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13 décembre

Repos à Florent

Je passe une partie de la nuit à somnoler au coin du feu et à sortir avec ma lanterne, succession de De Juniac, pour voir si le bataillon n’arrive pas. Je désespère de le voir, tandis que je tombe de sommeil.

Il est 4 heures enfin quand j’entends du bruit. Je ne me trompe. C’est la 5e compagnie. J’indique le cantonnement, vois Pignol, lui fais réintégrer son escouade* et bientôt au milieu d’une pagaille sans nom, les hommes montent la grande échelle qui les jette pour ainsi dire dans le foin dont la grange est remplie. Le principal est que chacun se place et dorme rapidement. On verra demain pour placer tout cela par escouade et section.

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Florent, une rue du village animée – 1915.07.18 ©Ministère de la Culture

Au milieu de l’encombrement, car la rue est remplie de troupes du bataillon qui stationnent, j’installe le capitaine dans son hôtel. Il fait grise mine et je lui déclare qu’il n’y a que cela de potable. C’est ennuyeux pour moi autant que pour lui ! Mais Dieu sait, on n’a pas idée de loger un bataillon entier avec ses sections de mitrailleuses et ses brancardiers dans une seule rue.

Je rentre au logement de la liaison avec l’espoir de m’étendre et de reposer un peu. Je m’installe donc dans la pièce qui servira de dortoir tandis que les nouveaux arrivés, Gallois et les cyclistes, se chauffent se sèchent et boivent du café. Peu après, chacun s’étend. Il est certainement 5 heures du matin.

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Cantonnement. Soldats au coin du feu le soir – 1915.11 ©Ministère de la Culture

Je ne suis pas tranquille longtemps. Il n’est pas 7 heures que déjà je suis harcelé par un tas de monde qui n’a pas de place. Le médecin auxiliaire Paris me demande un coin : je l’adresse au fourrier de la compagnie dont il dépend, qui lui-même, le brave Jombart qui a fait le cantonnement, l’envoie aux calendes grecques ; il est adjudant et non pas officier. Les brancardiers n’ont pas de place : je suis obligé de faire resserrer la 5e pour leur donner une maison abandonnée. Ce sont ensuite les mitrailleurs qui ont des chevaux à placer : obligé suis-je de nouveau d’expulser d’une grange une section de la 8e, au grand mécontentement de Carpentier. Le commandant Desplats veut un logement « digne d’un chef des corps ». L’ancien PC du colonel Rémond est occupé par une brigade. La place refuse un autre logement que celui préposé au 147e. D’où discussions, ennuis et la fameuse conclusion militaire : « Débrouillez-vous, cherchez ». Littéralement furieux, je m’attrape avec Gallois dont je fais le métier d’adjudant de bataillon et qui, lui, dort à poings fermés. Enfin vers 10 heures, le capitaine me fait demander de lui procurer une autre chambre en dehors du cantonnement. Après une heure de recherches, je trouve au débit de tabac la chambre vacante. La dame est heureuse d’héberger le capitaine qui me remercie. N’empêche qu’il est midi, que je n’ai pas fermé l’œil, que je cours depuis matin, après avoir couru toute la nuit, que je ne suis ni nettoyé, ni débarbouillé et que j’ai les sangs tournés. Fichu métier !

Je mange donc un morceau et me procure de l’eau et un seau afin de procéder à ma toilette. Cela me prend une bonne partie de l’après-midi car je suis dans un piteux état, couvert de boue de la tête aux pieds et force m’est de laisser sécher mes vêtements afin de procéder au grattage de la boue plus tard.

Je songe beaucoup à ma mère dont c’est la fête aujourd’hui. Triste fête pour moi ; que ne suis-je près de ma chère maman pour lui souhaiter la fête de vive voix, et lui donner un baiser filial.

De bonne heure je m’étends avec un mal de tête fou. Vraiment, c’est trop peu dormir en comparaison des fatigues.

12 décembre

Relève des tranchées

Le colonel Rémond est nommé général de brigade et remplacé par le commandant Desplats du 128e. Gallois est nommé adjudant de bataillon.

Vers 7 heures, c’est encore l’arrivée épique de notre cuisinier. Aussitôt debout, rassemblement, distribution d’eau-de-vie pendant que dans la marmite le café chante sur le feu.

