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15 février

Visite au village de Sommeilles

À 5 heures, je suis réveillé par nos cuisiniers qui allument le feu. Licour me demande s’il marche ; je lui dis que oui et il bougonne. Bientôt le plus grand remue-ménage existe dans la maison. Chacun se prépare hâtivement pour le rassemblement. Nous avalons le chocolat, prenons un bout de pain et une boîte de pâté dans notre musette, du vin dans les bidons et en route.

Je rejoins la liaison du bataillon et nous voici bientôt au point de rassemblement.

Les compagnies et le capitaine Sénéchal ne tardent pas à arriver. Il est 6 heures 30. Après une pause d’un quart d’heure, nous partons.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous filons dans la direction de Belval, où nous nous arrêtons dix minutes, puis nous enfonçons dans la forêt de Belnone. Après avoir fait une marche fatigante dans des layons à travers bois, nous tombons sur une grand-route. Nous nous arrêtons. Le capitaine Sénéchal fait colloque avec les commandants de compagnie. Je vois aussi de près le capitaine de la 7e, Crouzette, récemment arrivé, tandis que le sous-lieutenant Carrière était remplacé par le sous-lieutenant Blachon et repartait au 3e bataillon. J’entends la manœuvre. Il faut se placer à la lisière du bois. Puis à une heure donnée par le chef de bataillon qui a eu l’heure du colonel, 9h45, les compagnies sortiront simultanément du bois, en ligne de section par quatre. Devant nous à cet instant se trouvera une petite crête, derrière cette crête le village de Sommeilles. L’objectif est la prise du village.

L’heure donnée au régiment est 9h45. À 7 heures les douze compagnies échelonnées dans le bois à la lisière sortiront.

Aussitôt les compagnies prennent leurs positions, les sections à 25 m, les compagnies à 100 m, l’une de l’autre. Quant au chef de bataillon et à la liaison qui le suit, nous partons par la route à la lisière du bois. J’ai entendu la manœuvre qui n’est autre que celle des Allemands quand ils prirent Sommeilles au petit jour lors de la retraite française qui précéda la Marne. Cela m’intéresse.

À 9h45, la manœuvre commence. Elle réussit pleinement. À plusieurs reprises je vais porter des ordres au sous-lieutenant Alinat qui a pris le commandement de la compagnie, le capitaine Aubrun supposé blessé.

Au haut de la cote se trouve le lieutenant-colonel Desplats avec son état-major. Il regarde la manœuvre. Soudain le clairon sonne la fin et chaque compagnie revient sur la route. Nous faisons la pause à l’entrée du village, le bataillon termine de se placer en colonnes par quatre.

Puis les officiers se rendent près du colonel pour la critique. Je vois le village. Il n’est plus que ruines et ressemble tout à fait à Favresse, Pagny-sur-Saulx et autres pays que nous traversâmes lors de la poursuite.

La pause est terminée et musique en tête nous entrons dans le village. Sur la place où tout est décombres jusqu’à l’église et la mairie, chaque bataillon se forme en colonne double. J’aperçois un de mes amis le sergent Delor récemment promu sous-lieutenant.

Quelques habitants, une vingtaine sont là et nous regardent. Le colonel s’amène à cheval et se place au milieu du régiment formé en triangle face à la mairie. Pendant ce temps on nous distribue des prospectus polycopiés avec l’histoire des heures mortelles vécues par le village qui fut incendié par l’ennemi, dont les habitants furent odieusement maltraités et cela parce que les troupes françaises en se repliant avaient livré combat à la lisière du bois de Belnone. Puis le drapeau se place sur le perron de la mairie qui est resté. Le silence règne profond. Le colonel fait placer les habitants du pays au pied du perron sous le drapeau.

« Présentez vos armes ! Au drapeau ! »

Nous présentons les armes. Les clairons sonnent aux champs. Le colonel tire son épée, puis s’adressant aux habitants il les félicite d’être revenus dans leur terroir dévasté mais qu’ils soient sûrs que nous les vengerons ; « quant à vous » nous dit-il, en se tournant vers nous, « vous vous souviendrez de Sommeilles à l’heure du combat ».

Puis notre chef serre la main des paysans. Musique en tête, nous partons. Cette cérémonie si simple, mais si émouvante me restera longtemps gravée dans la mémoire.

Nous reprenons la route de Charmontois. À Belval, nous passons musique en tête et musique en tête nous rentrons à Charmontois. Il est 2 heures de l’après-midi.

Je rentre au bureau après avoir quitté la liaison. Je trouve le capitaine Aubrun qui donne repos complet.

Je passe donc l’après-midi assis à me reposer. Mes amis en font autant et on casse la croûte en attendant le repas du soir.

