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23 janvier

La journée se passe calme comme toutes les journées qui vont suivre probablement.

Nous nous levons à 6h30, nous débarbouillons dans la cuisine et avalons le chocolat. Licour nous brosse et nous astique, Lannoy et moi, nous sommes donc cirés et propres, ce qui ne nous était arrivé de longtemps. Puis c’est l’arrivée de nos amis qui viennent boire le chocolat et repartent à leur section, tandis qu’au bureau nous nous plongeons dans les paperasses, fournissant états sur états au bataillon qui nous harcèle.

Nous avons cette chance de ne pas aller au rassemblement de la compagnie qui part à l’exercice dans une direction ou une autre.

Depuis huit jours il fait un temps splendide par ici, très sec, mais horriblement froid. Le soir brille un beau clair de lune et il gèle.

À 10 heures la compagnie se rassemble et je vais lire le rapport du jour, après avoir vu le capitaine. Aujourd’hui nous apprenons que le capitaine de Lannurien et Sénéchal sont avec le commandant Vasson faits chevaliers de la Légion d’honneur.

Le capitaine vient au bureau pour régler quelques questions d’ordinaire. On décide d’acheter un veau. Nous en achetons un à la famille Adam. Massy le boucher est chargé de le tuer. Il est capable, Massy, il nous fera du boudin, le brave. Du boudin de veau ? Le capitaine n’a pas l’air de s’y connaître beaucoup en charcuterie. On le fait venir [Massy]. Tout est réglé. On tuera le veau demain matin. 

J’avertis Pignol, Jeanjeot et Boulanger de leur affectation aux E.S.O. [élèves sous-officiers].

Puis à 11 heures nous sommes à table jusque midi, mangeant tranquillement en famille. Jamesse nous annonce que si tout va bien, sa mère doit arriver aujourd’hui. Pourra-t-elle arriver incognito ? Le cher camarade va tâcher de lui trouver un logis. S’il n’en avait pas, nous céderions volontiers notre chambre. Cattelot a été voir le lieutenant Carrière. Le peloton des élèves caporaux commencera demain.

Nous nous replongeons dans les paperasses jusque 4 heures, tandis que nos amis sont de nouveau à l’exercice.

Puis c’est le retour. Un bout de conversation suit au coin du feu. Nous filons ensuite au débit afin de prendre l’apéritif.

Nous sommes aujourd’hui assez heureux d’être introduits dans la cuisine. Il faut cependant attendre l’obscurité. Nous nous trouvons avec des gendarmes à qui on serre la main. On parle, on rit, mais il faut éviter de faire grand bruit.

Enfin nous rentrons tranquillement et nous mettons à table attendant l’arrivée de l’agent du bataillon dont les notes nous apprennent toujours quelque chose de nouveau. Mascart arrive. Rien de neuf sinon qu’on ne peut s’éloigner de son cantonnement respectif avant 5 heures du soir. Lannoy va voir le capitaine Aubrun et rentre bientôt. Demain aux mêmes heures qu’aujourd’hui un peu de service en campagne.

Nous n’avons pas vu Jamesse de la soirée. C’est donc que sa mère est arrivée. Tant mieux ! Si elle est là on décide de l’inviter à notre popote un jour à son choix.

Nous nous couchons après quelques tyroliennes de Cattelot. Quelles bonnes nuits, nous faisons ici.

22 janvier

Debout à 7 heures ! Débarbouillage ! Chocolat !

À 8 heures, nous avons déjà le capitaine Aubrun sur le dos. C’est aujourd’hui revue. La belle affaire !

Revue du colonel à 2 heures. Tout le monde présent… À part le sergent major et son fourrier* naturellement.

Le capitaine lui aussi est atteint de frousse. Enfin on écrit tout ce qu’il dit ; propreté extrême, couchage, râteliers d’armes, prison. La même chose que le lieutenant-colonel Desplats.

Aussi revue à 10 heures. Si ce n’est pas propre, je n’y comprends rien, car une revue a déjà été passée hier.

Les étiquettes sont-elles placées ? Oui. Les consignes sont-elles affichées ? Oui. Il y a sans doute un magasin ? Oui. Un séchoir ? Oui. Un salon de coiffure ? Oui, c’est-à-dire non, car il serait risible de coller l’étiquette « Salon de coiffure » à une écurie dans laquelle un type arrache les cheveux d’un autre type à genoux.