Gauthier pour une fois nous annonce une grande nouvelle. Le colonel Rémond est nommé général de brigade. Il est remplacé dans son commandement par le commandant Desplats du 128e.

On annonce cela au capitaine Sénéchal qui n’en sait encore rien et reste sceptique. Gauthier dit tenir cela du personnel des voitures de ravitaillement.

Dans la matinée, une note arrive, apportée par un cycliste du colonel. La nouvelle est vraie. C’est un adieu de notre chef à ses troupes qu’il se dit fier d’avoir commandées. Il nous recommande le valeureux commandant Desplats, chef sans peur et de grand mérite, ancien colonial.

Une autre note annonce la promotion de Gallois au grade d’adjudant de bataillon et celle de Menneval à celui de sergent fourrier.

Nous nous promettons de fêter ces fameuses promotions aussitôt que les circonstances le permettront.

Gallois est des plus heureux et nous partageons sa joie car le voilà définitivement à notre tête et c’est un charmant camarade.

La pluie a complètement cessé et le soleil luit misérablement, un petit soleil d’hiver qui ne réchauffe et ne sèche pas. Les terrains sont détrempés au possible. Vers 1 heure, une note annonce que nous serons relevés cette nuit. Cantonnement* à Florent. Nous nous apprêtons donc immédiatement, attendant que le capitaine Sénéchal nous dise de partir préparer le cantonnement. Il nous appelle bientôt en effet, avec ordre d’aller reconnaître la route de La Harazée.

Nous suivons donc Gauthier qui nous mène par trois ou quatre layons jusqu’au moment où il n’y a qu’à suivre pour arriver le layon sur lequel nous nous trouvons.

En route, nous rencontrons une batterie alpine bien dissimulée qui tire depuis plusieurs jours. Nous l’avions entendue, nous demandant quel était ce genre d’obus rapide qui ressemble aux 75 par sa rapidité. C’est la première fois que nous sommes dotés d’une batterie de ce genre.

Nous revenons au PC du bataillon. Le capitaine Sénéchal m’appelle et me charge de partir, chef de cantonnement, avec les fourriers Carpentier Menneval, et Jombart qui fera le cantonnement de la 7e compagnie. Je ne suis pas satisfait car ma charge est double : cantonnement du bataillon et cantonnement de ma compagnie.

D’un autre côté, je me charge d’en profiter pour la loger princièrement. Gallois reste donc avec le commandant. Gauthier m’accompagne.

Nous partons, laissant nos agents en second, Pignol, Frappé et Garnier des 5e, 6e et 8e appelés pour la circonstance ainsi que Legueil de la 6e compagnie, caporal fourrier, les cyclistes et René, l’agent de liaison de mitrailleuses.

Il peut être 4 heures. Grâce à Gauthier qui connaît parfaitement le chemin, nous passons par les routes les meilleures. Nous loin du village quelques balles sifflent à nos oreilles, serions-nous vus ? En tout cas nous prenons le petit pas gymnastique qui nous amène rapidement au patelin.

Ici je dois rassembler tout ce que je trouve de cuisiniers et les diriger sur Florent. Ceux-ci, petit à petit avançant sans cesse l’heure du départ des tranchées pour chercher et préparer les vivres au village, et retardant petit à petit l’heure d’arrivée le matin, ont réussi sans qu’on s’en aperçoive à s’installer au village où ils passent la majeure partie du temps. C’est ainsi que je trouve à La Harazée, dans quatre coins différents connus de Gauthier, les caporaux d’ordinaire de chaque compagnie installés dans de véritables chambres garnies, meublées avec des débris de table, de chaises et de literies trouvés un peu partout. Les cuisiniers ont une véritable installation digne d’un Vatel*. Cela se passe de cuisiniers de bataillon relevé à cuisiniers du bataillon de relève. C’est tout juste si on ne dresse pas un état du matériel avec signatures au bas. Cela me fait rire. Nous faisons une longue pause au logis de la 8e compagnie où nous buvons force café. Une nouvelle pause m’amène à la 6e compagnie où on fait des crêpes : j’en avale plusieurs. Là nous voyons le frère d’un cuisinier de la 6e compagnie, Verleene ; celui-ci part à Florent avec une voiture et se charge d’emporter nos havresacs que nous n’aurons qu’à lui réclamer à destination. Grand soulagement !

