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6 novembre

Relève au bois de la Gruerie 

La journée se passe à se préparer. Nous relevons ce soir le 120e.

Le vaguemestre* arrive régulièrement l’après-midi. Ce sont toujours des tas de lettres. C’est un travail fou qui ne fera qu’augmenter : une majeure partie des lettres sont à trier car beaucoup sont adressées à des camarades morts, blessés ou disparus. Nous recevons également des bulletins des armées qui sont intéressants ainsi que le petit journal du coin, très intéressant parce qu’il parle de choses connues, L’Écho de l’Argonne.EchoArgNov14Je vois dans l’après-midi le colonel Rémond qui commande le régiment. Il est cantonné à l’extrémité du village, direction la Harazée, dans une maison de belle apparence. Le père Rémond, comme on l’appelle, est un homme brave et un brave homme ; il commande toujours son bon régiment qu’il commandait à Sedan. Nous avons toute confiance en lui comme il a, je crois, confiance en sa troupe.

Il peut être 7 heures quand nous partons pour la première ligne. Nous suivons toujours le chemin connu, ayant à notre tête le capitaine Sénéchal à cheval.

A mi-route, non loin des batteries, un obus passe au-dessus de la tête et explose à 50 mètres dans un champ, à gauche de la route. Ce sont les batteries de 75 qui nous valent cela. Elles tournent sans discontinuer et cela nous donne froid dans le dos.

Voici La Harazée. Nous faisons une pause dans le village. Les chevaux quittent. En route de nouveau ? Contrordre, on s’arrête. Je m’abrite avec la liaison dans une grange ouverte à tous les vents mais dont le toit est encore solide. Nous attendons dans l’obscurité tandis qu’une pluie fine tombe sans arrêt.

Bientôt, nous apprenons que le ravitaillement est là. C’est sans doute la cause de l’arrêt. En tout cas, on s’approvisionne de pain et de riz. L’eau-de-vie est en faible quantité, les bidons manquent d’ailleurs ; nous la buvons.

Je communique que les cuisiniers doivent rester. Ils arriveront demain matin. Le capitaine Aubrun me demande comment ils nous trouveront. Mystère. L’ordre c’est l’ordre.

Il est bien 10 heures quand nous entrons sous bois. Le 120e a le temps de nous attendre.

Marche sous bois par la pluie, agréable s’il en est ; et l’obscurité complète ne fait qu’ajouter au charme d’une telle balade. Heureusement, les balles sifflent moins.

Après des péripéties sans nombre, nous défilons devant le colonel qui doit se trouver là car j’entends sa grosse voix qui tonne. C’est sans doute le temps qui est la cause de sa mauvaise humeur.

Quelle nuit noire ! On n’y voit pas à deux pas ! Il pluvine toujours !

Suit-on, ne suit-on pas, mystère ! Quelle heure est-il ? Depuis combien de temps marchons-nous ? Je désespère d’arriver à destination.

Enfin, nous arrivons à un emplacement où nous nous arrêtons. C’est ainsi qu’entendant des voix, je devine que c’est le PC du bataillon qui nous relevons.

Et quel temps, quel terrain ! Nous sommes des paquets de boue ! Pauvres bandes molletières* !

Il faut attendre car le bataillon ne suit pas. J’attends ma compagnie, philosophe et flegmatique. C’est elle en effet qui s’amène la première. Le capitaine est furieux : c’est toujours le mauvais temps qui en est la cause, je crois. Il est vrai qu’on serait mieux à Monaco.

Un agent de liaison* du 120e est avec moi. Nous partons donc, suivi de la compagnie, vers le séjour enchanteur de la tranchée.

Voici le PC de la compagnie. Je retiens l’agent de liaison car en rentrant, je n’ai nulle envie de me faufiler chez l’ennemi. Les consignes passées, la relève* s’opère. Gourbi* misérable au gré du capitaine. Il est vrai qu’il est médiocre. Il y pleut d’ailleurs. Petit, mal fini, il n’a rien d’un hôtel.

Je puis disposer et rentre avec mon fidèle mentor près du capitaine Sénéchal.

