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11 décembre

De bonne heure, Gauthier et Jombart arrivent trempés. Dehors il pleut à seaux sans que nous ne nous en étions aperçus. On ferme la porte de fougères aussi hermétiquement que possible afin d’empêcher l’eau de passer, sinon ce serait une inondation. On souffle sur les cendres chaudes et on rallume le feu afin de réchauffer et sécher nos voyageurs qui font grise mine.

Vers 8 heures cependant, la pluie cesse un peu pour faire place vers midi à un petit soleil d’hiver qui a tout l’air de se moquer de nous. Enfin, le principal est qu’il ne pleut plus et qu’on peut sortir sans risquer d’être trempé jusqu’aux os ! Nous sommes fiers de notre abri, notre œuvre qui a résisté à la pluie.

Dans l’après-midi, le vaguemestre*, pour la première fois, arrive. Nous recevons depuis quelques jours lettres et colis par les cuisiniers. Le vaguemestre est armé de lettres et paquets qu’il nous distribue pour nos compagnies. Le capitaine Sénéchal lui-même reçoit plusieurs colis. Il sort bientôt de son gourbi* et nous distribue à chacun un quelque chose, effets ou friandises envoyés à lui pour ses troupes par des amis et des relations. J’hérite d’un tricot violet que je mets immédiatement et je fais de Pignol un heureux en lui léguant mon gilet de chasse.

Dans la soirée, assis au coin du feu, qui n’a plus le sou fait une vente aux enchères à notre grande joie et nous offre plusieurs couteaux, glaces, blagues à tabac, chaînes qui lui sont restés pour compte à son retour de Sainte-Menehould il y a quelques jours. Le brave garçon nous vole, mais on achète quand même, en souvenir des services rendus et qu’il peut encore nous rendre.

8 décembre – Chapitre VII

Bois de la Gruerie : secteur Fontaine aux charmes – 7e séjour

Au petit jour, vers 6 heures, alors que nous commençons à nous assoupir, un peu séchés, le capitaine Sénéchal nous appelle. Il nous indique un endroit situé à 100 m de là et nous dit de venir le rejoindre là. Notre emplacement est réservé aux 5e et 6e compagnies qui placeront une section en réserve.

Nous nous armons donc de nos sacs et nos fusils que nous trouvons après quelques recherches et allons à l’endroit désigné où nous ne trouvons rien, aucun trou, aucun abri.

Jamais, à part notre arrivée dans le bois lors de la poursuite, cela ne nous était arrivé.

Quant au capitaine Sénéchal, il délibère avec le capitaine Claire et bientôt leurs ordonnances*, aidés de quelques hommes, démolissent la toiture d’un abri existant et se mettent à l’œuvre pour l’agrandir et le consolider.

Quant à nous, gens de décision, nous nous partageons le travail, assez nombreux pour faire quelque chose de potable. Des pelles et des pioches se trouvent dans un petit abri à munitions, de quoi loger un homme. Cailliez, Crespel, Gauthier se mettent à défricher et piocher avec ardeur, cela les réchauffera. René et quelques autres coupent des gros rondins aux arbres avoisinants. Quant à moi, aidé de Carpentier, j’ai pour mission de couper quantité de fougères afin d’en faire une litière au fond du gourbi* et d’en faire un toit au-dessus des rondins, afin de pouvoir recouvrir le tout de terre sans danger que celle-ci passe à travers les rondins pour retomber dans l’abri.

Ainsi dit, ainsi fait. Il ne pleut plus, grande chance. Tout le monde travaille d’arrache-pied, cela nous fait oublier les douches de la veille.

Nos agents de liaison* nous imitent et se construisent également un petit gourbi à côté du nôtre.

Au début, nous ne sommes pas trop rassurés car nous craignons un peu les marmites*. Bientôt, n’entendant aucune balle siffler et aucune explosion aux alentours, nous sommes quasi rassurés : secteur calme.

À midi, nous cassons la croûte, admirant notre travail. Nous sommes d’avis de faire quelque chose de très solide, de spacieux et de confortable. Le trou est presque terminé : il peut avoir 10 m sur 3 et 1 m 20 de profondeur. Une trentaine de gros rondins sont à pied d’œuvre et les fougères s’amoncellent.