Je quitte donc La Harazée, suivi d’une file interminable de cuistots qui font un grand remue-ménage de plats et marmites. C’est un cortège digne de tenter le pinceau d’un maître. L’obscurité est complète : il peut être 6 heures du soir.leroux_cortege

Nous passons la Placardelle où des obus, tombant à la cote 211, nous font faire une bonne pause et nous procurent la joie d’un pas de gymnastique rapide à l’endroit dangereux.

Au parc d’artillerie, je dépasse une petite caravane et reconnaîs mon ami Pécheur, sergent secrétaire du colonel, qui, lui-même, se rend à Florent faire le cantonnement de l’état-major du régiment. Nous faisons route ensemble, échangeant nos impressions sur le nouveau commandant du régiment que nous ne connaissons pas et qui doit se trouver au village où nous cantonnons.

Il peut être 9 heures quand nous arrivons à Florent par une obscurité complète et un vent qui souffle en bourrasque. Temps détestable sans pluie heureusement.

Toujours suivi de ma brillante suite, je fais halte sur la place, attendant Pécheur parti à la mairie où se trouve le bureau de cantonnement. Il revient bientôt avec les renseignements voulus et m’amène d’abord avec lui pour saluer le commandant Desplats dont il a le numéro du logement. Nous attendons le départ de deux cavaliers qui sont reçus en ce moment, puis c’est notre tour. Nous nous présentons et sommes reçus aimablement par un homme petit, nerveux, ne tenant pas en place, chauve, au teint bronzé, aux yeux scrutateurs derrière des lunettes, un vrai colonial. Il s’informe vaguement du régiment et nous dicte ses désirs au sujet du cantonnement. Nous pouvons nous retirer, ce que nous faisons avec empressement. Mes impressions : homme peut-être excellent, mais très méticuleux.

Pécheur m’indique mon cantonnement que je commence, éclairé par toutes les lanternes des cuistots qui suivent et s’installent aussitôt qu’une répartition est faite entre les quatre compagnies. Mon cantonnement est restreint car je n’ai qu’une rue, la rue A. (Voir topo Tome IV).Plan14-11Florent Je loge aussi bien que possible la compagnie et envoie paître mes amis qui déclarent que le cantonnement est exigu tant pour la troupe que pour les officiers. De guerre lasse et après bien des pourparlers, je retrouve Pécheur et obtient de lui une chambre épouvantable qu’il me cède même à regret, gêné lui-même dans son cantonnement : cette chambre est en dehors du cantonnement, je la cède à Jombart qui, de concert avec Carpentier, décide d’y loger les lieutenants Régnier, Péquin et de Monchin ; deux lits à trois matelas, une table, aucun siège. C’est luxueux. Quant à moi, je loge le capitaine Aubrun dans un rez-de-chaussée de deux pièces. La première servira de cuisine et déjà Chopin et Verhee, le nouveau successeur de Chochois relevé, font bonne besogne. La seconde contenant deux lits à peu près potables sera la salle à manger et le dortoir pour le capitaine, le sous-lieutenant Vals et le médecin aide major Veyrat. Que faire ? Impossible de trouver mieux.

Très ennuyé de tout cela, je me rends près de Gauthier, il peut être minuit. Celui-ci, à qui j’ai donné tous droits de choisir, est dans une petite cabane, sans étage, en briques : deux modestes pièces ayant une petite fenêtre chacune ; dans la première, un bois de lit, deux chaises, une table, un foyer ; dans la seconde, de la paille. Je bois un quart de café, me chauffe, me sèche et attends, bientôt rejoint par Carpentier, Menneval et Jombart qui tâchent de compléter le cantonnement en cherchant des coins partout. Le capitaine Sénéchal est logé au presbytère. Lui seul sera bien. Dehors, le temps est pluvieux et le vent siffle. Beau temps pour une relève.

5 décembre

Florent

Nous sommes harcelés de grand matin par quantité de notes se rapportant à la tenue, à l’armement, aux séjours aux tranchées*, à la nourriture. Vraiment c’est fastidieux et notre repos à nous, agents de liaison*, n’est jamais qu’un demi-repos.

Dans la matinée, le capitaine passe une revue de la compagnie, à laquelle j’assiste en greffier peut-on dire. J’inscris pas mal de choses manquantes et défectueuses. Je vois Blanchet, nouveau promu, à la tête de son escouade.

