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12 février

Je me lève tard et notre bande en fait autant. Nous prenons le chocolat vers 8 heures.

Levers nous le sert en riant et nous raconte une bonne blague. Il brûle les fagots de bois de la mère Azéline en lui faisant accroire que c’est du bois acheté aux voisins. La brave femme répète qu’elle n’a pas de bois et qu’elle le donnerait de bon cœur. Heureusement que ce filou de Levers a trouvé dans un coin du grenier un tas de fagots. Il va donc en prendre un chaque soir et l’amène tranquillement dans la matinée en disant l’avoir acheté tantôt ici, tantôt là et pour un prix vraiment exorbitant (je te crois, Benoît). Nous rions beaucoup nous-mêmes.

Dehors le temps semble s’être remis au beau mais les routes sont boueuses et glissantes.

Lannoy fait sa situation de prise d’armes. Licour marchera et cédera sa place d’embusqué pour aujourd’hui à Delacensellerie.

Nous mangeons plus tôt, vers 10 heures 30. Tout est prêt, nos sacs sont montés : il n’y a plus qu’à partir.

Je rejoins donc la liaison dans son logis vers 11 heures 30 je trouve Gallois qui s’est acheté un képi d’adjudant et une cantine ; Sauvage, Legueil, Jombart sergents fourriers* des 7e 6e et 8e, Verlaine et Paradis, caporaux fourriers 5e et 8e, René, agent de liaison* de la section de mitrailleuses qui bientôt, dit-on, formera une compagnie, Gauthier qui fait toujours popote* mais doit être aidé des deux cyclistes Cailliez et Crespel car il est clairon avant tout et souvent de garde ou à la musique, Gilson secrétaire du commandant, le dessinateur soldat de la 8e, Brillant et Mascart, mes agents de liaison ainsi que Garnier, celui de la 8e et Frappé de la 7e. Cela fait en tout avec moi dix-sept membres. Quel équipage !

Sous les ordres de Gallois, nous partons sur la route de Sénard en passant devant le bureau du colonel. À 300 m à la sortie du village, c’est le point de rassemblement du bataillon.

Le capitaine Sénéchal à cheval, suivi du maréchal des logis Jacques, ne tarde pas à arriver. Les compagnies arrivent à leur tour et à midi, nous partons dans la direction de Le Chemin. Le temps est assez bon. Successivement, nous passons à Le Chemin, puis à Sénard où est cantonné le 1er bataillon, lui-même en marche. Nous continuons ensuite sur Triaucourt. Avant d’entrer dans le village, nous faisons une pause où le capitaine Sénéchal nous annonce que le lieutenant Péquin est hors de danger.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

De Triaucourt, nous reprenons la route de Charmontois où nous nous disloquons à 4 heures.

Je suis réellement fatigué par la marche : je n’ai plus d’entraînement. Je reste donc au coin du feu. Le capitaine arrive et signe les pièces : demain exercice comme à l’habitude.

Je suis à peine installé près du feu qu’une note arrive, disant qu’un renfort se trouve non loin du bureau du colonel et que les fourriers doivent aller chercher leur lot. Force m’est donc d’y courir. Arrivé près du bureau du colonel, je vois le sous-lieutenant Monchy rétabli qui vient de nous rejoindre. Il va saluer le colonel. Je fais 200 m sur la route et dans une pâture à gauche, trouve une troupe qu’on est occupé à fractionner. Je vois quelques anciennes connaissances ; ce sont tous d’anciens blessés. Je prends possession de mon lot, dans lequel je trouve Berquet, celui que j’ai sauvé à Beaumont le 28 août – le brave garçon me le rappelle aussitôt – ainsi que Prunier, une mauvaise tête, brave au feu. Ce Prunier est attendu du capitaine à qui il écrit souvent. Mauvaise tête s’il en est, je doute fort que la lune de miel soit longue entre eux. Ex-blessé de l’Argonne, brave si on veut, mais hâbleur et frotte-manches.

J’arrive au bureau avec la quinzaine d’hommes qui m’est dévolue et Lannoy en fait la répartition par section. À 7 heures, nous nous mettons à table. Tout le monde est fatigué et nous ne tardons pas à nous coucher.

10 février

Remise de la croix aux commandant Vasson, capitaines de Lannurien Sénéchal

Je passe une mauvaise nuit et reste couché le matin tandis que mes amis font irruption dans la chambre et se préparent fébrilement à la marche d’aujourd’hui. Licour aide chacun de son mieux.

À 7 heures 30, la maison est vide. La mère Azéline croit qu’on s’en va et ne peut en croire ses yeux de voir la maison silencieuse, sans tout le tohu-bohu de notre présence. Licour, dans la cuisine, se tue à lui expliquer qu’on est parti au tir. La bonne vieille n’y comprend rien et je ris aux éclats.

À 9 heures, je vais voir le Docteur Veyrat qui aussitôt m’exempte de service.

Je rentre donc et m’installe au coin du feu tandis que Licour fait popote. Je mange à 10 heures et me recouche pour faire la sieste car mon bras est réellement douloureux. Je me lève vers 2 heures. Un peu plus tard, la musique revient avec le drapeau, en jouant un pas redoublé. Je passe mon après-midi à écrire aux miens. Je reçois toujours leurs lettres régulièrement.

Vers 5 heures, le bataillon rentré, mes amis ne tardent pas à affluer, Lannoy en tête, qui n’est plus habitué aux marches et se dit très fatigué.

Le capitaine suit et me fait écrire : repos pour demain matin ; revue d’armes et de cantonnement* à 9 heures par les chefs de section.

Après son départ, Lannoy me raconte qu’ils ont fait une véritable marche après le tir, passant par Triaucourt. La cérémonie fut présidée par le général Guillaumat qui, après une allocution patriotique, remit la croix aux nouveaux chevaliers. Le général annonça en particulier de grands succès dans le Nord : on se plaît à dire que Lille, Roubaix et Tourcoing sont dégagés.

Là-dessus, Lannoy s’en va se désaltérer à Charmontois-le-Roi. Décidément, la marche ne l’a pas fatigué outre mesure. Je reste au coin du feu avec une légère amélioration dans mon état. Demain je serais heureux de pouvoir reprendre ma besogne.

Le repas se passe aimablement entre nous. La prochaine remise de décorations, la compagnie sera à l’honneur, se dit-on, car c’est son chef direct qui sera décoré.

On se couche tôt, car chacun est au plus fatigué.