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11 septembre

Colonel Blondin du 91e, commandant la brigade.
Lieutenant-colonel Saget, blessé grièvement.

On dit que le colonel du 91e prend le commandement de la brigade. Le colonel Rémond reprend le 147e et garde le lieutenant-colonel Saget comme adjoint.

L’artillerie ennemie est beaucoup moins tenace que la nôtre. Elle tire assez peu.

Je vais communiquer un ordre au village. Je ne le reconnais plus. Grand nombre de maisons sont démolies, l’incendie a fait le reste. Beaucoup d’animaux de basse-cour se dandinent. Quelques maisons sont encore debout, ouvertes et pillées. Je rentre dans plusieurs. Je prends quelques mouchoirs de poche et un cache-nez. Dans une cave, je trouve un petit pot de graisse que je prends pour du beurre. Heureux, je le fourre dans ma musette et rentre, chargé de fruits.

Je rejoins notre meule et fais distribution de fruits. Je goutte la graisse et n’ai que le temps de la jeter loin de moi. C’est ignoble.

La journée est bien calme. Les caporaux d’ordinaire* des compagnies amènent chacun un porc pris, abandonné. Il est mis à mort sur place et dépecé. On le fera cuire la nuit. C’est fête.

Je vois la compagnie. Vraiment, le bois est bien organisé. Des tranchées* sont faites de tous côtés. Les hommes s’y trouvent blottis dans la paille, pas mal. Tout le monde est content. Chacun est reposé et le ravitaillement s’opère bien.

Gallica-Tranchée10

Extrait de “La Grande Guerre par les artistes” p. 31 – par Hermann-Paul.

La nuit tombe de nouveau. La journée, à part les tirs de notre artillerie, a été très calme.

Nous restons toujours sur nos positions.

Dans l’après-midi, nous apprenons que le lieutenant–colonel Saget a été blessé grièvement à la tête par éclat d’obus dans Thiéblemont.

 

9 septembre

Au petit jour, les compagnies changent de position. La 5e se place dans le bosquet à 100 mètres à droite devant notre meule, la 6e dans celui à 100 mètres à droite sur la parallèle, la 8e dans celui de gauche ainsi que les chevaux des deux sections mitrailleuses, la 7e j’ignore.

Le temps est bon.

Jacques communique des ordres au galop à cheval entre Thiéblemont et nous.

Extrait de "La Grande Guerre par les artistes" - par Hermann-Paul.

Extrait de “La Grande Guerre par les artistes” – par Hermann-Paul.

Un des peupliers, tout près de nous, a reçu un obus à mi-hauteur. Il est encore debout.

Rigault147RI

http://147ri.canalblog.com/

Vers 9 heures, c’est un bruit assourdissant d’artillerie. Nous ne nous montrons pas et ne bougeons pas de notre coin. Nous recevons la visite du capitaine Rigault, récemment promu, qui commande la 7e compagnie. Il a toujours le sourire aux lèvres.

Thiéblemont brûle en grande partie. Les premières maisons du village sur la route Favresse Thiéblemont valsent sous les obus.Gallica-Thieblemont14Vers midi, nous recevons la nouvelle. Le général Lejaille*, commandant la brigade, est blessé grièvement dans Thiéblemont avec une partie de son état-major. Le colonel Rémond, plus ancien, le remplace. Le lieutenant-colonel Saget prend le commandement du 2e bataillon.

Le commandant Saget était donc bien lieutenant-colonel. Il part avant l’arrivée du capitaine Sénéchal, assez ennuyé parce qu’il quitte sa compagnie, endosse plus de responsabilité et n’a aucune consigne.

Nous communiquons les nouvelles aux compagnies. Le capitaine Aubrun envoie ses félicitations à son ami Sénéchal.

Les obus tombent, nombreux. Nous passons toute notre journée derrière la meule, étendus.

Vers 4 heures, on annonce que Courquin est blessé. Le caporal fourrier* Huvenois le remplace près de nous.

Le soir tombe. Les cuisiniers vont chercher le ravitaillement à Thiéblemont.