À 10 heures la revue se passe. Oui, tout est propre. On peut attendre… l’ennemi.

À 11 heures nous nous mettons à table, mais c’est encore une visite du capitaine qui vient demander des renseignements et nous demande de ne pas tarder à table. Décidément c’est la grande frousse.

Enfin à 2 heures grrrr…ande revue. Je suis avec le capitaine près du PC du général de division attendant le colonel Blondin. Celui-ci ne tarde pas à poindre à l’horizon suivi du lieutenant-colonel Desplats. Nous partons à leur rencontre et successivement voyons la section Culine, celles du sous-lieutenant Alinat. Tout est propre et le colonel félicite le capitaine Aubrun qui est tout gaillard de ce coup-là et explique alors… Séchoir,… Salon de coiffure, préconise des douches, des lavabos, parle de l’initiative d’un magasin… Nous voici à la section d’Ornant puis à celle de Gibert.

« Très bien, sergent » lui dit le colonel Blondin « Mais il faudra me faire tailler votre barbe ».

« Ceci est un vœu » déclare Gibert le doigt indiquant son poil hirsute « j’ai promis ainsi que mes camarades de garder ma barbe tant que l’ennemi serait sur notre sol. Ceci nous fut demandé par notre chef de section, le lieutenant Pougin de la Maisonneuve de glorieuse mémoire ».

Bouche bée le colonel Blondin s’en va, faisant à son entourage un petit geste qui en dit long sur l’opinion qu’il a du sergent. Le lieutenant-colonel Desplats admiratif s’approche de Gibert au port d’armes et lui dit le regardant dans le blanc des yeux : « votre vœu ? … Vous serez sous-lieutenant »

« Ce à quoi tient un galon », me disait Gibert, après la scène, pris d’un fou rire, « j’en ai imposé au colon ».

04 Première partie de l'album : 99 photos

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La revue est terminée. Le capitaine rassemble les sous-officiers et nous dit toute sa satisfaction. Suit le sempiternel « vous êtes libres ! ». Nous filons aussitôt comme une nuée de moineaux qui s’envolent.

« À tout à l’heure là-bas ! » Crie Culine qui [nous] a suivi en tapinois [1] par ici après la revue de sa section.

Je rentre au bureau. Lannoy aussitôt boucle ses cahiers, et vivement nous filons du côté Culine emmenant avec nous Cattelot et Gibert. Il est 4 heures. Culine est sans doute déjà occupé à trinquer avec Maxime qui apprécie « le blanc » à sa juste valeur.

Un soldat nous indique la maison, grande ferme, où nous entrons. Nous sommes reçus par la fermière qui aussitôt nous introduit dans les cuisines où en effet Culine et Maxime sont assis. Voilà le coin rêvé ! Maison particulière, entrée libre, aucun soldat à part nous.

Une heure après quelques cadavres gisaient sur la table et nous avons bien de la peine à empêcher Maxime de chanter à tue-tête tandis que Gibert riait d’un petit rire bête qui d’esprit [à la réflexion] nous faisait émettre des doutes sur sa lucidité.

Nous ne tardons pas à rentrer, désirant faire une incursion chez Madame La Plotte. Mais le débit est fermé ; tout est éteint. Nous engageons des pourparlers. Ils n’aboutissent pas. Il faut attendre décemment 24 heures avant de déroger aux règlements.

Nous rentrons donc bredouilles dans notre home familial. Bientôt nous sommes à table et mourons de fou rire par les réparties spirituelles de Gibert qui engage un duel avec le brave Maxime qui répète sans cesse « la rrrr’evue, elle était un peu là ! ». Nous nous distrayons, c’est un grand point.

Nous recevons la visite d’ « Aristide* » notre Brillant national. Celui-ci nous apporte les notes du bataillon. Cela commence à devenir l’habitude le soir. Lannoy se rend à la popote des officiers. Le colonel préconise un commencement d’exercice [2] pour demain. Bigre ! Mauvais cirage. Nous allons mener la vie de caserne.

Autre grande nouvelle. Un peloton d’élèves sous-officiers sera constitué pour la 4e division dans Charmontois-le-Roi, en unités séparées à tous points de vue, exercices, vivres, comptabilité, avec sergent major etc.… sous les ordres du capitaine Claire.

Envoyer les noms pour demain des caporaux à envoyer. Installation du peloton demain après-midi.