La soirée se passe à se décrotter et se remettre de la marche qui était assez jolie comme longueur. J’écris chez moi envoyant l’odyssée de Sommeilles que je désire garder en souvenir. À 8 heures après un repas qui nous a restaurés, car nous avions grand faim, nous recevons la visite de Mascart.

Celui-ci nous annonce qu’il y a une nouvelle marche demain et qu’il en sera ainsi durant cinq jours. Une telle nouvelle ressemble pour nous à une douche d’eau froide. Comment encore ?

En effet. Demain à midi départ du bataillon. Rassemblement du régiment au sud du village de Le Chemin. Manœuvre. Marche dans le feu de l’artillerie, puis de l’infanterie, assaut du village.

Rogery part voir le capitaine Aubrun et revient avec des ordres précis. Rassemblement à 11h30, départ pour le point de rassemblement du bataillon 11h45. Tout le monde marche même [les] cuisiniers excepté le sergent major. Lannoy est heureux. Repos demain matin. Tout cela nous incite à nous coucher et à réfléchir. Ces marches sentent le départ prochain. Malgré tout cette pensée nous rend mélancolique.

14 février

Je me lève tard. Ce n’est qu’à 8 heures que les premiers de la bande apparaissent. On boit le chocolat et nous nous astiquons comme chaque dimanche pour assister à la messe. Nous y allons à 10 heures. L’église comme toujours est comble. À la sortie, le capitaine Aubrun appelle Lannoy, Culine et Gibert, tandis que le capitaine Sénéchal assiste à l’entretien. Je suis trop loin pour entendre quelque chose. En tout cas, cela se termine par des rires. Tout est donc bien qui finit bien.

En effet, le capitaine s’est montré bon père et après une petite semonce, car il devinait bien où était son adjudant, il renvoyait tout le monde absous !

Culine qui conserve cependant une dent contre Lannoy n’en démord pas qu’il lui a manqué de camaraderie.

Nous partons ensuite dire bonjour au débit La Plotte où nous prenons l’apéritif. Nous causons avec les gendarmes qui nous disent avoir de bonnes nouvelles du Nord. Nous avançons. Tant mieux, ce n’est pas trop tôt.

Nous faisons un bon repas. Culine nous dit que la classe 1915 va arriver fin février. On parle aussi d’un départ prochain. Il est vrai que voici déjà un bout de temps que nous sommes ici.

Après le repas, je me rends dans la ferme occupée par la section Gibert où je sais trouver le sergent fourrier Bourgerie qui prend ses repas. J’ai un renseignement à lui demander au sujet des fournitures touchées. Je suis reçu aimablement. On m’offre cigares, café, liqueurs et je passe une bonne partie de l’après-midi avec le sergent-major Charbonneau, le tambour major Roussel, le sergent téléphoniste Gabriel. Roussel me raconte que le chef de musique Legris a obtenu une permission de deux jours pour Paris dans le but (?) d’acheter des instruments de musique (!!!).

Je quitte la petite réunion vers 3 heures. Au bureau, je ne trouve que Rogery. Je passe donc un moment à écrire aux miens. Vers 4 heures, je file chez La Plotte croyant y trouver ma bande. Je ne rencontre que Jamesse qui s’y trouve avec le maire de Charmontois dont je fais la connaissance et avec qui je passe deux heures agréables à causer.

Mon ami et le maire s’en vont. Ils sont bientôt remplacés par une partie de notre bande, Lannoy, Cattelot et Gibert, qui sont très gais. Nous vidons quelques tournées et rentrons chez la mère Azéline où la soirée se prolonge très tard.

Nous recevons vers 8 heures. À table, Diat nous raconte une petite algarade qu’il eut la veille avec son chef de section, Mimile, qui voulait lui en imposer. Diat répondit que vis-à-vis de lui, il ne serait jamais qu’un bleu. Loin de se fâcher, l’officier rit de bon cœur et offrit un paquet de cigarettes à son sergent.

L’ami Aristide arrive et nous fait lire la note du colonel : demain rassemblement du régiment à 8 heures au sud de Belval. Marche manœuvre sur Sommeilles. Rentrée probable, 13 heures. Se munir d’un repas froid.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Puis nous lisons la note du chef de bataillon : rassemblement du bataillon route de Sénard à 6 heures 30. Départ 6 heures 45.

Rogery va donc voir le capitaine Aubrun. Celui-ci était rentré de peu de Bar-le-Duc. Notre agent de liaison revient avec les ordres : rassemblement de la compagnie à 6 heures 15 ; départ pour le rassemblement du bataillon 6 heures 20. Tout le monde présent sans exception. Quant au repas froid, cela regarde les cuisiniers d’escouade.

Rogery part donc communiquer ses ordres au chef de demi-section. Le brave garçon rentre quand nous nous séparons. Il est fatigué me dit-il. Rien d’étonnant.

