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21 janvier

Nous nous levons vers 8 heures, nous débarbouillons dans la cuisine. Nous avalons un bon chocolat.

Tout cela, le lit qu’on vient de quitter, un bon lit chose inconnue depuis le 15 août, tout cela résume pour nous le bonheur.

Vers 9 heures, je suis appelé par le capitaine. J’y vais rapidement en rencontrant deux sous-lieutenant inconnus ; l’un très jeune paraissant 16 ans, l’autre portant une fine moustache et la barbe.

Les officiers m’arrêtent et me demandent de bien vouloir les loger et leur indiquer le sergent-major. Lannoy les reçoit, tandis que je me mets en quête d’un logement. Après bien des recherches je trouve une gentille maison à l’accorte [1] propriétaire.

Nous causons beaucoup à table de ce lot. Le sous-lieutenant de réserve Alinat, juge d’instruction à Montpellier, celui qui paraît le plus ancien, prend le commandement de la première section. Le sous-lieutenant d’Ornant Saint-cyrien de la classe 1915 de la nouvelle promotion prend le commandement de la 4e section. On rit beaucoup déjà de la pauvre mine du petit d’Ornant, jeune bleu, déjà officier, qui a l’air tout dépaysé. Lannoy l’appelle « Mimile » en souvenir de Février, sergent, blessé à Saint-Thomas, dont il rappelle l’air godiche. Le nom est tout de suite adopté. On ne connaît plus que Mimile.

Quelques nominations paraissent l’après-midi. Pignol, Boulanger, sont nommés caporaux, les caporaux Bonnet et Raoult passent sous-officiers.

Je vois aussi que Legueil est sergent fourrier à la 6e compagnie et que Verleene lui succède comme caporal fourrier*.

Dans l’après-midi le capitaine passe une revue des hommes et du cantonnement*. Je l’accompagne. En général il se déclare satisfait. Une note nous arrive vers 3 heures disant que demain le colonel Blondin commandant la brigade va passer la revue du cantonnement. Le lieutenant-colonel Desplats doit être plus qu’énervé. La note en dit long d’ailleurs : Propreté… Couchage… Râtelier d’armes… Prison…

Vers le soir Lannoy et moi allons à l’épicerie non loin de chez « la mère La Plotte ». Nous y achetons des biscuits, champagne etc.… Il faut bien régaler nos hôtes et fêter notre arrivée dans Charmontois.

Nous passons la soirée avec les gendarmes à boire l’apéritif qui consiste en quelques litres de vin blanc. À 7 heures nous rentrons par un beau clair de lune.

La soirée se continue gaiement à table. Mascart vient communiquer au milieu du repas. Les cafés sont consignés : c’est la seule chose qui nous intéresse. Bah ! La cuisine du débit est toujours là et nous sommes si bien avec les gendarmes. Quant au coin de Culine, c’est une maison particulière ; rien n’est donc résolu.

Nous sablons le champagne et chacun pousse sa petite chanson. Maxime Moreau raconte quelques balivernes selon son habitude, et Culine raconte que lui aussi a trouvé un bon coin : il nous y convie pour le lendemain soir. Quant à nous, nous racontons que l’épicerie a de charmantes débitantes et les jeunes demoiselles Adam nous donnent tous les renseignements voulus ; ce qui les fait beaucoup rire. Lannoy est particulièrement emballé sur ce chapitre-là.

Puis nous fumons en demi-cercle autour du bon feu tandis qu’Arnold Cattelot nous gâte par quelques tyroliennes dont lui seul a le secret. On ne se couche pas tard afin de ne pas gêner les braves gens si aimables. Et il faut se lever assez tôt le matin pour que le service n’ait pas trop à souffrir.


[1] accorte : Se dit d’une jeune fille, d’une femme gracieuse, aimable et vive ; avenante.

30 septembre

Pour communiquer à la compagnie, c’est plus agréable. J’ai 150 mètres à parcourir pour me trouver au gourbi [1] du capitaine. Celui-ci, qui a toute confiance en moi, me déclare quelques confidences sur le capitaine de la 6e compagnie.

Je dis bonjour à Lannoy, Delbarre, etc… qui sont occupés à pelleter afin de s’aménager un gourbi. Lannoy m’annonce que Février a été blessé par un obus dans les ruines de l’église de Saint-Thomas où il avait installé son poste.

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Vue intérieure des destructions de l’église – 1915.07.15 ©Ministère de la Culture (France) – Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine.

La 3e section est actuellement commandée par le sergent rengagé Huyghe, un de mes compatriotes, en remplacement de l’adjudant blessé à l’arrivée dans le bois de la Gruerie.


[1] Gourbi : Dans l’argot des combattants, désigne un abri. Le terme s’applique peu en première ligne, il est utilisé surtout à partir de la seconde ligne jusqu’au cantonnement. (Renvois : Abri, Cagna, Guitoune)

CP-Gourbi

28 septembre

Les cuisiniers arrivent comme d’habitude à minuit. Nous mangeons.

Le matin, au petit jour, je vais voir Louis qui se chauffe avec un peu de feu. Il m’offre un quart* de café. Je lui annonce la bonne nouvelle d’une lettre reçue cette nuit de la maison, datée du 15. Les cuisiniers l’avaient reçue du vaguemestre*. Mon cousin m’en fait lire deux reçues, datées du 8 et du 14. C’est un veinard !

courrier

Lecture des lettres dans les tranchées. © Photo ARCHIVES « SUD OUEST »

Nos cuisiniers imitent la compagnie voisine et font rapidement un peu de café car il faut profiter du brouillard. Le brouillard levé, défense expresse de faire du feu.

Je communique dans la matinée au capitaine. La route est longue, car je dois faire un détour de 1500 mètres, pouvant être vu de l’ennemi le jour. Je dois suivre la route vers Saint-Thomas, contourner le bois pour remonter ensuite vers l’emplacement de la compagnie.

En route, je rencontre un verger. J’abats des fruits qui sont délicieux.

Je trouve le capitaine dans une petite baraque souterraine en planches. Il est étendu sur la paille. Il me parle gaiement. Deux officiers, lieutenants d’artillerie, sont avec lui. Ils commandent les batteries voisines. Ils sont très gais.

Il faut envoyer un sergent et quatre hommes en poste de police dans Saint-Thomas. Le sergent Février s’en va. Ceux-ci seront relevés par un poste de la compagnie de réserve qui succèdera.

Je rentre les poches remplies de fruits que la liaison mange avec plaisir. J’écris à la maison, leur demandant de m’envoyer des colis. Je ne sais presque plus manger.

À midi, nous recevons des obus qui sont toujours précis et nous occasionnent toujours quelques tués. Deux hommes de la liaison du lieutenant Péquin, qui se trouvent dans le gourbi voisin du nôtre, sont blessés.

C’est à croire que les boches ont une heure fixée pour tirer sur chaque coin.

Je communique encore des ordres dans la soirée. J’en profite pour conduire à la compagnie un petit renfort commandé par le sergent Gabriel blessé en août, un de mes amis. À partir d’aujourd’hui, une voiture d’outils et de munitions se trouvera de 9 heures du soir à 5 heures du matin près du PC du commandant. Si les compagnies ont besoin d’outils et de cartouches, elles n’auront qu’à envoyer des corvées*. Le matin, la voiture repartira sur Saint-Thomas.

Gallica-VoitMunit