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[1] marmites : Dans l’argot des combattants, désignation des projectiles allemands par les soldats français, en particulier des Minenwerfer sans doute en raison de leur forme et de leur poids.

8 décembre – Chapitre VII

Bois de la Gruerie : secteur Fontaine aux charmes – 7e séjour

Au petit jour, vers 6 heures, alors que nous commençons à nous assoupir, un peu séchés, le capitaine Sénéchal nous appelle. Il nous indique un endroit situé à 100 m de là et nous dit de venir le rejoindre là. Notre emplacement est réservé aux 5e et 6e compagnies qui placeront une section en réserve.

Nous nous armons donc de nos sacs et nos fusils que nous trouvons après quelques recherches et allons à l’endroit désigné où nous ne trouvons rien, aucun trou, aucun abri.

Jamais, à part notre arrivée dans le bois lors de la poursuite, cela ne nous était arrivé.

Quant au capitaine Sénéchal, il délibère avec le capitaine Claire et bientôt leurs ordonnances*, aidés de quelques hommes, démolissent la toiture d’un abri existant et se mettent à l’œuvre pour l’agrandir et le consolider.

Quant à nous, gens de décision, nous nous partageons le travail, assez nombreux pour faire quelque chose de potable. Des pelles et des pioches se trouvent dans un petit abri à munitions, de quoi loger un homme. Cailliez, Crespel, Gauthier se mettent à défricher et piocher avec ardeur, cela les réchauffera. René et quelques autres coupent des gros rondins aux arbres avoisinants. Quant à moi, aidé de Carpentier, j’ai pour mission de couper quantité de fougères afin d’en faire une litière au fond du gourbi* et d’en faire un toit au-dessus des rondins, afin de pouvoir recouvrir le tout de terre sans danger que celle-ci passe à travers les rondins pour retomber dans l’abri.

Ainsi dit, ainsi fait. Il ne pleut plus, grande chance. Tout le monde travaille d’arrache-pied, cela nous fait oublier les douches de la veille.

Nos agents de liaison* nous imitent et se construisent également un petit gourbi à côté du nôtre.

Au début, nous ne sommes pas trop rassurés car nous craignons un peu les marmites*. Bientôt, n’entendant aucune balle siffler et aucune explosion aux alentours, nous sommes quasi rassurés : secteur calme.

À midi, nous cassons la croûte, admirant notre travail. Nous sommes d’avis de faire quelque chose de très solide, de spacieux et de confortable. Le trou est presque terminé : il peut avoir 10 m sur 3 et 1 m 20 de profondeur. Une trentaine de gros rondins sont à pied d’œuvre et les fougères s’amoncellent.

Pourvu qu’il ne pleuve pas ! Nous nous remettons rapidement au travail et pouvons bientôt commencer le montage du toit. Grave affaire car il ne faut pas qu’il pleuve à l’intérieur, que la terre tombe dans le gourbi et que trop de terre fasse effondrer le tout.

f2.highresUn énorme foyer est également installé.

Quand le soir tombe, le travail de couverture est terminé. Nous laissons la porte au lendemain, une sorte de tente la remplacera pour ce soir.

On allume du feu tandis que Gauthier et René, suivis de Jombart, partent à La Harazée pour opérer notre ravitaillement.

Dans la journée, j’ai procuré à mon brave Pignol le poste de gardien des munitions. De ce fait il hérite du gourbi.

Quant à la 5e compagnie elle a ses sections installées dans les gourbis à 100 m devant nous avec des petits postes en avant.

Le capitaine a un gourbi qu’il partage avec le lieutenant Péquin qui commande la 7e qui est en liaison avec la 5e.

La 6e compagnie est dans des gourbis un peu en arrière, non loin de nous, en réserve et la 8e, ayant à sa tête le lieutenant Régnier, se trouve à droite de la 6e, en réserve également. L’ennemi est à 800 m sur la crête, en face de la nôtre.

