Archives par étiquette : Soubyn

[1] Adolphe Soubyn [Loubyn ?] : Bien que les L et les S soient plus ou moins similaires dans l’écriture d’Émile Lobbedey, il s’agit vraisemblablement de Soubyn, mais il écrit ce nom à plusieurs reprises avec un i ou un y… S’agit-il de Soubin ou de Soubyn ?

27 février

Relève des tranchées de Mesnil-les-Hurlus

Au petit jour, je dois me lever, car il ne fait pas chaud et on se réveille littéralement gelé. C’est général d’ailleurs et tout le monde se lève. On boit le café peu après, on se secoue, on regarde l’animation qui règne sur la route : elle est grande.

Vers 10 heures, je vais dire bonjour à mes amis Soubin* et « Pitche ». On a chuchoté qu’on pourrait bien partir aujourd’hui. Je vais donc leur faire mes adieux. J’arrive par la route déjà bien connue à la cagna où je trouve mon compatriote qui aussitôt me régale d’un bon quart de bouillon qui certes, me fait grand bien. Je vois Soubyn*, Bonduot, Looten et à tous, je dis que je crois bientôt partir. Leurs souhaits de bonne chance m’accompagnent : je les sens sincères. « Pitche » m’a parlé encore des fils Sapelier qu’il va voir bientôt : le 8e doit être relevé et cantonne dans les bois à 2 km d’ici. Il me fait l’éloge de Louis Sapelier, estimé de ses chefs pour sa bravoure et qu’il dit passer sous-lieutenant bientôt. Je n’ose m’absenter longtemps et aller au 8e. Aussi je le charge de mes vives amitiés par mes deux compatriotes.

Je rentre, il est 11 heures. Une longue note est arrivée, fixant notre départ par bataillon. Le 2e bataillon quitte ici à 2 heures pour les abris Guérin au nord de Wargemoulin.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Après la soupe, on se prépare fébrilement au départ. À 1 heure 30, nous sommes rassemblés. À 2 heures, nous partons en colonne, direction de Saint-Jean-sur-Tourbe. Nous traversons bientôt le village par un beau soleil, ayant en tête le capitaine Sénéchal à cheval. Devant nous se trouve le premier bataillon avec le commandant Dazy à sa tête. Nous faisons la pause non loin de notre village, bien démoli, mais non rasé comme Saint-Jean et Somme-Tourbe ; c’est Laval.

Reprenant notre marche, aux premières maisons du village, nous voyons le général Guillaumat, notre commandant de division, qui dit au revoir au lieutenant-colonel Desplats à cheval.

Le canon tonne de plus en plus. Nous marchons toujours, mais le silence se fait peu à peu comme toujours quand on approche du danger.

Nous arrivons bientôt à un autre village, détruit dans le genre de Laval : Wargemoulin. Des troupes nous regardent passer. Nous tournons à gauche, en file par un, suivant un layon. Nous longeons une crête, descendons de petits ravins, nous arrêtant, pressant ensuite le pas ; marche pénible. Nous rencontrons de petites cagnas* où se trouvent des artilleurs qui font popote.

Il peut être 4 heures, à 600 m à notre gauche, des batteries de canons de tous calibres tirent sans discontinuer, abritées dans des boqueteaux fictifs. Nous voyons les départs, la flamme de la gueule des canons, puis le coup suit, nous assourdissant. Cela fait une drôle d’impression et malgré soi, on se demande si l’obus ne va pas nous broyer à son passage. Enfin, après une marche d’une heure, nous arrivons dans un grand boqueteau où nous nous arrêtons dans la formation de ligne de colonne de compagnie. De grands trous y sont creusés. On s’y tasse, avec ordre de garder le plus grand silence. Nous ne sommes donc pas loin des lignes. Il est 5 heures 30.

Nos officiers sortent du bois. Le capitaine Sénéchal nous fait demander l’adjudant de bataillon et les quatre fourriers. Nous voyons dans la plaine le lieutenant-colonel à cheval, suivi du capitaine de Lannurien. Il fonce sur notre groupe et nous indique un boqueteau situé devant nous à 200 m. Ce sera l’emplacement de notre bataillon.

