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[1] Section : La section est la subdivision de la compagnie et comprend environ 65 hommes. Elle est généralement commandée par un sous-lieutenant.

27 octobre – Chapitre III

Bois de la Gruerie : secteur Bagatelle Pavillon – Troisième séjour

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

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Plan extrait du  J.M.O.* du 147e régiment d’infanterie (26 N 695/11) – 1er novembre 1914

Toute la nuit la fusillade a été incessante. Nous n’avons pas fermé l’œil.

Au petit jour, chacun de nous se rend à sa compagnie pour prendre le compte rendu de la nuit. Je trouve le capitaine assez satisfait. La relève* s’est bien passée. Il me dit que le secteur est mauvais et qu’il a des soucis pour la section* Culine qui est isolée et avec qui il est difficile de communiquer de jour.

Pour l’aller et le retour, je suis un chemin boueux dans le bois. Il me faut au bout de 200 mètres obliquer à droite et foncer sur le PC du capitaine que j’aperçois car je puis être vu.

Sur mon chemin, je rencontre des éléments de tranchée*. Ce n’est pas chose facile et la difficulté doit s’accroître la nuit. Heureux ai-je été la nuit dernière de suivre le commandant de la compagnie relevée. Je ne m’y serais pas reconnu.

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Secteur Z : boyau conduisant à l’ouvrage Prévost – 1916.05.20 ©Ministère de la Culture (France)

Dans le jour, je communique plusieurs fois et profite de chaque voyage pour amener un sac de 1000 cartouches. Je prends des points de repère pour la nuit. Je compte mes pas malgré les balles qui sifflent et me font instinctivement baisser la tête. Le terrain est boueux. Je souhaite n’avoir pas à communiquer dans l’obscurité.

Nous passons notre journée à nous installer. Le gourbi* que nous occupons prend tournure. Nous pouvons y faire un peu de feu en prenant soin à la fumée. Gauthier fait la popote* du commandant que nous voyons souvent à la porte de son gourbi, fumant tranquillement sa pipe.

Le mitrailleur René nous raconte que le matin, il a manqué de se faire tuer en s’égarant entre les deux lignes. Heureusement, en se repliant en rampant sous les balles ennemies, il est tombé dans la tranchée du lieutenant Lambert de la 5e compagnie. Il a mis deux heures à se reconnaître et trouver l’emplacement des sections de mitrailleuses. Sale métier que celui d’agent de liaison*.

Gallois et Carpentier se plaignent que leurs compagnies sont éloignées et qu’il leur faut une heure pour l’aller et le retour. Nous sommes tous pleins de boue.

Une fraction du 272e est derrière nous en soutien. Deux officiers logent avec le commandant.

Je porte vers le soir un sac de bombes en forme de boîtes de conserve, des pétards à mèche en forme de nougats au capitaine. Celui-ci envoie une corvée [1] pour en toucher ainsi que des cartouches au PC du bataillon. Ces pétards sont bien reçus par la troupe qui, aussitôt, accable les boches de projectiles. On entend les détonations et la fusillade crépite. Les tranchées sont très rapprochées : le sergent Collin est à 15 mètres d’eux. Le plus tranquille est le sergent Huyghe qui se trouve à 60 mètres et derrière un dos d’âne. Quant à Culine, il est presque impossible de communiquer avec lui de jour. Il se trouve à droite d’un boyau séparé du lieutenant Lambert par une trentaine de mètres, qu’on creuse sous les bombes ennemies afin de faire communiquer les deux tranchées. Dans le rapport du soir, on signale quelques pertes en blessés surtout.

À la nuit, les cuisiniers partent. Ils doivent rentrer au petit jour. Le commandant garde ses fourriers* il n’y a pas d’ailleurs d’agent de liaison en second. Gauthier, le mitrailleur René et Crespel partent donc pour La Harazée.

Nuit assez calme malgré une intense fusillade.


[1] Corvée : Désignation générale de tous les travaux pénibles susceptibles d’être effectués par les combattants, au front comme au cantonnement. Les corvées peuvent être de nature très diverse : de cuisine, d’eau, de feuillées, de réparation, de barbelés… Le terme désigne enfin les hommes qui sont chargés de les accomplir.

8 octobre

On se lève tard. Les nuits sont excellentes dans un pays comme celui-ci à en juger par celle que nous venons de faire.

Je vais prendre le café avec mon cousin Louis. Il est installé avec sa section* non loin de moi.

