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7 mars

Repos aux abris Somme-Tourbe (Voir topo Tome I)
Capitaine Triol du 139e commandant du 2e bataillon

Je me réveille vers 7 heures du matin. Gauthier est là avec le café. Je ne puis m’empêcher de le féliciter.

Je sors après avoir remis avec bien du mal mes chaussures. Naturellement je ne vois aucun planton de la liaison sur la route. Je rentre alors en tonitruant. La lacune est comblée bientôt, mais le régiment est-il passé oui ou non ? J’attends espérant que non.

Je n’ai aucun goût à me nettoyer. Je suis si sale. Je vois le capitaine Delahaye qui fume une cigarette en tenue sommaire. Lui aussi est sale et cela me console un peu. Voici Crespel et caillez qui rentrent. Je leur demande s’ils ont vu le régiment. Ils me répondent négativement.

Voici vers 9 heures un chariot sur lequel j’aperçois le lieutenant Lebeau et quelques sapeurs ainsi que le caporal fourrier Bourgerie. On me dit que le premier bataillon suit.

Déjà des feux sont allumés et les cuistots d’escouade font bonne besogne avec les restes car hier il n’y eut pas de distributions.

Je vois ceux de la 5e, Lavoine, Licour, Chandelier. On m’offre du café que j’accepte de grand cœur.

Je vais saluer le lieutenant Collandre commandant la 5e. Il vient de se lever et me félicite « alors » dit-il « vous me quitter, car vous passerez adjudant de bataillon ». Je vois Jombart qui vient à la liaison ; il fait le sergent major, le fourrier et le caporal fourrier à la 8e. Je ne fais semblant de rien et suis aimable avec lui.

Enfin vers 10 heures, par le temps sombre qu’il fait et donne une certaine mélancolie aux lieux, je vois arriver des fantômes boueux, vrais paquets de qui se traînent. C’est le régiment. Dans quel état lamentable !

J’avertis aussitôt le capitaine Delahaye qui va causer au commandant du 1e bataillon. Des baraquements sont libres derrière nous. Ils font être vite occupés.

Je vois ensuite le commandant Vasson à cheval. Il fait de grands gestes en causant avec le chef du 2e bataillon. Je n’y entends rien et ne m’en préoccupe pas.

Je rentre me décrotter plutôt que d’assister au défilé lamentable des rescapés de Mesnil.

On mange peu de chose. Gauthier n’a rien. J’ai un morceau de pain de l’ordonnance et ouvre une boîte de pâté.

Vers 1 heure alors que j’étais absorbé par mon décrottage sans avoir pu encore me débarbouiller je suis appelé par le capitaine Delahaye qui me dit de rassembler les 4 fourriers et de le suivre dans 10 minutes.

Nous partons à cinq sur la route vers Somme-Tourbe puis un peu plus loin à 500 m prenons à travers champs sur la gauche. Nous descendons un ravin, traversons un petit ruisseau sur un pont de bois et montons une petite cote au haut de laquelle on aperçoit trois rangées de baraquements dont une partie encore en construction.

Ces baraquements seront notre cantonnement. J’hérite d’une lignée. Nous entrons et constatons avec plaisir qu’ils sont plus finis que les autres et mieux aménagés. Je divise en six : les quatre compagnies le poste de secours et la liaison du bataillon.

Une heure après chaque fourrier allait chercher sa compagnie pour l’installer.

Moi-même, avec Gauthier qui m’avait suivi, j’installais mon coin. Dégourdi Gauthier trouve quelques planches les place sur le sol. Le lit est tout trouvé. Le sac à la tête, les couvertures étendues, le fusil dans le coin avec le bidon et la musette accrochés. Je suis placé. Il peut-être 3 heures.

Mais quel brouhaha dehors ! C’est celui de l’arrivée de toute troupe qui s’installe. La liaison ne tarde pas à arriver. Je vois Cailliez, Crespel cyclistes, Frappé, Brillant, Garnier, agents de liaison des 7, 5, 8e, puis Jombart, Sauvage, Verleene fourriers de 8, 7, 6e ; avec Gauthier, c’est tout cela me fait neuf unités. C’est bien suffisant et je n’en demande pas plus. Je sors pour voir l’installation car j’ai déjà mon métier d’adjudant de bataillon à cœur. J’apprends que le capitaine Delahaye reprend la 3e compagnie et passe le commandement du bataillon au capitaine Triol du 139e nouveau venu. Aussitôt je vais dire au revoir au capitaine Delahaye. Je le trouve dans un baraquement réservé aux officiers et où pas mal de ceux-ci sont occupés à causer. Il me dit au revoir et me présente au capitaine Triol qui me reçoit aimablement et à qui je demande ses instructions pour le cantonnement. Il me dit de faire pour le mieux, selon l’habitude. Je rentre donc près de ma liaison et dicte quelques notes sur les cuisines, les feuillées* etc…

Je suis fatigué et m’étends tandis que Gauthier part aux distributions sur la route de Somme-Tourbe et qu’on annonce à grands coups de gosier dans tout le cantonnement.

Vers 6 heures je me présente au capitaine lui demandant ses instructions pour la nuit. Il est à table avec les officiers du bataillon dans le bâtiment de tantôt. Celui-ci est séparé en deux pièces. Dans la première il y a une vingtaine de couchettes et un foyer qui brûle ; dans la 2e quelque table et quelques bancs où les officiers sont occupés à prendre leur repas. Le commandant du bataillon me demande de garder la liaison sous ma main. Je lui dis que c’est fait. Je mérite de ce fait un très bien et puis disposer.

Je rentre près de la liaison heureux à la pensée de passer une nuit tranquille. Nous sommes près du poste de secours et héritons de la chaleur du foyer qui y est allumé. Nous aussi nous allumons le nôtre, trou creusé par le génie sous les planches qui ne peuvent prendre feu grâce à de la tôle dont elles sont recouvertes, avec tirage à l’extérieur. Chacun va barboter du bois. Gauthier revient des distributions avec Cailliez et Crespel ainsi que René qui en arrivant aussitôt à donner un coup de main au passage. Aussitôt flambe un bon feu. Il faut manger. On décide de faire des biftecks à fin de se coucher rapidement.

Il y a une porte en bois. Nous la posons à l’intérieur contre l’entrée. Il fait chaud aussitôt. Chacun a pu se procurer une planche qui le séparera de la terre humide. Nous sommes presque heureux tandis que nous avalons la viande à peine cuite arrosé d’un quart de « pinard ». Le café suit et bonne nuit !

Il est déjà 10 heures.