Toute la zone que nous traversons est labourée de trous d’obus. Cela certes ne nous inspire pas confiance et malgré nous, nous pressons le pas. Le canon tonne toujours et quelques sifflements caractéristiques puis des éclatements nous annoncent l’arrivée de shrapnells qui éclatent en l’air à 400 m devant nous, dans la direction des batteries. Dans le bois qui nous est dévolu, nous trouvons de grands abris recouverts de terre, mais dont l’intérieur est d’une malpropreté repoussante. Heureux sommes-nous cependant de les trouver, car nous croyions ne rien trouver du tout. Le cantonnement est vite fait.

Les compagnies s’amènent alors et prennent chacune un grand abri. Les officiers logent au milieu de leurs troupes.

On donne comme consigne d’observer le silence, de procéder au nettoyage des abris où de la vieille paille pouilleuse voisine avec du vieux linge et des détritus de viande, et de ne pas faire voir, à la nuit, de lumières à l’extérieur.

Ce sont donc les fameux abris Guérin. Les hommes, très disciplinés, observent les consignes et sortent peu car des shrapnels font toujours entendre leur sifflement.

Le capitaine Sénéchal s’est niché dans un petit abri médiocre et très sale que son ordonnance nettoie. Quant à nous, sa liaison, comme une nichée de lapins, nous nous sommes installés dans deux petits abris voisins, plus sales encore si c’est possible.

Le soir tombe. Nous ne pouvons faire de feu. Après avoir nettoyé un peu l’intérieur de la villa, on casse la croûte toujours au son des pruneaux boches et on s’étend les uns sur les autres. Que faire de mieux que d’attendre et tâcher d’oublier nos misères dans le sommeil ?

Vers 7 heures, nous communiquons une note ordonnant le retour des chevaux à Somme-Tourbe, près des voitures qui sont cantonnées là-bas avec l’officier payeur Simon, et l’envoi des cuisiniers sur la route Wargemoulin Laval. Ceux-ci toucheront les vivres et les prépareront sous les ordres des caporaux fourriers et caporaux d’ordinaire. Gauthier nous quitte donc avec Jombart.

J’ai trouvé le capitaine Aubrun dans un coin du gourbi de la compagnie, pelotonné sur lui-même en compagnie de ses deux officiers, Alinat et d’Ornant. Je salue Culine et Lannoy qui cassent la croûte à la lueur d’une bougie.

Ne pouvant dormir, je fume et cause à voix basse avec mes camarades de chambrée. Vers 9h00, une note du colonel arrive. Nous partons dans une demi-heure pour relever aux tranchées devant Mesnil-les-Hurlus, à l’endroit dénommé le trapèze. Un agent de liaison du régiment à relever est arrivé ici à notre disposition pour nous guider.

Nous partons à travers champs, suivis du bataillon. Nous marchons très lentement et arrivons bientôt sur une crête. À 2000 m de nous, nous voyons partir quantité de fusées amies et ennemies. C’est là que nous allons.

Après une heure de marche, nous rencontrons des fractions qui s’en vont, comme de vrais fantômes blancs. Un officier cause au capitaine Sénéchal. Il est aussi boueux et hirsute que ses hommes.

Nous voici dans un village en ruine, c’est Mesnil-les-Hurlus. Il fait grand clair de lune. Nous faisons la pause, ayant le village à notre droite. Quelques toiles de tente y laissent filtrer de la lumière.

le-mesnil-en-ruineEnfin, quand on a fait passer « Le bataillon suit », nous passons un large boyau admirablement fait, vrai boulevard ; il faut le dire ; jamais je n’ai vu de boyau si profond et si spacieux ; si bien que nous respirons, nous sommes à l’abri.

Nous marchons lentement. Nous rencontrons de petites fractions.

Le boyau est large et on ne se gêne pas. Nous rencontrons également des blessés, soit seuls, soit en brancard.

Après une heure de marche, nous tournons carrément à gauche. Le capitaine Sénéchal me désigne pour rester à ce carrefour jusqu’au dernier homme du bataillon et me dit de ne plus m’occuper de la compagnie.

Je pose donc mon sac et bouche le passage en ligne droite, indiquant à chacun le chemin de gauche à suivre.

Après avoir eu chaud, ce long stationnement nous refroidit. Qu’importe, on a d’autres chats à fouetter.

Enfin, voici le dernier homme de la 4e section de la 8e compagnie. Je le suis après avoir vu passer tous les commandants de compagnie et tous les chefs de section.

Le boyau se rétrécit petit à petit. Nous faisons de longs stationnements. Parfois nous nous disputons avec un poilu étranger qui veut passer en sens inverse.