Dans la matinée, des chasseurs à cheval stationnent près de notre demeure. Ils me donnent quelques feuilles de papier à cigarettes. Quelle aubaine !

Je passe une partie de la journée à aider Lannoy dans son travail de comptabilité.

Dans l’après-midi, le bruit court que des cas de fièvre typhoïde [1] se sont déclarés dans le bataillon. Aussitôt, on ajoute qu’il est isolé et ne repartira plus au feu. La vérité et qu’un soldat de la 5e, Chollet, coiffeur, a apparence de typhoïde. Il est évacué le soir même.

Dans une maison voisine, la liaison de la compagnie fait des crêpes. J’en mange quelques-unes. C’est délicieux. Vers 5 heures, les sous-officiers de la compagnie sont rassemblés en cercle près d’un talus, non loin du cantonnement*, et une discussion épique [2] a lieu sur la religion : Gilbert, Pellé et Boutillier sont les plus acharnés.


[1] Fièvre typhoïde, ou typhoïde : maladie infectieuse, contagieuse et transmise aussi par l’eau et les aliments, due à une salmonelle, caractérisée par une fièvre, un état de stupeur et des troubles digestifs.

[2] Épique : (ici familier et ironique) mémorable par son caractère pittoresque, extraordinaire.

2 octobre

Les jours se suivent et se ressemblent. On commence à désespérer d’être relevés [1].

Dans l’après-midi, profitant d’une communication au capitaine, je vais voir quelques amis dans le bois : la sectionen réserve, car il n’y a que trois sections en ligne.

Vers midi, ce sont toujours des obus jusque 2 heures. On connaît l’heure.

Les nuits sont toujours froides. On se réveille les pieds gelés. Les repas, à part celui que nous prenons à minuit et qui est en moitié chaud, sont toujours froids. De plus, l’abus de conserve fait que beaucoup se plaignent de diarrhée. J’en ai ma part.

 


[1] La relève : c’est le remplacement d’une unité par une autre dans les tranchées. Opération dangereuse car bruyante et conduisant au regroupement d’un grand nombre de combattants, elle se fait généralement de nuit. Sa périodicité n’est pas fixée strictement, mais une unité en première ligne est généralement relevée au bout de quatre à sept jours. La relève s’effectue par les boyaux.

17 septembre

Le jour se lève. Il fait un froid de canard. On décide de faire du feu. Chacun se plaint aussi du manque de ravitaillement.

Nous recevons un mot du colonel disant d’envoyer les cuisiniers avec un sergent major et les caporaux d’ordinaire* ainsi que des hommes de corvée pour toucher les vivres. Les hommes de corvée amèneront le vin, le pain, etc… Les cuisiniers prépareront les vivres et les monteront.

Lannoy, de la 5e compagnie, part comme sergent major. Il commence à pleuvoir. C’est réellement de la malchance.

Après tout le défilé des cuistots, etc., ce sont ceux du 120e qui passent. Cela nous distrait un peu. Ceux-ci nous disent que notre feu amènera des obus. On rit.

Quelques obus tombent de temps en temps mais loin de nous, en plein bois.

Le capitaine Aubrun, de la 5e, envoie notes sur notes au sujet de son manque de liaison avec la 6e dont il accuse le capitaine commandant Claire de mauvaise volonté, de peur, etc., disant qu’il ne répond de rien et signalera le capitaine Claire au commandement.

Après avoir tergiversé avec Claire et Aubrun par écrit, Sénéchal, vers 11 heures se décide à boucher le trou par un peloton de la 8e compagnie. Mais Aubrun et Claire ont brisé leur amitié ; ils s’en voudront à mort.

Vers midi, la pluie cesse. Cela suffit d’ailleurs amplement, nous sommes percés et ne sentons plus notre estomac. C’est un jeûne de trente-six heures au moins.

L’après-midi se passe à tâcher de rallumer du feu et à se sécher. Je communique quelques ordres. Le capitaine est toujours au même endroit. Il souffre beaucoup du froid, de la faim et de la soif. Je vois aussi le sous-lieutenant Simon qui se trouve près de la section* de mitrailleuses en embuscade. section_mitraill3Le capitaine me dit de me coucher quand je suis près de lui, car les balles sifflent à tout bout de champ.

Dans mes pérégrinations à travers bois, je m’attends toujours à rencontrer un boche. Aussi, j’ai mon arme prête à faire feu.

Le soir tombe sans changement. Nous coupons des branches afin de faire une espèce d’abri de feuillage. La pluie arrive sur ces entrefaites, une pluie désagréable au possible certes, nous étions à moitié secs et voici de nouveau que nous sommes percés.