Je cherche un logement et tombe dans un vaste gourbi où se trouve entassée une section* du 120e.VienneLeChateau-APD0002019 Il pleut toujours. Je me mets à sec quoique l’abri laisse filtrer un peu d’eau. Assis sur mon sac, trempé jusqu’aux os et couvert de boue, j’attends, flegmatique toujours, le départ de ces Messieurs qui dorment, afin de me préparer un coin.

Il peut être 2 heures quand l’ordre de départ arrive. Je leur souhaite bonne chance à ces braves.

J’aime mieux encore être ici malgré la proximité de l’ennemi. Une marche dans le bois par cette nuit noire et ce temps diluvien n’a rien d’attrayant même avec l’expectative du repos. Merci, je sors d’en prendre.

31 octobre

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Plan extrait du  J.M.O.* du 147e régiment d’infanterie (26 N 695/11) – 1er novembre 1914

La nuit est toujours mouvementée. On ne ferme pas l’œil car la fusillade crépite sans cesse et les tranchées sont si rapprochées qu’on craint toujours un coup de main.

Dans la matinée, on amène un homme qui a perdu la raison. On l’emmène à l’arrière, mais cela donne une triste impression.

Ensuite, on arrête un autre soldat qui fuit vers l’arrière sans fusil ni équipement. Le commandant le menace de son revolver et le fait ramener en première ligne à la 6e, sa compagnie, par le fourrier* Huvenois.

La matinée est aussi mouvementée que la nuit. Dans l’après-midi, on entend une fusillade à notre droite. Vers 2 heures, le colonel Rémond arrive au PC du bataillon avec le capitaine Sénéchal. Il reste une heure à conférer avec le commandant. La fusillade continue toujours sur la droite ; on dit que c’est la 8e qui est attaquée.

À la hâte, nous communiquons qu’il faut redoubler de surveillance.

Quand je rentre au PC du bataillon, le commandant est parti à la 8e compagnie avec le colonel et sa suite. Carpentier est parti avec eux.

Nous vivons des heures tragiques et attendons, anxieux, une mauvaise nouvelle car ici les nouvelles ne sont jamais bonnes.

Vers 6 heures du soir, Carpentier rentre affolé, disant de communiquer que les cuisiniers doivent rester jusqu’à nouvel ordre. Il nous atterre en disant que la 8e a subi une forte attaque boche et se voit réduite à la moitié de son effectif. Le sergent Lafaille, un petit bonhomme râblé, de mes amis, a défendu sa tranchée avec une poignée d’hommes comme un lion, enfilant les boches à la baïonnette. On l’a dit blessé très grièvement. Le commandant Jeannelle est blessé d’une balle à la cuisse. Il était au PC de lieutenant Péquin, commandant la compagnie, et, n’écoutant que son courage, est allé aux premières lignes afin d’encourager les troupes par sa présence. Je tremble pour mon cousin qui fait partie de la section De Brésillon.

Je communique tout au capitaine. À mon retour, le capitaine, commandant la 7e compagnie, blessé le 22 août et dont j’ignorais le retour, est près de nous. Il prend le commandement du bataillon.

La nuit est des plus agitées. Le ravitaillement n’a pas lieu.

26 octobre

Relève* au bois de la Gruerie

Je fais une nuit délicieuse et repose encore quand, vers 7 heures, Gauthier arrive pour faire le café. Je sors. Le temps est toujours pluvieux. Enfin, pour la journée, nous sommes toujours à sec.

La matinée se passe à communiquer des notes, à réparer un peu les effets, à se nettoyer. Je vais voir le coiffeur du village, le père Thomas que tout le monde connaît déjà. Une coupe de cheveux après deux mois et demi n’est pas du luxe.

Après le repas du matin, je reçois une dépêche de Bergues, de la mère de mon cousin Louis, me demandant de le soigner et de lui dire de se soigner au sujet de coliques que j’ignorais. Je vais aussitôt trouver ce dernier qui rit beaucoup. En effet il eut une diarrhée fantastique lors du séjour Saint-Thomas Servon, comme chacun d’entre nous d’ailleurs. Son seul tort est de l’avoir écrit chez lui et d’avoir affolé sa mère. Ces pauvres mamans ! Aussitôt, devant moi, il écrit qu’on se rassure.

À mon retour à la liaison, je trouve un volumineux colis de cinq kilos renfermant des linges et des vivres, chocolat, tabac, bougies, allumettes, papier à cigarettes, de tout. Quelle joie incommensurable ! Je mets le strict nécessaire dans mon sac et porte le reste dans le coffre de la voiture de compagnie. Me voici au moins fourni pour quelque temps.

