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15 février

Visite au village de Sommeilles

À 5 heures, je suis réveillé par nos cuisiniers qui allument le feu. Licour me demande s’il marche ; je lui dis que oui et il bougonne. Bientôt le plus grand remue-ménage existe dans la maison. Chacun se prépare hâtivement pour le rassemblement. Nous avalons le chocolat, prenons un bout de pain et une boîte de pâté dans notre musette, du vin dans les bidons et en route.

Je rejoins la liaison du bataillon et nous voici bientôt au point de rassemblement.

Les compagnies et le capitaine Sénéchal ne tardent pas à arriver. Il est 6 heures 30. Après une pause d’un quart d’heure, nous partons.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous filons dans la direction de Belval, où nous nous arrêtons dix minutes, puis nous enfonçons dans la forêt de Belnone. Après avoir fait une marche fatigante dans des layons à travers bois, nous tombons sur une grand-route. Nous nous arrêtons. Le capitaine Sénéchal fait colloque avec les commandants de compagnie. Je vois aussi de près le capitaine de la 7e, Crouzette, récemment arrivé, tandis que le sous-lieutenant Carrière était remplacé par le sous-lieutenant Blachon et repartait au 3e bataillon. J’entends la manœuvre. Il faut se placer à la lisière du bois. Puis à une heure donnée par le chef de bataillon qui a eu l’heure du colonel, 9h45, les compagnies sortiront simultanément du bois, en ligne de section par quatre. Devant nous à cet instant se trouvera une petite crête, derrière cette crête le village de Sommeilles. L’objectif est la prise du village.

L’heure donnée au régiment est 9h45. À 7 heures les douze compagnies échelonnées dans le bois à la lisière sortiront.

Aussitôt les compagnies prennent leurs positions, les sections à 25 m, les compagnies à 100 m, l’une de l’autre. Quant au chef de bataillon et à la liaison qui le suit, nous partons par la route à la lisière du bois. J’ai entendu la manœuvre qui n’est autre que celle des Allemands quand ils prirent Sommeilles au petit jour lors de la retraite française qui précéda la Marne. Cela m’intéresse.

À 9h45, la manœuvre commence. Elle réussit pleinement. À plusieurs reprises je vais porter des ordres au sous-lieutenant Alinat qui a pris le commandement de la compagnie, le capitaine Aubrun supposé blessé.

Au haut de la cote se trouve le lieutenant-colonel Desplats avec son état-major. Il regarde la manœuvre. Soudain le clairon sonne la fin et chaque compagnie revient sur la route. Nous faisons la pause à l’entrée du village, le bataillon termine de se placer en colonnes par quatre.

Puis les officiers se rendent près du colonel pour la critique. Je vois le village. Il n’est plus que ruines et ressemble tout à fait à Favresse, Pagny-sur-Saulx et autres pays que nous traversâmes lors de la poursuite.

La pause est terminée et musique en tête nous entrons dans le village. Sur la place où tout est décombres jusqu’à l’église et la mairie, chaque bataillon se forme en colonne double. J’aperçois un de mes amis le sergent Delor récemment promu sous-lieutenant.

Quelques habitants, une vingtaine sont là et nous regardent. Le colonel s’amène à cheval et se place au milieu du régiment formé en triangle face à la mairie. Pendant ce temps on nous distribue des prospectus polycopiés avec l’histoire des heures mortelles vécues par le village qui fut incendié par l’ennemi, dont les habitants furent odieusement maltraités et cela parce que les troupes françaises en se repliant avaient livré combat à la lisière du bois de Belnone. Puis le drapeau se place sur le perron de la mairie qui est resté. Le silence règne profond. Le colonel fait placer les habitants du pays au pied du perron sous le drapeau.

« Présentez vos armes ! Au drapeau ! »

Nous présentons les armes. Les clairons sonnent aux champs. Le colonel tire son épée, puis s’adressant aux habitants il les félicite d’être revenus dans leur terroir dévasté mais qu’ils soient sûrs que nous les vengerons ; « quant à vous » nous dit-il, en se tournant vers nous, « vous vous souviendrez de Sommeilles à l’heure du combat ».