À 10 heures, je vais voir sur la route. Les cuisiniers y font la popote*. Je vois pour la première fois comment ils écrasent le café… Un couvercle de bouteillon rempli de grains de café posé sur la terre : on écrase les grains avec la plaque de couche [voir commentaire ci-dessous] et la crosse du fusil.

Je mange un morceau près de mon cuistot et bois un excellent quart* de café : « jus ».

8 septembre

Au point du jour, debout. Les compagnies prennent des positions de défensive entre Favresse et Thiéblemont où il y a quelques bois. Le commandant et sa liaison restent sur la route, à 1500 mètres de Thiéblemont. Nous nous couchons dans les fossés. La journée semble calme.

Soldats-Fosse_1914

Soldats français embusqués derrière un fossé en septembre 1914, posant pour un photographe de presse.

Ne pouvant y tenir, je demande au commandant l’autorisation de me rendre au village, en lui disant que j’ai des morpions. Il sourit, mais se reprend vivement et me donne une heure. Je pars avec la bicyclette de Crespel, le cycliste de bataillon. J’arrive à Thiéblemont. Quelques obus tombent de-ci de-là. Je rencontre Charbonneau, sergent major aux voitures C.H.R. [1]. Je prends quelques fruits dans un jardin. Je rentre dans une maison où se trouvent un vieux et deux femmes, peu aimables, se plaignant de la guerre, des dégâts que nous faisons, etc… Je prends un seau d’eau et réussis à avoir un bout de savon. Je sors et me lave dans un coin complétement. Je broie du noir. Pas de linge pour me changer, c’est terrible. Enfin, nécessité fait loi.

Je ne me suis pas changé depuis le 15 août. Un peu soulagé, je repars en bécane et rejoins le commandant.

Thiéblemont

Thiéblemont 1915.

Il est 10 heures. Il fait un temps idéal. Grand calme à côté d’hier. Je donne les fruits à mes amis de la liaison.

Nous passons l’après-midi près des peupliers, dans les champs, à [proximité d’] une route entre Thiéblemont et Favresse. Les compagnies gardent chacune leurs positions : petites tranchées*.

La journée est calme, à part quelques obus de part et d’autre qui tombent dans Favresse et dans Thiéblemont dont un coin brûle à son tour. Favresse brûle toujours.

Vers le soir, nous rentrons à Thiéblemont au même endroit que la veille. Les cuisiniers reçoivent le ravitaillement et commencent à faire popote.

Une heure à peine après, alors que nous étions déjà étendus le long du mur de la grange, nous repartons. On reprend les positions de jour, les cuisiniers apporteront le repas quand il sera nuit. Nous repartons vers la rangée de peupliers. Une petite meule se trouve à 300 mètres de la route à gauche, face à Favresse. Un petit boqueteau se trouve sur la même ligne à 100 mètres à gauche ; à 250 mètres à droite et 100 mètres en avant, un autre boqueteau.

Le commandant et nous, nous installons derrière la meule dont nous étendons la paille et nous couchons.

Meule-reposIl y a là le commandant Saget, De Juniac, sergent réserviste f.f. [faisant fonction ?] d’adjudant de bataillon, en remplacement de Pécheux, parent du colonel Rémond nommé sous-lieutenant de réserve à la 5e en même temps que l’adjudant Simon, Gallois, Jean Carpentier, Courquin, et moi, sergents fourriers de liaison des 7e, 8e, 6e, et 5e compagnies, ainsi que Jacques, maréchal des logis de liaison, qui est avec son cheval, Gauthier, clairon, et le cycliste Crespel.

Je vais, dans la nuit, communiquer un ordre au capitaine dont la compagnie est, dit-on, voisine de la mienne. Je passe à travers champs avec Carpentier. Il fait nuit noire. Je tombe sur la compagnie de Carpentier. Un homme m’amène dans une section* de ma compagnie ; un de celle-ci au capitaine qui se trouve derrière une meule de paille. On me recommande le plus grand silence : les boches sont tout près. Enfin je rentre à bon port.

