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[1] Popote : Dans l’argot des combattants, désigne à la fois la cuisine roulante, et le fait de cuisiner. Par extension, la popote est la réunion des personnes qui mangent en commun.

22 novembre

Repos à la Placardelle (voir topo Tome I)

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Topo Tome I – Plan dessiné par Émile Lobbedey

Il est 4 heures du matin quand le capitaine Aubrun arrive en tête de sa compagnie.

On procède aussitôt au logement de la compagnie puis le capitaine avec son lieutenant s’installent à leur tour. Je puis disposer, heureux de rejoindre mon logis.

Je trouve les agents de liaison* en second installés dans l’arrière-cuisine. Ils déclarent que la relève s’est très bien opérée.

Je me couche avec Carpentier sur le lit en forme de ruelle ; toute la maison, bientôt, est calme. Chacun se refait les forces par le sommeil.

Je me réveille vers midi. Chacun se lève et procède à la popote*.

L’après-midi, nous terminons notre installation et communiquons pas mal de notes. Ce n’est que dans la soirée qu’il m’est donné de procéder quelque peu à ma toilette.

De bonne heure nous nous couchons. On divise le lit. Chacun hérite qui d’une couverture, qui d’un oreiller, d’un traversin, qui d’un matelas. Carpentier et moi gardons le sommier et le bois de lit. Les autres s’étendent le long du bois qui achève de se consumer.

Au-dehors, le temps est à la pluie.


 

27 octobre – Chapitre III

Bois de la Gruerie : secteur Bagatelle Pavillon – Troisième séjour

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

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Plan extrait du  J.M.O.* du 147e régiment d’infanterie (26 N 695/11) – 1er novembre 1914

Toute la nuit la fusillade a été incessante. Nous n’avons pas fermé l’œil.

Au petit jour, chacun de nous se rend à sa compagnie pour prendre le compte rendu de la nuit. Je trouve le capitaine assez satisfait. La relève* s’est bien passée. Il me dit que le secteur est mauvais et qu’il a des soucis pour la section* Culine qui est isolée et avec qui il est difficile de communiquer de jour.

Pour l’aller et le retour, je suis un chemin boueux dans le bois. Il me faut au bout de 200 mètres obliquer à droite et foncer sur le PC du capitaine que j’aperçois car je puis être vu.

Sur mon chemin, je rencontre des éléments de tranchée*. Ce n’est pas chose facile et la difficulté doit s’accroître la nuit. Heureux ai-je été la nuit dernière de suivre le commandant de la compagnie relevée. Je ne m’y serais pas reconnu.

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Secteur Z : boyau conduisant à l’ouvrage Prévost – 1916.05.20 ©Ministère de la Culture (France)

Dans le jour, je communique plusieurs fois et profite de chaque voyage pour amener un sac de 1000 cartouches. Je prends des points de repère pour la nuit. Je compte mes pas malgré les balles qui sifflent et me font instinctivement baisser la tête. Le terrain est boueux. Je souhaite n’avoir pas à communiquer dans l’obscurité.

Nous passons notre journée à nous installer. Le gourbi* que nous occupons prend tournure. Nous pouvons y faire un peu de feu en prenant soin à la fumée. Gauthier fait la popote* du commandant que nous voyons souvent à la porte de son gourbi, fumant tranquillement sa pipe.

Le mitrailleur René nous raconte que le matin, il a manqué de se faire tuer en s’égarant entre les deux lignes. Heureusement, en se repliant en rampant sous les balles ennemies, il est tombé dans la tranchée du lieutenant Lambert de la 5e compagnie. Il a mis deux heures à se reconnaître et trouver l’emplacement des sections de mitrailleuses. Sale métier que celui d’agent de liaison*.

Gallois et Carpentier se plaignent que leurs compagnies sont éloignées et qu’il leur faut une heure pour l’aller et le retour. Nous sommes tous pleins de boue.

Une fraction du 272e est derrière nous en soutien. Deux officiers logent avec le commandant.

Je porte vers le soir un sac de bombes en forme de boîtes de conserve, des pétards à mèche en forme de nougats au capitaine. Celui-ci envoie une corvée [1] pour en toucher ainsi que des cartouches au PC du bataillon. Ces pétards sont bien reçus par la troupe qui, aussitôt, accable les boches de projectiles. On entend les détonations et la fusillade crépite. Les tranchées sont très rapprochées : le sergent Collin est à 15 mètres d’eux. Le plus tranquille est le sergent Huyghe qui se trouve à 60 mètres et derrière un dos d’âne. Quant à Culine, il est presque impossible de communiquer avec lui de jour. Il se trouve à droite d’un boyau séparé du lieutenant Lambert par une trentaine de mètres, qu’on creuse sous les bombes ennemies afin de faire communiquer les deux tranchées. Dans le rapport du soir, on signale quelques pertes en blessés surtout.

