ressemble tout à fait à Favresse, Pagny-sur-Saulx et autres pays que nous traversâmes lors de la poursuite.

La pause est terminée et musique en tête nous entrons dans le village. Sur la place où tout est décombres jusqu’à l’église et la mairie, chaque bataillon se forme en colonne double. J’aperçois un de mes amis le sergent Delor récemment promu sous-lieutenant.

Quelques habitants, une vingtaine sont là et nous regardent. Le colonel s’amène à cheval et se place au milieu du régiment formé en triangle face à la mairie. Pendant ce temps on nous distribue des prospectus polycopiés avec l’histoire des heures mortelles vécues par le village qui fut incendié par l’ennemi, dont les habitants furent odieusement maltraités et cela parce que les troupes françaises en se repliant avaient livré combat à la lisière du bois de Belnone. Puis le drapeau se place sur le perron de la mairie qui est resté. Le silence règne profond. Le colonel fait placer les habitants du pays au pied du perron sous le drapeau.

« Présentez vos armes ! Au drapeau ! »

Nous présentons les armes. Les clairons sonnent aux champs. Le colonel tire son épée, puis s’adressant aux habitants il les félicite d’être revenus dans leur terroir dévasté mais qu’ils soient sûrs que nous les vengerons ; « quant à vous » nous dit-il, en se tournant vers nous, « vous vous souviendrez de Sommeilles à l’heure du combat ».

Puis notre chef serre la main des paysans. Musique en tête, nous partons. Cette cérémonie si simple, mais si émouvante me restera longtemps gravée dans la mémoire.

Nous reprenons la route de Charmontois. À Belval, nous passons musique en tête et musique en tête nous rentrons à Charmontois. Il est 2 heures de l’après-midi.

Je rentre au bureau après avoir quitté la liaison. Je trouve le capitaine Aubrun qui donne repos complet.

Je passe donc l’après-midi assis à me reposer. Mes amis en font autant et on casse la croûte en attendant le repas du soir.

La soirée se passe à se décrotter et se remettre de la marche qui était assez jolie comme longueur. J’écris chez moi envoyant l’odyssée de Sommeilles que je désire garder en souvenir. À 8 heures après un repas qui nous a restaurés, car nous avions grand faim, nous recevons la visite de Mascart.

Celui-ci nous annonce qu’il y a une nouvelle marche demain et qu’il en sera ainsi durant cinq jours. Une telle nouvelle ressemble pour nous à une douche d’eau froide. Comment encore ?

En effet. Demain à midi départ du bataillon. Rassemblement du régiment au sud du village de Le Chemin. Manœuvre. Marche dans le feu de l’artillerie, puis de l’infanterie, assaut du village.

Rogery part voir le capitaine Aubrun et revient avec des ordres précis. Rassemblement à 11h30, départ pour le point de rassemblement du bataillon 11h45. Tout le monde marche même [les] cuisiniers excepté le sergent major. Lannoy est heureux. Repos demain matin. Tout cela nous incite à nous coucher et à réfléchir. Ces marches sentent le départ prochain. Malgré tout cette pensée nous rend mélancolique.

14 février

Je me lève tard. Ce n’est qu’à 8 heures que les premiers de la bande apparaissent. On boit le chocolat et nous nous astiquons comme chaque dimanche pour assister à la messe. Nous y allons à 10 heures. L’église comme toujours est comble. À la sortie, le capitaine Aubrun appelle Lannoy, Culine et Gibert, tandis que le capitaine Sénéchal assiste à l’entretien. Je suis trop loin pour entendre quelque chose. En tout cas, cela se termine par des rires. Tout est donc bien qui finit bien.

En effet, le capitaine s’est montré bon père et après une petite semonce, car il devinait bien où était son adjudant, il renvoyait tout le monde absous !

Culine qui conserve cependant une dent contre Lannoy n’en démord pas qu’il lui a manqué de camaraderie.

Nous partons ensuite dire bonjour au débit La Plotte où nous prenons l’apéritif. Nous causons avec les gendarmes qui nous disent avoir de bonnes nouvelles du Nord. Nous avançons. Tant mieux, ce n’est pas trop tôt.

Nous faisons un bon repas. Culine nous dit que la classe 1915 va arriver fin février. On parle aussi d’un départ prochain. Il est vrai que voici déjà un bout de temps que nous sommes ici.