Un peloton d’élèves caporaux par bataillon sera formé sous les ordres du sous-lieutenant Carrière. Réunion pour l’exercice seulement. Chaque compagnie enverra un sergent qui sera en charge du peloton.

Lannoy ne tarde pas à revenir. Il y a demain petit exercice à rangs serrés de 7 heures à 9 heures et de 2 heures à 4 heures. Travaux de propreté le reste du temps. Lannoy, Jamesse et moi restons naturellement au bureau. Pignol, Boulanger et Jeanjoet vont au peloton des E.S.O. [élèves sous-officiers]. Cattelot est chargé des E. C. [élèves caporaux] de la compagnie. À 9 heures après quelques conversations au coin du feu et un bon conseil à Maxime un peu ému, nous nous couchons heureux de pouvoir dormir tranquilles.

Mon rhume chipé à Fontaine Madame alarme mes hôtesses qui me soignent comme de vraies sœurs. J’en suis tellement touché, que je me promets de demander une carte de remerciements à ma famille.


[1] en tapinois : En cachette ; sournoisement.

[2] exercice : Nom générique donné aux manœuvres, instruction des troupes et exercices exécutés par les soldats en période dite de repos. De nombreux combattants ont noté leur inutilité et leur effet négatif sur le « moral ».

 

21 janvier

Nous nous levons vers 8 heures, nous débarbouillons dans la cuisine. Nous avalons un bon chocolat.

Tout cela, le lit qu’on vient de quitter, un bon lit chose inconnue depuis le 15 août, tout cela résume pour nous le bonheur.

Vers 9 heures, je suis appelé par le capitaine. J’y vais rapidement en rencontrant deux sous-lieutenant inconnus ; l’un très jeune paraissant 16 ans, l’autre portant une fine moustache et la barbe.

Les officiers m’arrêtent et me demandent de bien vouloir les loger et leur indiquer le sergent-major. Lannoy les reçoit, tandis que je me mets en quête d’un logement. Après bien des recherches je trouve une gentille maison à l’accorte [1] propriétaire.

Nous causons beaucoup à table de ce lot. Le sous-lieutenant de réserve Alinat, juge d’instruction à Montpellier, celui qui paraît le plus ancien, prend le commandement de la première section. Le sous-lieutenant d’Ornant Saint-cyrien de la classe 1915 de la nouvelle promotion prend le commandement de la 4e section. On rit beaucoup déjà de la pauvre mine du petit d’Ornant, jeune bleu, déjà officier, qui a l’air tout dépaysé. Lannoy l’appelle « Mimile » en souvenir de Février, sergent, blessé à Saint-Thomas, dont il rappelle l’air godiche. Le nom est tout de suite adopté. On ne connaît plus que Mimile.

Quelques nominations paraissent l’après-midi. Pignol, Boulanger, sont nommés caporaux, les caporaux Bonnet et Raoult passent sous-officiers.

Je vois aussi que Legueil est sergent fourrier à la 6e compagnie et que Verleene lui succède comme caporal fourrier*.

Dans l’après-midi le capitaine passe une revue des hommes et du cantonnement*. Je l’accompagne. En général il se déclare satisfait. Une note nous arrive vers 3 heures disant que demain le colonel Blondin commandant la brigade va passer la revue du cantonnement. Le lieutenant-colonel Desplats doit être plus qu’énervé. La note en dit long d’ailleurs : Propreté… Couchage… Râtelier d’armes… Prison…

Vers le soir Lannoy et moi allons à l’épicerie non loin de chez « la mère La Plotte ». Nous y achetons des biscuits, champagne etc.… Il faut bien régaler nos hôtes et fêter notre arrivée dans Charmontois.

Nous passons la soirée avec les gendarmes à boire l’apéritif qui consiste en quelques litres de vin blanc. À 7 heures nous rentrons par un beau clair de lune.

La soirée se continue gaiement à table. Mascart vient communiquer au milieu du repas. Les cafés sont consignés : c’est la seule chose qui nous intéresse. Bah ! La cuisine du débit est toujours là et nous sommes si bien avec les gendarmes. Quant au coin de Culine, c’est une maison particulière ; rien n’est donc résolu.

Nous sablons le champagne et chacun pousse sa petite chanson. Maxime Moreau raconte quelques balivernes selon son habitude, et Culine raconte que lui aussi a trouvé un bon coin : il nous y convie pour le lendemain soir. Quant à nous, nous racontons que l’épicerie a de charmantes débitantes et les jeunes demoiselles Adam nous donnent tous les renseignements voulus ; ce qui les fait beaucoup rire. Lannoy est particulièrement emballé sur ce chapitre-là.