Pourvu qu’il ne pleuve pas ! Nous nous remettons rapidement au travail et pouvons bientôt commencer le montage du toit. Grave affaire car il ne faut pas qu’il pleuve à l’intérieur, que la terre tombe dans le gourbi et que trop de terre fasse effondrer le tout.

f2.highresUn énorme foyer est également installé.

Quand le soir tombe, le travail de couverture est terminé. Nous laissons la porte au lendemain, une sorte de tente la remplacera pour ce soir.

On allume du feu tandis que Gauthier et René, suivis de Jombart, partent à La Harazée pour opérer notre ravitaillement.

Dans la journée, j’ai procuré à mon brave Pignol le poste de gardien des munitions. De ce fait il hérite du gourbi.

Quant à la 5e compagnie elle a ses sections installées dans les gourbis à 100 m devant nous avec des petits postes en avant.

Le capitaine a un gourbi qu’il partage avec le lieutenant Péquin qui commande la 7e qui est en liaison avec la 5e.

La 6e compagnie est dans des gourbis un peu en arrière, non loin de nous, en réserve et la 8e, ayant à sa tête le lieutenant Régnier, se trouve à droite de la 6e, en réserve également. L’ennemi est à 800 m sur la crête, en face de la nôtre.

Fne-aux-charmesNous sommes donc quasi installés. Il restera à compléter l’œuvre demain. Heureux, côte à côte, nous nous étendons voulant rattraper la nuit blanche de la veille.

 

4 décembre

Relève pour repos à Florent

Nous nous levons tard. Il fait chaud dans notre abri. La paille est bonne. Que faire dehors ? Il faut quand même le prendre, le café que a préparé, sans quoi nous subirions les foudres de notre dévoué cuisinier.

Nous allons donc au gourbi numéro 2. Nous y trouvons Gallois, Cailliez, René, Gauthier et nos agents en second. On y boit le « jus proverbial ». Le gourbi* est grand ; il a plu malheureusement dans certains coins.

Gallica-Cuisine11Je réintègre bientôt le mien. J’ignore pour qui il a été construit car il est très bien conditionné. Tout l’extérieur est couvert d’une couche de boue, qui sert en quelque sorte de ciment. La pluie peut tomber, elle glisse sans pénétrer. Malheureusement il n’y a pas de cheminée et on ne peut y faire de feu. Crespel a subvenu à cet inconvénient en volant du charbon de bois aux cuisiniers des officiers et en dénichant une espèce de vieux chaudron qui nous sert de foyer.

Les officiers sont installés dans le pavillon. Le long du mur sont installés leurs cuisiniers qui ont allumé leurs feux et vaquent à la préparation de la cuisine. Il ne pleut plus heureusement, sinon de graves inconvénients pourraient survenir pour la finesse des mets et les préparateurs.

Je passe la matinée à écrire et à bâiller en attendant que la viande apportée hier soir par les voitures de ravitaillement à la cote 211, vulgairement dénommée « barback », soit cuite.

Vers midi, nous prenons notre modeste repas, quand Gallois, appelé par le capitaine Sénéchal, revient nous annonçant qu’à 1 heure, nous partons faire le cantonnement à Florent.

C’est une nouvelle explosion de joie, car Florent c’est le repos.

Nous quittons bientôt, ayant Gallois à notre tête et Gauthier qui nous suit fidèlement avec des marmites, son sucre, son café, son sel que nous aidons d’ailleurs à porter. À chaque voyage, c’est d’ailleurs une discussion sans fin, chacun protestant contre l’ustensile et la charge qui lui sont attribués et n’acceptant que quand Gauthier déclare qu’il jettera tout en route.

Après une route boueuse à travers bois, nous tombons à hauteur de la cote 211 sur la route la Placardelle Florent. Bientôt nous rencontrons des groupes de territoriaux se suivant à petite distance ; ces gens ont la prétention de fournir un bataillon qui doit relever le nôtre.

Braves vieux pères de famille qui ont cessé d’empierrer les routes à Florent et qui certes ne doivent pas avoir l’arme tranquille à 5 km de l’ennemi.

Nous continuons notre route rapidement. Non loin du parc d’artillerie, nous faisons une pause et voyons bientôt arriver un territorial qui marche difficilement et arpente la route de long en large. À quelques mètres de nous, il tombe un genou à terre. On rit beaucoup. Nous le relevons et il continue sa route se tenant en équilibre je ne sais par quel moyen. Je n’ai jamais su non plus s’il a retrouvé son unité.