À la nuit, les cuisiniers partent. Ils doivent rentrer au petit jour. Le commandant garde ses fourriers* il n’y a pas d’ailleurs d’agent de liaison en second. Gauthier, le mitrailleur René et Crespel partent donc pour La Harazée.

Nuit assez calme malgré une intense fusillade.


[1] Corvée : Désignation générale de tous les travaux pénibles susceptibles d’être effectués par les combattants, au front comme au cantonnement. Les corvées peuvent être de nature très diverse : de cuisine, d’eau, de feuillées, de réparation, de barbelés… Le terme désigne enfin les hommes qui sont chargés de les accomplir.

24 octobre

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La nuit fut longue et bonne. C’est un coin tranquille. On se lève tard. Le soleil donne et cela nous fait plaisir.

Nous sommes ici en position d’attente. Dans la matinée, je communique un ordre au capitaine. Celui-ci est installé dans un gourbi* potable avec la liaison avec lui.

Vers 9 heures, je me rends à une ferme que je ne connais pas, la ferme de la Seigneurie. En route, je rencontre une corvée de territoriaux qui m’indiquent la direction à suivre.

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Extrait carte J.M.O.* de la 41e D. I. de 1916 (archives_SHDGR__GR_26_N_340__002__0197__T)

J’arrive au bout d’un layon à la lisière d’arbres. Dans la maison d’habitation, deux femmes servent à manger.

Je prends de l’eau à une pompe et rentre au PC du bataillon, distant de 1200 mètres. Nous faisons du café qui nous réchauffe et mangeant quelques conserves. Je ne suis pas à court cette fois, grâce au paquet reçu hier. Dans le cours de l’après-midi, je rentre à Florent avec mes amis les fourriers et l’adjudant De Juniac. Nous allons faire le cantonnement* car le bataillon rentre dans la soirée.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Heureux de cette nouvelle, alors qu’on se croyait de nouveau au feu, nous arrivons bientôt au cantonnement. Nous recevons un autre coin, la rue Duperytren ( ?). (Voir topo, Tome IV)

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Plan établi par Émile Lobbedey intitulé Topo Tome IV .

Une heure après, il peut être 6 heures du soir, la compagnie s’installait dans trois granges. Le capitaine et les officiers de la 5e étaient logés avec le commandant dans une vaste demeure faisant le coin de la rue et de la place.

Quant à la liaison, nous avions la remise de la maison avec un banc et une immense table. Au fond se trouvent une chaudière qui nous servira à faire la popote*, et une commode. Du bois est entassé à l’entrée, à droite. Malgré la défense d’y toucher, c’est une ressource.

On s’installe donc. Une volière se trouve dans la remise. Les canaris nous distraient.

Deux fenêtres de la cuisine donnent dans la remise. Les gens ne sont pas des plus aimables. Je réussis cependant à m’introduire et à obtenir de l’eau. Dans la cuisine, je vois le sous-lieutenant Lambert et le médecin aide major Veyrat (Veyrat ?) qui se chauffent tandis que les cuisiniers Chochois et Chopin vaquent à la préparation du repas.Popote01-103-5-31Après le repas qui cuit merveilleusement dans la chaudière, nous partons nous coucher dans une grange voisine où se trouvent cantonnées la musique du régiment et la C. H. R. [1].
Quelle bonne nuit dans la paille !

 


[1] C. H. R. : Compagnie Hors Rang, compagnie unique qui se trouve au niveau du régiment et regroupe ce qui touche au fonctionnement administratif, logistique et au commandement du régiment. On y trouve le secrétariat du colonel et de son petit état-major, les cellules traitant de l’approvisionnement en matériel, habillement, nourriture, un peloton de pionniers pour les travaux de protection, la section de brancardiers qui est en même temps la musique du régiment. Pour commander, il faut assurer les liaisons vers les supérieurs et les subordonnés, et naturellement une équipe de téléphonistes y a sa place.

 

 

 

19 octobre

Repos à Florent

Nous nous dirigeons vers la mairie. Nous y entrons. Une lampe brûle. C’est une espèce de vestibule avec un escalier à gauche.