Puis notre chef serre la main des paysans. Musique en tête, nous partons. Cette cérémonie si simple, mais si émouvante me restera longtemps gravée dans la mémoire.

Nous reprenons la route de Charmontois. À Belval, nous passons musique en tête et musique en tête nous rentrons à Charmontois. Il est 2 heures de l’après-midi.

Je rentre au bureau après avoir quitté la liaison. Je trouve le capitaine Aubrun qui donne repos complet.

Je passe donc l’après-midi assis à me reposer. Mes amis en font autant et on casse la croûte en attendant le repas du soir.

La soirée se passe à se décrotter et se remettre de la marche qui était assez jolie comme longueur. J’écris chez moi envoyant l’odyssée de Sommeilles que je désire garder en souvenir. À 8 heures après un repas qui nous a restaurés, car nous avions grand faim, nous recevons la visite de Mascart.

Celui-ci nous annonce qu’il y a une nouvelle marche demain et qu’il en sera ainsi durant cinq jours. Une telle nouvelle ressemble pour nous à une douche d’eau froide. Comment encore ?

En effet. Demain à midi départ du bataillon. Rassemblement du régiment au sud du village de Le Chemin. Manœuvre. Marche dans le feu de l’artillerie, puis de l’infanterie, assaut du village.

Rogery part voir le capitaine Aubrun et revient avec des ordres précis. Rassemblement à 11h30, départ pour le point de rassemblement du bataillon 11h45. Tout le monde marche même [les] cuisiniers excepté le sergent major. Lannoy est heureux. Repos demain matin. Tout cela nous incite à nous coucher et à réfléchir. Ces marches sentent le départ prochain. Malgré tout cette pensée nous rend mélancolique.

13 février

Journée assez calme. Exercice le matin pour la compagnie tandis que nous travaillons au bureau. Au rapport de 10 heures, le capitaine annule l’exercice de l’après-midi et prescrit : revue d’armes et de cantonnement à 3 heures par les chefs de section. Repos demain, dimanche.

Nous passons un bon après-midi. Nos amis, à 3 heures 30, partent à Charmontois-le-Roi. Les veinards ont fini leur travail pendant que nous mettons encore du noir sur le papier.

Vers 4 heures, Mascart vient en coup de vent nous apporter une feuille de papier blanc à signer par nous, le bureau, et les quatre chefs de section. Au bataillon, les quatre agents de liaison* de compagnie font un exercice afin de savoir combien cela demanderait de temps pour prévenir toute une compagnie.

Lannoy signe. Mascart lui demande où sont les quatre chefs de section.

Plutôt que le renseigner, Lannoy ne veut rien lui indiquer. C’était pourtant facile de dire que Culine et Gibert étaient chez La Plotte. Mais je me tais.

Mascart fait signer son papier aux sous-lieutenants de la compagnie qui sont chez eux, revient nous voir et est mis à la porte par l’irascible Lannoy.

Je discute alors avec ces derniers, disant que non seulement, il nuit à l’agent du bataillon mais aussi à nos amis qui vont se faire réprimander par le capitaine pour être en dehors du cantonnement avant 5 heures ; Mascart ne les trouvera certes pas à l’endroit, leur section ou le bureau, où ils doivent être.

Mais péremptoirement, Lannoy me répond : « Ils n’ont qu’à être là ! »

Manque de camaraderie que je n’approuve pas.

Nous nous rendons à 5 heures 30 chez La Plotte où nous ne voyons pas notre bande qui sans doute, se trouve dans la ferme Culine.

Nous rentrons à 7 heures. Lannoy raconte l’affaire Mascart à table et demande si Culine et Gibert ont vu quelqu’un. Du coup Culine lui déclare qu’il aurait dû signer pour lui et le traite de tous les noms. Un grand froid se produit jusqu’au coucher. Nul doute que Mascart aura rendu compte et que demain, le capitaine Aubrun demandera des explications à Culine et Gibert. Aussi ces derniers, surtout Culine, fulminent-t-ils et des mots aigres-doux sont prononcés.

12 février

Je me lève tard et notre bande en fait autant. Nous prenons le chocolat vers 8 heures.

