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30 décembre

Triste fin d’année qui nous restera dans la mémoire. Le temps devient moins bon : une petite pluie fine est tombée durant la nuit. Tout, autour de nous, n’est que boue.

Au petit jour, nous nous levons, et continuons l’aménagement de notre abri. Peu après le lever du jour, du côté de 7e et 8e de petites fusillades éclatent qui nous tiennent en haleine. Quelques obus ajoutent à la musique. Chaque fois cependant c’est un vrai barrage de 65 et de 75 qui a bien vite fait de museler tout le monde.

Je vais au téléphone qui est installé près du PC. Les téléphonistes, de mes amis, me disent qu’à 6 et 5 calme, 7 et 8, tentatives d’attaque de l’ennemi.a6_standard_telephonique

Je songe aussitôt à mon cousin Louis. Pourvu qu’il ne lui arrive rien !.

Nous avons la visite du colonel du 120e qui trouve le moyen en passant d’attraper l’adjudant Gallois sous prétexte qu’il y a de la boue et refuse d’entendre toute explication.

La journée se passe dans un calme relatif mais on sent qu’il y a de l’électricité dans l’air. Vers 3 heures en effet le capitaine Sénéchal entendant une nouvelle fusillade part avec son adjudant à la 8e compagnie nous disant de rester où nous sommes.

Il est 6 heures, il n’est pas encore revenu ; Paradis le caporal fourrier de la 8e de voir, et revient nous disant que le capitaine s’est installé au PC de la 8e compagnie jusqu’à nouvel ordre et nous donne l’ordre de rester où nous sommes.

La nuit est tombée. L’arrivée de nos cuisiniers est imminente. Bientôt nous voyons arriver Gauthier et Jombart. À ce dernier, je remets toutes les affaires de Jean Carpentier : la dépouille a été ensevelie dans le cimetière du parc de La Harazée. TopoTI-LaHarazéeBJombart y a assisté. Je puis me tranquilliser, c’était bien. Deux énormes toiles de tente ont enveloppé le corps qui a gardé intacte son costume de sergent fourrier.

Jombart se charge de faire parvenir ses affaires au bureau du trésorier-payeur par le personnel des voitures de ravitaillement. Pendant ce temps, Gauthier fait réchauffer sa popote* et nous sert bientôt, tandis que nous mangeons de bon appétit.

Durant le repas, plusieurs fusillades éclatent : décidément il y a quelque chose d’anormal.

Puis il est 10 heures, c’est le retour de nos amis au village, tandis que nous éteignons notre bougie et nous attendons pour dormir.

Nuit calme. Du moins nous dormons comme des marmottes.


 

29 décembre

Le jour se lève. Je dors longtemps abattu et fatigué par les émotions. Je me prends d’amitié avec René qui aimait Carpentier comme moi : la peine nous unit.

Nous ne verrons Gauthier et Jombart que la nuit prochaine. Nous mangerons quelques provisions reçues de la famille. Pourquoi nous lever ? Nous dormons donc jusque 10 heures. Je sors et vois le boyau étroit et profond qui nous permet de communiquer de jour avec les 7e et 8e compagnies en dehors du téléphone ainsi qu’avec le poste du colonel chef de secteur. Quant au 6e et 5e il ne faut pas y songer, car une partie de la tranchée qui relie ces compagnies aux deux autres est inutilisable, vu qu’elle est prise d’enfilade. Le coin en résumé commence à devenir mauvais.

Vers midi le soldat Paradis vient près de nous pour remplacer Carpentier. Sans doute passera-t-il caporal fourrier tandis que Jombart aura les baguettes de sergent fourrier. Il nous annonce la mort du sous-lieutenant Fournier [1] tué dans un boyau pris d’enfilade de jour et où l’ennemi tue à intervalles réguliers la nuit. Que de deuils qui nous touchent de près.

J’apprends que cette nuit le premier bataillon du 147e à notre gauche fut relevé est remplacé par un bataillon du 120e. Le commandement du secteur est revenu aux mains du lieutenant-colonel du 120e, le commandant Desplats partant au repos. Nous avons ainsi un bataillon du 120e à droite et un à gauche ; nous sommes donc encadrés. Notre relève* ne tardera pas à se faire.

Le temps se maintient assez sec, grâce au clair de lune qui occasionne une certaine gelée chaque nuit.

Dans l’après-midi, l’adjudant Gallois nous annonce que ce soir le capitaine Sénéchal recule son poste de commandement au carrefour (voir topo) et que nous déménageons avec lui.

TomeVI-planFneMadame-PCSenechalAinsi dit, ainsi fait. Vers 5 heures à la tombée de la nuit nous filons avec armes et bagages. Nous trouvons à 800 m de là non loin du carrefour des gourbis* dans le genre de ceux que nous venons de quitter. Je m’installe dans l’un d’eux avec René et Crespel. On allume du feu, on procède à une sommaire installation et le gourbi étend assez grand je prends avec moi mon agent de liaison Pignol.

Gallois nous annonce que de lui-même le capitaine Sénéchal a suspendu les rondes.