 


[1] C.H.R. : Compagnie Hors Rang

Compagnie unique qui se trouve au niveau du régiment et regroupe ce qui touche au fonctionnement administratif, logistique et au commandement du régiment. On y trouve le secrétariat du colonel et de son petit état-major, les cellules traitant de l’approvisionnement en matériel, habillement, nourriture, un peloton de pionniers pour les travaux de protection, la section de brancardiers qui est en même temps la musique du régiment. Pour commander, il faut assurer les liaisons vers les supérieurs et les subordonnés, et naturellement une équipe de téléphonistes y a sa place.

 

7 septembre – Chapitre IV Bataille de la Marne

Thiéblemont Favresse

Plan07-09-14Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Au point du jour, le commandant nous fait communiquer un ordre qui émane du général en chef ; il faut résister coûte que coûte jusqu’au dernier, vaincre ou mourir.

Favresse est abandonné. Les compagnies partent chacune dans une direction au-delà du village. Vers la voie ferrée Vitry-le-François Saint-Dizier.

Nous restons dans le village avec le commandant qui s’assied sous un gros chêne.

La 5e compagnie est partie sur la route ouest vers la voie ferrée de Vitry-le-François à Saint-Dizier. Je communique plusieurs fois des ordres au capitaine Aubrun qui se trouve dans un fossé, le long d’une haie à la sortie du village.

Je me promène dans le village et rentre dans quelques fermes où se promènent de la basse-cour et quelques porcs. Tout est abandonné.Gallica-fermeabandon

Vers 9 heures, je vois Carbonnier avec un cheval et un chariot qui est revenu de Thiéblemont et repart au grand galop. Il a chopé la bonne place. Sans doute a-t-il apporté des outils ou des munitions.

Vers 10 heures, un gros obus tombe juste en face de nous dans une épicerie ; nous sommes aveuglés un instant, c’est tout. Nous allons voir les dégâts.

Soudain d’autres obus arrivent. Nous quittons en vitesse notre coin pour nous poster vers l’ouest. Nous passons dans un jardin où le commandant et nous, mangeons quelques prunes.

Puis, petit à petit, nous nous replions vers une ligne d’arbres peupliers qui se trouvent à 1500 mètres de nous.

Devant nous, par petites portions, nous voyons également arriver les compagnies. Il y en a une, la 6e, on ne sait où elle est.

Nous étions sur le côté gauche de la route face à Favresse. Vers midi, nous passons dans les champs sur le côté droit. Les compagnies font des mouvements dans tous les sens.

Nous nous rencontrons avec le capitaine Dazy, commandant le 1er bataillon.

Celui-ci dit au commandant Saget qu’il a de la chance d’avoir sa liaison avec lui car la sienne s’est volatilisée.

Les obus éclatent en grand nombre autour de nous.ExplosionOBUS14Nous nous couchons, suivant le commandant chaque fois qu’il se déplace, et il le fait souvent.

J’apprends que c’est le capitaine Dazy qui commande le 1er bataillon en remplacement du commandant Brion blessé le 28 août, et le capitaine Vasson le 3e [bataillon] en remplacement du commandant Dumont qui est mort de ses blessures.

Jusque 4 heures de l’après-midi, nous attendons, couchés en plein soleil sous les obus. Devant nous une bonne partie du village brûle. Des obus tombent aussi sur Thiéblemont.

Vers 4 heures, le commandant Saget crie « En avant ! » et s’élance, suivi par nous. Aussitôt une quantité d’obus percutants et de shrapnells* tombent autour de nous. Je vois le culot d’un obus qui roule par terre, dégageant une forte poussière, et me frôle le pied droit.

Le commandant court à l’abri derrière trois meules de paille. Nous le suivons, plus morts que vifs. Gallica-repos4-Meule
Vers 5 heures, nous repartons en hâte vers la rangée de peupliers ; les obus cessent un peu de tomber.
Tout Favresse est en flammes, un nuage de fumée s’en dégage.CP-favresse_1914

1914 favresse1

Favresse, images extraites de « Les champs de bataille de la Marne »

1914 favresse

Favresse, images extraites de « Les champs de bataille de la Marne »

Les compagnies se replient, mais pas au goût du chef de bataillon qui m’envoie les rallier et le [bataillon] faire obliquer à droite vers la rangée de peupliers qui se trouvent sur la droite de la route, face à Thiéblemont.