Je rentre bientôt mais une autre surprise m’attend. On part ce soir en ligne, de nouveau dans le bois.

Vers 5 heures du soir, nous partons en tête du bataillon. Le temps est toujours pluvieux. La route de Florent à La Harazée est longue et fastidieuse. À quelques 500 mètres au-delà du village, après avoir fait un coude à droite, c’est un bois à droite et à gauche : bois des Petits Bâtis, suivi du bois des Hauts Bâtis qui va continuer jusqu’à la Placardelle et la route s’étend alors droite jusqu’à perte de vue, avec des alternatives de montée et de descente.

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

Après une heure de route, nous faisons halte. Il pleut. Nous sommes près du parc d’artillerie.

Le temps est désagréable au possible. Les routes sont boueuses. Nous partons.

Bientôt, c’est la cote 211, puis la descente vers la Placardelle, toujours mouvementée.

Nous traversant le village dans l’obscurité, troublée par la lumière scintillante de quantité de lanternes.

C’est ensuite une route zigzagante qui nous amène au haut d’une côte, celle qui surplombe La Harazée.

LaHARAZEE-17bOn la descend en glissant un peu et enfin nous faisons une nouvelle pause à l’entrée du village, qui lui également est constellé de lumières.

 

26 octobre (suite)

TomeV

Couverture du cinquième cahier intitulé Tome V

Les officiers quittent leurs chevaux que les ordonnances, sous les ordres du maréchal des logis de liaison Jacques, vont ramener vers un village de l’arrière où ils seront cantonnés.

Pour nous, avec le commandant à notre tête, nous commençons l’ascension de la côte qui nous donne l’accès du bois. Un léger clair de lune nous aide à nous guider. La pluie a cessé.

Nous marchons abominablement, glissant, butant, faisant parfois une chute. Plusieurs pauses nous laissent prendre haleine ; pas de lumière naturellement et le plus grand silence.

Enfin, après une heure de marche pénible, nous rencontrons le colonel Rémond et bientôt, c’est la clairière que nous reconnaissons grâce au clair de lune.

Cette fois nous obliquons à droite pour nous engouffrer bientôt dans le bois de nouveau. Nous sommes arrivés.

VienneLeChateau-APD0000528Je vais chercher le capitaine et les quatre chefs de section. Nous suivons, la compagnie restant couchée sur ces emplacements, un officier du régiment à relever. Celui-ci nous amène 200 mètres plus loin dans un gourbi*. Nous nous entassons. Les consignes se passent. Puis, successivement, le lieutenant Lambert, qui a ses deux galons depuis deux jours, l’adjudant Culine, et les sergents Huyghe et Collin vont prendre leur section afin d’opérer individuellement la relève.

Quand tout est fait et la compagnie à relever relevée, je quitte le capitaine et rentre auprès du commandant afin de lui rendre compte.

Je m’installe ensuite dans un gourbi assez bien fait où se trouvent déjà mes amis.

La nuit est assez belle. Le temps est au beau, car la pluie a complètement disparu. Mais l’obscurité est complète car la lune a disparu.


 

16 septembre – Chapitre VI Poursuite arrêtée

Arrivée dans le Bois de la Gruerie

Au très petit jour nous partons. Il a plu la nuit et les terrains sont détrempés.
Nous passons de bonne heure dans un petit pays que je reconnais, Vienne-le-Château.CP-VienneLeChateauLe jour est complétement levé, il peut être 6 heures.

Je reconnais la route et certains coins. On fait la pause : je me rappelle que c’est ici que nous vîmes défiler, lors de la retraite, les troupes qui devaient embarquer pour Paris.

Nous commençons par ici à rencontrer quantité de chevaux morts qui dégagent une odeur insupportable. Il y en a dans les fossés et en plein champs, tombés dans toutes les postures. Gallica-ChevauxTues2Il peut être 8 heures quand nous traversons Vienne-le-Château. Le temps est pluvieux.

Bientôt, nous entrons dans un grand bois où nous prenons des formations diverses.

Nous arrivons dans une clairière où nous faisons la pause. Il faut faire attention, il y a des endroits marécageux où l’on s’enfonce facilement.