86-abri-de-2eme-ligne8 heures arrive ! C’est l’arrivée de Gauthier et Jombart qu’on arrête au passage.

Des lettres de chez moi me remettent un peu de toutes les émotions. Puis la nourriture nous remonte tous.

Gauthier ne tarde pas à repartir suivi de Jombart et nous nous étendons côte à côte pour chercher le sommeil.


[1] Fournier : s’agit-il de FOURNIER Gaston Xavier ?
Voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes, ni la date de décès (29 novembre 1914 au lieu du 29 décembre) ni le garde indiqué ne semble correspondre.

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27 septembre

Couverture du cinquième cahier intitulé Tome IV

Couverture du quatrième cahier intitulé Tome IV

J’ai reçu pour la première fois une lettre depuis un mois. C’est M. René Parenty, lieutenant au 8e territorial, qui m’envoie ses vœux.

Dans la matinée, je m’amuse à réparer les dommages causés par la guerre à mes effets grâce à du fil et des aiguilles prêtés par mon ami Gallois.

entretienUniforme

Deux soldats du 14e régiment du train des équipages militaires entretiennent leur équipement.

Nous commençons à nous habituer au coin et à notre régime. On mange chaud à minuit, froid le jour. On dort peu la nuit, on somnole l’après-midi. On s’abrite vers midi, car il y a menace d’obus. Le grand avantage que j’apprécie est qu’on peut se laver. La température est basse la nuit ; tous les matins nous avons les pieds gelés.

Au petit jour, j’ai communiqué deux fois à bicyclette sur la route grâce au brouillard. Le capitaine Rigault se promenait aux avant-postes, couvert d’une couverture blanche. Le capitaine Aubrun l’a traité de fou. Certainement que s’il continue il se fera tuer.

Vers 11 heures, nous subissons un bombardement terrible et assez précis. Les obus tombent très près de nous. Nos batteries ripostent ; or elles tirent trop court et leurs obus tombent sur nous.

Le cycliste Caillez, au risque d’être tué cent fois, enfourche sa bécane et part vers nos batteries. Il nous semble bientôt qu’elles cessent de tirer. En retour, les boches continuent.

Quelques hommes des compagnies voisines, 5e et 7e, arrivent, affolés, près de nous. Nous avons quelques morts à déplorer. Les obus tombent très près de nous. L’un d’eux tombe sur la route en face de notre abri. Les éclats sont projetés sur les parois.

Il y a accalmie vers 1 heure et demie. Enfin vers 3 heures, on se décide à sortir.

Une note arrive du colonel disant d’envoyer tel et tel soldat à la division pour recevoir une récompense. À la 5e compagnie, il y a Masson, 2e classe. C’est un brave qui, à de maintes reprises, a bien fait et même fait plus que son devoir. Il va recevoir la médaille militaire.

Je vais communiquer au capitaine. Celui-ci ne peut communiquer de jour avec la section Culine sinon il risque de faire tuer l’agent de liaison. Je repars dire cela au commandant. Il faut quand même ; j’ignore d’ailleurs pourquoi.

C’est pourquoi le capitaine envoie Férot un excellent petit soldat. Il l’envoie à la mort, me dit-il. 10 minutes après, Masson s’amène couvert de poussière, pâle, sans képi et sans armes, avec un mot de l’adjudant Culine. Il est arrivé en rampant sous les balles et a rencontré le corps de Férot [1] tué. Des obus ont complètement bouleversé la tranchée : il reste onze hommes. Tranchee-bouleverseePlusieurs ont été enterrés dont l’un d’eux, ami de Masson, qui arrive en bégayant, il a presque perdu la notion des choses et a réussi à passer à travers les balles. Culine déclare garder sa position. Le caporal Backhausen [2] de Sedan, un de mes amis, est tué.

Je pars rendre compte au commandant. Masson a bien gagné de nouveau sa médaille.

À part son artillerie, l’ennemi est calme. Le soir, la compagnie part à ses emplacements de réserve, laissant la 7e compagnie en ligne.

Le commandant lui fait dire de prendre les emplacements en A (voir topo [ci-dessous]).

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Plan dessiné par Émile Lobbedey (en couverture du Tome III)

Il faudra chercher. Le capitaine envoie des patrouilles. Enfin vers 9 heures, tout est installé et je puis quitter la 5e pour réintégrer mon logis près du commandant. La liaison s’installe dans l’abri voisin. Il y a un gai luron parmi eux, le soldat Paradis. Le lieutenant Péquin est avec nous.

La 8e compagnie est en réserve en B (voir topo), ayant laissé la 6e en première ligne.


[1] Pérot ou Férot : Pas de certitude quant à la lecture du nom de famille.Ferot

S’agit-il alors de Jules FÉROT ? Dont le lieu de décès pourrait convenir, mais pas la date plus tardive. Voir fiche Mémoire des Hommes.
Le seul Pérot du 147e RI est décédé en janvier 1915.
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[2] Backhausen :  Il s’agit sans doute de Marcel François Backhausen, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (29 sept. au lieu de 27), semble correspondre.

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