12 février

Je me lève tard et notre bande en fait autant. Nous prenons le chocolat vers 8 heures.

Levers nous le sert en riant et nous raconte une bonne blague. Il brûle les fagots de bois de la mère Azéline en lui faisant accroire que c’est du bois acheté aux voisins. La brave femme répète qu’elle n’a pas de bois et qu’elle le donnerait de bon cœur. Heureusement que ce filou de Levers a trouvé dans un coin du grenier un tas de fagots. Il va donc en prendre un chaque soir et l’amène tranquillement dans la matinée en disant l’avoir acheté tantôt ici, tantôt là et pour un prix vraiment exorbitant (je te crois, Benoît). Nous rions beaucoup nous-mêmes.

Dehors le temps semble s’être remis au beau mais les routes sont boueuses et glissantes.

Lannoy fait sa situation de prise d’armes. Licour marchera et cédera sa place d’embusqué pour aujourd’hui à Delacensellerie.

Nous mangeons plus tôt, vers 10 heures 30. Tout est prêt, nos sacs sont montés : il n’y a plus qu’à partir.

Je rejoins donc la liaison dans son logis vers 11 heures 30 je trouve Gallois qui s’est acheté un képi d’adjudant et une cantine ; Sauvage, Legueil, Jombart sergents fourriers* des 7e 6e et 8e, Verlaine et Paradis, caporaux fourriers 5e et 8e, René, agent de liaison* de la section de mitrailleuses qui bientôt, dit-on, formera une compagnie, Gauthier qui fait toujours popote* mais doit être aidé des deux cyclistes Cailliez et Crespel car il est clairon avant tout et souvent de garde ou à la musique, Gilson secrétaire du commandant, le dessinateur soldat de la 8e, Brillant et Mascart, mes agents de liaison ainsi que Garnier, celui de la 8e et Frappé de la 7e. Cela fait en tout avec moi dix-sept membres. Quel équipage !

Sous les ordres de Gallois, nous partons sur la route de Sénard en passant devant le bureau du colonel. À 300 m à la sortie du village, c’est le point de rassemblement du bataillon.

Le capitaine Sénéchal à cheval, suivi du maréchal des logis Jacques, ne tarde pas à arriver. Les compagnies arrivent à leur tour et à midi, nous partons dans la direction de Le Chemin. Le temps est assez bon. Successivement, nous passons à Le Chemin, puis à Sénard où est cantonné le 1er bataillon, lui-même en marche. Nous continuons ensuite sur Triaucourt. Avant d’entrer dans le village, nous faisons une pause où le capitaine Sénéchal nous annonce que le lieutenant Péquin est hors de danger.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

De Triaucourt, nous reprenons la route de Charmontois où nous nous disloquons à 4 heures.

Je suis réellement fatigué par la marche : je n’ai plus d’entraînement. Je reste donc au coin du feu. Le capitaine arrive et signe les pièces : demain exercice comme à l’habitude.

Je suis à peine installé près du feu qu’une note arrive, disant qu’un renfort se trouve non loin du bureau du colonel et que les fourriers doivent aller chercher leur lot. Force m’est donc d’y courir. Arrivé près du bureau du colonel, je vois le sous-lieutenant Monchy rétabli qui vient de nous rejoindre. Il va saluer le colonel. Je fais 200 m sur la route et dans une pâture à gauche, trouve une troupe qu’on est occupé à fractionner. Je vois quelques anciennes connaissances ; ce sont tous d’anciens blessés. Je prends possession de mon lot, dans lequel je trouve Berquet, celui que j’ai sauvé à Beaumont le 28 août – le brave garçon me le rappelle aussitôt – ainsi que Prunier, une mauvaise tête, brave au feu. Ce Prunier est attendu du capitaine à qui il écrit souvent. Mauvaise tête s’il en est, je doute fort que la lune de miel soit longue entre eux. Ex-blessé de l’Argonne, brave si on veut, mais hâbleur et frotte-manches.

J’arrive au bureau avec la quinzaine d’hommes qui m’est dévolue et Lannoy en fait la répartition par section. À 7 heures, nous nous mettons à table. Tout le monde est fatigué et nous ne tardons pas à nous coucher.

10 février

Remise de la croix aux commandant Vasson, capitaines de Lannurien Sénéchal

Je passe une mauvaise nuit et reste couché le matin tandis que mes amis font irruption dans la chambre et se préparent fébrilement à la marche d’aujourd’hui. Licour aide chacun de son mieux.

À 7 heures 30, la maison est vide. La mère Azéline croit qu’on s’en va et ne peut en croire ses yeux de voir la maison silencieuse, sans tout le tohu-bohu de notre présence. Licour, dans la cuisine, se tue à lui expliquer qu’on est parti au tir. La bonne vieille n’y comprend rien et je ris aux éclats.