Levers nous le sert en riant et nous raconte une bonne blague. Il brûle les fagots de bois de la mère Azéline en lui faisant accroire que c’est du bois acheté aux voisins. La brave femme répète qu’elle n’a pas de bois et qu’elle le donnerait de bon cœur. Heureusement que ce filou de Levers a trouvé dans un coin du grenier un tas de fagots. Il va donc en prendre un chaque soir et l’amène tranquillement dans la matinée en disant l’avoir acheté tantôt ici, tantôt là et pour un prix vraiment exorbitant (je te crois, Benoît). Nous rions beaucoup nous-mêmes.

Dehors le temps semble s’être remis au beau mais les routes sont boueuses et glissantes.

Lannoy fait sa situation de prise d’armes. Licour marchera et cédera sa place d’embusqué pour aujourd’hui à Delacensellerie.

Nous mangeons plus tôt, vers 10 heures 30. Tout est prêt, nos sacs sont montés : il n’y a plus qu’à partir.

Je rejoins donc la liaison dans son logis vers 11 heures 30 je trouve Gallois qui s’est acheté un képi d’adjudant et une cantine ; Sauvage, Legueil, Jombart sergents fourriers* des 7e 6e et 8e, Verlaine et Paradis, caporaux fourriers 5e et 8e, René, agent de liaison* de la section de mitrailleuses qui bientôt, dit-on, formera une compagnie, Gauthier qui fait toujours popote* mais doit être aidé des deux cyclistes Cailliez et Crespel car il est clairon avant tout et souvent de garde ou à la musique, Gilson secrétaire du commandant, le dessinateur soldat de la 8e, Brillant et Mascart, mes agents de liaison ainsi que Garnier, celui de la 8e et Frappé de la 7e. Cela fait en tout avec moi dix-sept membres. Quel équipage !

Sous les ordres de Gallois, nous partons sur la route de Sénard en passant devant le bureau du colonel. À 300 m à la sortie du village, c’est le point de rassemblement du bataillon.

Le capitaine Sénéchal à cheval, suivi du maréchal des logis Jacques, ne tarde pas à arriver. Les compagnies arrivent à leur tour et à midi, nous partons dans la direction de Le Chemin. Le temps est assez bon. Successivement, nous passons à Le Chemin, puis à Sénard où est cantonné le 1er bataillon, lui-même en marche. Nous continuons ensuite sur Triaucourt. Avant d’entrer dans le village, nous faisons une pause où le capitaine Sénéchal nous annonce que le lieutenant Péquin est hors de danger.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

De Triaucourt, nous reprenons la route de Charmontois où nous nous disloquons à 4 heures.

Je suis réellement fatigué par la marche : je n’ai plus d’entraînement. Je reste donc au coin du feu. Le capitaine arrive et signe les pièces : demain exercice comme à l’habitude.

Je suis à peine installé près du feu qu’une note arrive, disant qu’un renfort se trouve non loin du bureau du colonel et que les fourriers doivent aller chercher leur lot. Force m’est donc d’y courir. Arrivé près du bureau du colonel, je vois le sous-lieutenant Monchy rétabli qui vient de nous rejoindre. Il va saluer le colonel. Je fais 200 m sur la route et dans une pâture à gauche, trouve une troupe qu’on est occupé à fractionner. Je vois quelques anciennes connaissances ; ce sont tous d’anciens blessés. Je prends possession de mon lot, dans lequel je trouve Berquet, celui que j’ai sauvé à Beaumont le 28 août – le brave garçon me le rappelle aussitôt – ainsi que Prunier, une mauvaise tête, brave au feu. Ce Prunier est attendu du capitaine à qui il écrit souvent. Mauvaise tête s’il en est, je doute fort que la lune de miel soit longue entre eux. Ex-blessé de l’Argonne, brave si on veut, mais hâbleur et frotte-manches.

J’arrive au bureau avec la quinzaine d’hommes qui m’est dévolue et Lannoy en fait la répartition par section. À 7 heures, nous nous mettons à table. Tout le monde est fatigué et nous ne tardons pas à nous coucher.

