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6 décembre

Aujourd’hui dimanche, Saint-Nicolas, nous nous promettons pour le soir une petite fête agrémentée d’une forte amélioration d’ordinaire.

Dans la matinée, un renfort arrive, composé en grande partie de jeunes soldats de la classe 1914. Le capitaine réunit dans la rue les nouveaux venus et leur adresse un petit speech auquel j’assiste. Je remarque Noël qui est caporal et un vieux brave de 50 ans, engagé volontaire, le caporal Marie que le capitaine félicite et cite à notre admiration de tous.

Je vais avec Carpentier à la grand-messe de 10 heures où l’aumônier divisionnaire qui chante la messe, fait à l’Évangile un magistral discours. 92493890Un mes amis, musicien brancardier, joue quelques morceaux de violon, accompagné à l’harmonica par le chef de musique, Monsieur Legris. Le sous-lieutenant Simon, de sa belle voix, chante également deux partitions.

À la sortie, je vois mon cousin Louis que j’accompagne à la popote où il m’offre un quart* de vin, « le pinard » réglementaire.

À midi, à table, ayant mis chacun la quote-part que j’ai versée, je mange à la popote* de mes amis sous-officiers de la compagnie. Ils ont une grande pièce, deux tables, deux bancs et un foyer. Elle leur sert de salle à manger et de salon de lecture. Je m’y amuse médiocrement et préfère de beaucoup la table de la liaison. D’ailleurs, notre popote est de beaucoup supérieure à la leur : j’ai toujours dit que Gauthier était un cuisinier hors-ligne.

Caillez est parti le matin en bicyclette à Sainte-Menehould pour le compte du capitaine Sénéchal. Il rentre l’après-midi et rapporte quelques bricoles, canifs, glaces, pipes, porte-cigarettes, blagues à tabac. Nous lui achetons tout.

Vers le soir, une note du colonel exprime le désir que des artistes qui se sentent un certain talent composent une chanson sur notre vie dans l’Argonne. Sollicité par mes camarades de l’entourage, je promets de tâcher de composer quelque chose.

Courquin nous quitte aujourd’hui. Il rend ses baguettes pour passer chef de section* et espère passer plus tard à la section des pionniers du régiment. On fêtera ses adieux en même temps que la Saint-Nicolas. Le caporal Menneval doit passer sergent fourrier tandis que Legueil reste caporal fourrier. Huvenois est nommé sergent major à la 6e compagnie.

Le soir, vers 6 heures, nous nous mettons à table, décidés à fêter dignement Saint-Nicolas. Tout se passe bien. À 10 heures, nous sommes encore à table : chacun y a été de sa ou de ses chansons et Pignol et Carpentier font merveille.

Enfin, quand tout est bu et mangé, on se décide à s’étendre pour reposer, car bientôt les tranchées* vont faire entendre leur appel.

La famille se compose actuellement de Gallois, sergent major, qui fait fonction d’adjudant et attend sa nomination, de Carpentier et moi, sergents fourriers* des 8e et 5e compagnies, Legueil et Jombart, caporaux fourriers des 6e et 8e compagnies, Cailliez et Crespel, cyclistes, Gauthier, clairon cuisinier, René, agent de liaison de mitrailleuses, des agents de liaison en second des 5e et 7e, Pignol et Frappé ( ?). Quant à Jacques, maréchal des logis de liaison près le chef de bataillon, il fait partie de notre société au repos. Lors des séjours aux tranchées, il est à la Grange aux bois avec les ordonnances et les chevaux des officiers du bataillon. C’est donc une véritable famille où malgré une note discordante, d’ailleurs peu fréquente, tout le monde s’entend parfaitement.

30 novembre

Aujourd’hui, Courquin nous quitte dans la matinée car sa compagnie est assez éloignée et le capitaine Claire exige sa présence près de lui, laissant le caporal fourrier* Legueil près du capitaine Sénéchal, avec nous.

Carpentier et moi qui faisons une bonne paire d’amis, visitons le château et ses dépendances. Nous voyons des écuries en quantité, des serres, des pavillons et faisons un tour dans le parc qui s’étend bien loin. Mais tout est déjà dévasté, aussi bien le parc qui est couvert de tranchées que les bâtiments qui sont abîmés par le passage des troupes. Serres, pavillons, écuries, tout est rempli de troupes.sablon-28-011

L’extérieur du château lui-même fait pitié. Je crois cependant que l’intérieur est respecté, vu qu’il est toujours occupé par l’autorité supérieure.

Un cimetière militaire est tout à côté d’ici. Nous y allons et prions sur la tombe du lieutenant Lambert que nous trouvons parmi beaucoup d’autres. Nous assistons même à l’enterrement d’un soldat roulé dans sa toile de tente : un aumônier préside à la simple et funèbre cérémonie.

enterrement3Le temps est brumeux. Dans l’après-midi, nous recevons la visite de Renaudin, le vaguemestre*, qui nous apporte des foules de lettres. Puis, c’est le défilé des cuisiniers qui viennent des compagnies et se rendent à la Harazée pour les distributions des vivres.