Je m’élance à travers champs, vois quelques fractions et tombe enfin sur l’adjudant Mouchy, de la 7e compagnie, qui a rallié une centaine d’hommes. Il est très déprimé et m’annonce la mort du sous-lieutenant de réserve X (j’ai oublié le nom).

N’en pouvant plus, je m’arrête près d’un caisson d’artillerie. CaissonArtillUn artilleur me donne de l’eau et un Pernod trouvé dans les caves de Thiéblemont. Il me conseille de m’y rendre. J’accepte et reste encore un peu. Deux soldats de ma compagnie, perdus, arrivent sur ces entrefaites. Nous partons bientôt tous trois vers Thiéblemont par un chemin de terre. Le soir tombe.

Les obus ne tombent plus et notre artillerie s’est tue. Après une heure de marche, nous croyant parfois perdus et interrogeant chaque militaire rencontré, nous arrivons sur la route de Favresse à Thiéblemont, à la lisière du village. Je rencontre le bataillon dont les cuisiniers font popote, les feux sont allumés et le ravitaillement arrivé. Je ne songe plus à aller dans le village, heureux de retrouver la liaison.

On sort des bottes de paille d’une grange. On les étale le long du mur et nous nous étendons dehors, près du commandant. Les compagnies bivouaquent en plein champs.CP-bataille-marne14 Je suis malheureux car mes démangeaisons continuent.

Dans la nuit, je vais au village voir le médecin major Mialaret. Je le trouve couché sur un lit infect, dans un réduit abandonné. Il me conseille de me laver au pétrole, car l’onguent gris [1], il n’en a pas, pas plus que du pétrole. Il faut que je me débrouille. Je le quitte, pleurant de misère.

Je me rends dans une ferme où je trouve une lampe à pétrole. Je sors et me déshabille dans la rue. Je trouve des ciseaux dans une maison abandonnée et dévastée du docteur du pays. J’agis selon les conseils du major. Cela brûle énormément ; je suis un peu soulagé. Je remets mes effets et rentre à la liaison d’une mélancolie inouïe. Quelle vie !

 


[1] Onguent gris : Médicament à base de résine, de corps gras et de divers principes actifs, destiné à être appliqué sur la peau (sorte de pommade). L’onguent gris était utilisé comme antiparasite.


Voir en vidéo : La bataille de la Marne
(Extrait du journal télévisé de France 2, daté du 06 septembre 2014)

5 septembre

Nous quittons dans la nuit. Il peut être 3 heures du matin.

Pour la première fois, des chariots sont prêts, conduits par des gens du pays réquisitionnés afin de transporter les havresacs [1]. Nous sommes des plus heureux de la décision prise.

La marche est rapide aussi. Chacun commence à être blasé. Fini les marches en colonnes par quatre, bien alignées. C’est un véritable troupeau de gens qui boitent, en regardant le sol et fixant d’un œil désespéré l’horizon. La vue d’un village donne parfois un faible espoir, une grand’halte, peut-être le cantonnement*. Mais on a déjà éprouvé tant de désillusions… Chacun est blasé.

Nous traversons rapidement un village. Il est aussi mort que les autres. À part quelques habitants, tout le monde est parti, fuyant devant l’ennemi. C’est ? .

Nous sommes sur la route de Vitry-le-François. Quelques kilomètres plus loin, nous traversons Givry-en-Argonne.

Bientôt nous rencontrons un grand convoi de chevaux, blessés ou malades, conduits par quelques chasseurs à cheval.chevauxBlessesNous faisons la pause. Un chasseur nous dit que les chevaux sont conduits en Bretagne pour être retapés et qu’ils proviennent des combats de Belgique. Ils ont été débarqués à Sainte-Menehould. Nous poursuivons notre route, avec le vif désir de croquer quelques fruits que nous voyons, mais toujours défense d’y toucher.