Quelle heure est-il ? Je l’ignore. Cela m’importe peu ; le plus clair, c’est que les obus sont peu nombreux et la fusillade peu vive.

Après avoir attendu longtemps, je me décide à franchir le parapet et à longer le boyau. Bien m’en prend, et j’arrive ainsi, après quelques tâtonnements et des sauts par-dessus des tranchées, près de la liaison du bataillon qui est arrêtée. Je vois le capitaine Sénéchal qui confère avec le chef de bataillon qu’il relève. Gallois me dit que nous nous installons ici.

J’attends. Le chef de bataillon relevé s’en va, suivi de ses agents de liaison*. Alors je cherche un gourbi. Il n’y a rien, rien. Il suffit de dire que le capitaine a une petite grotte sous le parapet [1] pour savoir qu’il est inutile de chercher plus loin.

Je trouve une espèce de banquette creusée un peu plus loin dans le parados [2]. Philosophe, je défais mes couvertures, m’enroule dedans et m’assieds. Bonne nuit !

Nous sommes en 2e ligne, je crois, car je ne vois pas de créneaux. Les tranchées sont ébréchées, éboulées et s’émiettent car c’est de la craie. De plus, une odeur âcre de poudre et de cadavre vous prend à la gorge. Décidément ce doit être encore un bon coin. Nous verrons demain.

Il fait froid et comment reposer ? Je suis pourtant très fatigué, autant par la marche que par les émotions d’un secteur inconnu. Enfin, il est certainement 2 heures du matin et de ce fait, la nuit ne sera pas longue.


[1] parapet : Rebord de la tranchée qui fait face à la tranchée adverse. Il constitue à la fois une protection (renforcée par des barbelés et des sacs de sable) et un obstacle à escalader lors des attaques ou des départs pour patrouilles et coups de main. Une des règles primordiales de la guerre des tranchées consiste à ne rien exposer à l’adversaire au-dessus du parapet.

[2] parados : Protection par un monticule de terre en arrière de la tranchée.

 

26 février

Vers 7 heures, je me rends chez Pitche que je trouve affairé et heureux de me revoir. Aussitôt un bon café m’est servi. Soubyn* qui vient de se lever ne tarde pas à arriver. On cause de toutes les choses dites hier, on ajoute, on trouve quelque chose que l’on a oublié. C’est ainsi que je cause de l’autobus de la Droguerie rouge de Dunkerque aperçu près de Valmy. J’apprends que Gaston Barbez, directeur propriétaire du Journal de Bergues, est automobiliste conducteur de l’autobus Sevynguedamst [ ?] de Bergues.

Je quitte mes braves amis vers 8 heures, après avoir revu mes amis d’hier, Looten, Lefrancq, Bonduot. Je vois encore aujourd’hui Joseph Hernu, d’Estaires, brancardier également.

Mon ami Loubin m’accompagne un bout de chemin puis je continue et tombe sur la grand-route. Je tombe également, oh surprise ! sur Jean Plouvier de Steenwerck [1], un grand ami du régiment lors de mes classes de « bleu », élève caporal au 8e. Nous nous embrassons. Caporal infirmier au 8e, il descend des tranchées. Cinq minutes d’entretien et Au revoir ! Bonne chance ! Que ne peut-on se voir davantage !

Après la soupe, nous recevons une note : rassemblement par le colonel à 1 heure des officiers et sous-officiers des trois bataillons derrière les baraquements.

Nous nous rassemblons à l’heure dite. Le colonel, suivi du capitaine de Lannurien, arrive à cheval et nous cause des grands succès obtenus de ces côtés, du secteur que nous aurons bientôt, du 147e qui fera son devoir et de la volonté que nous devons avoir de vaincre l’ennemi. Nous sommes libres après une heure d’entretien.

J’écris à ma famille. J’ai tant de choses à dire sur mes multiples rencontres.

t8-PlansDessinésELOBBEDEY_0007b

Plan dessiné par Émile Lobbedey – Tome VIII

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Je me rends ensuite à l’ambulance de l’autre côté de la route. Sur la route, je vois un brancardier : c’est un de mes anciens professeurs, Monsieur Comines, de Bailleul. Surprise et joie nouvelle de se serrer la main.