Fne-aux-charmesNous sommes donc quasi installés. Il restera à compléter l’œuvre demain. Heureux, côte à côte, nous nous étendons voulant rattraper la nuit blanche de la veille.

 

12 novembre

Relève des tranchées

Au petit jour, je trouve le capitaine endormi. C’est dire que tout s’est calmé.

Lannoy ne m’apprend rien de particulier. Mon opinion est que le simulacre d’attaque de l’ennemi et le déluge de bombes proviennent des invectives du capitaine.

Jombart, le caporal fourrier* de la 8e, revient avec nos cuisiniers. Il nous parle de relève* pour le soir. Les voitures de ravitaillement croient ne pas venir ce soir à La Harazée. On reste sceptique cependant. Le temps est à la pluie aujourd’hui ; mauvais temps donc.

Vers midi, nous apprenons la relève pour le soir. Cette nouvelle est accueillie chaque fois avec satisfaction. Nous allons de plus à Florent. Tout ceci nous mit la joie au visage.

Vers 2 heures, on amène de la compagnie un malheureux caporal qui a la main droite enlevée par l’éclatement d’une bombe. Le bras est solidement lié par une courroie afin d’empêcher la trop grande perte de sang. Les brancardiers enlèvent le blessé, tandis que celui-ci geint lamentablement.

Transport d'un blessé (Artois)Vers 5 heures, sous la pluie qui tombe à flots, nous partons, De Juniac, l’adjudant de bataillon, en tête, toujours armée de son bâton et de sa lanterne, les quatre fourriers Huvenois, Carpentier, Gallois sergent major faisant fonction et moi, et le clairon cuisinier Gauthier. Nous partons sur Florent afin de préparer le cantonnement. Au bout de 600 mètres, la pluie cesse de tomber. Cela nous plaît. N’empêche que cela a suffi à nous mouiller plus qu’au gré de nos désirs. Nous filons donc à travers bois, passons la clairière connue, le poste du colonel et après quelques chutes toujours accompagnées de rires, arrivons dans La Harazée alors que la nuit tombe.

Nous y rencontrons pas mal de cuisiniers, particulièrement cuisiniers d’officiers, qui a notre vue, devinent, bouclent leurs sacs et, armés de leurs marmites, nous font une digne escorte.

On traverse la Placardelle après un léger pas de course au haut de la côte de La Harazée. C’est un coin dangereux, fréquenté des marmites [1].

Après une longue pause où on commence à respirer librement, le danger immédiat est passé, nous partons cahin-caha vers Florent.

Cote 211. Parc d’artillerie. Nous approchons. Nous sommes trempés, car la pluie tombe sans discontinuer depuis la Placardelle, petite pluie fine agaçante au possible. Nous sommes presque arrivés à Florent quand nous rencontrons les troupes de relève. Il peut être 8 heures du soir.

De ce fait, nous ne sommes pas près de voir le régiment de sitôt.

Nous faisons donc une entrée épique dans Florent, suivis d’une colonne de cuisiniers tous armés de marmites, plats, seaux et bidons.Gallica-Cantont-Cuis

Une pause sur la place de Florent permet à De Juniac de se rendre à la mairie. Il revient bientôt, ayant eu désignation de son coin.

La fontaine sur la grande place - 1915.11 ©Ministère de la Culture, France

La fontaine sur la grande place – 1915.11 ©Ministère de la Culture, France

Il est 9 heures. La pluie continue. Nous prenons le parti de nous coucher dans une grange en attendant le petit jour, car le régiment n’arrivera certainement pas avant 6 heures du matin. Au-dehors, la pluie et le vent font rage. Quel triste temps !

Malgré nos effets et nos couvertures mouillés, nous dormons à poings fermés.



[1] marmites : Dans l’argot des combattants, désignation des projectiles allemands par les soldats français, en particulier des Minenwerfer sans doute en raison de leur forme et de leur poids.