Non loin de nous, des batteries de 75 tirent. Je vois près de l’une d’elles le colonel Rémond avec le capitaine adjoint Jeannelle.

On nous annonce bientôt qu’un obus ennemi est tombé non loin, tuant deux artilleurs et deux chevaux. L’ennemi est donc ici cette fois.Caisson et chevaux Artillerie explosés

Nous continuons en colonne par deux et après de multiples hésitations, nous passons à l’endroit où tomba l’obus ennemi. Nous voyons les deux chevaux étendus et un débris de caisson.

Il peut être 9 heures. Nous sommes guidés par un garde-chasse coiffé d’un képi de lieutenant d’infanterie. Il connaît le bois. Le capitaine Sénéchal n’a qu’une médiocre confiance en lui. Il craint une embuscade ou un traquenard. Il n’en est rien, car bientôt nous voici sur une large allée où nous voyons un général de brigade. Cette route doit conduire à Binarville.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Prenant mille précautions et par mille dédales, nous couchant souvent, nous dissimulant dans les taillis, nous arrivons à une espèce de petit carrefour. Il est bien midi. Voici plus de trois heures que nous marchons sous bois, dans l’eau et la boue, constamment courbés, devant nous frayer un passage parmi les ronces et les épines. (Voir topo [ci-dessous])

Le capitaine Sénéchal décide de s’arrêter à ce carrefour. Il retient près de lui un agent de liaison* pour les sections de mitrailleuses.

Les compagnies, par fractions précédées de patrouilles, continuent. Soudain, nous entendons des coups de feu et voyons bientôt près de nous deux cavaliers éclaireurs du régiment, dont l’un sans cheval : le cheval a été tué par un patrouilleur* ennemi au point A (Voir topo [ci-dessous]).Plan16-09-14Bientôt, une petite fusillade éclate non loin. On sait bientôt que c’est une patrouille de la 5e compagnie qui a essuyé des coups de feu et riposté. Malheureusement un brave soldat Oudet [1] de Vouzon a reçu une balle au ventre. Il expire bientôt sur le terrain (Point B du topo [ci-dessus])

Enfin, l’après-midi se passe dans des transes, des incertitudes. On se rend deux heures au point X [Voir topo ci-dessus] pour revenir vers le soir au carrefour.

Vers le soir la situation était telle que l’indique le topo. On apprenait également par la 7e compagnie que le 120e se trouvait à notre droite et était en liaison à la vue.

Je communique des ordres divers au capitaine que je trouve au point D. Il se plaint que la 6e compagnie met beaucoup de mauvaise volonté à se mettre en liaison avec lui. Il y a un trou de 100 mètres. L’ennemi se trouve à 200 mètres, dans des tranchées* en dehors du bois. S’il lui plait de s’infiltrer et de tourner la compagnie, il n’y a qu’à se replier ou c’est le coup de filet. Je rends compte.

Il a beaucoup plu ces jours. Le sol est détrempé. Ce n’est pas gai.

On s’assied contre des arbres. Il y a ici le capitaine Sénéchal, Jacques, maréchal des logis de liaison, Gallois, Carpentier, le mitrailleur, Huvenois et moi, fourriers*, ainsi que l’adjudant De Juniac.

Non loin de nous sont les chevaux de bataillon ainsi que les mulets des mitrailleuses, un peu plus bas vers I.Gallica-ArtillerieMuletVers 10 heures, nuit noire, alerte, on dit qu’on doit se replier. Nous commençons lentement à partir par le layon N ; nous avons devant nous l’adjudant de la 5e, blessé grièvement, que quatre hommes transportent et qui se plaint amèrement.

Il tombe un peu d’eau, mais cela cesse bientôt. L’alerte est fausse. On nous dit de faire demi-tour.

Après bien des pauses et des heurts, vu que c’est l’obscurité complète, nous arrivons quand même au carrefour.

On s’assied de nouveau, s’abritant contre les arbres, et on passe la nuit en éveil et l’esprit tendu. Vraiment la vie n’a rien d’attrayant en ce moment.

 


[1] Oudet de Vouzon : Il s’agit de OUDET Lucien, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes.FicheMDHarchives_I510474R


11 septembre

Colonel Blondin du 91e, commandant la brigade.
Lieutenant-colonel Saget, blessé grièvement.