On se met sous le feuillage, on se couvre de son mieux. L’eau tombe toujours et c’est l’obscurité complète.

8 septembre

Au point du jour, debout. Les compagnies prennent des positions de défensive entre Favresse et Thiéblemont où il y a quelques bois. Le commandant et sa liaison restent sur la route, à 1500 mètres de Thiéblemont. Nous nous couchons dans les fossés. La journée semble calme.

Soldats-Fosse_1914

Soldats français embusqués derrière un fossé en septembre 1914, posant pour un photographe de presse.

Ne pouvant y tenir, je demande au commandant l’autorisation de me rendre au village, en lui disant que j’ai des morpions. Il sourit, mais se reprend vivement et me donne une heure. Je pars avec la bicyclette de Crespel, le cycliste de bataillon. J’arrive à Thiéblemont. Quelques obus tombent de-ci de-là. Je rencontre Charbonneau, sergent major aux voitures C.H.R. [1]. Je prends quelques fruits dans un jardin. Je rentre dans une maison où se trouvent un vieux et deux femmes, peu aimables, se plaignant de la guerre, des dégâts que nous faisons, etc… Je prends un seau d’eau et réussis à avoir un bout de savon. Je sors et me lave dans un coin complétement. Je broie du noir. Pas de linge pour me changer, c’est terrible. Enfin, nécessité fait loi.

Je ne me suis pas changé depuis le 15 août. Un peu soulagé, je repars en bécane et rejoins le commandant.

Thiéblemont

Thiéblemont 1915.

Il est 10 heures. Il fait un temps idéal. Grand calme à côté d’hier. Je donne les fruits à mes amis de la liaison.

Nous passons l’après-midi près des peupliers, dans les champs, à [proximité d’] une route entre Thiéblemont et Favresse. Les compagnies gardent chacune leurs positions : petites tranchées*.

La journée est calme, à part quelques obus de part et d’autre qui tombent dans Favresse et dans Thiéblemont dont un coin brûle à son tour. Favresse brûle toujours.

Vers le soir, nous rentrons à Thiéblemont au même endroit que la veille. Les cuisiniers reçoivent le ravitaillement et commencent à faire popote.

Une heure à peine après, alors que nous étions déjà étendus le long du mur de la grange, nous repartons. On reprend les positions de jour, les cuisiniers apporteront le repas quand il sera nuit. Nous repartons vers la rangée de peupliers. Une petite meule se trouve à 300 mètres de la route à gauche, face à Favresse. Un petit boqueteau se trouve sur la même ligne à 100 mètres à gauche ; à 250 mètres à droite et 100 mètres en avant, un autre boqueteau.

Le commandant et nous, nous installons derrière la meule dont nous étendons la paille et nous couchons.

Meule-reposIl y a là le commandant Saget, De Juniac, sergent réserviste f.f. [faisant fonction ?] d’adjudant de bataillon, en remplacement de Pécheux, parent du colonel Rémond nommé sous-lieutenant de réserve à la 5e en même temps que l’adjudant Simon, Gallois, Jean Carpentier, Courquin, et moi, sergents fourriers de liaison des 7e, 8e, 6e, et 5e compagnies, ainsi que Jacques, maréchal des logis de liaison, qui est avec son cheval, Gauthier, clairon, et le cycliste Crespel.

Je vais, dans la nuit, communiquer un ordre au capitaine dont la compagnie est, dit-on, voisine de la mienne. Je passe à travers champs avec Carpentier. Il fait nuit noire. Je tombe sur la compagnie de Carpentier. Un homme m’amène dans une section* de ma compagnie ; un de celle-ci au capitaine qui se trouve derrière une meule de paille. On me recommande le plus grand silence : les boches sont tout près. Enfin je rentre à bon port.

 


[1] C.H.R. : Compagnie Hors Rang

Compagnie unique qui se trouve au niveau du régiment et regroupe ce qui touche au fonctionnement administratif, logistique et au commandement du régiment. On y trouve le secrétariat du colonel et de son petit état-major, les cellules traitant de l’approvisionnement en matériel, habillement, nourriture, un peloton de pionniers pour les travaux de protection, la section de brancardiers qui est en même temps la musique du régiment. Pour commander, il faut assurer les liaisons vers les supérieurs et les subordonnés, et naturellement une équipe de téléphonistes y a sa place.