Puis nous fumons en demi-cercle autour du bon feu tandis qu’Arnold Cattelot nous gâte par quelques tyroliennes dont lui seul a le secret. On ne se couche pas tard afin de ne pas gêner les braves gens si aimables. Et il faut se lever assez tôt le matin pour que le service n’ait pas trop à souffrir.


[1] accorte : Se dit d’une jeune fille, d’une femme gracieuse, aimable et vive ; avenante.

13 janvier

De bonne heure nous sommes réveillés en sursaut. C’est le commandant Desplats qui pousse des cris de paon. Reconnaissant sa voix, je me blottis dans mon coin n’ayant garde de me montrer.

J’assiste par une ouverture de l’abri à une scène épique. L’adjudant Gallois sort ainsi que quelques-uns d’entre nous. Le chef de corps le traite de tous les noms, lui dit qu’il manque d’autorité, qu’il lui enlèvera ses galons et le remettra sergent. Tout cela, parce qu’il y a de la boue sur le chemin ainsi que quelques détritus : vieilles loques et morceaux de papier. Le capitaine Claire sort et dit à Gallois : « vous commanderez aux troupes de 2e ligne une corvée. Du coup le commandant attrape Claire à son tour et lui dit des choses désagréables. Quant à Gallois, lui-même doit se mettre à l’œuvre avec la liaison « et que ce soit fait quand je repasserai ! ». Ainsi nous quitte notre stratège qui file vers la 5e.

Gallois est consterné et ne sait où donner de la tête. Claire est furieux. Quant à nous, aussitôt dit aussitôt fait, armés de pelles nous enlevons la boue, ramassons des tas d’ordures etc.… Comme c’est intéressant. Vraiment notre chef de corps n’est pas commode.

Gauthier et Jombart s’amènent sur ces entrefaites et rient de bon cœur de nous voir. N’empêche que nous faisons la pause postant un de nous en sentinelle* pour jeter le cri d’alarme à l’arrivée de notre ami. Nous buvons la « gnole* » en attendant que le « jus » soit chaud.

Le cri d’alarme retentit. Chacun est aussitôt à l’œuvre et dignement notre Desplats passe heureux sans aucun doute de nous voir patauger dans la boue.

À ce métier-là on se fatigue. Aussi y-a-t-il des défaillances et bientôt les agents de liaison* en second seuls travaillent sous l’œil de Gallois qui n’ose rentrer dans son trou.

Enfin il n’y a plus personne, sinon une sentinelle qui doit nous avertir aussitôt que notre chef de corps est en vue. Chacun garde une pelle ou une pioche à portée de sa main. C’est tout juste si nous ne faisons pas un exercice d’alerte.

11 heures arrive. Une note nous est apportée. Le commandant Desplats veut avoir près de lui quatre agents de compagnie, simples soldats, à sa disposition comme liaison. L’ordre est aussitôt communiqué aux compagnies ; quant à moi je joue tête ou pile [1] : qui se rendra au PC du colonel, Mascart ou Pignol ? Le sort tombe sur Pignol qui file aussitôt. J’ai donc Mascart ici avec moi de ce fait, Pignol au colonel et Boulanger à la brigade.

Dans l’après-midi après le repas préparé par Gauthier je me rends au PC du capitaine Aubrun. Je vois mes amis en tranchées, Culine, Cattelot, Maxence Moreau. Quant à Gibert, il occupe le plus mauvais coin, un coin d’où il ne peut communiquer de jour car le boyau est pris d’enfilade. On annonce la mort de Girard [2], de Paris, un de nos camarades ex élève caporal. Son odyssée est triste. Sachant que les cuisiniers sont arrivés et attendant depuis plusieurs jours une lettre des siens, malgré la défense de Gibert, chef de section, il risque le boyau* dangereux et passe indemne. En rentrant à son poste, la lettre en main, tout heureux, il est touché d’une balle au front.

Je rends compte au capitaine de ma gestion, affectation de Pignol au colonel. Le capitaine voit avec satisfaction les jours diminuer : « encore 100 heures » me dit-il. Le secteur est assez calme, mais il faut veiller, malgré les bombes qui de temps en temps font trembler la terre et démolissent le parapet [3].