À 9 heures, je vais voir le Docteur Veyrat qui aussitôt m’exempte de service.

Je rentre donc et m’installe au coin du feu tandis que Licour fait popote. Je mange à 10 heures et me recouche pour faire la sieste car mon bras est réellement douloureux. Je me lève vers 2 heures. Un peu plus tard, la musique revient avec le drapeau, en jouant un pas redoublé. Je passe mon après-midi à écrire aux miens. Je reçois toujours leurs lettres régulièrement.

Vers 5 heures, le bataillon rentré, mes amis ne tardent pas à affluer, Lannoy en tête, qui n’est plus habitué aux marches et se dit très fatigué.

Le capitaine suit et me fait écrire : repos pour demain matin ; revue d’armes et de cantonnement* à 9 heures par les chefs de section.

Après son départ, Lannoy me raconte qu’ils ont fait une véritable marche après le tir, passant par Triaucourt. La cérémonie fut présidée par le général Guillaumat qui, après une allocution patriotique, remit la croix aux nouveaux chevaliers. Le général annonça en particulier de grands succès dans le Nord : on se plaît à dire que Lille, Roubaix et Tourcoing sont dégagés.

Là-dessus, Lannoy s’en va se désaltérer à Charmontois-le-Roi. Décidément, la marche ne l’a pas fatigué outre mesure. Je reste au coin du feu avec une légère amélioration dans mon état. Demain je serais heureux de pouvoir reprendre ma besogne.

Le repas se passe aimablement entre nous. La prochaine remise de décorations, la compagnie sera à l’honneur, se dit-on, car c’est son chef direct qui sera décoré.

On se couche tôt, car chacun est au plus fatigué.

9 février

La journée est comme les autres. Exercice le matin, travail de bureau pour moi, rapport à 10 heures.

Au repas de 11 heures, je rassemble des demandes de chefs de section au sujet des képis. J’invite donc les hommes à se rendre ici, selon l’habitude, afin que Lannoy signe le papier les autorisant à demander un képi au magasin. Mes amis se chargent de le faire savoir à leurs poilus.

kepi143Les képis à présent sont bleus. Je tiens à mon képi rouge et ne veux le changer. On taquine Culine qui n’a pas encore de képi d’adjudant, pas plus qu’il n’a voulu de capote neuve : il nous répond qu’il a l’âme du poilu* et qu’il veut en garder la carcasse.

C’est d’ailleurs ce que, dernièrement, il répondit au capitaine.

À la fin du repas, Brillant nous apporte quelques notes, en particulier celles-ci : 1o établir des propositions pour citations ; ceci ne nous intéresse que médiocrement, mais c’est l’occasion d’une sortie pour Culine qui déclare que le capitaine ne propose jamais personne. C’est un peu vrai. 2o la compagnie, pour la troisième fois, passera à 14 heures cet après-midi à la piqûre anti-typhoïdique* ; c’est encore l’occasion d’une sortie de la part des Culine qui déclare que les docteurs nous empoisonnent. Décidément il est de mauvaise humeur aujourd’hui.

Rogery part communiquer le tout au capitaine. Bientôt nous recevons réponse : pas d’exercice cet après-midi. Pour les citations, le capitaine s’en charge. Bon !

Nous quittons la table. Pour ne pas avoir d’ennuis, je fais rassembler la compagnie aussitôt, en envoyant Rogery crier partout rassemblement des sections. Je puis donc en toute tranquillité procéder à l’appel grâce à mon contrôle nominatif, faire venir les cuisiniers et à 13 heures 30 avoir mon monde au complet. Après avoir averti mes poilus que toute absence vaudra huit jours de prison, je les conduis à l’infirmerie située près du bureau du colonel.

Je passe deux heures dans l’atmosphère surchauffée de la salle. J’inscris chaque nom et arrive ainsi à avoir fait passer tout le monde. Pour récompense, je suis piqué, mais j’ai la satisfaction de voir piquer Gibert et Cattelot qui me paient ainsi leurs petites chines de ces jours derniers au sujet de mon bras. Je les verrai eux aussi demain.

Je rentre au bureau en disant à Lannoy qu’il a de la chance de passer chaque fois au travers. Naturellement il me remercie, c’est bien le moins qu’il puisse faire.

Il est 4 heures ; nous recevons la visite du capitaine qui vient nous demander s’il n’y a rien de nouveau. Il s’est chargé des citations. Nous ne savons donc pas qui est proposé. Mystère ? Le capitaine s’en va. Il parle du cochon avant de partir et demande si les hommes ont été contents, s’il était bon ? Naturellement nous répondons par l’affirmative. Nous rions quand il est parti ; le cochon, nous n’y pensions plus ! On fait venir Delbarre qui nous raconte qu’il fut tué ce matin et [qu’il] nous a fait donner nos parts à nos cuisiniers. On lui réclame des saucisses et du boudin qu’il nous promet.

