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7 octobre

Repos au [le] Ronchamp

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

Nous partons bientôt, compagnie par compagnie. Nous allons où ? Nous l’ignorons.

Nous filons un moment donné à travers champs. Ceux-ci sont encore détrempés. De plus la lune a disparu. Ce n’est pas agréable comme promenade.

Il fait petit jour et peut être 4 heures et demie du matin quand nous arrivons à l’entrée d’un tout petit hameau. Je vois une auto stationnée à la porte d’une maison. On dit que c’est l’auto d’un colonel qui, chaque soir, dort ici. Alb-VienneleChatLe commandant fait faire la pause et appelle le poste de police du régiment qu’il a quitté et qui l’a laissé là pour nous attendre.

Nous faisons le cantonnement*. Je loge le capitaine Aubrun dans la seule demeure potable du village avec le commandant. On a dit que la maison faisait partie de mon lot.

Une discussion s’élève pourtant entre le capitaine Claire et le mien. Le premier veut se prévaloir de son ancienneté. Le capitaine Aubrun ne s’en occupe pas, le commandant le soutient.

C’est donc la guerre à mort et la haine des chefs se communique aux autres. Si cela continue, il y aura des rixes entre 5e et 6e [compagnies].

La liaison s’est emparée d’une maison abandonnée. Nous avons une première pièce où une planche sur deux tonneaux nous sert de table et quatre chaises bocheuses [1] de sièges . On peut faire du feu de bois, il y a une cheminée ad hoc.

La seconde pièce laisse voir un peu de paille. Ce sera notre chambre à coucher, et la première pièce, notre salle à manger. Le cabinet de toilette en plein air au ruisseau qui coule.VienneLeChateau-08bPlutôt que dormir, il est 7 heures, on se nettoie et on se lave. Je recommence la même manœuvre de lavage de linge. Cela me réussit très bien.

Le temps est beau. Dans la matinée, nous allons rapiner quelques fruits et des pommes de terre car il faut veiller à l’estomac. Chacun se met à l’œuvre et à midi un bifteck pommes frites nous rassasie : c’est une joie qui tient du délire. On porte aux nues notre cuisinier Gauthier.

Nous sommes ici à 8 km de la ligne de feu. Le village, ou plutôt le hameau, compte encore peut-être 16 habitants. Le hameau est situé dans un ravin. L’ennemi n’y a jamais tiré. On interdit cependant tout feu de bois sinon le soir, à la tombée de la nuit, et le matin jusque 6 heures.VienneLaVille-RONCHAMP-21bJe vais plusieurs fois voir le capitaine qui me remercie de lui avoir procuré cette maison malgré les protestations de la 6e compagnie. Les lieutenants Girardin et Lambert sont logés avec lui. Le commandant a une chambre dans la maison et fait popote* avec eux.

Je vois également Lannoy qui a installé le bureau de la compagnie dans une petite maison où se trouvent deux femmes très aimables.

On se couche de bonne heure non sans avoir touché les distributions. On ne veut plus nous servir à part. Un mot du commandant suffit. Nous serons tranquilles dorénavant.


[7] Bocheuses : allemandes (argot ?)