Archives par étiquette : Bar-le-Duc

14 février

Je me lève tard. Ce n’est qu’à 8 heures que les premiers de la bande apparaissent. On boit le chocolat et nous nous astiquons comme chaque dimanche pour assister à la messe. Nous y allons à 10 heures. L’église comme toujours est comble. À la sortie, le capitaine Aubrun appelle Lannoy, Culine et Gibert, tandis que le capitaine Sénéchal assiste à l’entretien. Je suis trop loin pour entendre quelque chose. En tout cas, cela se termine par des rires. Tout est donc bien qui finit bien.

En effet, le capitaine s’est montré bon père et après une petite semonce, car il devinait bien où était son adjudant, il renvoyait tout le monde absous !

Culine qui conserve cependant une dent contre Lannoy n’en démord pas qu’il lui a manqué de camaraderie.

Nous partons ensuite dire bonjour au débit La Plotte où nous prenons l’apéritif. Nous causons avec les gendarmes qui nous disent avoir de bonnes nouvelles du Nord. Nous avançons. Tant mieux, ce n’est pas trop tôt.

Nous faisons un bon repas. Culine nous dit que la classe 1915 va arriver fin février. On parle aussi d’un départ prochain. Il est vrai que voici déjà un bout de temps que nous sommes ici.

Après le repas, je me rends dans la ferme occupée par la section Gibert où je sais trouver le sergent fourrier Bourgerie qui prend ses repas. J’ai un renseignement à lui demander au sujet des fournitures touchées. Je suis reçu aimablement. On m’offre cigares, café, liqueurs et je passe une bonne partie de l’après-midi avec le sergent-major Charbonneau, le tambour major Roussel, le sergent téléphoniste Gabriel. Roussel me raconte que le chef de musique Legris a obtenu une permission de deux jours pour Paris dans le but (?) d’acheter des instruments de musique (!!!).

Je quitte la petite réunion vers 3 heures. Au bureau, je ne trouve que Rogery. Je passe donc un moment à écrire aux miens. Vers 4 heures, je file chez La Plotte croyant y trouver ma bande. Je ne rencontre que Jamesse qui s’y trouve avec le maire de Charmontois dont je fais la connaissance et avec qui je passe deux heures agréables à causer.

Mon ami et le maire s’en vont. Ils sont bientôt remplacés par une partie de notre bande, Lannoy, Cattelot et Gibert, qui sont très gais. Nous vidons quelques tournées et rentrons chez la mère Azéline où la soirée se prolonge très tard.

Nous recevons vers 8 heures. À table, Diat nous raconte une petite algarade qu’il eut la veille avec son chef de section, Mimile, qui voulait lui en imposer. Diat répondit que vis-à-vis de lui, il ne serait jamais qu’un bleu. Loin de se fâcher, l’officier rit de bon cœur et offrit un paquet de cigarettes à son sergent.

L’ami Aristide arrive et nous fait lire la note du colonel : demain rassemblement du régiment à 8 heures au sud de Belval. Marche manœuvre sur Sommeilles. Rentrée probable, 13 heures. Se munir d’un repas froid.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Puis nous lisons la note du chef de bataillon : rassemblement du bataillon route de Sénard à 6 heures 30. Départ 6 heures 45.

Rogery va donc voir le capitaine Aubrun. Celui-ci était rentré de peu de Bar-le-Duc. Notre agent de liaison revient avec les ordres : rassemblement de la compagnie à 6 heures 15 ; départ pour le rassemblement du bataillon 6 heures 20. Tout le monde présent sans exception. Quant au repas froid, cela regarde les cuisiniers d’escouade.

Rogery part donc communiquer ses ordres au chef de demi-section. Le brave garçon rentre quand nous nous séparons. Il est fatigué me dit-il. Rien d’étonnant.

31 janvier

Nous sommes réveillés à 5 heures et obligés de nous lever, car les hommes du génie ne vont pas tarder à se lever et il ne faut pas que nous soyons vus. On s’habille donc rapidement et enfila travers champs par le même chemin que la veille.

La chambre de la mère Azéline donne dans la nôtre. La maison se compose de 3 pièces, une cuisine de campagne, une grande salle que nous occupons avec une fenêtre donnant sur la rue, pavée de carreaux rouges, avec une immense table, quelques chaises, une grande armoire garde-robe, et deux commodes ; la 3e pièce de même style que la place que nous occupons est un peu plus petite, c’est la chambre de la patronne ; cette pièce donne dans la nôtre. Sur le pas de la porte se trouvent deux couvercles en bois bouchant la cave de la maison.

Nous examinons tout cela aussitôt arrivés, tandis que la brave vieille est déjà au coin du feu et que Delacensellerie nous sert le chocolat.

Licour nous astique, tandis que nos amis font irruption et se débarbouillent dans la cuisine. On boit le chocolat dont la maison a sa part et chacun s’en va où ses occupations l’appellent.

Nous faisons notre travail de bureau. Licour procède à une dernière installation. Il est si bien avec la maman qu’il obtient de s’installer dans sa chambre à coucher.

Le résultat obtenu est merveilleux. La place est tombée entièrement entre nos mains.

Vers 7h30 nous recevons la visite du capitaine Aubrun en tenue qui est satisfait de nous voir installés et déclare n’avoir eu aucune difficulté de la part du génie pour garder son logis. Nous irons donc lui communiquer les ordres à Charmontois-le-Roi.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Pour aujourd’hui aménagement complet des granges dans le style des granges de Charmontois-le-Roi. Pas d’exercice. Demain matin, revues des armes, de la tenue et du cantonnement par le capitaine à 9 heures.