La route devient longue. Pas étonnant qu’on nous ait dispensés de nos havresacs. Nous filons donc vers Vitry-le-François.

Il est 8 heures, le soleil est brûlant. On fait la pause dans un petit pays qu’on appelle Saint-Mard. Je rentre dans une demeure où je prends ce qui reste de mieux : un bout de fromage et quelques pommes que les habitants, deux bons vieux, me donnent pour 0,50.

Nous continuons notre marche rapide. Au milieu du village, l’adjudant Simon, promu sous-lieutenant, rencontre le lieutenant Werner à cheval. Celui-ci le félicite de la main.

Soudain nous obliquons à gauche. On quitte donc la route de Vitry-le-François. Je vois Bar-le-Duc sur les bornes kilométriques.

C’est à croire que nous sommes fous de filer ainsi, car jamais nous n’avons été agrippés aux boches.

Vers 11 heures, nous arrivons à Nettancourt où nous faisons une petite pause. Nous obliquons un peu plus loin à gauche. Vers midi, nouvelle pause, nouveau village, Vroil. On continue encore, il fait chaud, il faut bien pourtant que nous fassions grand’halte. On dit que c’est au prochain village.

Il est 13 heures quand nous arrivons dans un petit village que les bornes avaient peu à peu rapproché de nous. C’est Bettancourt-la-Longue.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

On va y faire sans doute le cantonnement* car nous avons bien fait 25 km déjà. A droite du centre du bourg, se trouve une petite hauteur. On s’y installe. Ceux qui ont quelque chose à faire cuire peuvent faire du feu.

Beaucoup de fruits ; malgré la défense, on chipe quelques pommes. Le soleil est brûlant et, à l’ombre, on s’assoupit. Nous sommes fatigués car on a bien fait une vingtaine de kilomètres.

16795255Il peut être 3 heures de l’après-midi quand un grand rassemblement se forme. On amène un uhlan* qui vient d’être pris blessé. Nous l’apercevons à peine, il est emmené. Une demi-heure après, nous quittons à la hâte nos emplacements. Nous suivons une route, puis nous enfonçons dans les champs jusqu’à un verger qui se trouve sur une petite colline. Nous dépassons celle-ci et nous arrêtons sur le flanc opposé, divisés par petits paquets, aux aguets, avec sentinelle* double à la crête.

On se demande ce qu’on fait. Certains disent que la cavalerie ennemie est derrière nous, d’où le uhlan prisonnier.

Insouciants, beaucoup simulent un besoin pressant et reviennent les poches remplies de prunes.

Le temps est splendide. Il fait chaud. Nous nous replions peu après et arrivons près d’un village.

Ce village doit être Raucourt [-sur-Ornain]. On se cache dans les fossés longeant la route : nous sommes toujours avec le commandant Saget. Les compagnies occupent les lisières du village : la mienne, la 5e, se trouve dans plusieurs jardins, cachée derrière des haies.

Nous voyons soudain des pelotons de chasseurs à cheval aller et venir le long de la route.

Dragons

Reconnaissance de Cavalerie Cuirassier, arbres hachés par l’artillerie – (France ou Belgique) 1914

Il peut être 5 heures et demie quand une auto arrive au centre du village où nous nous tenons avec le commandant. Le général Lejaille*, commandant la brigade, en descend. Le colonel Rémond le reçoit ; ils parlent. Peu après, l’auto repart avec le général assis près du chauffeur et j’entends le brigadier dire en riant au colonel, « Vous voyez, je suis passé agent de liaison* ».

Le crépuscule commence. Nous partons en hâte. Cela devient inquiétant et très fatigant. Pourtant, tout a été calme et aucun coup de feu n’a été entendu.

Nous avons espoir que le cantonnement est tout près. Nous passons un pont sur une petite rivière, l’Ornain. On marche, au début, avec énergie.

Mais il est 8 heures et toujours rien. A peine une pause de quelques minutes et on repart. La nuit est noire, on ne voit aucune borne kilométrique, c’est désespérant.