11 février

J’ai passé une bonne nuit et ressens à peine mon bras. Repos ce matin pour la compagnie. J’en profite pour achever la distribution des képis et passe ma matinée au magasin. Je me retrouve à table tout à fait rétabli. Le repas se passe comme à l’ordinaire avec saillies, taquineries. Lannoy nous raconte qu’il fut pris à partie par le capitaine au sujet de notre popote*. Pourquoi tous les sous-officiers n’y assistaient pas ? Lannoy s’en tire bien en disant simplement la vérité : manque d’entente, manque de place, manque de ressources de la part de certains. Le capitaine n’a plus soufflé mot.

À 13 heures, la place est vidée. Nos amis s’en vont à l’exercice. Une heure après, nous recevons la visite de Mascart. Demain marche militaire du bataillon, 15 km. Départ à midi.

À la rentrée de l’exercice, le capitaine vient nous voir pour signer les pièces quotidiennes que d’ailleurs Lannoy a le privilège de signer en son absence car il imite la signature à la perfection. Nous lui montrons l’ordre pour demain. Donc rassemblement à 11 heures 45, cuisiniers, caporal d’ordinaire et sergent-major, tout le monde marche. Quant à moi, je marche avec la liaison du bataillon.

Demain matin, repos pour les hommes, préparation à la marche.

Il est 4 heures 30. Nous bouclons les cahiers et laissant Jamesse à la garde du logis, nous filons voir le débit La Plotte que je n’ai vu hier et avant-hier.

Nous sommes les premiers arrivés et nos amis nous rejoignent bientôt et nous passons deux heures agréables.

Nous rentrons vers 7 heures en bande. Lannoy passe à l’épicerie pour acheter différentes choses pour Licour qui fait le tailleur pour la compagnie.

Nous nous mettons gaiement à table. Culine ayant rencontré les sergents du génie, son camarade, l’amène et il mange avec nous à la fortune du pot.

Au dehors il pleut. Le mauvais temps se mettrait-il de la partie ? La soirée, vu notre invité, se prolonge un peu. Nous nous couchons à 10 heures.

10 mars

Chapitre IV

Mesnil-les-Hurlus 2e ligne


En 2e ligne.

Je dors de sommeil du juste et ce n’est que vers midi que je consens à me réveiller. Ma montre marque midi et mes deux compagnons sont absents. Mon trou est modeste, ce n’est qu’une vulgaire grotte sous le parapet peut-être un peu plus profonde que les autres.

1389297851Je sors aussitôt et vais inspecter mes alentours. Je trouve le poste du colonel et vois le capitaine Claire qui me demande où je suis installé. Je le renseigne ; à 25 m d’ici. Mes agents de liaison sont avec les cyclistes du colonel et Mascart. Cela fait trois agents pour le bataillon et moi. C’est suffisant.

Je rentre à mon gourbi pour casser la croûte. Je vais voir ensuite le poste du commandant Triol. Après quelques tâtonnements, je le trouve à 300 m d’ici. Je vois qui se plaint amèrement de la nuit passée par le commandant dans un boyau. Ne trouvant aucun abri, le commandant philosophe s’était étendu dans la première grotte trouvée en attendant le petit jour. Je vois la liaison occupée à consolider des morceaux d’abris ainsi que celui choisi par le commandant qui se trouve à la 5e pour le repas. Erhvein me dit que nous sommes en seconde ligne est que la première est à 600 m, occupé par le 174e d’infanterie. Il a eu ses tuyaux du commandant.

Je rentre à mon poste et pas l’après-midi avec Pêcheur, le sergent secrétaire, l’adjudant promu [ ?] et quelques sapeurs.

Le soir venu je réintègre mon abri et n’ayant aucun service à assurer en profite pour dormir.

Le temps est assez beau. Quant aux obus, ils sont d’un rare…

Décidément Mesnil-les-Hurlus a encore de bons coins.

 

9 février

La journée est comme les autres. Exercice le matin, travail de bureau pour moi, rapport à 10 heures.

Au repas de 11 heures, je rassemble des demandes de chefs de section au sujet des képis. J’invite donc les hommes à se rendre ici, selon l’habitude, afin que Lannoy signe le papier les autorisant à demander un képi au magasin. Mes amis se chargent de le faire savoir à leurs poilus.

kepi143Les képis à présent sont bleus. Je tiens à mon képi rouge et ne veux le changer. On taquine Culine qui n’a pas encore de képi d’adjudant, pas plus qu’il n’a voulu de capote neuve : il nous répond qu’il a l’âme du poilu* et qu’il veut en garder la carcasse.

C’est d’ailleurs ce que, dernièrement, il répondit au capitaine.

À la fin du repas, Brillant nous apporte quelques notes, en particulier celles-ci : 1o établir des propositions pour citations ; ceci ne nous intéresse que médiocrement, mais c’est l’occasion d’une sortie pour Culine qui déclare que le capitaine ne propose jamais personne. C’est un peu vrai. 2o la compagnie, pour la troisième fois, passera à 14 heures cet après-midi à la piqûre anti-typhoïdique* ; c’est encore l’occasion d’une sortie de la part des Culine qui déclare que les docteurs nous empoisonnent. Décidément il est de mauvaise humeur aujourd’hui.

Rogery part communiquer le tout au capitaine. Bientôt nous recevons réponse : pas d’exercice cet après-midi. Pour les citations, le capitaine s’en charge. Bon !

Nous quittons la table. Pour ne pas avoir d’ennuis, je fais rassembler la compagnie aussitôt, en envoyant Rogery crier partout rassemblement des sections. Je puis donc en toute tranquillité procéder à l’appel grâce à mon contrôle nominatif, faire venir les cuisiniers et à 13 heures 30 avoir mon monde au complet. Après avoir averti mes poilus que toute absence vaudra huit jours de prison, je les conduis à l’infirmerie située près du bureau du colonel.

Je passe deux heures dans l’atmosphère surchauffée de la salle. J’inscris chaque nom et arrive ainsi à avoir fait passer tout le monde. Pour récompense, je suis piqué, mais j’ai la satisfaction de voir piquer Gibert et Cattelot qui me paient ainsi leurs petites chines de ces jours derniers au sujet de mon bras. Je les verrai eux aussi demain.

Je rentre au bureau en disant à Lannoy qu’il a de la chance de passer chaque fois au travers. Naturellement il me remercie, c’est bien le moins qu’il puisse faire.

Il est 4 heures ; nous recevons la visite du capitaine qui vient nous demander s’il n’y a rien de nouveau. Il s’est chargé des citations. Nous ne savons donc pas qui est proposé. Mystère ? Le capitaine s’en va. Il parle du cochon avant de partir et demande si les hommes ont été contents, s’il était bon ? Naturellement nous répondons par l’affirmative. Nous rions quand il est parti ; le cochon, nous n’y pensions plus ! On fait venir Delbarre qui nous raconte qu’il fut tué ce matin et [qu’il] nous a fait donner nos parts à nos cuisiniers. On lui réclame des saucisses et du boudin qu’il nous promet.

Mon bras me fait bien mal. Je me mets, fiévreux, au coin du feu et ne bouge plus. Je ne sors pas ce soir. Réellement, le vaccin me fait de l’effet.

Nous nous mettons à table à 7 heures quand Mascart s’amène, disant que demain il y a tir à Passavant pour le 2e bataillon. Rassemblement à Le Chemin avec les autres bataillons pour la remise de décorations aux commandant Vasson et capitaines de Lannurien et Sénéchal.

Départ 8 heures. Rentrée dans l’après-midi. Repas sur le terrain.

Aussitôt Rogery part communiquer la note au capitaine. J’adresse une demande d’exemption. Je me fais porter malade à cause de ma vaccination d’aujourd’hui. Il revient une heure après à la fin du repas.

Rassemblement de la compagnie à 7 heures 45. Départ 8 heures. Tenue de campagne complète. Les cuisiniers emporteront de quoi faire du café et popote*. Tout le monde présent sans exception.

Mon exemption est accordée, c’est ce que je vois de plus clair. Mon bras d’ailleurs me fait bien mal.

Nous nous couchons à 9 heures. Je constate que Gibert et Cattelot ne sont pas brillants et ne remuent pas le bras piqué sans raison. Je ne dis rien mais cela me fait sourire.

Je ne sais fermer l’œil car j’ai une fièvre de cheval. Lannoy, avant d’aller se coucher, fait sa situation de prise d’armes. Il laisse Licour à ma disposition. Mais toute la compagnie marchera puisqu’il doit marcher lui-même, ce qui n’a pas l’air de l’enchanter outre mesure.

7 février

Je me réveille à 6 heures 30. Personne ne bouge. J’appelle Rogery et lui dis d’aller réveiller tout le monde. Il ne faut oublier qu’à 7 heures, il y a exercice.

Bientôt, un à un chacun s’amène. Quelles têtes ! Seigneur ! Culine a soif, soif. Il boit un litre d’eau.

Nos cuisiniers ont oublié l’heure eux aussi. Aussi mes amis partent-ils sans chocolat. Gibert réclame à boire. Il n’y a plus que de l’eau dans la maison ; la cave a été vidée hier soir (!!!).

Enfin, nous sommes pardonnables. Nous venons de faire cinq mois de guerre complets, et nous avons l’expectative de reprendre le harnais bientôt.

Les camarades ne tardent pas à revenir heureux. C’est dimanche aujourd’hui ; pas d’exercice. Personne ne le savait… Nous pouvons donc prendre le chocolat en toute tranquillité.

On s’astique donc, afin de se préparer pour la messe de 10 heures. Culine va se recoucher et Jamesse reprend lui aussi le somme interrompu.

À 10 heures, je vais à l’église avec toute la bande, excepté Culine qui dort toujours. Nous assistons à l’office dit par notre aumônier qui prononce un sermon. Un peu de musique se fait entendre. Beaucoup de monde assiste à l’office, l’église est remplie.

Après la messe, nous nous rendons prendre l’apéritif chez le maréchal-ferrant. On y rencontre des tas d’amis, entre autres Charbonneau, le sergent-major de la compagnie hors rang [C.H.R.*], qui doit être un pilier du café.

De retour chez la mère Azéline, nous trouvons Culine qui est redevenu lui-même. Rogery nous annonce que le sous-lieutenant Alinat est venu voir s’il n’y avait rien de nouveau. Le capitaine Aubrun est parti avec des amis passer la journée à Sainte-Menehould.

Nous nous mettons à table et mangeons gaiement en nous remémorant la bonne soirée de la veille. Pendant le repas, Mascart nous apporte quelques notes. On lit un ordre du jour du lieutenant-colonel Desplats à la mémoire d’un sous-lieutenant du 147e tombé au champ d’honneur, le sous-lieutenant Ardant du Masjambost de Limoges [1], tombé dans le bois de la Gruerie le 15 octobre 1914 ; un officier allemand, l’adversaire de notre camarade, Otto Brauer, a écrit au père, Monsieur de Masjambost, pour lui dire qu’il a recueilli le dernier soupir de son fils et qu’il peut être fier de son enfant car il a forcé l’admiration de ses ennemis eux-mêmes ; l’officier allemand ne peut s’empêcher de rendre hommage à temps de bravoure. Le colonel fait ensuite un dithyrambe*, nous disant d’être digne de nos aînés. Nous haussons les épaules. Notre écusson n’est-il pas garant de notre courage ? Et notre passé ne répond-il pas pour l’avenir ?

Nous quittons la table et nous rendons à Charmontois-le-Roi dans la famille Adam. Nous arrivons au milieu du café de nos camarades du génie qui aussitôt nous convient et nous prenons le café avec eux. Vers 4 heures, nous quittons pour nous rendre chez les amis de l’adjudant Culine où nous passons toute la soirée à vider quelques bonnes bouteilles de bière venues de Sainte-Menehould et à jouer aux cartes.324_001

Il est 7 heures quand nous rentrons à la popote. On parle à table de laisser de nouvelles invitations et il est décidé que demain ou après-demain nous convierons à notre festin Verley et Toulouse, secrétaires de l’officier payeur.

La soirée se passe gentiment ; mais à 9 heures, tout le monde est couché.


[1] Ardant du Masjambost : voir ci-après la fiche Mémoire des Hommes

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