Mon bras me fait bien mal. Je me mets, fiévreux, au coin du feu et ne bouge plus. Je ne sors pas ce soir. Réellement, le vaccin me fait de l’effet.

Nous nous mettons à table à 7 heures quand Mascart s’amène, disant que demain il y a tir à Passavant pour le 2e bataillon. Rassemblement à Le Chemin avec les autres bataillons pour la remise de décorations aux commandant Vasson et capitaines de Lannurien et Sénéchal.

Départ 8 heures. Rentrée dans l’après-midi. Repas sur le terrain.

Aussitôt Rogery part communiquer la note au capitaine. J’adresse une demande d’exemption. Je me fais porter malade à cause de ma vaccination d’aujourd’hui. Il revient une heure après à la fin du repas.

Rassemblement de la compagnie à 7 heures 45. Départ 8 heures. Tenue de campagne complète. Les cuisiniers emporteront de quoi faire du café et popote*. Tout le monde présent sans exception.

Mon exemption est accordée, c’est ce que je vois de plus clair. Mon bras d’ailleurs me fait bien mal.

Nous nous couchons à 9 heures. Je constate que Gibert et Cattelot ne sont pas brillants et ne remuent pas le bras piqué sans raison. Je ne dis rien mais cela me fait sourire.

Je ne sais fermer l’œil car j’ai une fièvre de cheval. Lannoy, avant d’aller se coucher, fait sa situation de prise d’armes. Il laisse Licour à ma disposition. Mais toute la compagnie marchera puisqu’il doit marcher lui-même, ce qui n’a pas l’air de l’enchanter outre mesure.

6 février

Au jour je suis debout. Lannoy et les amis s’amènent. On prend le chocolat traditionnel. À l’ouvrage, le bureau, tandis que la compagnie part à 7 heures à l’exercice.

Licour va chercher chez le tailleur du régiment, un de mes amis du pays, nos tuniques à Lannoy et à moi. Il nous les apporte brillamment galonnées. Nous les endossons aussitôt.

Réellement, maintenant, je suis nippé. Où est le temps où je n’avais plus de sac, plus rien, sinon cette malheureuse chemise sur le dos ?

À la rentrée de l’exercice, le capitaine s’amène et dicte le travail de l’après-midi. Exercice de 1 heure à 2 heures 30 sous la conduite du sergent Gibert. Nettoyage des armes à la rentrée. Revue d’armes à 4 heures par les chefs de section. Notre commandant de compagnie nous félicite sur notre tenue et se déclare satisfait d’avoir un bureau à [la] hauteur.

Après son départ, nous nous mettons à table. Culine arrive, relevé de son poste de garde. Il mange de bon appétit en tonnant contre toutes les chinoiseries du colonel Desplats. Lui aussi a eu la menace d’être cassé. Ce n’est certes pas une sinécure d’être chef de poste. Il nous fait bien rire en nous racontant une nouvelle aventure arrivée à Bibi, le sergent de la 8e, notre glorieux catéchumène que Culine a relevé.

Bibi étant chef de poste avec la section, reçoit la visite du chef de corps. Il fait sortir les hommes et leur fait présenter les armes. Le colonel l’eng… comme un pompier au sujet de la tenue des hommes qui n’est ni propre ni uniforme et lui dit en matière de conclusion « Vous serait cassé ! Vous êtes cassé ! Considérez-vous comme cassé ! ». Bibi ne bronche pas. Mais tandis que le colonel passe dans la grange qui sert de poste de police et continue son inspection, notre sergent tire posément son canif et en un tour de main enlève les deux morceaux de galons réglementaires qu’il a sur les manches.

Le colonel sort et au moment où il va filer, Bibi s’approche simplement de lui, « Tenez, mon colonel ! » lui dit-il en lui tendant les deux galons.

Celui-ci, fou furieux, les yeux lançant des éclairs, tonne, fulmine et lui crie « Vous aurez un mois de prison ! – Vous aurez deux mois ! – Vous serez dégradé ! – Vous passerez en conseil de guerre ! – ». Bibi, présentant les armes, ne bronche pas, mais il regarde lui aussi le colonel avec de grands yeux comme seul peut en avoir un vieux colonial. D’ailleurs, lui-même comme le colonel ont connu Madagascar et la Cochinchine. Bibi n’a-t-il pas la médaille de Chine, celle du Tonkin et celle du Maroc !

Et soudain, le colonel se reprend et se met à rire, puis de nouveau féroce « Vous resterez sergent, entendez-vous ; et je vous donne l’ordre de recoudre vos galons. Ce soir, vous viendrez me saluer chez moi et vous présenter ».