Nous nous étendons par terre. On dort, laissant De Juniac se débrouiller avec l’officier de cantonnement qui doit se trouver là.

On est réveillé. Il est 5 heures. Il faut aller faire le cantonnement*. De Juniac a reçu l’officier de cantonnement qui, d’accord avec le major, lui a indiqué un coin du village.

Le petit jour se lève. Le village nous paraît grand. La place est vaste. L’église au milieu n’est pas mal. Nous devons occuper plusieurs rues à l’est. On arrive sur l’emplacement. Chaque fourrier a son coin pour loger la compagnie. Je commence aussitôt, mal réveillé. Les habitants dorment encore, il est 5 h 30. Ce n’est qu’au prix de difficultés inouïes qu’ils daignent me répondre. Je suis furieux. (Cantonnement dans la rue C, voir topo Tome IV)

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Topo Tome IV – Schéma réalisé par Émile Lobbedey

Une maison cependant m’ouvre aimablement. Les personnes m’offrent du café et un verre de liqueur. Je loge chez eux le capitaine.

Enfin c’est fait. Je retourne sur la place. Le long des murs, des territoriaux font du café. Je vois également des artilleurs. Les civils viennent à passer, les femmes : je regarde tout grand, cela me semble tout nouveau. Gauthier a réussi à faire un peu de café sur le feu d’un territorial. J’en bois un quart délicieux.

Soudain j’aperçois à cheval le capitaine Aubrun. Je cours vers lui et amène la compagnie à son emplacement. Le capitaine m’annonce aussitôt qu’à la relève un obus est tombé sur la section Culine, pulvérisant trois hommes et en blessant quatre autres.

À 9 heures, tout était fait. La troupe fourbue reposait sur la paille dans trois granges. Le capitaine avait une chambre chez deux personnes, homme et femme bien aimables, acceptant même la popote* des officiers. Les deux lieutenants avaient un modeste lit dans une autre maison aux gens rébarbatifs.

Pour nous, De Juniac a trouvé une maison. Une pièce est occupée par une vieille personne à peu près folle qui vit de ce que laisse la troupe. À gauche, en entrant, se trouvent deux pièces, l’une donnant devant, l’autre derrière. Elles sont malpropres. On se met aussitôt au nettoyage. Avec Gauthier je vais dans un bois non loin couper du bois tandis que le reste nettoie tout.

Je reviens vers 10 heures. Sans être beau, c’est propre. Il n’y a pas de chaises, sinon une espèce de vieille commode. On peut faire un feu de bois. Il y a une petite table boiteuse. La seconde pièce est nue mais c’est un plancher. Une table s’y trouve avec une planche et deux tonneaux qui servent de sièges. Nous sommes heureux de trouver tout cela.

Déjà les denrées ont été cherchées. On commence immédiatement la popote. On se nettoiera l’après-midi. Des biftecks ne tardent pas à cuire et on s’en donne à cœur joie.

Vers 11 heures, je me rends dans la rue où se trouve cantonnée la compagnie, déjà de nombreux feux sont allumés et les cuistots préparent la popote.

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Florent, campement militaire : la troupe au repos – 1915.07.18 ©Ministère de la Culture (France)

Je vois le lieutenant Lambert causant avec un soldat de première classe, Godart, venu en renfort sans doute. Il fut blessé le 28 août.

Le commandant Jeannelle est logé près de nous. Il vient nous voir, demande si tout s’est bien passé et se dit tout à fait rétabli. Le capitaine Sénéchal a repris sa place près du colonel.

L’après-midi se passe à communiquer des ordres et à se nettoyer. Je vais voir à la voiture de compagnie où se trouvent sans doute dans le coffre une dernière chemise et un dernier caleçon. Je ne trouve rien. Franchement, je commence à en avoir assez de me promener avec une seule chemise.

Je me débarbouille quand même, remettant au lendemain le lavage complet et je passe le reste de l’après-midi à somnoler.

J’attends des colis, des lettres. Rien n’arrive.

Vers le soir, je descends faire un tour dans le village. Il n’y a pas de café. Il n’y a rien d’attrayant. Je fais une visite dans l’église et rentre l’âme morne.

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Florent , une rue avec des soldats – 1915.07.27 ©Ministère de la Culture (France)

7 octobre

Repos au [le] Ronchamp

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

Nous partons bientôt, compagnie par compagnie. Nous allons où ? Nous l’ignorons.