Après le repas, je me rends dans la ferme occupée par la section Gibert où je sais trouver le sergent fourrier Bourgerie qui prend ses repas. J’ai un renseignement à lui demander au sujet des fournitures touchées. Je suis reçu aimablement. On m’offre cigares, café, liqueurs et je passe une bonne partie de l’après-midi avec le sergent-major Charbonneau, le tambour major Roussel, le sergent téléphoniste Gabriel. Roussel me raconte que le chef de musique Legris a obtenu une permission de deux jours pour Paris dans le but (?) d’acheter des instruments de musique (!!!).

Je quitte la petite réunion vers 3 heures. Au bureau, je ne trouve que Rogery. Je passe donc un moment à écrire aux miens. Vers 4 heures, je file chez La Plotte croyant y trouver ma bande. Je ne rencontre que Jamesse qui s’y trouve avec le maire de Charmontois dont je fais la connaissance et avec qui je passe deux heures agréables à causer.

Mon ami et le maire s’en vont. Ils sont bientôt remplacés par une partie de notre bande, Lannoy, Cattelot et Gibert, qui sont très gais. Nous vidons quelques tournées et rentrons chez la mère Azéline où la soirée se prolonge très tard.

Nous recevons vers 8 heures. À table, Diat nous raconte une petite algarade qu’il eut la veille avec son chef de section, Mimile, qui voulait lui en imposer. Diat répondit que vis-à-vis de lui, il ne serait jamais qu’un bleu. Loin de se fâcher, l’officier rit de bon cœur et offrit un paquet de cigarettes à son sergent.

L’ami Aristide arrive et nous fait lire la note du colonel : demain rassemblement du régiment à 8 heures au sud de Belval. Marche manœuvre sur Sommeilles. Rentrée probable, 13 heures. Se munir d’un repas froid.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Puis nous lisons la note du chef de bataillon : rassemblement du bataillon route de Sénard à 6 heures 30. Départ 6 heures 45.

Rogery va donc voir le capitaine Aubrun. Celui-ci était rentré de peu de Bar-le-Duc. Notre agent de liaison revient avec les ordres : rassemblement de la compagnie à 6 heures 15 ; départ pour le rassemblement du bataillon 6 heures 20. Tout le monde présent sans exception. Quant au repas froid, cela regarde les cuisiniers d’escouade.

Rogery part donc communiquer ses ordres au chef de demi-section. Le brave garçon rentre quand nous nous séparons. Il est fatigué me dit-il. Rien d’étonnant.

13 février

Journée assez calme. Exercice le matin pour la compagnie tandis que nous travaillons au bureau. Au rapport de 10 heures, le capitaine annule l’exercice de l’après-midi et prescrit : revue d’armes et de cantonnement à 3 heures par les chefs de section. Repos demain, dimanche.

Nous passons un bon après-midi. Nos amis, à 3 heures 30, partent à Charmontois-le-Roi. Les veinards ont fini leur travail pendant que nous mettons encore du noir sur le papier.

Vers 4 heures, Mascart vient en coup de vent nous apporter une feuille de papier blanc à signer par nous, le bureau, et les quatre chefs de section. Au bataillon, les quatre agents de liaison* de compagnie font un exercice afin de savoir combien cela demanderait de temps pour prévenir toute une compagnie.

Lannoy signe. Mascart lui demande où sont les quatre chefs de section.

Plutôt que le renseigner, Lannoy ne veut rien lui indiquer. C’était pourtant facile de dire que Culine et Gibert étaient chez La Plotte. Mais je me tais.

Mascart fait signer son papier aux sous-lieutenants de la compagnie qui sont chez eux, revient nous voir et est mis à la porte par l’irascible Lannoy.

Je discute alors avec ces derniers, disant que non seulement, il nuit à l’agent du bataillon mais aussi à nos amis qui vont se faire réprimander par le capitaine pour être en dehors du cantonnement avant 5 heures ; Mascart ne les trouvera certes pas à l’endroit, leur section ou le bureau, où ils doivent être.

Mais péremptoirement, Lannoy me répond : « Ils n’ont qu’à être là ! »

Manque de camaraderie que je n’approuve pas.

Nous nous rendons à 5 heures 30 chez La Plotte où nous ne voyons pas notre bande qui sans doute, se trouve dans la ferme Culine.