Le plus tranquillement du monde, Bibi fit rentrer le poste de police et le soir il allait voir le colonel. Il en revint enchanté et disait du coup « Mon ami le père Desplats ». Le colonel lui avait fait avaler plusieurs verres de vin, un dessert, le café et le pousse-café, l’avait fait asseoir à sa table, lui avait serré la main et déclaré qu’il était le meilleur sous-officier du régiment. Quel fou rire nous prend en entendant tout cela.

Enfin nous sortons de table. Au-dehors, il fait un soleil magnifique. Le temps est toujours beau. Nous n’avons pas encore eu une goutte de pluie depuis notre arrivée ici.

À 2 heures, nous sommes dans l’église. Celle-ci est remplie. Les officiers sont en tête, ayant derrière eux les sous-officiers. Tout le monde est assis. Le colonel s’amène vêtu de son énorme peau d’ours. On se lève. Notre chef de corps monte jusqu’au banc de communion et dignement se retourne en nous faisant signe de nous asseoir.

Durant une heure, il nous fera théorie comme à de vulgaires 2e classe ; il nous émettra ses idées qui pour le moins paraissent baroques. Il fait des phrases en se promenant dans l’allée centrale, tire sa peau d’ours, la remet, fait des gestes, des grimaces. Malgré tout le respect dû à l’autorité, nous ne pouvons nous empêcher de rire.

Il s’écrie soudain : « Quand je sors, qu’est-ce que je vois ? – Rien. »

En effet, il suffit qu’officiers ou soldats voient sa silhouette pour filer à l’anglaise d’un autre côté. « Quand je sors, qu’est-ce que j’entends ? – Rien ». Je vois le capitaine Sénéchal qui se tient les côtes.

À côté de moi, j’ai le capitaine Guepin qui dit « Ballot ! Ballot ! Ballot ! » et ressasse sans cesse la ritournelle.

« Le soldat français est toujours de service, 24 heures de service, toujours des service. »

« Le soldat ne doit causer que service, les sous-officiers que service, les officiers que service. »

« Le soldat ne doit penser qu’à la guerre, les sous-officiers qu’à la guerre, etc… »

Et sous la forme de commandements, il nous expose ses théories.

Durant une autre heure, il se met à interroger Pierre, Paul et Jacques ; mais à sa façon. Il prend Maxime Moreau et lui demande « Combien de temps par jour, un soldat est-il de service ? » – Maxime sans broncher répond « 24 heures ! »

À un autre sergent, il demande « De quoi un sous-officier doit-il parler ? »

Le camarade répond « De la guerre » et notre chef de lui dire « Non, mon ami, du service ! » Et il fait asseoir le sergent ahuri.

Recommandation est faite aux chefs de troupe, que ce soit compagnie ou fraction de compagnie, d’avoir sur eux le contrôle de leur unité. Et nous sommes libres !

Que d’impressions à se communiquer ! On peut en juger par les nombreux groupes qui se forment et les rires qui fusent.

Les officiers des 1er et 3e bataillons ne tardent pas cependant à reprendre la route de Sénard et Belval.

Nous rentrons au bureau où nos amis, Culine et autres nous suivent. Ils vont faire un tour pour leur revue d’armes, il est 4 heures, et nous donnent rendez-vous chez La Plotte.

Au bureau, Licour me remet une lettre de ma chère mère et un colis annoncé qui vient d’arriver. Je suis tout heureux d’y découvrir quelques friandises et en particulier un portefeuille très beau en remplacement du mien tout usagé. Ma mère me parle qu’elle possède chez elle un charmant monsieur, lieutenant Davion, chef de convois automobiles, avec qui elle converse longuement le soir et qui lui fait oublier un peu les tristesses de l’heure présente. Cette lettre me fait grand bien.

Gaiement, je pars donc avec Lannoy à Charmontois-le-Roi après avoir recommandé aux cuisiniers de faire un repas digne d’eux. En route, nous disons qu’il faudra songer à saluer un de ces temps la famille Adam qui peut croire que nous l’oublions. Chez La Plotte, la cuisine est remplie. Marie est à la place d’honneur et boit sec. Il est des plus intéressants ce vieux brave. À peine rentrés, le fou rire nous prend, il ne nous quittera plus jusqu’au coucher.

Nous passons 2 heures des plus agréables. Sur les instances de mes camarades et des gendarmes, j’attaque une chansonnette. C’est la première fois que je chante depuis la mort de Carpentier. Enfin, gaiement toujours, nous rentrons chez nous.