Enfin vers 9 heures, des lumières. Le commandant que nous suivons est de beaucoup en avance sur la colonne du bataillon. Nous arrivons dans une agglomération extraordinaire. Nous rencontrons des troupes de toutes espèces. Ceci joint à une grande obscurité nous abrutit et nous enlève une partie de notre bon sens. Nous n’avons qu’une idée, ne pas nous perdre, et nous ne pensons plus au bataillon qui nous suit à plus d’un kilomètre.

Nous passons une voie ferrée et, à la faible lueur des lumières, nous voyons quelques cheminées d’usines.

Puis nous passons un assez grand pont au-dessus d’une rivière dont les eaux roulent avec fracas, « le Saulx », nous dit le commandant. La ville est Sermaize-les-Bains.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous entrons par les rues obstruées d’hommes, de chevaux et de véhicules. Soudain, je vois un café ouvert. Je ne puis résister à la spontanéité de mon geste. Avant d’y songer, je suis au comptoir. C’est un débit de tabac où on donne à boire. Je commande à la hâte une grenadine. J’étais suant, soufflant, rendu ; j’avale à la hâte la boisson et ne songe même pas à acheter des cigarettes.

Je cours dans la direction suivie par la liaison. C’est une rue montante. Heureusement je tombe dans la compagnie de tête du bataillon, la 5e compagnie, la mienne, je ne suis pas perdu.

On continue à marcher ; tout le monde est à bout. Enfin la pause !

Je suis près du capitaine qui tombe presque de cheval.

Il sonne à la porte d’une riche maison, dans le genre d’un château, et j’entends le colloque.

Le capitaine, affamé, demande à la jeune dame qui ouvre, sans doute la jeune fille de la maison, quelque chose par charité. La dame lui apporte deux œufs crus et un crouton de pain, n’ayant que cela. Elle lui demande en retour ce qu’elle doit faire avec sa vieille mère.

Le capitaine lui répond de filer le soir même. C’est son merci.

Nous repartons bientôt. Il est 10 heures du soir au moins. Réellement, c’est à perdre la tête que marcher ainsi continuellement. Après 1 km de marche, nous nous arrêtons. Je retrouve la liaison et le commandant. Celui-ci nous dit qu’on bivouaque ici.

J’avise un fossé et m’y installe sans m’occuper du reste. Je suis à bout.

Une demi-heure après, je suis réveillé par Jacques, le maréchal des logis de liaison. On va plus loin.

Comme des automates on repart. Je m’accroche à l’étrier du cheval du maréchal des logis. Le commandant nous entraîne, nous disant de marcher vite afin de devancer la colonne et de pouvoir faire parfois la pause.

À chacun des kilomètres parcourus, nous nous arrêtons trois minutes. C’est pour se coucher aussitôt sur le bord de la route.

Celle-ci nous semble longue. Combien de parcours avons-nous fait aujourd’hui ? Je l’ignore.

Mais nous sommes partis vers 3 heures ce matin ; il est minuit ; nous sommes encore en route.

Il est près d’1 heure du matin quand nous arrivons dans un petit pays. On s’installe où on peut, ouvrant les granges, les écuries, les maisons, malgré les protestations des habitants qui dormaient paisiblement.

La liaison couche dans une petite grange pleine de paille. On ne s’occupe de rien, on s’étend équipés, on dort aussitôt.

Pour cette fois, chacun a fait son cantonnement* soi-même.


[1] Havresac : Sac se portant sur le dos, contenant l’équipement du fantassin en campagne ou en manœuvre.

havresac1. Havresac contenant les effets personnels du soldat (linge, produits d’hygiène, etc.).
2. Paire de brodequins de rechange, dotés d’une épaisse semelle cloutée.
3. Tente de toile que les soldats prennent souvent l’habitude d’utiliser comme un vêtement imperméable qu’ils disposent par-dessus leur capote.
4. Piquets et sardines.
5. Hache à main.
6. Couverture de campement.
7. Gamelle individuelle.
8. Seau en toile.

