Dans la nuit, il y a alerte. Nous restons équipés une heure, prêts à partir. Nous pouvons bientôt nous recoucher. Il pleut toujours ; nous sommes mouillés et grelottons de froid.
Enfin, au petit jour, nous partons vers Saint-Jean-de-Possesse.
Toute la nuit, ce fut un passage d’artillerie. Ce matin encore, à notre départ, beaucoup de caissons sont arrêtés. La pluie a cessé. Mais nous n’avons pas fait quelques kilomètres qu’elle reprend de plus belle. Nous traversons Vernancourt. Nous sommes tellement trempés que cela nous fait presque rire.
Tout est au plus détrempé. Nous faisons une pause sous la pluie qui ne cesse de tomber. Je réussis quand même à allumer une cigarette grâce à un sac que j’ai trouvé au passage à Vernancourt et dont j’ai couvert mes épaules. Fumer à présent me console, mais le tabac est rare et ma provision s’épuise.
Bientôt, après avoir traversé Saint-Jean-de-Possesse, nous sommes sur une route plus grande et mieux faite. À Saint-Jean, nous avons fait une longue pause ; je suis entré dans une maison le long de laquelle on s’abritait ; un homme seul y était. Il me donne une poire, c’est tout ce qui lui reste. Les boches ont tout pris. Ils sont partis hier soir à 6 heures. La pluie tombe toujours, c’est à crever.
Bientôt pourtant, il peut être 9 heures, nous avons une éclaircie. Il est 10 heures quand nous passons à Possesse. Rien à trouver, tout a été saccagé ou pris. On commence à avoir l’estomac dans les talons, car le ravitaillement a fait défaut hier soir. Cela commence à devenir le même système qu’à la retraite.
Nous continuons sur Saint-Mard. Pleins de courage, on marche ; la pluie a cessé et le temps s’éclaircit, tant mieux !
Nous arrivons vers 11 heures et demie à Saint-Mard. A l’ouest du village, nous faisons une grande halte. Un paysan déclare au capitaine Sénéchal qu’il donne ses prunes encore sur les arbres aux soldats. Accepté. On en abat. Il n’en reste bientôt plus. La liaison, grâce à Gauthier, le clairon, allume du feu et bientôt nous mangeons une excellente compote de prunes. On se repose au soleil. Un papier nous arrive avec des nominations. De Juniac est nommé adjudant du bataillon.
Marcher nous réchauffe et nous marchons avec ardeur. Vers 2 heures et demie, nous arrivons à Givry-en-Argonne. Nous nous arrêtons près de la ligne de chemin de fer. Le soleil donne. Nous faisons une grande halte qui servira à nous reposer.
Une demi-heure après, nous nous remettons en marche. Nous traversons le village assez conséquent et qui a été respecté. Les habitants sont sur le pas de leur porte et nous regardent passer.
On dit qu’on fait en ce moment du pain au pays. Un rassemblement de gens se trouve vis-à-vis d’une maison.
Défense formelle de quitter les rangs. On n’ose.
600 mètres au-dessus du village, Crespel le cycliste arrive avec un pain tout chaud. Il donne la moitié à la liaison. On partage. Chacun a un petit bout qu’il mange avec avidité.
Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail
Nous traversons bientôt La Neuville-aux-bois. Au centre du village, sur le bord de la route à gauche, assis sur une chaise, fumant la pipe, le général de division Rabier nous regarde passer. On défile crânement en rectifiant la position.
Il continue à faire beau. Le terrain sèche et nous aussi. Nous faisons une pause à la sortie du village.
Bientôt, en route, mais on commence à être fatigués. Heureusement que la route est bonne.
Voici le Vieil Dampierre où nous avons cantonné quelques heures à la retraite. On fait la pause. Nous voyons le curé qui nous fait un petit récit. Les boches, à leur arrivée, ont fait ouvrir l’église et l’ont fait monter devant eux au clocher. Il a logé des officiers au presbytère, en particulier un colonel allemand. Le soir, il les a entendus discuter à haute voix et nerveusement. Toute la nuit, le colonel s’est promené dans la chambre et ne s’est pas couché. Au petit jour, ils sont partis mais dans quel état. Des troupeaux arrivaient trempés, pleins de boue, déprimés, sans rien sur le dos, ni armes, ni sacs, ni équipement. Sur la route, artillerie, cavalerie, infanterie filaient, mélangées. Ce n’était qu’une fuite éperdue. Durant leur séjour, les boches ont saccagé toutes les habitations abandonnées, ne respectant qu’à peine celles dont les habitants étaient restés.
Un convoi de prisonniers passe, conduit par des gendarmes. On les regarde curieusement. Il y en a une centaine.
Convoi de prisonniers allemands, pendant la grande offensive de Champagne.
Nous repartons bientôt. Le temps est splendide. Il fait sec. Il peut être 4 heures et demie. En route, je retrouve la borne kilométrique qui a frappé mon attention, « Vitry-le-François, 44 km ½ ».
Bientôt, nous arrivons sur une hauteur et voyons devant nous, à près de 4 km, des éclatements de shrapnels*.
On continue et, à 2 km de là, le régiment prend des positions dans les champs à droite et à gauche de la route. La liaison s’installe à droite le long d’une haie. Va-t-on bivouaquer là ?
On voit un tas d’artillerie et même quelques éléments d’autres régiments. On attend. Défense de s’éloigner pour quoi que ce soit. Le soir tombe. Enfin, vers 7 heures, le campement est formé. Nous partons sur Élise [Daucourt]. Nous sommes fourbus.
Nous arrivons bientôt dans le village. Nous rentrons sous une porte de grange, à droite à l’entrée du village, où nous subissons un long stationnement. Je vais immédiatement voir dans quelques demeures, tâchant de trouver quelque chose à me mettre sous la dent. Les allemands sont partis dans la nuit, emportant tout. Je retourne sous la grange et me couche sur le sol, me serrant contre mes camarades qui sont déjà assoupis. Il fait un froid de loup et nous sommes à peine secs.
Vers 8 heures et demie, nous faisons rapidement le cantonnement*. Une heure après, le régiment arrivait, suivi du ravitaillement. Vivement, tout le monde se place. Ce n’est pas facile car les bougies et les lanternes font défaut. La popote* se fait en plein air, et bientôt, je puis avaler un bout de viande plus ou moins cuite. Je vais voir les cuisiniers des officiers qui me donnent un bon quart* de café dans la cuisine de la ferme où j’ai logé les officiers et leur popote. Il peut être 11 heures quand je m’étends dans le foin avec la liaison du commandant. Qu’il fait bon dormir ! Nos effets se sont séchés sur notre dos, nous nous blottissons les uns contre les autres pour nous réchauffer.