Je demande le médecin-chef qui arrive, me reconnaît et me fait visiter son établissement. Il me montre des granges qui sont transformées en vrais palais. C’est une vraie clinique moderne, avec tout le confort désirable. Il me montre un brave garçon couché, à qui il a coupé l’avant-bras gauche. Puis, mais quelle surprise, je me crois dans le pays des fées ici, un malade me crie : « Bonsoir ! ». Je vois dans un lit Mallet, un de mes grands amis de la faculté de droit de Lille, Henry Mallet de Cambrai, blessé d’un éclat d’obus et soigné ici. Que de choses nous disons, de combien d’amis nous parlons ! Enfin je quitte Monsieur le major Vermullen en le remerciant vivement.

Je rentre fatigué aux baraquements, fatigué par les émotions. Après une rapide collation, je ne suis pas long à m’endormir.


 [1] Jean Plouvier de Steenwerck : Il s’agit probablement de Jean Léopold Pierre PLOUVIER (inscrit sur le monument aux morts de Steenwerck) dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre.archives_I980826R

25 février

Ahes de Somme-Tourbe (voir topo tome I)

Au très petit jour, je me réveille et suis bientôt debout, gelé. Il faut que je me réchauffe. Je file sur la route au pas gymnastique. Il a gelé cette nuit et la route ainsi que les champs, de boueux qu’ils étaient, sont devenus propres. Il peut être 7 heures quand réchauffé, je me rends dans une agglomération de maisons qui se trouvent de l’autre côté de la route, à 150 m. Je vois des tentes qui m’indiquent une ambulance. Je vois des infirmiers et des hommes chargés de provisions qu’ils ont achetées à une fenêtre de maison où des commerçants d’occasion vendent de l’épicerie. Je me dispose à faire comme eux quand quelqu’un me frappe sur l’épaule. Cri de surprise ! Je reconnais Adolphe Soubyn [Loubyn ? – 1], ami du collège et compatriote infirmier ici, qui m’a reconnu. Mon ami m’a conduit près d’autres amis, brancardiers divisionnaires du 1er corps d’armée. Je vois successivement un fils de Monsieur Looten, de Bergues, pharmacien à Lille ; l’abbé Bonduot, de Bollezeele, brancardier divisionnaire ; Joseph Lefrancq [2] d’Estaires, l’abbé Coddeville, curé d’Uxem, l’abbé Patinier, vicaire à Calais, tous brancardiers. Ces messieurs se trouvent dans un grenier sur la paille pouilleuse, se reposant de leur travail de nuit. On cause du pays comme bien on pense. Je suis abasourdi par la joie que j’ai à les voir et à leur causer. Monsieur le vicaire Patinier me cause de René Parenty qu’il connaît et qui est un de mes grands amis de Calais, lieutenant au 8e territorial. Nous parlons de Jean Chocqueel, notaire à Bergues, du 8e territorial, prisonnier en Allemagne ; de Louis et Émile Sapelier, sergent et caporal au 8e de ligne, actuellement en tranchées devant Mesnil-les-Hurlus ; de l’abbé Pierre Chocqueel [3], aumônier au 8e de ligne. Nous causons de Gustave Cenez [ ?], blessé pour la seconde fois, de Joseph Lamstaes [?], blessé, tous deux de Bergues, de Jules Thueux [4], marbrier, de Minne [5], brasseur, de Bergues, tués. On dit que Lucien Delaeter de Bergues est blessé grièvement.

Ce sont toutes choses neuves que j’apprends et tous ces gens sont mes amis. Quelle émotion de se rencontrer, de voir pour la première fois des têtes connues, du terroir, après six mois de guerre.

Je descends du grenier précédé de Soubin [Soubyn ?] qui m’amène dans une espèce de gourbi un peu plus loin. Là, je me rencontre avec le cuisinier du médecin-chef de l’ambulance, un Berguois, également, que tout le monde appelle « Pitche ». Celui-ci fait du bon café. Nous buvons, nous fumons, nous causons du pays : on a tant de choses à se dire et que je suis heureux de les voir, de causer de tant de choses chères. Nous causons même la langue flamande.

Enfin reconduit par Soubyn, je rentre après avoir promis de revenir. En route, à notre droite, nous voyons un cimetière militaire. Bientôt je suis sur la route et rentre aux baraquements. Il est 10 heures.

Je suis tout heureux et écris aussitôt chez moi toute ma joie. Je mange la popote de Gauthier. L’installation des baraquements continue. Après la soupe, on installe sur le toit du papier bitumé que l’on fait tenir avec des pierres. Gallois m’annonce même que cet après-midi, on touchera de la paille. Décidément on se nippe !!!!!

Les officiers ont un bâtiment à côté, séparé du nôtre et construit à la hâte dans la soirée d’hier et la matinée d’aujourd’hui.

Vers 2 heures, je vais sur la route et vois défiler un bataillon qui rentre des tranchées. Il est dans un état lamentable. Les hommes sont des paquets de boues et se traînent plutôt qu’ils ne marchent. Cela produit une drôle d’impression pour celui qui s’attend à prendre leur place. Je vois de nouveau Soubin et un ses amis dont je fais la connaissance. Il m’offre d’aller à Saint-Jean-sur-Tourbe dont on voit les ruines et les tentes à 1500 m. Il m’y fera visiter les tentes, véritables hôpitaux du front. Le temps est beau, le soleil brille et la route est sèche.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

En route ! Nous déambulons tranquillement et arrivons bientôt au patelin dont quelques maisons et l’église subsistent dans le style Somme-Tourbe.

Sur les ruines des autres demeures qui sont rasées, sans doute ont-elles été incendiées par les boches à leur retraite, se sont élevées des tentes splendides. Nous y entrons ; je suis Loubyn qui serre la main des infirmiers, ses amis. On se croirait vraiment dans un hôpital : température douce grâce à un bon poêle, demi-jour, lits bien alignés et bien blancs, plancher, etc… D’un autre côté, c’est la même chose, le même fini. Ce sont de véritables rues entre les tentes, souvent pavées, toujours balayées. Je suis émerveillé. Il y a certainement plus de trente salles ainsi. Un peu plus loin, une autre tente est une salle d’évacuation. Tandis que dans les lits, je vois des bougres grièvement blessés, ici je vois des hommes qui sont soit blessés légers, soit un peu rétablis et qui attendent de partir à Somme-Tourbe en automobile pour être embarqués sur un train sanitaire qui les amènera dans un hôpital de l’intérieur où ils termineront leur guérison.

Loubin m’explique que ceux grièvement blessés sont soignés ici quand ils ne peuvent affronter le trajet en chemin de fer ; d’ailleurs il m’indique une maison où un grand spécialiste de Paris, Émile de Dayen, dont il me cite le nom, fait les opérations.

Enfin nous rentrons. En route, nous parlons encore et toujours du pays, il me dit que le médecin-chef est le médecin major Vermullen, fils du docteur de Bergues. Je décide d’aller le saluer demain.

Il est 4 heures 30 quand je rentre, après avoir promis d’aller demain matin boire le café de « Pitche ».

À ma rentrée, je trouve de la paille avec quel plaisir, mais en petite quantité faut-il dire. Enfin tout ce que je vois me plait, tant je suis heureux de mes rencontres fortuites.

Je vais faire un tour aux cuisines. Elles se trouvent à 100 m des baraquements. Les cuistots sont installés en plein air. Ils ont confectionné avec des bouts de planches et des piquets des bancs, de petites tables. Ils font merveille. Autour d’eux est rassemblée l’escouade* qui regarde, épluche les légumes, tandis que dans le plat cuit la friture.

Je rentre, le soir tombe. Nous mangeons assis sur nos sacs, tandis que Gauthier place la marmite devant nous ; et chacun puise dedans et met le rata soit dans sa gamelle soit dans son assiette en fer-blanc.

Il fait froid. On se pelotonne dans ses couvertures. Le peu de paille qu’on a sous soi fait croire que c’est plus doux et la tête appuyée sur le havresac*, on s’endort, bercé par le ronronnement des conversations voisines.


[1] Adolphe Soubyn [Loubyn ?] : Bien que les L et les S soient plus ou moins similaires dans l’écriture d’Émile Lobbedey, il s’agit vraisemblablement de Soubyn, mais il écrit ce nom à plusieurs reprises avec un i ou un y… S’agit-il de Soubin ou de Soubyn ?

[2] Joseph Lefrancq : Il s’agit probablement de Joseph Pierre Louis LEFRANCQ (inscrit sur le monument aux morts d’Estaires) dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre.archives_G950902R

[3] abbé Pierre Chocqueel : s’agit-il de l’ancien curé de la Croix du Bac ?

[4] Jules Thueux : il s’agit sans doute de Jules Marie Joseph THUEUX dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre.

archives_K260503R

[5] Minne : brasseur de Bergues, selon Émile Lobbedey.
Il s’agit probablement de Marius Louis MINNE (inscrit sur le monument aux morts de Bergues) dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondrearchives_I020756R