Nous rentrons à 7 heures. Lannoy raconte l’affaire Mascart à table et demande si Culine et Gibert ont vu quelqu’un. Du coup Culine lui déclare qu’il aurait dû signer pour lui et le traite de tous les noms. Un grand froid se produit jusqu’au coucher. Nul doute que Mascart aura rendu compte et que demain, le capitaine Aubrun demandera des explications à Culine et Gibert. Aussi ces derniers, surtout Culine, fulminent-t-ils et des mots aigres-doux sont prononcés.

12 février

Je me lève tard et notre bande en fait autant. Nous prenons le chocolat vers 8 heures.

Levers nous le sert en riant et nous raconte une bonne blague. Il brûle les fagots de bois de la mère Azéline en lui faisant accroire que c’est du bois acheté aux voisins. La brave femme répète qu’elle n’a pas de bois et qu’elle le donnerait de bon cœur. Heureusement que ce filou de Levers a trouvé dans un coin du grenier un tas de fagots. Il va donc en prendre un chaque soir et l’amène tranquillement dans la matinée en disant l’avoir acheté tantôt ici, tantôt là et pour un prix vraiment exorbitant (je te crois, Benoît). Nous rions beaucoup nous-mêmes.

Dehors le temps semble s’être remis au beau mais les routes sont boueuses et glissantes.

Lannoy fait sa situation de prise d’armes. Licour marchera et cédera sa place d’embusqué pour aujourd’hui à Delacensellerie.

Nous mangeons plus tôt, vers 10 heures 30. Tout est prêt, nos sacs sont montés : il n’y a plus qu’à partir.

Je rejoins donc la liaison dans son logis vers 11 heures 30 je trouve Gallois qui s’est acheté un képi d’adjudant et une cantine ; Sauvage, Legueil, Jombart sergents fourriers* des 7e 6e et 8e, Verlaine et Paradis, caporaux fourriers 5e et 8e, René, agent de liaison* de la section de mitrailleuses qui bientôt, dit-on, formera une compagnie, Gauthier qui fait toujours popote* mais doit être aidé des deux cyclistes Cailliez et Crespel car il est clairon avant tout et souvent de garde ou à la musique, Gilson secrétaire du commandant, le dessinateur soldat de la 8e, Brillant et Mascart, mes agents de liaison ainsi que Garnier, celui de la 8e et Frappé de la 7e. Cela fait en tout avec moi dix-sept membres. Quel équipage !

Sous les ordres de Gallois, nous partons sur la route de Sénard en passant devant le bureau du colonel. À 300 m à la sortie du village, c’est le point de rassemblement du bataillon.

Le capitaine Sénéchal à cheval, suivi du maréchal des logis Jacques, ne tarde pas à arriver. Les compagnies arrivent à leur tour et à midi, nous partons dans la direction de Le Chemin. Le temps est assez bon. Successivement, nous passons à Le Chemin, puis à Sénard où est cantonné le 1er bataillon, lui-même en marche. Nous continuons ensuite sur Triaucourt. Avant d’entrer dans le village, nous faisons une pause où le capitaine Sénéchal nous annonce que le lieutenant Péquin est hors de danger.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

De Triaucourt, nous reprenons la route de Charmontois où nous nous disloquons à 4 heures.

Je suis réellement fatigué par la marche : je n’ai plus d’entraînement. Je reste donc au coin du feu. Le capitaine arrive et signe les pièces : demain exercice comme à l’habitude.

Je suis à peine installé près du feu qu’une note arrive, disant qu’un renfort se trouve non loin du bureau du colonel et que les fourriers doivent aller chercher leur lot. Force m’est donc d’y courir. Arrivé près du bureau du colonel, je vois le sous-lieutenant Monchy rétabli qui vient de nous rejoindre. Il va saluer le colonel. Je fais 200 m sur la route et dans une pâture à gauche, trouve une troupe qu’on est occupé à fractionner. Je vois quelques anciennes connaissances ; ce sont tous d’anciens blessés. Je prends possession de mon lot, dans lequel je trouve Berquet, celui que j’ai sauvé à Beaumont le 28 août – le brave garçon me le rappelle aussitôt – ainsi que Prunier, une mauvaise tête, brave au feu. Ce Prunier est attendu du capitaine à qui il écrit souvent. Mauvaise tête s’il en est, je doute fort que la lune de miel soit longue entre eux. Ex-blessé de l’Argonne, brave si on veut, mais hâbleur et frotte-manches.

J’arrive au bureau avec la quinzaine d’hommes qui m’est dévolue et Lannoy en fait la répartition par section. À 7 heures, nous nous mettons à table. Tout le monde est fatigué et nous ne tardons pas à nous coucher.