Quand les voitures de ravitaillement arrivent, nous nous précipitons pour être servis, allant tous, afin de nous entraider.Lieu:Saint Crepin aux Bois - Description:GUERRE 1914-15 - OFFEMO

Les journées sont longues malgré cela. Nous passons notre temps ici à écrire à nos familles et à bayer aux corneilles.

À 5 heures, il fait nuit. Nous mangeons dans notre chambre, le fameux cabinet noir, vers 5 heures 30. Pris de gaieté, nous chantons sous la direction de Carpentier qui fait le pitre, jouons aux enfants. Que voulez-vous, il faut bien se distraire ! Cela nous amène agréablement à 9 heures du soir, après que nous avons bu tout le vin et toute l’eau-de-vie. C’est une de nos plus agréables soirées.

26 novembre

Je suis en plein sommeil quand la 5e compagnie rentre de son équipée. Le capitaine vient me voir. Je me lève et l’informe que le cantonnement* est le même. Il fait un temps de chien au-dehors et le capitaine est assez bon pour me dire de me recoucher.

Au matin, nous recevons la visite intempestive du sergent major de Brésillon. On dit qu’il brigue la place d’adjudant de bataillon. Gallois et lui ont une petite algarade. Il s’en va de guerre lasse, houspillé par nous.

Dans la matinée, on parle encore d’un changement possible : Sénéchal, adjoint au colonel, de Lannurien, chef de bataillon.

Vers midi, je suis appelé par le capitaine pour un changement de cantonnement, le 1er bataillon ayant quitté le cantonnement pour les tranchées*.

Je passe donc mon après-midi à installer la compagnie vers l’autre extrémité du pays, direction La Harazée. CP-LaHArazee866_001L’ordonnance Vandewalle (?) et les cuisiniers prennent deux maisons abandonnées et trouvées dans le plus grand état de malpropreté. Petit à petit, le nettoyage se fait et le soir ces Messieurs sont installés.

J’ai fait mieux et réservé une maison pour mes amis sous-officiers qui y installent un semblant de popote.

Avant mon repas, je vais les voir. Ils sont déjà installés et occupés à se restaurer. Je vois Culine, adjudant, Lannoy, sergent major, Gibert, Cattelot, Maxime Moreau. Lannoy me dit que mon agent de liaison, Blanchet, va passer incessamment caporal.

L’adjudant Culine me dit de prendre un bon petit soldat que j’accepte aussitôt : Pignol.

Je rentre à la liaison. Nous sommes un peu en verve de gaieté ce soir. Jombart nous a préparé un riz au chocolat réussi. Nous chantons, restant à table assez tard. Carpentier ayant trouvé quelques nippes de femmes, s’en est affublé et nous avons beaucoup ri.

Nous sommes toute une famille. Gallois, Carpentier, Courquin, et moi, sergents fourriers, les caporaux fourriers Jombart et Legueil des 6e et 8e compagnies, les deux cyclistes, Crespel et Cailliez, que nous appelons « Mievile » (??) Gauthier, René, et les deux agents de liaison élèves caporaux de la 5e, Blanchet et de la 7e Frappé. C’est un véritable état-major pour le capitaine commandant.


 

20 novembre

Huvenois nous quitte aujourd’hui, remplacé par Courquin. Celui-ci ne fait pas l’affaire du capitaine Claire. Huvenois est destiné à recevoir les galons de sergent major ; le caporal fourrier Legneil reste.

Au petit jour, avec les cuisiniers, arrive le courageux de Juniac. Le capitaine Sénéchal le renvoie aussitôt.

Dans la journée, nous recevons plusieurs visites de la liaison ; on va se dire bonjour de gourbi à gourbi*. Le temps se maintient beau et le secteur est relativement calme.

Le vaguemestre* Renaudin m’apporte un mot de ma mère, lettre recommandée datée du 20 août. Cela me fait rire. Aussi je la renvoie chez moi. La lettre n’a mis que trois mois pour m’arriver. Heureusement qu’elle était recommandée.

 

14 novembre

Départ pour cote 211

Le temps s’est remis au beau. Nous pouvons donc sortir un peu car on étouffe à dix dans notre modeste pièce.

Les notes, comme à chaque repos, abondent. Nous passons notre journée à copier et à communiquer. J’ai une minute. Je vois mon cousin Louis. Il a reçu une carte de son frère Charles, prisonnier à Ohrdruf [1]. Nous nous réjouissons. Nous parlons des nôtres, des lettres reçues, échangeons nos impressions ; tout cela nous remonte et nous réconforte mutuellement.

J’apprends qu’une personne du village confectionne des bandes molletières* de velours. Aussitôt j’y suis. Carpentier m’accompagne. La commande est faite pour notre prochain retour.