En route, Culine rencontre un de ses amis, sergent du génie. Pris d’une affection sans bornes, Culine l’embrasse et veut à tout prix qu’il l’accompagne à table. Nous avons donc de ce fait deux invités et Culine déclare noblement que « Plus on est de… fous plus on… on rigole » et en effet, on rit de bon cœur.

Nous nous mettons donc à table. Cette séance est indescriptible. Ce qu’il y a de vrai, c’est que nous sommes en gaieté et qu’à 11 heures Culine et Marie étaient reconduits par Cattelot et moi car on craignait un peu pour la faiblesse de leur vue. Quant à Maxime, il rentre gaillard en se moquant des deux malheureux : il oublie qu’ il y a deux jours il me demandait l’hospitalité. Lannoy est rouge comme un coq et nous avons toutes les peines du monde à le décider à aller se coucher. Quant à Jamesse, je le trouve dans mon lit à mon retour : ce soir il a oublié son gîte à Charmontois-le-Roi.

Je me couche, il est minuit. La table est un vrai champ de bataille. Nous avons vécu une séance mémorable et notre bourse s’est allégée de quelques sous.

6 février

Au jour je suis debout. Lannoy et les amis s’amènent. On prend le chocolat traditionnel. À l’ouvrage, le bureau, tandis que la compagnie part à 7 heures à l’exercice.

Licour va chercher le tailleur du régiment, un de mes amis du pays, nos tuniques à Lannoy et à moi. Il nous les apporte brillamment galonnées. Nous les endossons aussitôt.

Réellement maintenant je suis nippé. Où est le temps où je n’avais plus de sac, plus rien, sinon cette malheureuse chemise sur le dos.

À la rentrée de l’exercice le capitaine s’amène et dicte le travail de l’après-midi. Exercice de 1 heure à 2h30 sous la conduite du sergent Gibert. Nettoyage des armes à la rentrée. Revue d’armes à 4 heures par les chefs de section. Notre commandant de compagnie nous félicite sur notre tenue et se déclarent satisfaits d’avoir un bureau à hauteur.

Après son départ nous nous mettons à table. Culine arrive relevé de son poste de garde. Il mange de bon appétit en tonnant contre toutes les chinoiseries du colonel Desplats. Lui aussi a eu la menace d’être cassé. Ce n’est certes pas une sinécure d’être chef de poste. Il nous fait bien rire en nous racontant une nouvelle aventure arrivée à Bibi, le sergent de la 8e notre glorieux catéchumène que Culine a relevé.

Bibi étant chef de poste avec la section reçois la visite du chef de corps. Il fait sortir les hommes et leur fait présenter les armes. Le colonel l’eng…… Comme un pompier au sujet de la tenue des hommes qui n’est ni propre ni uniforme et lui dit en matière de conclusion « vous serait cassé ! Vous êtes cassé ! Considérez-vous comme cassé ! ». Bibi ne bronche pas. Mais tandis que le colonel passe dans la grange qui sert de poste de police et continue son inspection, notre sergent tire posément son canif et en un tour de main enlève les deux morceaux de galons réglementaires qu’il a sur les manches.

Le colonel sort et au moment où il va filer, Bibi s’approche simplement de lui « tenez, mon colonel ! » lui dit-il en lui tendant les deux galons.

Celui-ci fou furieux, les yeux lançant des éclairs, tonne, fulmine et lui crie « vous aurez un mois de prison ! – Vous aurez deux mois ! – Vous serez dégradé ! – Vous passerez en conseil de guerre ! – ». Bibi présentant les armes ne bronche pas, mais il regarde lui aussi le colonel avec de grands yeux comme seul peut en avoir un vieux colonial. D’ailleurs lui-même comme le colonel ont connu Madagascar et la Cochinchine. Bibi n’a-t-il pas la médaille de Chine, celle du Tonkin et celle du Maroc !

Et soudain le colonel se reprend et se met à rire, puis de nouveau féroce « vous resterez sergent, entendez-vous ; et je vous donne l’ordre de recoudre vos galons. Ce soir vous viendrez me saluer chez moi et vous présentez ».

Le plus tranquillement du monde, Bibi fit rentrer le poste de police et le soir il allait voir le colonel. Il en revint enchanté et disait du coup « mon ami le père Desplats ». Le colonel lui avait fait avaler plusieurs verres de vin, un dessert, le café et le pousse-café, l’avait fait asseoir à sa table, lui avait serré la main et déclaré qu’il était le meilleur sous-officier du régiment. Quel fou rire nous prend en entendant tout cela.

Enfin nous sortons de table. Au-dehors, il fait un soleil magnifique. Le temps est toujours beau. Nous n’avons pas encore eu une goutte de pluie depuis notre arrivée ici.