 

24 août

Au petit jour, nous marchons encore et sommes en pays inconnu. Le bataillon est isolé. Le long de la lisière d’un bois, on fait halte. Des marocains, de l’infanterie coloniale, passent en se traînant plutôt qu’ils ne marchent. Quelques-uns sont blessés. Le commandant nous fait présenter les armes.Gallica-marocainLe soleil se lève. Nous rebroussons chemin. La compagnie s’installe sur une crête qui domine le bois que nous venons de quitter.

On fait des tranchées dans les champs. A 10 heures, nous étions installés ; à part un ou deux guetteurs par section*, tout le monde dort dans la tranchée au soleil.

Gallica-Tranchée6Vers 11 heures, une corvée* d’eau descend vers un village que nous avons à droite, à 2 km en avant de nous. Son nom, je l’ignore.

La corvée ne tarde pas à revenir, affolée et sans eau, disant qu’elle a aperçu des uhlans*.

Le capitaine Aubrun examine la campagne à la jumelle. Au même instant, des balles sifflent à nos oreilles. Nous nous replions au pas de course.

Un de mes amis a le sac troué par une balle. Il en est fier.

Il est 13 heures quand nous atteignons un nouveau village qu’on dit Thonne-le-Long. Après une halte non loin de là, dans un pré où nous mangeons d’excellentes pommes, nous changeons de position et dormons tout l’après-midi dans un bois de sapin.

Vers 5 heures, nous partons. Le temps est splendide.

À peine avons-nous quitté le village que des shrapnels [1] (voir figure) éclatent non loin de nous. On prend à travers champs. Les hommes des sections, armés de cisailles, ouvrent un passage dans les haies, coupent les fils de fer.

La nuit tombe, mais nous sommes en dehors de la zone des obus.

Nous nous retrouvons bientôt sur une grand-route après avoir laissé un petit village qui doit être Avioth. Une pauvre femme, ramenant sa vache, nous y a demandé, éplorée, ce qu’elle doit faire : on ne croit pas à une retraite possible et on lui conseille de rester.

Nous traversons un assez gros village où beaucoup d’automobiles sont stationnées. On s’informe : c’est Thonne-le-Thil.

Il est 11 heures quand, après de multiples pauses, nous atteignons un champ où nous formons les faisceaux*. C’est notre cantonnement* bivouac.Gallica-bivouac2Le ravitaillement est là. Les distributions se font bien et les cuisiniers d’escouade réussissent à préparer quelque chose. On s’endort sur la terre, la capote* sur la tête. Il fait très froid.

Parcours d’Émile Lobbedey et de son régiment du 1er au 24 août 1914

Parcours d’Émile Lobbedey et de son régiment du 1er au 24 août 1914

Shrapnel


[1] Shrapnel : Arme antipersonnel : obus rempli de projectiles, du nom de l’inventeur du minuteur qui provoque l’explosion, le général anglais Henry Shrapnel. L’obus libère 200 à 300 balles de plomb capables de percer un crâne non casqué. Par extension, on appelait aussi shrapnells les éclats d’obus.

 

04 août

Déclaration de guerre

Aujourd’hui mêmes travaux qu’hier. Tout le régiment continue la mise en état de défense des alentours du village. Devant nous, à 10 km, nous voyons le drapeau belge flotter sur un village. Le village est Torgny.
On dit qu’une quantité énorme d’artillerie [1] se trouve un peu derrière nous. On parle du 75 qu’on dit terrible.
canon75A la soupe, rassemblement de la compagnie sur l’emplacement du travail. Le capitaine, un peu ému, annonce que l’Allemagne nous a déclaré la guerre. Chacun fera son devoir et l’officier compte sur sa troupe.
On s’y attendait, on était convaincu que la guerre éclaterait ; pourtant chacun est un peu rêveur.
Dix minutes après, il n’y paraît plus, c’est l’enthousiasme le plus complet. On travaille d’arrache-pied. Le lieutenant Pougin de la Maisonneuve fait promettre à sa section* de ne pas le faire raser tant qu’on n’aura pas mis le pied en Allemagne et tant que l’Alsace-Lorraine n’aura pas été complétement libérée.
Le soir, je suis nommé caporal fourrier [2].


[1] Artillerie : ensemble des armes collectives ou lourdes servant à envoyer, à grande distance, sur l’ennemi ou sur ses positions et ses équipements, divers projectiles de gros calibre : obus, boulet, roquette, missile

[2] Fourrier : Officier ou sous-officier chargé de l’intendance : distribuer les vivres, pourvoir au logement des militaires.