Nous filons un moment donné à travers champs. Ceux-ci sont encore détrempés. De plus la lune a disparu. Ce n’est pas agréable comme promenade.

Il fait petit jour et peut être 4 heures et demie du matin quand nous arrivons à l’entrée d’un tout petit hameau. Je vois une auto stationnée à la porte d’une maison. On dit que c’est l’auto d’un colonel qui, chaque soir, dort ici. Alb-VienneleChatLe commandant fait faire la pause et appelle le poste de police du régiment qu’il a quitté et qui l’a laissé là pour nous attendre.

Nous faisons le cantonnement*. Je loge le capitaine Aubrun dans la seule demeure potable du village avec le commandant. On a dit que la maison faisait partie de mon lot.

Une discussion s’élève pourtant entre le capitaine Claire et le mien. Le premier veut se prévaloir de son ancienneté. Le capitaine Aubrun ne s’en occupe pas, le commandant le soutient.

C’est donc la guerre à mort et la haine des chefs se communique aux autres. Si cela continue, il y aura des rixes entre 5e et 6e [compagnies].

La liaison s’est emparée d’une maison abandonnée. Nous avons une première pièce où une planche sur deux tonneaux nous sert de table et quatre chaises bocheuses [1] de sièges . On peut faire du feu de bois, il y a une cheminée ad hoc.

La seconde pièce laisse voir un peu de paille. Ce sera notre chambre à coucher, et la première pièce, notre salle à manger. Le cabinet de toilette en plein air au ruisseau qui coule.VienneLeChateau-08bPlutôt que dormir, il est 7 heures, on se nettoie et on se lave. Je recommence la même manœuvre de lavage de linge. Cela me réussit très bien.

Le temps est beau. Dans la matinée, nous allons rapiner quelques fruits et des pommes de terre car il faut veiller à l’estomac. Chacun se met à l’œuvre et à midi un bifteck pommes frites nous rassasie : c’est une joie qui tient du délire. On porte aux nues notre cuisinier Gauthier.

Nous sommes ici à 8 km de la ligne de feu. Le village, ou plutôt le hameau, compte encore peut-être 16 habitants. Le hameau est situé dans un ravin. L’ennemi n’y a jamais tiré. On interdit cependant tout feu de bois sinon le soir, à la tombée de la nuit, et le matin jusque 6 heures.VienneLaVille-RONCHAMP-21bJe vais plusieurs fois voir le capitaine qui me remercie de lui avoir procuré cette maison malgré les protestations de la 6e compagnie. Les lieutenants Girardin et Lambert sont logés avec lui. Le commandant a une chambre dans la maison et fait popote* avec eux.

Je vois également Lannoy qui a installé le bureau de la compagnie dans une petite maison où se trouvent deux femmes très aimables.

On se couche de bonne heure non sans avoir touché les distributions. On ne veut plus nous servir à part. Un mot du commandant suffit. Nous serons tranquilles dorénavant.


[7] Bocheuses : allemandes (argot ?)

6 octobre

Relève des tranchées

Je reçois une lettre de maman datée du 24 dernier. C’est une immense joie car les nouvelles se font rares. Voici 15 jours que nous sommes ici.papier-a-cigarettes-poilu-1914-1918

Les cuisiniers nous ont apporté un paquet de tabac. Ce qui manque, ce sont les feuilles de papier à cigarettes. On réussit quand même à en emprunter deux ou trois. Quand on n’en a pas, on fume dans un papier de journal.

Là où la pénurie se fait sentir davantage, c’est en bougies et allumettes. J’écris à la maison pour qu’on s’empresse de m’en envoyer.

C’est dire qu’avoir le nécessaire dans notre situation frise le luxe.

Vers midi, nous recevons la visite du colonel Rémond et du capitaine Sénéchal, accompagnés du cycliste Calonne. Le colonel fume sa pipe. Il parle à l’extérieur avec le commandant et s’en va vers 2 heures.

Le commandant nous fait alors communiquer que nous allons être relevés* le soir. Quelle bonne nouvelle ! À part quelques obus, la journée est assez calme. Espérons que tout se passera sans casse.

À la tombée de la nuit, des éléments du 87e arrivent, commandant en tête. Les consignes se passent. Je conduis l’agent de liaison de la compagnie correspondante à la mienne, à l’emplacement occupé et à occuper. Il peut être 10 heures quand celle-ci relève la 5e compagnie.Gallica-Releve-InfantTout le bataillon a rendez-vous dans Saint-Thomas où va se faire le rassemblement.