Nous arrivons à Florent vers 3 heures. Pendant que Gallois se rend à la mairie pour connaître le cantonnement* fixé, nous stationnons à l’intersection de la rue d’entrée et de la place, parlant à quelques habitants que fait rire en montrant ses jambes boueuses jusqu’au-dessus du genou et sa capote ruisselante envoie de l’eau reçue la veille.

Florent-APZ0000621Plan + carteNous cantonnons rue Dupuytien [voir plan dessiné par Émile Lobbedey ci-dessus], une rue connue déjà où nous cantonnons les compagnies sur leurs anciens emplacements pour aller plus vite. Je loge par contre le capitaine au débit de tabac, maison très proprette, et le sous-lieutenant Vals non loin de là, chez une vieille personne qui accepte leur popote.

Quant à nous, nous nous sommes réservé le bas d’une maison abandonnée à deux vastes pièces. Nous y trouvons une table, des chaises, un lit, un foyer, une armoire. Dans la seconde pièce, il n’y a rien sinon un peu de paille à vermine.

Nous nous installons donc : première pièce, bureau, salle à manger ; deuxième pièce, chambre à coucher.

Le bataillon ne tarde pas à s’amener. Chacun est satisfait car la rue Dupuytien est une des meilleures rues.

Quant au capitaine Sénéchal, il loge selon son habitude à présent, au presbytère.

Tour de l'ancien Château

Le presbytère pourrait (?) être, selon le plan d’Émile Lobbedey, la maison de droite sur cette carte postale.

Le soir, grâce à mon ami Pignol, l’agent de liaison*, nous rions aux larmes. Le brave garçon se dépense sans compter et nous chante quantité de chansonnettes entre autres « J’l’ai mis dans du papier d’soie » et « Suivons-les, suivons-les ».

Gauthier s’est mis en frais et nous avons amélioré notre ordinaire en achetant vins et biscuits. Nous avons une table et des sièges, nos couverts personnels. C’est fête.

 


 

26 novembre

Je suis en plein sommeil quand la 5e compagnie rentre de son équipée. Le capitaine vient me voir. Je me lève et l’informe que le cantonnement* est le même. Il fait un temps de chien au-dehors et le capitaine est assez bon pour me dire de me recoucher.

Au matin, nous recevons la visite intempestive du sergent major de Brésillon. On dit qu’il brigue la place d’adjudant de bataillon. Gallois et lui ont une petite algarade. Il s’en va de guerre lasse, houspillé par nous.

Dans la matinée, on parle encore d’un changement possible : Sénéchal, adjoint au colonel, de Lannurien, chef de bataillon.

Vers midi, je suis appelé par le capitaine pour un changement de cantonnement, le 1er bataillon ayant quitté le cantonnement pour les tranchées*.

Je passe donc mon après-midi à installer la compagnie vers l’autre extrémité du pays, direction La Harazée. CP-LaHArazee866_001L’ordonnance Vandewalle (?) et les cuisiniers prennent deux maisons abandonnées et trouvées dans le plus grand état de malpropreté. Petit à petit, le nettoyage se fait et le soir ces Messieurs sont installés.

J’ai fait mieux et réservé une maison pour mes amis sous-officiers qui y installent un semblant de popote.

Avant mon repas, je vais les voir. Ils sont déjà installés et occupés à se restaurer. Je vois Culine, adjudant, Lannoy, sergent major, Gibert, Cattelot, Maxime Moreau. Lannoy me dit que mon agent de liaison, Blanchet, va passer incessamment caporal.

L’adjudant Culine me dit de prendre un bon petit soldat que j’accepte aussitôt : Pignol.

Je rentre à la liaison. Nous sommes un peu en verve de gaieté ce soir. Jombart nous a préparé un riz au chocolat réussi. Nous chantons, restant à table assez tard. Carpentier ayant trouvé quelques nippes de femmes, s’en est affublé et nous avons beaucoup ri.

Nous sommes toute une famille. Gallois, Carpentier, Courquin, et moi, sergents fourriers, les caporaux fourriers Jombart et Legueil des 6e et 8e compagnies, les deux cyclistes, Crespel et Cailliez, que nous appelons « Mievile » (??) Gauthier, René, et les deux agents de liaison élèves caporaux de la 5e, Blanchet et de la 7e Frappé. C’est un véritable état-major pour le capitaine commandant.