On dit que le colonel du 91e prend le commandement de la brigade. Le colonel Rémond reprend le 147e et garde le lieutenant-colonel Saget comme adjoint.

L’artillerie ennemie est beaucoup moins tenace que la nôtre. Elle tire assez peu.

Je vais communiquer un ordre au village. Je ne le reconnais plus. Grand nombre de maisons sont démolies, l’incendie a fait le reste. Beaucoup d’animaux de basse-cour se dandinent. Quelques maisons sont encore debout, ouvertes et pillées. Je rentre dans plusieurs. Je prends quelques mouchoirs de poche et un cache-nez. Dans une cave, je trouve un petit pot de graisse que je prends pour du beurre. Heureux, je le fourre dans ma musette et rentre, chargé de fruits.

Je rejoins notre meule et fais distribution de fruits. Je goutte la graisse et n’ai que le temps de la jeter loin de moi. C’est ignoble.

La journée est bien calme. Les caporaux d’ordinaire* des compagnies amènent chacun un porc pris, abandonné. Il est mis à mort sur place et dépecé. On le fera cuire la nuit. C’est fête.

Je vois la compagnie. Vraiment, le bois est bien organisé. Des tranchées* sont faites de tous côtés. Les hommes s’y trouvent blottis dans la paille, pas mal. Tout le monde est content. Chacun est reposé et le ravitaillement s’opère bien.

Gallica-Tranchée10

Extrait de “La Grande Guerre par les artistes” p. 31 – par Hermann-Paul.

La nuit tombe de nouveau. La journée, à part les tirs de notre artillerie, a été très calme.

Nous restons toujours sur nos positions.

Dans l’après-midi, nous apprenons que le lieutenant–colonel Saget a été blessé grièvement à la tête par éclat d’obus dans Thiéblemont.

 

9 septembre

Au petit jour, les compagnies changent de position. La 5e se place dans le bosquet à 100 mètres à droite devant notre meule, la 6e dans celui à 100 mètres à droite sur la parallèle, la 8e dans celui de gauche ainsi que les chevaux des deux sections mitrailleuses, la 7e j’ignore.

Le temps est bon.

Jacques communique des ordres au galop à cheval entre Thiéblemont et nous.

Extrait de "La Grande Guerre par les artistes" - par Hermann-Paul.

Extrait de “La Grande Guerre par les artistes” – par Hermann-Paul.

Un des peupliers, tout près de nous, a reçu un obus à mi-hauteur. Il est encore debout.

Rigault147RI

http://147ri.canalblog.com/

Vers 9 heures, c’est un bruit assourdissant d’artillerie. Nous ne nous montrons pas et ne bougeons pas de notre coin. Nous recevons la visite du capitaine Rigault, récemment promu, qui commande la 7e compagnie. Il a toujours le sourire aux lèvres.

Thiéblemont brûle en grande partie. Les premières maisons du village sur la route Favresse Thiéblemont valsent sous les obus.Gallica-Thieblemont14Vers midi, nous recevons la nouvelle. Le général Lejaille*, commandant la brigade, est blessé grièvement dans Thiéblemont avec une partie de son état-major. Le colonel Rémond, plus ancien, le remplace. Le lieutenant-colonel Saget prend le commandement du 2e bataillon.

Le commandant Saget était donc bien lieutenant-colonel. Il part avant l’arrivée du capitaine Sénéchal, assez ennuyé parce qu’il quitte sa compagnie, endosse plus de responsabilité et n’a aucune consigne.

Nous communiquons les nouvelles aux compagnies. Le capitaine Aubrun envoie ses félicitations à son ami Sénéchal.

Les obus tombent, nombreux. Nous passons toute notre journée derrière la meule, étendus.

Vers 4 heures, on annonce que Courquin est blessé. Le caporal fourrier* Huvenois le remplace près de nous.

Le soir tombe. Les cuisiniers vont chercher le ravitaillement à Thiéblemont.

À 10 heures, je vais voir sur la route. Les cuisiniers y font la popote*. Je vois pour la première fois comment ils écrasent le café… Un couvercle de bouteillon rempli de grains de café posé sur la terre : on écrase les grains avec la plaque de couche [voir commentaire ci-dessous] et la crosse du fusil.