À 2 heures nous sommes dans l’église. Celle-ci est remplie. Les officiers sont en tête ayant derrière eux les sous-officiers. Tout le monde est assis. Le colonel s’amène vêtu de son énorme peau d’ours. On se lève. Notre chef de corps monte jusqu’au banc de communion et dignement se retourne en nous faisant signe de nous asseoir.

Durant une heure il nous fera théorie comme à de vulgaire 2e classe ; il nous émettra ses idées qui pour le moins paressent baroques. Il fait des phrases en se promenant dans l’allée centrale, tire sa peau d’ours, la remet, fait des gestes, des grimaces. Malgré tout le respect du à l’autorité, nous ne pouvons nous empêcher de rire.

Il s’écrit soudain « quand je sors, qu’est-ce que je vois ? – Rien. »

En effet, il suffit qu’officiers ou soldats voient sa silhouette pour filer à l’anglaise d’un autre côté. « Quand je sors, qu’est-ce que j’entends ? – Rien ». Je vois le capitaine Sénéchal qui se tient les côtés.

À côté de moi j’ai le capitaine Guepin qui dit « ballot ! Ballot ! Ballot ! » Et ressasse sans cesse la ritournelle.

« Le soldat français est toujours de service, 24 heures de service, toujours des service »
« Le soldat ne doit causer que service, les sous-officiers que service, les officiers que service »
« Le soldat ne doit penser qu’à la guerre, les sous-officiers qu’à la guerre, etc… »

Et sous la forme de commandements il nous expose ses théories.

Durant une autre heure, il se met à interroger Pierre, Paul et Jacques ; mais à sa façon. Il prend Maxime Moreau et lui demande « combien de temps par jour, un soldat est-il de service ? – Maxime sans broncher répond « 24 heures ! »

A un autre sergent et demande « de quoi un sous-officier doit-il parler ? »

Le camarade répond « De la guerre » et notre chef de lui dire « non, mon ami, du service ! » Et il fait asseoir le sergent ahuri.

Recommandation est faite aux chefs de troupe, que ce soient compagnie ou fraction de compagnie, d’avoir sur eux le contrôle de leur unité. Et nous sommes libres !

Que d’impressions à se communiquer ! On peut en juger par les nombreux groupes qui se forment et les rires qui fusent.

Les officiers de 1er et 3e bataillon ne tardent pas cependant à reprendre la route de Sénard et Belval.

Nous rentrons au bureau où nos amis, Culine et autres nous suivent. Ils vont faire un tour pour leur revue d’armes, il est 4 heures, et nous donnent rendez-vous chez La Plotte.

Au bureau Licour me remet une lettre de ma chère mère et un colis annoncé qui vient d’arriver. Je suis tout heureux d’y découvrir quelques friandises et en particulier un portefeuille très beau en remplacement du mien tout usagé. Ma mère me parle qu’elle possède chez elle un charmant monsieur, lieutenant Davion, chef de convois automobiles avec qui elle converse longuement le soir et qui lui fait oublier un peu les tristesses de l’heure présente. Cette lettre me fait grand bien.

Gaiement je pars donc avec Lannoy à Charmontois-le-Roi après avoir recommandé aux cuisiniers de faire un repas digne d’eux. En route nous disons qu’il faudra songer à saluer un de ces temps la famille Adam qui peut croire que nous l’oublions. Chez La Plotte la cuisine est remplie. Marie est à la place d’honneur et bois sec. Il est des plus intéressants ce vieux brave. À peine rentrés le fou rire nous prend, il ne nous quittera plus jusqu’au coucher.

Nous passons 2 heures des plus agréables. Sur les instances de mes camarades et des gendarmes, j’attaque une chansonnette. C’est la première fois que je chante depuis la mort de Carpentier. Enfin gaiement toujours nous rentrons chez nous.

En route Culine rencontre un de ses amis, sergent du génie. Pris d’une affection sans bornes, Culine l’embrasse et veut à tout prix qu’il l’accompagne à table. Nous avons donc de ce fait deux invités et Culine déclare noblement que « plus on est de… fous plus on… on rigole » et en effet on rit de bon cœur.

Nous nous mettons donc à table. Cette séance est indescriptible. Ce qu’il y a de vrai c’est que nous sommes en gaieté et qu’à 11 heures Culine et Marie était reconduits par Cattelot et moi, car on craignait un peu pour la faiblesse de leur vue. Quant à Maxime il rentre gaillard en se moquant des deux malheureux : il oublie il y a deux jours il me demandait l’hospitalité. Lannoy est rouge comme un coq et nous avons toutes les peines du monde à le décider à aller se coucher. Quant à Jamesse, je le trouve dans mon lit à mon retour : ce soir il a oublié son gîte à Charmontois-le-Roi.

Je me couche, il est minuit. La table est un vrai champ de bataille. Nous avons vécu une séance mémorable et notre bourse s’est allégée de quelques sous.