Source : http://crdp.ac-amiens.fr/pensa/1_2_case3.php


Pour en savoir plus sur l’équipement du fantassin : http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr/uniforme-equipement.htm

 

4 septembre

Nous partons de bon matin. Jamais de nouvelles de chez nous. Cela commence à peser à tout le monde.

On est un peu démoralisés par la retraite [1]. Enfin nous avons eu le ravitaillement et avons quelque chose pour aujourd’hui. Heureux celui qui a pu conserver son sac jusqu’à ce jour ! On l’apprécie pour s’asseoir, se coucher, y mettre un peu d’affaires à soi, etc…

Nous tombons sur une grand-route. En route, on dit que le commandant Saget est passé lieutenant-colonel. Le temps est beau et la marche normale.

Malheureusement pour faire, un peu plus loin nous dépassent le général Rabier et sa suite. Il trouve que nous n’allons pas assez vite et attrape le colonel Rémond qui part en hâte au galop.

Je vois une borne kilométrique : Vitry-le-François 44 km.

Il est 7 heures de l’après-midi quand nous arrivons au Vieil-Dampierre.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Je fais le cantonnement* et si peu de choses.

TomeII

Couverture du deuxième cahier intitulé Tome II

4 septembre (suite)

J’ai la gauche de la route où se trouve une seule ferme près de la route. Celles plus loin ne m’appartiennent pas. Dans la maison, je loge les officiers, dans les granges la troupe. Le fermier seul reste ; il part demain. Il donne tout pour [que] cela ne serve pas aux boches. On fait la cuisine de la compagnie dans la cour. Le ravitaillement nous est parvenu.Gallica-Cuisine6Je reçois du vaguemestre*, au moment où je bois du lait à la porte de l’étable, un mot de la maison avec un mandat de 30 frs. La lettre porte le cachet de séjour à Laon.

Lampe pigeon

Lampe pigeon

Je prends dans la ferme une petite lampe pigeon que je mets soigneusement dans mon sac. Elle pourra toujours me servir.

Je m’endors dans le foin, tirant mes souliers. Je suis toujours avec la liaison du bataillon. Nous sommes dérangés quatre fois la nuit pour porter des ordres. Dans le foin, avec nous se trouvent des fugitifs civils, femmes et enfants. Cela fait peine à voir.

 


[1] Retraite : Marche en arrière d’une armée qui ne peut se maintenir sur ses positions.

1er septembre

Repos à Chevières, près Grandpré

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

On se réveille tout étonnés qu’il soit grand jour. Il est 9 heures. Quoi ! Un repos ? Quelle chance !

À 10 heures, l’aumônier de la division dit une messe dans la petite église. On peut se confesser. La majorité d’entre nous s’y rendent.Gallica-messe2
L’après-midi, beaucoup vont se baigner et laver leur linge dans un petit étang. Quel délice ! Je fais comme tous et change de linge, l’unique chemise que j’ai pu mettre dans le coffre de la voiture de compagnie.

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Camp de la Croix-Gentin entre Vienne-la-Ville, la Chalade et Moiremont : lavage du linge – 1915.07.27 ©Ministère de la Culture (France) – Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine – Diffusion RMN

Un renfort de réservistes est là. La compagnie revient à son effectif de guerre.

On mange en popote* midi et soir. Nous sommes heureux ! On fait la sieste ! Les fatigues sont déjà oubliées ?

Je suis nommé sergent fourrier*, Lannoy passe sergent major en remplacement de Monchy nommé adjudant à la 7e compagnie. Le capitaine aurait préféré garder Monchy. Je vais donc faire partie de la liaison du bataillon. Jamesse prend ma place de caporal fourrier. Un nouvel adjudant, en sergent major promu, part à la 5e compagnie.

GalGerard2

Général Gérard

Dans la soirée, sur la place, je vois le général Gérard commandant notre corps, le 2e C.A., venu en auto, conférer avec le général de brigade Lejaille qui loge dans le village.

Je serre la main à des habitants de Marville qui ont fui l’invasion, les personnes chez qui le commandant Saget et ses officiers tenaient popote.