Je mange un morceau près de mon cuistot et bois un excellent quart* de café : « jus ».

8 septembre

Au point du jour, debout. Les compagnies prennent des positions de défensive entre Favresse et Thiéblemont où il y a quelques bois. Le commandant et sa liaison restent sur la route, à 1500 mètres de Thiéblemont. Nous nous couchons dans les fossés. La journée semble calme.

Soldats-Fosse_1914

Soldats français embusqués derrière un fossé en septembre 1914, posant pour un photographe de presse.

Ne pouvant y tenir, je demande au commandant l’autorisation de me rendre au village, en lui disant que j’ai des morpions. Il sourit, mais se reprend vivement et me donne une heure. Je pars avec la bicyclette de Crespel, le cycliste de bataillon. J’arrive à Thiéblemont. Quelques obus tombent de-ci de-là. Je rencontre Charbonneau, sergent major aux voitures C.H.R. [1]. Je prends quelques fruits dans un jardin. Je rentre dans une maison où se trouvent un vieux et deux femmes, peu aimables, se plaignant de la guerre, des dégâts que nous faisons, etc… Je prends un seau d’eau et réussis à avoir un bout de savon. Je sors et me lave dans un coin complétement. Je broie du noir. Pas de linge pour me changer, c’est terrible. Enfin, nécessité fait loi.

Je ne me suis pas changé depuis le 15 août. Un peu soulagé, je repars en bécane et rejoins le commandant.

Thiéblemont

Thiéblemont 1915.

Il est 10 heures. Il fait un temps idéal. Grand calme à côté d’hier. Je donne les fruits à mes amis de la liaison.

Nous passons l’après-midi près des peupliers, dans les champs, à [proximité d’] une route entre Thiéblemont et Favresse. Les compagnies gardent chacune leurs positions : petites tranchées*.

La journée est calme, à part quelques obus de part et d’autre qui tombent dans Favresse et dans Thiéblemont dont un coin brûle à son tour. Favresse brûle toujours.

Vers le soir, nous rentrons à Thiéblemont au même endroit que la veille. Les cuisiniers reçoivent le ravitaillement et commencent à faire popote.

Une heure à peine après, alors que nous étions déjà étendus le long du mur de la grange, nous repartons. On reprend les positions de jour, les cuisiniers apporteront le repas quand il sera nuit. Nous repartons vers la rangée de peupliers. Une petite meule se trouve à 300 mètres de la route à gauche, face à Favresse. Un petit boqueteau se trouve sur la même ligne à 100 mètres à gauche ; à 250 mètres à droite et 100 mètres en avant, un autre boqueteau.

Le commandant et nous, nous installons derrière la meule dont nous étendons la paille et nous couchons.

Meule-reposIl y a là le commandant Saget, De Juniac, sergent réserviste f.f. [faisant fonction ?] d’adjudant de bataillon, en remplacement de Pécheux, parent du colonel Rémond nommé sous-lieutenant de réserve à la 5e en même temps que l’adjudant Simon, Gallois, Jean Carpentier, Courquin, et moi, sergents fourriers de liaison des 7e, 8e, 6e, et 5e compagnies, ainsi que Jacques, maréchal des logis de liaison, qui est avec son cheval, Gauthier, clairon, et le cycliste Crespel.

Je vais, dans la nuit, communiquer un ordre au capitaine dont la compagnie est, dit-on, voisine de la mienne. Je passe à travers champs avec Carpentier. Il fait nuit noire. Je tombe sur la compagnie de Carpentier. Un homme m’amène dans une section* de ma compagnie ; un de celle-ci au capitaine qui se trouve derrière une meule de paille. On me recommande le plus grand silence : les boches sont tout près. Enfin je rentre à bon port.

 


[1] C.H.R. : Compagnie Hors Rang

Compagnie unique qui se trouve au niveau du régiment et regroupe ce qui touche au fonctionnement administratif, logistique et au commandement du régiment. On y trouve le secrétariat du colonel et de son petit état-major, les cellules traitant de l’approvisionnement en matériel, habillement, nourriture, un peloton de pionniers pour les travaux de protection, la section de brancardiers qui est en même temps la musique du régiment. Pour commander, il faut assurer les liaisons vers les supérieurs et les subordonnés, et naturellement une équipe de téléphonistes y a sa place.