Mort du lieutenant-colonel Desplats
Commandant Vasson, commandant du 147e
Nous remontons. Je me suis muni de mes couvertures. Au passage, Gallois me montre un abri, disant que le commandant Vasson va venir ici. C’est bon à savoir. Mais « le père Vasson » prend une succession terrible.
Il fait clair, tant les fusées allemandes sont nombreuses. Nous respirons la poudre à plein nez. Le marmitage a cessé. On peut constater l’état de nos boyaux, le nombre de cadavres qui gisent et les plaintes nombreuses de blessés qui nous parviennent.
Je ne sais ce qu’est devenu le bataillon, à part la 5e et quelques fractions de la 7e.
Avec bien du mal, en traversant le 8e de ligne, nous arrivons au point A où le colonel fut tué.
Là nous voyons le commandant Vasson et le capitaine de Lannurien. J’assiste à un conseil tenu entre eux deux, le capitaine Sénéchal, le capitaine Aubrun, le capitaine Crouzette, le lieutenant Blachon, et l’aspirant Chupin qui commande quelques débris de la 8e. Nous sommes dans la tranchée, accroupis. J’apprends ainsi des choses émouvantes : l’attaque n’a pas réussie ; le colonel [1] est tué, il attend dans une toile de tente d’être emporté, tué d’un obus de canon revolver à la tête, au moment où il applaudissait le départ de la 7e compagnie ; la 6e est engloutie, le sous-lieutenant de Monclin est tué, on n’a pas de nouvelles de la compagnie ; la 8e possède encore quarante hommes sous les ordres de l’aspirant Chupin, le sous-lieutenant Vals est blessé ainsi que le sous-lieutenant de cavalerie tout nouvellement arrivé avec son camarade de la 6e. La 7e possède environ cent hommes avec son capitaine et un sous-lieutenant, Blachon, le sous-lieutenant Monchy [2] est tué.
La 5e est presque intacte. La ligne est qui a repris ses positions de première ligne. Le commandant Dazy du 10e bataillon est blessé.
J’apprends une grave décision.
Après une patrouille, la 5e compagnie se rendra à 100 m, [à] sa droite à une espèce de boqueteau détruit qui se trouvent devant nous, et y creusera une tranchée qu’elle occupera. La 7e compagnie, malgré les protestations du capitaine Crouzette, se placera à sa gauche, formant une branche de parallélogramme, son homme de gauche non loin de notre tranchée qui de ce fait, deviendra deuxième ligne. À la droite de la 5e, formant également une branche du parallélogramme, se placera une compagnie du 1er bataillon qui a reçu des ordres. Exécution. Pendant ce temps, la 8e compagnie fera un boyau de 100 m partant de cette tranchée jusqu’à la 5e compagnie.
Culine part en patrouille et à 11 heures, la 5e compagnie en tirailleurs part à son emplacement délimité par l’adjudant Culine à 100 m de nous. Tout se passe bien sinon une légère fusillade qui éclate et un nombre encore plus grand de fusées. La 7e compagnie part également. L’aspirant Chupin, de son côté, commence le boyau. Il est minuit quand tout est en mouvement.
Le commandant Vasson et chacun de nous s’installe le dos contre le parapet, assis par terre dans la tranchée. Je suis près du capitaine de Lannurien. J’ai mes deux couvertures et en suis heureux. J’en passe une à mon voisin qui me demande qui je suis : « Mais Lobbedey » je lui réponds, « Le fidèle ! », me répond de Lannurien.
Nous gardons le plus profond silence. Vers 1 heure, le capitaine de Lannurien me cause à voix basse et me dit d’aller trouver le capitaine Aubrun, en faisant très attention, pour lui dire de placer une patrouille protectrice devant ses lignes. Je file armé de mon fusil. Il y a un dos-d’âne à traverser et qui, de la première ligne, nous empêche de voir la compagnie. C’est ce qu’il y a de plus dangereux à traverser. Je communique l’ordre au capitaine que je trouve couché dans un trou d’obus. Je rentre.
Je n’insiste pas sur le terrain parcouru ; il est lamentable : trous d’obus, un cadavre tous les mètres, des bras, des jambes. Les fusées sont nombreuses et j’ai filé de trou en trou. Je n’ai pas vu de blessés ; ceux qui le pouvaient ont rejoint les lignes le soir, les autres sont morts.
Quand je dis « Ordre transmis », je pousse un soupir de soulagement. Un homme apporte à mon voisin un bout de pain et une petite boîte de pâté. Il partage avec moi, me forçant à manger. L’estime de mes chefs, c’est ce qui me va le plus au cœur. Je me dépense sans compter : heureux suis-je qu’on le remarque.
Je suis d’ailleurs visiblement protégé contre les projectiles ennemis.
Deux heures après, je vais voir de nouveau où en est le travail de la 5e. Le capitaine Aubrun, de très mauvaise humeur, me dit qu’il est une poire. Il me demande si le boyau vers l’arrière marche : il est 3 heures du matin. Jamais il ne sera fini demain matin. Quant à sa droite, il n’a encore vu personne. À sa gauche, il est en liaison avec la 7e compagnie. Alors il me prend près de lui et tout bas, me dit ceci : « Mon petit, tu diras à de Lannurien que si je ne suis pas couvert sur ma droite et si je n’ai pas un boyau vers l’arrière, demain je suis foutu et que je ne prends aucune responsabilité ».
Assez ému, je rentre et fais la commission au capitaine adjoint. Je lui dis que la tranchée est faite pour tirer un genou et que le boyau Chupin a 50 m de longueur et 0,20 m de profondeur.
On cause de tout ceci avec le commandant Vasson et le capitaine Sénéchal. Le commandant déclare qu’on lui a rendu compte du 1er bataillon que la compagnie était partie. Donc Aubrun est couvert. Quant au boyau, on appelle pour cela l’aspirant Chupin et on lui dit d’accélérer l’ouvrage.
Il nous tombe une petite pluie de neige. Il fait froid. Nous sommes gelés. J’ai faim, j’ai soif, j’ai froid aux pieds et un mal de tête fou. Enfin, c’est la guerre.
Vers 5 heures, le commandant Vasson, suivi du capitaine de Lannurien, rentre à son PC que Gallois m’a indiqué.
[1] colonel Desplats : Il s’agit de Fernand Joseph DESPLATS, voir la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous.
[2] sous-lieutenant Monchy : Il s’agit de Léopold, Étienne, Marcellin MONCHY, voir la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous.