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31 janvier

Nous sommes réveillés à 5 heures et obligés de nous lever, car les hommes du génie ne vont pas tarder à se lever et il ne faut pas que nous soyons vus. On s’habille donc rapidement et enfila travers champs par le même chemin que la veille.

La chambre de la mère Azéline donne dans la nôtre. La maison se compose de 3 pièces, une cuisine de campagne, une grande salle que nous occupons avec une fenêtre donnant sur la rue, pavée de carreaux rouges, avec une immense table, quelques chaises, une grande armoire garde-robe, et deux commodes ; la 3e pièce de même style que la place que nous occupons est un peu plus petite, c’est la chambre de la patronne ; cette pièce donne dans la nôtre. Sur le pas de la porte se trouvent deux couvercles en bois bouchant la cave de la maison.

Nous examinons tout cela aussitôt arrivés, tandis que la brave vieille est déjà au coin du feu et que Delacensellerie nous sert le chocolat.

Licour nous astique, tandis que nos amis font irruption et se débarbouillent dans la cuisine. On boit le chocolat dont la maison a sa part et chacun s’en va où ses occupations l’appellent.

Nous faisons notre travail de bureau. Licour procède à une dernière installation. Il est si bien avec la maman qu’il obtient de s’installer dans sa chambre à coucher.

Le résultat obtenu est merveilleux. La place est tombée entièrement entre nos mains.

Vers 7h30 nous recevons la visite du capitaine Aubrun en tenue qui est satisfait de nous voir installés et déclare n’avoir eu aucune difficulté de la part du génie pour garder son logis. Nous irons donc lui communiquer les ordres à Charmontois-le-Roi.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Pour aujourd’hui aménagement complet des granges dans le style des granges de Charmontois-le-Roi. Pas d’exercice. Demain matin, revues des armes, de la tenue et du cantonnement par le capitaine à 9 heures.

Nos amis reviennent après son départ. On leur communique les ordres de notre commandant de compagnie.

Il est 10 heures. Nous mangerons à midi, et invitons nos cuisiniers à nous faire un repas royal. Nous partons en bande à la messe. À l’Évangile notre aumônier divisionnaire fait un beau sermon. La foule remplit l’église trop petite. Pendant l’office Girard un de mes amis joue un morceau de violon ; le violon de Madame La Plotte.

Après l’office, nous apprenons fortuitement que les officiers du bataillon sont partis en automobile passer la journée à Bar-le-Duc. Lannoy en effet est interpellé par le sous-lieutenant Alinat qui lui dit qu’il remplace le capitaine. Lannoy nous annonce aussitôt la nouvelle.

Nous nous rendons au café de Charmontois-l’Abbé, tenu par un maréchal-ferrant. Culine connaît le coin et la façon d’y entrer par le derrière des habitations. Il est collé et quoique les cafés soient consignés nous entrons dans les cuisines et trinquons avec quelques amis, tels que Charbonneau, le sergent major de la compagnie hors rang [C.H.R.*], le chef armurier etc….

Nous filons ensuite chez La Plotte où nous sommes reçus en libérateurs. Les gendarmes s’ennuyaient. On paie tournées sur tournées. Nous sommes invités à revenir l’après-midi : de grands cœurs nous acceptons.

Nous rentrons gaiement et rencontrons en route le colonel Desplats que nous saluons et qui nous dévisage d’un air féroce. Diable ! Que manigance-il encore celui-là !

Nous faisons un dîner pantagruélique arrosé d’un vin blanc que Levers s’en fut chercher chez le maréchal-ferrant. Au milieu du repas la mère Azéline s’en va au coin de son feu, elle préfère manger là, car nous sommes trop jeunes pour ces les oreilles.

Nous recevons la visite de Mascart. On lit les notes. Demain vaccination anti typhoïdique* pour la seconde fois : sur les livrets individuels il faut marquer la vaccination de chaque individu. Examen délivré après demain par le major Mialaret. Demain à 8 heures, nouveau lot de capotes, vestes, tuniques, pantalons, chemises. Ceci très bien. Je me promets déjà de changer ma vieille capote, et de me procurer une tunique. Autre note : nous toucherons des pantalons bleus à passer au-dessus de nos pantalons, afin que la tenue soit uniforme dans le régiment. Bien. Rompez !

Vers 3 heures nous filons dire bonjour aux Adam. Nous y trouvons nos amis hier soir : les sergents du génie. On parle, on jase. Le génie nous régale. On accepte joyeusement dans les cuisines Culine voit les jeunes filles et déclare que nous ne prendrons plus la chambre pour ne pas froisser le génie. Ainsi dit ainsi fait. Les braves gens sont désolés que nous nous logions plus chez eux. Nous filons dans le coin Culine. Au loin nous entendons la musique qui doit jouer devant la demeure du colonel. Lannoy nous dit qu’à partir d’aujourd’hui elle jouera chaque après-midi.

Nous décidons d’aller chez La Plotte ce soir. Plus d’un d’entre nous et gai outre mesure. Nous faisons une partie de cartes chez le fermier de Charmontois-le-Roi qui nous reçoit toujours si bien. On sabre quelques bouteilles et nous quittons gaiement.

Chez La Plotte, nous trouvons un vieux sergent colonial de nos amis, que nous surnommons « Bibi », l’adjudant Vannier et quelques amis de la 8e dont ils font tous partie. Bibi il nous raconte son odyssée : il fait baptiser. Nous ignorions cela complètement. Oui, il s’est fait baptiser dimanche dernier. Jamais il n’avait été baptisé et ne connaissait un mot de religion. Il alla trouver le curé qui lui apprit les choses essentielles, avertit l’aumônier de la division et dimanche dernier dans la plus stricte intimité il baptisa le catéchumène qui communia ensuite.

L’adjudant Vannier, son grand ami, qu’il avait conseillé en bons camarades fut parrain la sœur du curé marraine.

Notre camarade Bibi se déclare très heureux. Ce matin encore il a communié et s’attend à être confirmé : mais ici pas d’évêque ; il faut donc remettre la cérémonie a plus tard.

Le plus rigolo, et que, le soir du baptême la bande « Bibi » un peu gaie faisait du chahut après l’extinction des feux. Oh ! Stupeur ! Le colonel Desplats tomba en plein milieu de la réunion, distribua 8 jours de prison à chaque membre et promis à Vannier de le casser de son grade.

« Vannier, vous le parrain, vous devriez avoir honte de donner le mauvais exemple à votre filleul ! Quant à toi le baptisé disparais vivement d’ici et va te coucher ; je ne veux pas te punir le soir de ton baptême ». Cela doit être raconté par Bibi pour avoir tout le sel voulu. Notre ami de ce jour se déclare « copain avec le colon ».

Le plus amusant de l’histoire c’est qu’il dit avoir « chopé le filou ». Il couche chez sa marraine et mange à sa table.

« Dommage » fait-il « qu’on ne peut se faire baptiser plusieurs fois, sinon je me ferais rebaptiser à la prochaine occasion ».

Bibi est-il sincère ? Est-ce du bluff ? Toujours est-il qu’il nous paie une tournée et nous fait bien rire.

6h30 zone, c’est lors de rentrer chez maman Azéline. Nous y trouvons nos cuisiniers qui se sont mis en frais pour nous faire un succulent repas. C’est dimanche, nous sablons le champagne afin de fêter notre nouvelle installation et c’est gaiement que nous nous quittons pour dormir. La nuit sera certainement exquise..

19 décembre

Relève des tranchées

Dans la matinée, nous accompagnons le capitaine Sénéchal dans la visite du secteur. Comme il commence par ma compagnie, j’ai le grand avantage d’être libre aussitôt.

Je rentre donc, passant par le cimetière qui se trouve près du parc du château et constate que les lignées s’accumulent.

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Topo La Harazée – Tome I – Plan dessiné par Émile Lobbedey

Pauvres héros qui dorment là leur dernier sommeil, parmi lesquels bon nombre des nôtres et en particulier le cher lieutenant Lambert, sur la tombe duquel une couronne du 147e, mélancolique puis-je dire, a l’air de vous demander une prière pour le brave, victime du devoir. Je quitte rapidement car c’est bien triste.

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Le capitaine Sénéchal rentre vers 11 heures. La popote* est prête, chacun est rentré, nous cassons la croûte.

Au milieu du repas une note arrive. C’est le retour à Florent pour l’après-midi même. Notre joie est grande et cela se comprend car depuis quelque temps c’est le repos avec des alternatives de position de seconde ligne.

Vers 3 heures, je quitte ; de nouveau Gallois reste avec le capitaine commandant ; je ne dis rien : au moins ma compagnie en profitera et sera la mieux logée.

Sans encombre, vers 5 heures, j’arrive à Florent avec les fourriers des 6e ,7e et 8e compagnies, Menneval, Sauvage et Carpentier. Jombart et Gauthier sont de la bande.

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Topo Florent – Tome IV – Plan dessiné par Émile Lobbedey

Je vais au bureau de la place ; on me donne le même secteur. Grande est ma satisfaction ; le cantonnement de ce fait est fait de lui-même. C’est la rue A (voir topo Florent Tome IV).Je m’installe donc dans notre ancienne demeure et Gauthier s’ingénie à faire popote aussitôt, cependant que je sors de nouveau afin de trouver peut-être un logement convenable pour mon capitaine en dehors de la popote. Je suis assez heureux de rencontrer le docteur Mialaret, médecin major de première classe, au régiment. Celui-ci quitte car deux bataillons, les 1er et 3e, montent en première ligne ce soir.

Nous ne tarderons pas à les suivre de nouveau, me dit-il. Il me cède donc sa chambre, une chambre très convenable au rez-de-chaussée.

Le bataillon arrive vers 6 heures. Je le reçois. Le capitaine Sénéchal loge toujours au presbytère ; Jombart s’en est occupé, tandis que je suis tout fier d’offrir le logement rêvé au capitaine Aubrun qui se dit très satisfait.

Dans la soirée, tandis que nous mangeons, une pluie torrentielle tombe sur le patelin. On ne tarde pas à s’étendre côte à côte dans la paille, heureux d’être à l’abri pour ce soir.

7 septembre – Chapitre IV Bataille de la Marne

Thiéblemont Favresse

Plan07-09-14Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Au point du jour, le commandant nous fait communiquer un ordre qui émane du général en chef ; il faut résister coûte que coûte jusqu’au dernier, vaincre ou mourir.

Favresse est abandonné. Les compagnies partent chacune dans une direction au-delà du village. Vers la voie ferrée Vitry-le-François Saint-Dizier.

Nous restons dans le village avec le commandant qui s’assied sous un gros chêne.

La 5e compagnie est partie sur la route ouest vers la voie ferrée de Vitry-le-François à Saint-Dizier. Je communique plusieurs fois des ordres au capitaine Aubrun qui se trouve dans un fossé, le long d’une haie à la sortie du village.

Je me promène dans le village et rentre dans quelques fermes où se promènent de la basse-cour et quelques porcs. Tout est abandonné.Gallica-fermeabandon

Vers 9 heures, je vois Carbonnier avec un cheval et un chariot qui est revenu de Thiéblemont et repart au grand galop. Il a chopé la bonne place. Sans doute a-t-il apporté des outils ou des munitions.

Vers 10 heures, un gros obus tombe juste en face de nous dans une épicerie ; nous sommes aveuglés un instant, c’est tout. Nous allons voir les dégâts.

Soudain d’autres obus arrivent. Nous quittons en vitesse notre coin pour nous poster vers l’ouest. Nous passons dans un jardin où le commandant et nous, mangeons quelques prunes.

Puis, petit à petit, nous nous replions vers une ligne d’arbres peupliers qui se trouvent à 1500 mètres de nous.

Devant nous, par petites portions, nous voyons également arriver les compagnies. Il y en a une, la 6e, on ne sait où elle est.

Nous étions sur le côté gauche de la route face à Favresse. Vers midi, nous passons dans les champs sur le côté droit. Les compagnies font des mouvements dans tous les sens.

Nous nous rencontrons avec le capitaine Dazy, commandant le 1er bataillon.

Celui-ci dit au commandant Saget qu’il a de la chance d’avoir sa liaison avec lui car la sienne s’est volatilisée.

Les obus éclatent en grand nombre autour de nous.ExplosionOBUS14Nous nous couchons, suivant le commandant chaque fois qu’il se déplace, et il le fait souvent.

J’apprends que c’est le capitaine Dazy qui commande le 1er bataillon en remplacement du commandant Brion blessé le 28 août, et le capitaine Vasson le 3e [bataillon] en remplacement du commandant Dumont qui est mort de ses blessures.

Jusque 4 heures de l’après-midi, nous attendons, couchés en plein soleil sous les obus. Devant nous une bonne partie du village brûle. Des obus tombent aussi sur Thiéblemont.

Vers 4 heures, le commandant Saget crie « En avant ! » et s’élance, suivi par nous. Aussitôt une quantité d’obus percutants et de shrapnells* tombent autour de nous. Je vois le culot d’un obus qui roule par terre, dégageant une forte poussière, et me frôle le pied droit.

Le commandant court à l’abri derrière trois meules de paille. Nous le suivons, plus morts que vifs. Gallica-repos4-Meule
Vers 5 heures, nous repartons en hâte vers la rangée de peupliers ; les obus cessent un peu de tomber.
Tout Favresse est en flammes, un nuage de fumée s’en dégage.CP-favresse_1914

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Favresse, images extraites de « Les champs de bataille de la Marne »

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Favresse, images extraites de « Les champs de bataille de la Marne »

Les compagnies se replient, mais pas au goût du chef de bataillon qui m’envoie les rallier et le [bataillon] faire obliquer à droite vers la rangée de peupliers qui se trouvent sur la droite de la route, face à Thiéblemont.

Je m’élance à travers champs, vois quelques fractions et tombe enfin sur l’adjudant Mouchy, de la 7e compagnie, qui a rallié une centaine d’hommes. Il est très déprimé et m’annonce la mort du sous-lieutenant de réserve X (j’ai oublié le nom).

N’en pouvant plus, je m’arrête près d’un caisson d’artillerie. CaissonArtillUn artilleur me donne de l’eau et un Pernod trouvé dans les caves de Thiéblemont. Il me conseille de m’y rendre. J’accepte et reste encore un peu. Deux soldats de ma compagnie, perdus, arrivent sur ces entrefaites. Nous partons bientôt tous trois vers Thiéblemont par un chemin de terre. Le soir tombe.

Les obus ne tombent plus et notre artillerie s’est tue. Après une heure de marche, nous croyant parfois perdus et interrogeant chaque militaire rencontré, nous arrivons sur la route de Favresse à Thiéblemont, à la lisière du village. Je rencontre le bataillon dont les cuisiniers font popote, les feux sont allumés et le ravitaillement arrivé. Je ne songe plus à aller dans le village, heureux de retrouver la liaison.

On sort des bottes de paille d’une grange. On les étale le long du mur et nous nous étendons dehors, près du commandant. Les compagnies bivouaquent en plein champs.CP-bataille-marne14 Je suis malheureux car mes démangeaisons continuent.

Dans la nuit, je vais au village voir le médecin major Mialaret. Je le trouve couché sur un lit infect, dans un réduit abandonné. Il me conseille de me laver au pétrole, car l’onguent gris [1], il n’en a pas, pas plus que du pétrole. Il faut que je me débrouille. Je le quitte, pleurant de misère.

Je me rends dans une ferme où je trouve une lampe à pétrole. Je sors et me déshabille dans la rue. Je trouve des ciseaux dans une maison abandonnée et dévastée du docteur du pays. J’agis selon les conseils du major. Cela brûle énormément ; je suis un peu soulagé. Je remets mes effets et rentre à la liaison d’une mélancolie inouïe. Quelle vie !

 


[1] Onguent gris : Médicament à base de résine, de corps gras et de divers principes actifs, destiné à être appliqué sur la peau (sorte de pommade). L’onguent gris était utilisé comme antiparasite.


Voir en vidéo : La bataille de la Marne
(Extrait du journal télévisé de France 2, daté du 06 septembre 2014)