Dans l’après-midi, c’est une revue du chef armurier. Comme c’est moi qui dois m’occuper des armes dans la compagnie, je suis de nouveau tenu deux heures.

Nous touchons de nouveau des effets de tous genres, pantalon, maillot, peau de mouton même, chemise, chaussettes. Ce n’est pas un mal. On ne fait que commencer à donner le nécessaire à chaque homme. Ce qui manque le plus, ce sont les brodequins que l’on touche rarement et Dieu sait si on en use.VienneLeChateau-APD0000666

Le bien d‘un repos comme celui-ci est que la troupe peut se ravitailler sur place. Des épiceries sont ouvertes en grand nombre, contenant un peu de tout, jusque du mauvais champagne payé très cher. Un débit de tabac un peu achalandé permet aux fumeurs de faire leurs provisions. Je songe cependant au pauvre homme qui ne reçoit rien de chez lui et qui ne peut rien s’acheter.

Par charité, je m’intéresse à un brave garçon orphelin et lui fait nettoyer mes affaires afin de pouvoir lui donner une pièce. Pour moi, c’est un gros avantage. Et pour lui, c’en est un aussi. Me voici donc à partir d’aujourd’hui pourvu d’une ordonnance.

Le sergent major Lannoy m’invite dans la soirée à manger à la popote des sous-officiers de la compagnie. Il a trouvé un local. J’accepte pour le lendemain.

Le temps est propice depuis notre arrivée. Je souhaite qu’il y ait gelée, car rien n’est plus désagréable que pluie et boue.

On n’entend plus parler d’un bombardement de Florent. Et quelques obus du dernier séjour n’ont eu aucun résultat et n’ont pas été suivis d’autres.


 

4 décembre

Relève pour repos à Florent

Nous nous levons tard. Il fait chaud dans notre abri. La paille est bonne. Que faire dehors ? Il faut quand même le prendre, le café que a préparé, sans quoi nous subirions les foudres de notre dévoué cuisinier.

Nous allons donc au gourbi numéro 2. Nous y trouvons Gallois, Cailliez, René, Gauthier et nos agents en second. On y boit le « jus proverbial ». Le gourbi* est grand ; il a plu malheureusement dans certains coins.

Gallica-Cuisine11Je réintègre bientôt le mien. J’ignore pour qui il a été construit car il est très bien conditionné. Tout l’extérieur est couvert d’une couche de boue, qui sert en quelque sorte de ciment. La pluie peut tomber, elle glisse sans pénétrer. Malheureusement il n’y a pas de cheminée et on ne peut y faire de feu. Crespel a subvenu à cet inconvénient en volant du charbon de bois aux cuisiniers des officiers et en dénichant une espèce de vieux chaudron qui nous sert de foyer.

Les officiers sont installés dans le pavillon. Le long du mur sont installés leurs cuisiniers qui ont allumé leurs feux et vaquent à la préparation de la cuisine. Il ne pleut plus heureusement, sinon de graves inconvénients pourraient survenir pour la finesse des mets et les préparateurs.

Je passe la matinée à écrire et à bâiller en attendant que la viande apportée hier soir par les voitures de ravitaillement à la cote 211, vulgairement dénommée « barback », soit cuite.

Vers midi, nous prenons notre modeste repas, quand Gallois, appelé par le capitaine Sénéchal, revient nous annonçant qu’à 1 heure, nous partons faire le cantonnement à Florent.

C’est une nouvelle explosion de joie, car Florent c’est le repos.

Nous quittons bientôt, ayant Gallois à notre tête et Gauthier qui nous suit fidèlement avec des marmites, son sucre, son café, son sel que nous aidons d’ailleurs à porter. À chaque voyage, c’est d’ailleurs une discussion sans fin, chacun protestant contre l’ustensile et la charge qui lui sont attribués et n’acceptant que quand Gauthier déclare qu’il jettera tout en route.

Après une route boueuse à travers bois, nous tombons à hauteur de la cote 211 sur la route la Placardelle Florent. Bientôt nous rencontrons des groupes de territoriaux se suivant à petite distance ; ces gens ont la prétention de fournir un bataillon qui doit relever le nôtre.

Braves vieux pères de famille qui ont cessé d’empierrer les routes à Florent et qui certes ne doivent pas avoir l’arme tranquille à 5 km de l’ennemi.

