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26 août – Chapitre III Retraite

Passage de la Meuse

Nous sommes à peine assoupis qu’il faut repartir. Quelle heure ? Je l’ignore. On ne voit rien et ma montre est arrêtée.

En route de nouveau ! Nous dormons en marchant. Décidément, c’est dur ! Les troupes en avant, en arrière ! Des fractions d’infanterie* et d’artillerie* marchent à vive allure, parallèlement à nous, sur la route !

Il fait petit jour quand nous traversons la Meuse sur un pont de bateaux. On aperçoit Stenay à 4 km à gauche environ. Nous avons fait certainement 10 km.

Nous prenons à travers champs et nous enfonçons bientôt dans un bois. On fait une pause d’une demi-heure. Il faudra bientôt repartir. Chacun appréhende le départ. Beaucoup abandonnent leur sac.

CP-Vergaville_Schlacht_bei_DieuzeEncore deux heures de marche, dit le colonel en passant pour nous encourager. Le bois que nous traversons est la forêt de Dieulet.

Voici un village : Beaufort. C’est l’étape. Nous nous installons dans un grand pré où nous trouvons les voitures de ravitaillement. C’est un cri de joie. (Voir l’épisode du Commandant Saget, après le 28 août [reporté ci-dessous])

Les distributions se font. Nous touchons des œufs et de l’eau de vie pour la première fois. Il fait un soleil magnifique. Les cuisiniers d’escouade* font rapidement la popote.  Gallica-Cuisine12 Aussitôt mangé, on mourait de faim, nous nous couchons sur l’herbe après nous être déchaussés. Qu’il fait bon dormir !

Durant le repas, vient me dire bonjour un marvillois, le mari de la directrice d’école chez qui je fus si bien reçu. Sa femme est partie à Paris. Quant à lui, il suit les armées avec son auto au service de la gendarmerie. Marville est envahi ? Tant pis, car il a conservé sa franche gaieté.

J’ai conservé mon sac. J’abandonne mes chaussures usagées pour mettre mes chaussures de mobilisation. Celles-ci me font mal ; mes pieds s’échauffent ; je prends donc le parti de garder les vieilles.

À 6 heures, nous repartons nous installer dans un bois, le bois de Beaufort. On y passera la nuit avec des avant-postes pour nous couvrir. Le ravitaillement revient à 7 heures. Les distributions se font, on fera cuire la viande demain. Heureux sommes-nous !

Chacun se met à l’œuvre par section pour se faire un abri de feuillage. Peu après, il pleut. Pas moyen de s’abriter. Les feux qu’on avait allumés s’éteignent. On se couche en s’abritant de son mieux.

À minuit, on entend des coups de feu. Alerte. Tout le monde est debout, baïonnette au canon. Quelle pagaille ! Il fait nuit noire, un vent de bourrasque. Pas moyen de craquer une allumette. Il pleut toujours.

LampeTempete

Lampe d’escouade, appelée aussi parfois lampe tempête.

Après vingt minutes angoissantes, le sergent major Monchy annonce que deux sentinelles [1] ont tiré l’une sur l’autre. Peu après, on amène le soldat Chopin [2] de la classe 1913 qui a reçu une balle dans la bouche. Le camarade qui a tiré est fou de désespoir ainsi que le frère du blessé, Marcel Chopin de la classe 1911, un de mes amis. On a réussi à allumer une lanterne d’escouade. Tout rentre dans le calme, mais le blessé ne tarde pas à expirer.

Il ne cesse pas de pleuvoir.

Le commandant Saget

Le commandant Saget – SOURCE : http://147ri.canalblog.com/

Épisode du commandant Saget

Au départ, dans la nuit du 25 au 26, le chef de bataillon qui, sans le savoir, s’était mis un peu en dehors avec son maréchal des logis de liaison ne fut pas réveillé et s’éveille vers 5 heures du matin.

Ne voyant personne, il devine et pique des deux [3] à cheval dans la direction de la Meuse, suivi du maréchal des logis Jacques. Tous les ponts étaient sautés à 6 heures du matin. Tous deux passèrent la rivière à la nage sur leurs chevaux et nous rejoignirent à midi.


[1] Sentinelles : Soldat qui fait le guet pour la garde d’un camp, d’une place, d’un palais, etc.

[2] Soldat Chopin : Il s’agit sans doute de CHOPIN Alfred, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (27 août au lieu de 26), semble correspondre.FicheMDHarchives_D241336R

[3] Piquer des deux  :  Éperonner un cheval pour qu’il accélère son allure.