Le capitaine me raconte la visite du commandant Desplats qui arriva chez lui seul comme un ouragan. Puis il reçut la visite du sous-lieutenant Gout qui commande la 6e compagnie. Celle-ci se trouve face un ouvrage boche fortifié qu’on appelle « l’ouvrage Blanloeil ». Le commandant voudrait voir la 6e prendre l’ouvrage ; il a promis la Croix à l’officier. Ce dernier en rit, car ce serait une folie d’attaquer et envoyer à la mort sans aucun succès 250 hommes avec le risque au surplus de voir prendre par l’ennemi la tranchée de départ. Le capitaine a un sourire qui en dit long.

Je rentre à mon poste manquant de près une bombe qui m’abrutit durant 5 minutes. Culine gentil me donne un quart de « gnole » qui me remet. Non loin du poste que nous occupons je vois nos quatre agents de liaison près du colonel dont Pignol, occupé à piocher sur le layon. Je m’arrête et Pignol me regardant d’un air désolé dit que le commandant Desplats leur fait creuser une petite tranchée pour barrer la route. Enfin l’ordre c’est l’ordre. Je n’ai rien à y voir et rentre à mon gourbi* où Mascart prépare la popote* du soir.

Il peut être 5 heures. J’assiste au départ de Jombart et Gauthier. Vers 6 heures, je suis appelé par Gallois qui me donne une ronde à faire de 3 heures à 5 heures du matin. Cela me plaît.

Le soir est tombé. Chacun se retire dans sa Kania*. On mange. Aucune fusillade n’est entendue. Le calme continuera espérons-le. La soirée se passe à causer du long repos. Serait-ce vrai ?


[1] tête ou pile : signifie sans doute jouer à pile ou face, vient du latin

[2] Girard : il s’agit sans doute de Fernand Camille GIRARD dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre (en dehors du jour de décès : le 15 au lieu du 13 janvier selon Émile Lobbedey).Fiche MDH-archives_F380258R

[3] Parapet : Rebord de la tranchée qui fait face à la tranchée adverse. Il constitue à la fois une protection (renforcée par des barbelés et des sacs de sable) et un obstacle à escalader lors des attaques ou des départs pour patrouilles et coups de main. Une des règles primordiales de la guerre des tranchées consiste à ne rien exposer à l’adversaire au-dessus du parapet.

 

2 décembre

Non loin se trouvent une pompe et un puisard. Chaque matin nous en profitons pour nous débarbouiller. Avantage apprécié de nous tous qui, plus ou moins atteints de vermine, sommes de ce fait des plus malheureux. Quand et comment réussira-t-on à s’en débarrasser ?

Une note arrive demandant un agent de liaison* à demeure entre le régiment et la brigade. C’est la 5e qui le fournit et je procure la bonne place à un charmant garçon, soldat de première classe, décoré de la médaille du Maroc, Boulanger, que toute la compagnie surnomme « bou, boul ». Ce dernier s’installe dans une pièce où se trouvent une dizaine d’agents de liaison de tous les régiments du bois.

Dans la matinée s’offre à nous un spectacle nouveau. Un obus incendiaire est tombé sur une maison qui est en flammes et communique le feu à quatre autres. C’est un spectacle peu banal que cet immense incendie.

Mon ami Maxime Moreau, sergent à la 5e, est là pour surveiller afin d’empêcher les badauds d’approcher trop près.

Il n’y a rien à faire, me dit-il, pour essayer d’éteindre. On n’a ni pompes, ni récipients, ni eau. D’ailleurs, conclut-il philosophiquement, ce sont de vieilles boîtes ; il n’y a qu’à laisser brûler. De ce fait cinq maisons brûlent. Heureusement qu’elles sont un peu isolées sinon je crois que tout un quartier y passerait. Malgré tout, je ris beaucoup de voir mon ami Maxime pompier.

L’incendie continue jusqu’à ce que tout soit consumé ; le soir la lueur est encore grande aux alentours. Les boches doivent se réjouir.

Quant à nous, cela ne nous empêche pas de continuer nos soirées amusantes. Toute la bande rit malgré les murmures de quelques mitrailleurs que nous empêchons de dormir.

Vers 7 heures, le village reçoit quelques obus. Sans doute le ravitaillement est-il visé. Quelques pauvres maisons reçoivent le cadeau boche. Nous n’avons pas de malheur à déplorer.

Le temps est gris et pluvieux ; le vent souffle ; l’obscurité est complète.