La journée est comme les autres. Exercice le matin, travail de bureau pour moi, rapport à 10 heures.
Au repas de 11 heures, je rassemble des demandes de chefs de section au sujet des képis. J’invite donc les hommes à se rendre ici, selon l’habitude, afin que Lannoy signe le papier les autorisant à demander un képi au magasin. Mes amis se chargent de le faire savoir à leurs poilus.
Les képis à présent sont bleus. Je tiens à mon képi rouge et ne veux le changer. On taquine Culine qui n’a pas encore de képi d’adjudant, pas plus qu’il n’a voulu de capote neuve : il nous répond qu’il a l’âme du poilu* et qu’il veut en garder la carcasse.
C’est d’ailleurs ce que, dernièrement, il répondit au capitaine.
À la fin du repas, Brillant nous apporte quelques notes, en particulier celles-ci : 1o établir des propositions pour citations ; ceci ne nous intéresse que médiocrement, mais c’est l’occasion d’une sortie pour Culine qui déclare que le capitaine ne propose jamais personne. C’est un peu vrai. 2o la compagnie, pour la troisième fois, passera à 14 heures cet après-midi à la piqûre anti-typhoïdique* ; c’est encore l’occasion d’une sortie de la part des Culine qui déclare que les docteurs nous empoisonnent. Décidément il est de mauvaise humeur aujourd’hui.
Rogery part communiquer le tout au capitaine. Bientôt nous recevons réponse : pas d’exercice cet après-midi. Pour les citations, le capitaine s’en charge. Bon !
Nous quittons la table. Pour ne pas avoir d’ennuis, je fais rassembler la compagnie aussitôt, en envoyant Rogery crier partout rassemblement des sections. Je puis donc en toute tranquillité procéder à l’appel grâce à mon contrôle nominatif, faire venir les cuisiniers et à 13 heures 30 avoir mon monde au complet. Après avoir averti mes poilus que toute absence vaudra huit jours de prison, je les conduis à l’infirmerie située près du bureau du colonel.
Je passe deux heures dans l’atmosphère surchauffée de la salle. J’inscris chaque nom et arrive ainsi à avoir fait passer tout le monde. Pour récompense, je suis piqué, mais j’ai la satisfaction de voir piquer Gibert et Cattelot qui me paient ainsi leurs petites chines de ces jours derniers au sujet de mon bras. Je les verrai eux aussi demain.
Je rentre au bureau en disant à Lannoy qu’il a de la chance de passer chaque fois au travers. Naturellement il me remercie, c’est bien le moins qu’il puisse faire.
Il est 4 heures ; nous recevons la visite du capitaine qui vient nous demander s’il n’y a rien de nouveau. Il s’est chargé des citations. Nous ne savons donc pas qui est proposé. Mystère ? Le capitaine s’en va. Il parle du cochon avant de partir et demande si les hommes ont été contents, s’il était bon ? Naturellement nous répondons par l’affirmative. Nous rions quand il est parti ; le cochon, nous n’y pensions plus ! On fait venir Delbarre qui nous raconte qu’il fut tué ce matin et [qu’il] nous a fait donner nos parts à nos cuisiniers. On lui réclame des saucisses et du boudin qu’il nous promet.
Mon bras me fait bien mal. Je me mets, fiévreux, au coin du feu et ne bouge plus. Je ne sors pas ce soir. Réellement, le vaccin me fait de l’effet.
Nous nous mettons à table à 7 heures quand Mascart s’amène, disant que demain il y a tir à Passavant pour le 2e bataillon. Rassemblement à Le Chemin avec les autres bataillons pour la remise de décorations aux commandant Vasson et capitaines de Lannurien et Sénéchal.
Départ 8 heures. Rentrée dans l’après-midi. Repas sur le terrain.
Aussitôt Rogery part communiquer la note au capitaine. J’adresse une demande d’exemption. Je me fais porter malade à cause de ma vaccination d’aujourd’hui. Il revient une heure après à la fin du repas.
Rassemblement de la compagnie à 7 heures 45. Départ 8 heures. Tenue de campagne complète. Les cuisiniers emporteront de quoi faire du café et popote*. Tout le monde présent sans exception.
Mon exemption est accordée, c’est ce que je vois de plus clair. Mon bras d’ailleurs me fait bien mal.
Nous nous couchons à 9 heures. Je constate que Gibert et Cattelot ne sont pas brillants et ne remuent pas le bras piqué sans raison. Je ne dis rien mais cela me fait sourire.
Je ne sais fermer l’œil car j’ai une fièvre de cheval. Lannoy, avant d’aller se coucher, fait sa situation de prise d’armes. Il laisse Licour à ma disposition. Mais toute la compagnie marchera puisqu’il doit marcher lui-même, ce qui n’a pas l’air de l’enchanter outre mesure.