Nous continuons notre route rapidement. Non loin du parc d’artillerie, nous faisons une pause et voyons bientôt arriver un territorial qui marche difficilement et arpente la route de long en large. À quelques mètres de nous, il tombe un genou à terre. On rit beaucoup. Nous le relevons et il continue sa route se tenant en équilibre je ne sais par quel moyen. Je n’ai jamais su non plus s’il a retrouvé son unité.

Nous arrivons à Florent vers 3 heures. Pendant que Gallois se rend à la mairie pour connaître le cantonnement* fixé, nous stationnons à l’intersection de la rue d’entrée et de la place, parlant à quelques habitants que fait rire en montrant ses jambes boueuses jusqu’au-dessus du genou et sa capote ruisselante envoie de l’eau reçue la veille.

Florent-APZ0000621Plan + carteNous cantonnons rue Dupuytien [voir plan dessiné par Émile Lobbedey ci-dessus], une rue connue déjà où nous cantonnons les compagnies sur leurs anciens emplacements pour aller plus vite. Je loge par contre le capitaine au débit de tabac, maison très proprette, et le sous-lieutenant Vals non loin de là, chez une vieille personne qui accepte leur popote.

Quant à nous, nous nous sommes réservé le bas d’une maison abandonnée à deux vastes pièces. Nous y trouvons une table, des chaises, un lit, un foyer, une armoire. Dans la seconde pièce, il n’y a rien sinon un peu de paille à vermine.

Nous nous installons donc : première pièce, bureau, salle à manger ; deuxième pièce, chambre à coucher.

Le bataillon ne tarde pas à s’amener. Chacun est satisfait car la rue Dupuytien est une des meilleures rues.

Quant au capitaine Sénéchal, il loge selon son habitude à présent, au presbytère.

Tour de l'ancien Château

Le presbytère pourrait (?) être, selon le plan d’Émile Lobbedey, la maison de droite sur cette carte postale.

Le soir, grâce à mon ami Pignol, l’agent de liaison*, nous rions aux larmes. Le brave garçon se dépense sans compter et nous chante quantité de chansonnettes entre autres « J’l’ai mis dans du papier d’soie » et « Suivons-les, suivons-les ».

Gauthier s’est mis en frais et nous avons amélioré notre ordinaire en achetant vins et biscuits. Nous avons une table et des sièges, nos couverts personnels. C’est fête.

 


 

1er décembre

Nous nous réveillons tard, fatigués par les libations copieuses de la veille. On se remémore encore les bêtises de la soirée et on promet de recommencer et d’organiser de véritables séances.

Je fais partie de la commission avec Carpentier qui a des talents de chanteur, un répertoire et une mimique appréciée de l’honorable public que nous sommes.

Nos agents de liaison* en second sont installés dans les abris que nous avons laissés. Ils font eux aussi popote* et se déclarent très satisfaits.

Dans la journée, je communique plusieurs fois au capitaine Aubrun qui est satisfait de son installation et fait avec moi de longues causeries car il s’ennuie.

Je vais avec Carpentier, qui ne me quitte plus, voir le village malgré les obus qui souvent sifflent au-dessus de nos têtes et viennent s’aplatir dans l’un ou l’autre coin. Le jour, le village est presque désert ; toutes les troupes sont réfugiées dans les bois voisins sur les pentes.

Les obus, d’ailleurs, ne sont pas très nombreux. Le village est lamentable, non pas qu’il soit démoli, mais parce qu’il est victime du pillage des troupes. Quelques maisons certes ont reçu des projectiles, mais la majeure partie est debout.La Harazée en ruines (Vienne-le-Château)

Dans quel état ? C’est impossible à décrire ; l’intérieur surtout est repoussant : paille, détritus, débris de toutes espèces jonchent le sol.

Toutes ces demeures sont autant de refuges de cuistots qui préparent la nuit les aliments qu’ils portent aux tranchées au petit jour. Le mobilier est détruit, chaises, armoires, plancher, bois des fenêtres, bois de lit, tout cela a servi à faire du feu. Je vois même un morceau de billard dont une partie a été coupée à la hache ; l’autre partie n’est pas appelée à survivre longtemps.

Les journées continuent à être pluvieuses. Les routes sont dans un état ignoble à cause du grand va-et-vient. Quant au chemin du bois, on y enfonce dans la boue parfois jusqu’à mi-jambe.

