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[1] Danès : abbé Danès, vicaire à Bergues comme en témoigne sa carte postale envoyée à Émile Lobbedey en avril 1915.

2 février

J’ai bien mal dormi. Mon bras me fait souffrir. C’est la piqûre anti-typhoïdique* qui fait cette fois son effet. Nous nous levons à l’arrivée matinale de Mascart qui ne nous apporte aucun ordre sérieux ; sinon celui de l’uniformité de la tenue sur laquelle insiste particulièrement le colonel.

Le capitaine arrive vers 8 heures à cheval tandis que la compagnie selon son habitude se rassemble pour l’exercice. Il me dit de procéder aux distributions et de faire passer une note par section. Je fais comme il dit.

En attendant l’arrivée de la compagnie partie à l’exercice, aidé de Jamesse, je mets à jour les livrets individuels, au sujet du vaccin. Celui-ci terminera le travail, car je me rends au magasin.

Je passe toute ma journée dans l’essayage de capotes et de vestes. Chaque homme passe au bureau, Lannoy selon ses besoins lui donne un billet, et il m’arrive ensuite. Cela se passe très bien. Les sous-officiers viennent essayer des tuniques. Moi-même je me sers.

Il est 4 heures. Le capitaine vient lui-même essayer une paire de souliers, ayant laissé l’initiative de théories par les chefs de section durant l’après-midi, afin de ne pas gêner mon travail par un exercice quelconque.

Bientôt le magasin est presque vide. Chaque homme est pourvu d’un pantalon bleu et a touché ce qui lui manquait le plus. Beaucoup sont munis de galoches. Je puis donc regarder la journée comme finie pour moi. Je rentre au bureau et trouve une lettre de ma chère mère et une carte du vicaire Danès* qui me représente une vue du pays. Cette vue me rend rêveur. Reverrai-je jamais ce paysage ?…

Licour me passe ma nouvelle capote. Lannoy et moi nous quittons à 5 heures heureux d’être bien nippés. Nous allons selon notre habitude voir nos amis les gendarmes. Nous trouvons notre bande attablée dans la fameuse cuisine et nous nous distrayons entre nous, oubliant les petits ennuis du service et les fatigues de la journée.

Nous rentrons tranquillement à Charmontois-l’Abbé par un clair de lune magnifique. Il gèle à pierre fendre. Mais quel beau temps nous avons pour le repos.

Nous dînons gaiement tous ensemble. Jamesse nous quitte toujours aussitôt le café avalé : il se rend chez le maire avec qui il est en excellents termes.

9 heures. Nous allions nous coucher, quand Brillant arrive avec quantité de notes. La grande note indique :

Départ demain 5 heures pour Passavant. Exercice de tir pour le bataillon. Rentrée probable 11 heures.

Rogery part communiquer au capitaine. Nous nous couchons attendant son retour. Une heure après il rentre. Lannoy se juge exempt pour le bureau.

Départ 5 heures. Rassemblement dans la rue face au bureau à 4h45. Tout le monde marche, excepté le sergent major, le caporal d’ordinaire et les cuisiniers.

Rogery va communiquer aux quatre chefs de section et Jamesse. Et nous nous enfonçons dans le sommeil réparateur.

12 janvier

Après une nuit excellente, je me trouve retapé, presque sec. Je tousse affreusement, c’est entendu, mais du café chaud aura raison d’un simple accident.

Gauthier et Jombart arrivent vers 9 heures suivis des cuisiniers des 5, 6 et 7e. Ceux de la 8e sont obligés de venir de nuit. Nous buvons aussitôt l’eau-de-vie pour nous donner des forces. On attise un peu le feu et bientôt un bon quart* de café suit la direction de l’eau-de-vie.

2mxr3h0Jombart m’apporte des lettres de chez moi, une lettre de ma mère, une lettre de ma famille, une autre du sergent Noël qui est soigné dans l’intérieur. Tout cela me distrait et me fait oublier un peu la dure vie que nous menons. Un colis m’est remis : il me vient du vicaire de la ville, Monsieur Danès [1], grand ami ; cigares et cigarettes me font un sensible plaisir. Je ferme immédiatement dédaignant du coup le vulgaire tabac du poilu* à 15 centimes le paquet.

Après le repas du matin, la fumée bleue de mon cigare me fait entrevoir les tours et le beffroi du pays.

Le temps s’est remis au beau. Le soleil brille de nouveau, soleil d’hiver bien pâle il est vrai qui ne chauffe guère, mais le foyer dont Pignol surveille l’intensité en vrai chauffeur y supplée amplement. Je suis à présent complètement sec, mais ma capote et mon pantalon sont littéralement couverts de boue. Qu’importe ! C’est le métier qui veut ça mais où est le temps où on avait un faux-col impeccable ! Quant au secteur, sans être bon, [il] est pourtant assez calme, du moins ici. Les boches cependant peuvent toujours nous réserver des surprises. Du moins, il ne cesse de nous envoyer des rafales d’obus !

Dans l’après-midi je vais à la campagne. À un endroit, l’adjudant Culine m’empêche de passer, car un coin de tranchées est évacué, les bombes pleuvent dru. Il me faut quand même passer et rapidement je traverse la zone dangereuse. Je trouve le capitaine au fond de son trou, et [il] se chauffe avec du charbon de bois. Je cause avec lui. Il sait qu’il doit être ici 7 jours. Le coin est mauvais. Aussi me dit-il « encore 5 jours ! » Mystérieusement il m’annonce que c’est bien décidé. Nous allons avoir un grand repos. Nous irons du côté de Sainte-Menehould pour un mois. Tout ceci m’enchante et je rentre traversant indemne de nouveau la zone des bombes que Culine lui-même revolver au poing surveille en cas où l’ennemi qui se trouve à 25 m tenterait un coup de main. J’annonce la bonne nouvelle de ce fameux repos à Gallois qui reste sceptique, tandis que mes 2 agents de liaison* du coup entonnent un vieux refrain populaire.

Le soir tombe. Au fond journée calme. Je vais causer un peu avec Sauvage et Menneval. Un peu plus loin c’est le gourbi* de Paradis et de Garnier : ceux-ci se plaignent de la difficulté à communiquer même la nuit avec la 8e compagnie.

Gallois m’appelle. Le système de rondes va recommencer. Quel ennui ! Enfin on verra bien. Du moins j’ai le plaisir de constater que je garde le statu quo cette nuit. Gallois par contre doit en faire une. Il me demande Pignol pour l’accompagner : j’accepte.

Il part donc, trichant d’une heure. Il est 8 heures du soir. Je lui conseille de voir les 5e et 7e et de laisser 6 et 8 à part.

Je fume attendant le retour de Pignol qui reparais en rigolant quoique le visage rempli de boue. On a du mal à distinguer les yeux, la bouche et le nez. Un fou rire me prend. Le malheureux garçon s’est aplati. Mais il a bon caractère et rit lui-même. Il se rend pour se débarbouiller à 25 m au ruisseau qui traverse le chemin. Je m’étends et m’endors en riant encore.


[1] Danès : abbé Danès, vicaire à Bergues comme en témoigne sa carte postale envoyée à Émile Lobbedey en avril 1915.

abbéDanès04-1915