Nos amis reviennent après son départ. On leur communique les ordres de notre commandant de compagnie.

Il est 10 heures. Nous mangerons à midi, et invitons nos cuisiniers à nous faire un repas royal. Nous partons en bande à la messe. À l’Évangile notre aumônier divisionnaire fait un beau sermon. La foule remplit l’église trop petite. Pendant l’office Girard un de mes amis joue un morceau de violon ; le violon de Madame La Plotte.

Après l’office, nous apprenons fortuitement que les officiers du bataillon sont partis en automobile passer la journée à Bar-le-Duc. Lannoy en effet est interpellé par le sous-lieutenant Alinat qui lui dit qu’il remplace le capitaine. Lannoy nous annonce aussitôt la nouvelle.

Nous nous rendons au café de Charmontois-l’Abbé, tenu par un maréchal-ferrant. Culine connaît le coin et la façon d’y entrer par le derrière des habitations. Il est collé et quoique les cafés soient consignés nous entrons dans les cuisines et trinquons avec quelques amis, tels que Charbonneau, le sergent major de la compagnie hors rang [C.H.R.*], le chef armurier etc….

Nous filons ensuite chez La Plotte où nous sommes reçus en libérateurs. Les gendarmes s’ennuyaient. On paie tournées sur tournées. Nous sommes invités à revenir l’après-midi : de grands cœurs nous acceptons.

Nous rentrons gaiement et rencontrons en route le colonel Desplats que nous saluons et qui nous dévisage d’un air féroce. Diable ! Que manigance-il encore celui-là !

Nous faisons un dîner pantagruélique arrosé d’un vin blanc que Levers s’en fut chercher chez le maréchal-ferrant. Au milieu du repas la mère Azéline s’en va au coin de son feu, elle préfère manger là, car nous sommes trop jeunes pour ces les oreilles.

Nous recevons la visite de Mascart. On lit les notes. Demain vaccination anti typhoïdique* pour la seconde fois : sur les livrets individuels il faut marquer la vaccination de chaque individu. Examen délivré après demain par le major Mialaret. Demain à 8 heures, nouveau lot de capotes, vestes, tuniques, pantalons, chemises. Ceci très bien. Je me promets déjà de changer ma vieille capote, et de me procurer une tunique. Autre note : nous toucherons des pantalons bleus à passer au-dessus de nos pantalons, afin que la tenue soit uniforme dans le régiment. Bien. Rompez !

Vers 3 heures nous filons dire bonjour aux Adam. Nous y trouvons nos amis hier soir : les sergents du génie. On parle, on jase. Le génie nous régale. On accepte joyeusement dans les cuisines Culine voit les jeunes filles et déclare que nous ne prendrons plus la chambre pour ne pas froisser le génie. Ainsi dit ainsi fait. Les braves gens sont désolés que nous nous logions plus chez eux. Nous filons dans le coin Culine. Au loin nous entendons la musique qui doit jouer devant la demeure du colonel. Lannoy nous dit qu’à partir d’aujourd’hui elle jouera chaque après-midi.

Nous décidons d’aller chez La Plotte ce soir. Plus d’un d’entre nous et gai outre mesure. Nous faisons une partie de cartes chez le fermier de Charmontois-le-Roi qui nous reçoit toujours si bien. On sabre quelques bouteilles et nous quittons gaiement.

Chez La Plotte, nous trouvons un vieux sergent colonial de nos amis, que nous surnommons « Bibi », l’adjudant Vannier et quelques amis de la 8e dont ils font tous partie. Bibi il nous raconte son odyssée : il fait baptiser. Nous ignorions cela complètement. Oui, il s’est fait baptiser dimanche dernier. Jamais il n’avait été baptisé et ne connaissait un mot de religion. Il alla trouver le curé qui lui apprit les choses essentielles, avertit l’aumônier de la division et dimanche dernier dans la plus stricte intimité il baptisa le catéchumène qui communia ensuite.

L’adjudant Vannier, son grand ami, qu’il avait conseillé en bons camarades fut parrain la sœur du curé marraine.

Notre camarade Bibi se déclare très heureux. Ce matin encore il a communié et s’attend à être confirmé : mais ici pas d’évêque ; il faut donc remettre la cérémonie a plus tard.

Le plus rigolo, et que, le soir du baptême la bande « Bibi » un peu gaie faisait du chahut après l’extinction des feux. Oh ! Stupeur ! Le colonel Desplats tomba en plein milieu de la réunion, distribua 8 jours de prison à chaque membre et promis à Vannier de le casser de son grade.

« Vannier, vous le parrain, vous devriez avoir honte de donner le mauvais exemple à votre filleul ! Quant à toi le baptisé disparais vivement d’ici et va te coucher ; je ne veux pas te punir le soir de ton baptême ». Cela doit être raconté par Bibi pour avoir tout le sel voulu. Notre ami de ce jour se déclare « copain avec le colon ».

Le plus amusant de l’histoire c’est qu’il dit avoir « chopé le filou ». Il couche chez sa marraine et mange à sa table.

« Dommage » fait-il « qu’on ne peut se faire baptiser plusieurs fois, sinon je me ferais rebaptiser à la prochaine occasion ».

Bibi est-il sincère ? Est-ce du bluff ? Toujours est-il qu’il nous paie une tournée et nous fait bien rire.

6h30 zone, c’est lors de rentrer chez maman Azéline. Nous y trouvons nos cuisiniers qui se sont mis en frais pour nous faire un succulent repas. C’est dimanche, nous sablons le champagne afin de fêter notre nouvelle installation et c’est gaiement que nous nous quittons pour dormir. La nuit sera certainement exquise..