Je rejoins la liaison près du PC et notre Kasba*. Bientôt nous partons vers Saint-Thomas où les deux cyclistes et Gauthier nous ont précédés afin de préparer quelque chose de chaud.

Nous arrivons dans Saint-Thomas. Il peut être minuit. Le village est toujours aussi démoli. Il fait beau clair de lune. Les boches ne tirent que quelques shrapnells*. Voici le lieu de la popote*. C’est une maison dont le toit est percé et l’intérieur en piteux état. Il devait y avoir deux pièces ; l’une n’existe plus, l’autre, celle où nous entrons, a un mur défoncé. On y trouve cependant un restant de lit, deux chaises et une table boiteuse. Pour y accéder, il faut passer sur des tas de matériaux et de tuiles cassées qui jonchent le sol parmi les trous d’obus.

La popote est prête. Une soupe chaude, de la viande cuite et du riz au lard. C’est un festin royal pour nous. Le commandant donne l’exemple et nous mangeons tous d’excellent appétit. Un café nous réchauffe. Une cigarette fait faire la digestion. Nous pouvons repartir.

Je vais voir la compagnie afin qu’elle se rassemble. Elle se trouve disséminée dans un coin du village et les cuistots servent la popote.

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[1] Popote : Dans l’argot des combattants, désigne à la fois la cuisine roulante, et le fait de cuisiner. Par extension, la popote est la réunion des personnes qui mangent en commun.

4 octobre

La 8e a été relevée [1] également. Nous l’avons près de nous et dans notre gourbi [2] son chef, le lieutenant Péquin que chacun préfère de beaucoup à celui de la 7e.

Je communique plusieurs fois des notes à mon commandant de compagnie. J’en profite chaque fois pour abattre quelques pommes en passant dans le verger.

Chaque matin d’ailleurs, au petit jour, nous allons chacun chercher le compte rendu de la nuit. Cela nous réchauffe les pieds.

La route est à présent et à tout instant arrosée de shrapnels*. Ce n’est pas agréable. Dans l’après-midi, je mets deux heures pour faire les 1500 mètres de retour car je tombe en plein bombardement et suis obligé de laisser passer les rafales et de m’abriter. La route est couverte de trous d’obus, ainsi que les champs avoisinants.

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Soldat allemand devant un trou d’obus – Argonne.

Dans la nuit, Crespel, le cycliste, revient en bicyclette avec une partie des vivres. Il roule dans un trou d’obus et s’endommage le nez. On rit souvent, malheureusement, du mal des autres. On rit beaucoup en effet ; surtout qu’il avait enfourché sa bicyclette, aux dires de Gauthier qui survient tranquillement à pied parce que des obus tombaient dans Saint-Thomas. On déplore seulement la perte d’un bouteillon de riz.

Le commandant fait toujours popote* avec nous. Il a un bon coup de dents.

La journée est calme. J’ai trouvé une veste assez potable. Comme je n’ai pas l’embarras du choix et qu’il fait froid, je l’endosse. Elle me va d’ailleurs assez bien. Peu difficile, je suis très satisfait.

Je n’ai plus de nouvelles de la maison. J’écris quand même chaque jour. Je réclame des colis. Nous sommes dénués de tout. On dit que les lettres arrivent mieux ouvertes. Les adresses sont « armées en campagne avec indication de la brigade, de la division et du corps ».

Nous sommes toujours démunis de tabac, mais nous avons espoir d’en toucher ce soir. On parle d’une relève proche. Ce n’est pas trop tôt. La voiture d’outils qui vient chaque soir nous amène de la paille. On est heureux.

Le temps se maintient beau. Le matin, toujours un fort brouillard. Puis c’est le soleil.

Beaucoup de monde se plaint d’être couvert de vermine. Ceci, ajouté aux coliques, c’est le bouquet.

 


[1] La relève : c’est le remplacement d’une unité par une autre dans les tranchées. Opération dangereuse car bruyante et conduisant au regroupement d’un grand nombre de combattants, elle se fait généralement de nuit. Sa périodicité n’est pas fixée strictement, mais une unité en première ligne est généralement relevée au bout de quatre à sept jours. La relève s’effectue par les boyaux.

[2] Gourbi : Dans l’argot des combattants, désigne un abri. Le terme s’applique peu en première ligne, il est utilisé surtout à partir de la seconde ligne jusqu’au cantonnement. (Renvois : Abri, Cagna, Guitoune)