Vers 1 heure, nous partons pour 24 heures à la cote 211. On y relève du 120e vers 3 heures. La 5e compagnie est en réserve au point D (voir topo Tome IV [ci-dessous]). TopoTIVJe prends avec moi Blanchet ; nous occupons un modeste gourbi* ; le caporal Menneval, futur fourrier* de la 6e compagnie, se joint à nous. L’adjudant De Juniac est resté à Florent, bien fatigué, sur l’ordre du capitaine commandant. Le titulaire, caporal fourrier Legueil, étant évacué, Gallois le remplace.

 


[1] Ohrdruf : Camp de prisonniers situé dans le Thuringe, en Allemagne.

Camp de prisonnier d Ohrdruf 9 janvier 1916 Camp de prisonnier d’Ohrdruf, 9 janvier 1916

CP-Lobbedey14-18Carte postale envoyée à Émile Lobbedey par son cousin Charles (frère de Louis) depuis le camp d’Ohrdruf.

C_G1_E_13_01_1381_0116_0C_G1_E_02_02_0215_0144Documents d’archives faisant référence à Charles LOBBEDEY, prisonnier de guerre au camp d’Ohrdruf (Allemagne).
Documents extraits de : Les archives historiques du CICR, http://grandeguerre.icrc.org/fr

 



 

14 octobre

Dans la journée, nous changeons de gourbi* et nous installons à côté, dans un gourbi plus grand, occupé par l’agent de liaison* en second de la 6e compagnie, caporal fourrier* Legueil. On passe sa journée à aménager l’intérieur et l’extérieur du gourbi, cela nous réchauffe. Nous coupons également des brindilles d’arbres très sèches afin de pouvoir faire du feu sans fumée le jour. De cette façon nous mangerons chaud.

Le temps se maintient sec. Ce qui commence à nous peser, c’est le manque de nécessaire de toilette. Je profite, l’après-midi, de ce que nous avons plusieurs bidons de thé pour me laver un peu dans un quart. Cela me rafraîchit un peu et me fait sourire. Quelle misère ! J’écris le fait chez moi.

Le soir, la 5e relève* la 7e. Nous suivons un boyau coupé par une tranchée en deux endroits. Il faudra faire attention la nuit. Puis il faut tourner à gauche et 200 mètres plus loin, on arrive. Jamais la nuit, je n’arriverai à communiquer. À mon retour, de toute façon, avec Garcia, mon second, nous tâchons de prendre des points de repères et de nous les rappeler.

Vers le soir, après l’installation de la compagnie, une longue fusillade crépite. Je vais rapidement dire de ne pas envoyer les cuisiniers [1]. Le capitaine me dit qu’il ne sait ce qu’il y a et rapidement, sous les balles, après m’être quasi égaré deux fois à l’aller et au retour, je rentre au gourbi. Vers 10 heures, nous recevons chacun l’ordre de nous rendre à nos compagnies respectives afin de dire que la fusillade calmée, on peut envoyer les ravitailleurs.

Il fait nuit noire : on n’y voit pas à deux pas. Je pars avec Garcia le tenant par la main. Malgré ma bonne volonté, je renonce à arriver. Je compte mes pas, mais tombe dans la première tranchée coupant le boyau. Pas de mal ! J’allume, risquant tout, des allumettes et trouve ainsi le chemin de gauche. Je rencontre la seconde tranchée et tombe de nouveau. Heureux suis-je malgré tout, car nous ne sommes pas encore égarés !

Tâtonnant, on continue. Et ne sachant plus où nous sommes, je prends le parti d’appeler.

Au bout d’un instant, un peu de lumière apparaît. Sauvés, nous y sommes ! Le capitaine maugrée* pour mes cris et comprend la difficulté qu’il peut y avoir à se guider en pleine nuit noire, dans un bois méconnu, à proximité de l’ennemi.

Il est presque minuit. J’ai mis plus d’une heure pour faire 300 mètres. Inutile de ce fait d’envoyer les cuisiniers. Le ravitaillement doit avoir quitté La Harazée et d’ailleurs, jamais il ne serait rentré pour le petit jour.

Plein de courage après une bonne pause, nous repartons Garcia et moi. La route est aussi longue et les tâtonnements aussi grands. Je n’évite pas une nouvelle chute, j’évite la seconde. Ma boite d’allumettes est épuisée mais nous arrivons.

Je suis fier de dire l’ordre transmis à mon chef. Celui-ci me félicite et déclare que les trois autres ont déclaré qu’il était impossible d’aller à leur compagnie. Il les a renvoyés. Quelle bonne nuit je passe !


[1] Parmi les cuisiniers du 147e régiment d’infanterie, Paul Leleu.
Originaire du Nord, il meurt le 15 octobre 1914 (fiche Mémoire des Hommes ci-dessous) au combat dans le Bois de la Gruerie (Marne).
En savoir plus : http://europeana1914-1918.eu/fr/contributions/10169#prettyPhoto

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Fiche MDH-archives_H030357R