Le village cependant devait être coquet et pittoresque, entouré de bois et de crêtes qui le surplombent. La guerre a passé ! À présent, il a tout l’air d’un repère de bandits. L’église a reçu elle aussi quelques obus ; cependant le clocher est toujours debout. On n’y célèbre aucun office.chapelle 1914La_haraz_e_3

Nous n’avons d’ailleurs aucun aumônier, sinon un aumônier divisionnaire qui est à demeure à Florent, pas plus que nous n’avons de prêtres brancardiers. Nous sommes donc privés de tout office religieux et il faut attendre le repos de Florent pour voir une église.

Nous continuons à garder, à notre grande joie, notre position de réserve. Le soir, dans notre home, c’est donc une nouvelle séance de chansonnettes, alternées de lazzis et de pitreries, le tout arrosé d’eau-de-vie, de vin ou de café au choix. L’un d’entre nous a trouvé la répartie « Si nous faisions un petit tour au buffet ? » On rit, on se lève et on trinque à la santé du pays. La répartie vient souvent, acceptée chaque fois, trop souvent peut-être, car le pauvre Carpentier est bien fatigué.

 

24 octobre

Cote 211

La nuit fut longue et bonne. C’est un coin tranquille. On se lève tard. Le soleil donne et cela nous fait plaisir.

Nous sommes ici en position d’attente. Dans la matinée, je communique un ordre au capitaine. Celui-ci est installé dans un gourbi* potable avec la liaison avec lui.

Vers 9 heures, je me rends à une ferme que je ne connais pas, la ferme de la Seigneurie. En route, je rencontre une corvée de territoriaux qui m’indiquent la direction à suivre.

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Extrait carte J.M.O.* de la 41e D. I. de 1916 (archives_SHDGR__GR_26_N_340__002__0197__T)

J’arrive au bout d’un layon à la lisière d’arbres. Dans la maison d’habitation, deux femmes servent à manger.

Je prends de l’eau à une pompe et rentre au PC du bataillon, distant de 1200 mètres. Nous faisons du café qui nous réchauffe et mangeant quelques conserves. Je ne suis pas à court cette fois, grâce au paquet reçu hier. Dans le cours de l’après-midi, je rentre à Florent avec mes amis les fourriers et l’adjudant De Juniac. Nous allons faire le cantonnement* car le bataillon rentre dans la soirée.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Heureux de cette nouvelle, alors qu’on se croyait de nouveau au feu, nous arrivons bientôt au cantonnement. Nous recevons un autre coin, la rue Duperytren ( ?). (Voir topo, Tome IV)

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Plan établi par Émile Lobbedey intitulé Topo Tome IV .

Une heure après, il peut être 6 heures du soir, la compagnie s’installait dans trois granges. Le capitaine et les officiers de la 5e étaient logés avec le commandant dans une vaste demeure faisant le coin de la rue et de la place.

Quant à la liaison, nous avions la remise de la maison avec un banc et une immense table. Au fond se trouvent une chaudière qui nous servira à faire la popote*, et une commode. Du bois est entassé à l’entrée, à droite. Malgré la défense d’y toucher, c’est une ressource.

On s’installe donc. Une volière se trouve dans la remise. Les canaris nous distraient.

Deux fenêtres de la cuisine donnent dans la remise. Les gens ne sont pas des plus aimables. Je réussis cependant à m’introduire et à obtenir de l’eau. Dans la cuisine, je vois le sous-lieutenant Lambert et le médecin aide major Veyrat (Veyrat ?) qui se chauffent tandis que les cuisiniers Chochois et Chopin vaquent à la préparation du repas.Popote01-103-5-31Après le repas qui cuit merveilleusement dans la chaudière, nous partons nous coucher dans une grange voisine où se trouvent cantonnées la musique du régiment et la C. H. R. [1].
Quelle bonne nuit dans la paille !

 


[1] C. H. R. : Compagnie Hors Rang, compagnie unique qui se trouve au niveau du régiment et regroupe ce qui touche au fonctionnement administratif, logistique et au commandement du régiment. On y trouve le secrétariat du colonel et de son petit état-major, les cellules traitant de l’approvisionnement en matériel, habillement, nourriture, un peloton de pionniers pour les travaux de protection, la section de brancardiers qui est en même temps la musique du régiment. Pour commander, il faut assurer les liaisons vers les supérieurs et les subordonnés, et naturellement une équipe de téléphonistes y a sa place.