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15 décembre

Départ pour la cote 211

Le matin, en communiquant des notes, je trouve le capitaine dans la demeure du sous-lieutenant Vals, furieux, car la nuit dernière il fut expulsé par un officier d’un régiment venant au repos, sous prétexte qu’il n’était pas dans son cantonnement*. Force lui fut de s’exécuter. Je ne suis donc qu’à moitié bien reçu. Enfin, à qui la faute ? Tout cela pourtant ne me met pas en gaieté.

Pour me distraire, je passe la matinée sur mon sac, occupé à terminer ma chansonnette.

Après le repas, je me rends au PC du colonel toucher des pantalons et des brodequins. Quelle chance ! Je me sers de brodequins et fais les distributions à la troupe dans un coin de grange transformée en salon d’essayage.

Bientôt Carpentier s’amène et me déclare qu’on quitte pour la cote 211. J’avertis aussitôt le capitaine.

Alerte. Rassemblement. Lannoy, le sergent major, reste gardien des brodequins et pantalons touchés. Il en sourit… le traître.

Quant à moi, je rejoins la liaison et m’équipe rapidement. Un quart d’heure après, nous étions en route sous les ordres du capitaine Claire, commandant le bataillon, le capitaine Sénéchal restant à Florent. Il peut être 1 heure 30 ; le temps n’est pas à la pluie, c’est déjà un avantage, mais par contre les routes sont boueuses. Quelle utilité, de ce fait, de se nettoyer constamment pour se salir aussitôt après ?

Nous ne tardons pas à arriver à la cote 211 où les compagnies prennent leurs positions tandis qu’avec le capitaine Claire nous continuons par un chemin boueux vers la Seigneurie. En route, le capitaine me dit que je remplacerai Gallois absent. Voici la ferme. Nous y entrons et tandis que le capitaine voit le commandant du 120e relevé, nous montons au premier, assez heureux de trouver une petite chambre proprette malgré un grand désordre. Chacun se met à l’œuvre aussitôt ; de mon côté je descends dans la cuisine à la disposition de mon chef.

Bientôt le 120e quitte ; les cuisiniers s’emparent de la cuisine et commencent la popote. La cuisine s’emplit petite à petit car tous les cuisiniers des officiers du bataillon rappliquent. C’est donc que ces Messieurs vont arriver eux-mêmes ici.

En effet je ne tarde pas à voir le capitaine Aubrun avec Vals, les lieutenants Régnier, Péquin, de Monclin ( ?), Fournier nouvelle arrivée, Monchy. Ils rentrent dans la pièce réservée pour eux, où se trouve le capitaine Claire. Le phonographe, un vieux phonographe, donne tous les disques qui gisent là. C’est la gaieté qui règne, j’entends des éclats de rire et ai l’intuition que ces Messieurs envoient la cote 211 et les boches à tous les diables.phonographe

À l’étage supérieur, quand je remonte, je trouve mes amis qui s’installent. Un modeste lit se trouve au fond à droite, dans une espèce de ruelle. La chambre est nettoyée et semble assez propre. Quant à Gauthier, il s’occupe déjà à faire popote dans la cour de la ferme. Il n’y a plus qu’à attendre les événements et écrire chez-soi ou jouer aux cartes, ce que certains font aussitôt tandis qu’au son du phonographe, je redescends dans la cuisine où c’est un remue-ménage de marmites et de plats de toutes sortes.

103-lerasagePour se distraire, les officiers, fatigués d’être poilus, s’amusent à se faire raser leurs fortes barbes. Un coiffeur est appelé parmi les compagnies qui ne sont pas loin, sous les ordres des adjudants. Celui-ci s’installe dans la chambre à droite en entrant dans les cuisines tandis que ces Messieurs se trouvent dans celle à gauche. Je jouis donc du spectacle de la transformation, de l’aller au retour. Chaque fois, à l’arrivée d’un « tondu », ce sont des hourras dans la pièce, particulièrement à celle du lieutenant Régnier dont la belle barbe était légendaire au régiment ; le rasoir l’a rendu méconnaissable. Je vois le capitaine Claire, le capitaine Aubrun. Celui-ci me réclame ma chansonnette pour la dixième fois. Je la lui passe sur ces instances : elle est terminée. Voici d’ailleurs le dernier couplet avec son refrain :

Tandis qu’au Nord les camarades progressent,
Et qu’en Alsace se plante le drapeau ;
La vieille Pologne remplie d’allégresse
chante le Russe qui purifie ses eaux.
Mais à quand la boucherie
De la Marne, à la Gruerie ?
Béni le jour                                       Pan Pan Pan pan

Où clairons et tambours                   d°
Nous commandant la charge           d°
Feront prendre le large                     d°
Aux abrutis                                        d°
Qui par leurs abattis                        d°
Entravent nos succès                       d°
À nous les fiers soldats français

 Le soir tombe. Je remonte prendre ma pitance dans notre chambre froide avec mes amis, tandis que les officiers dînent.

Vers 7 heures, ils partent à leur poste près de leurs compagnies. Seuls les capitaines Claire et Aubrun restent à la ferme, la 5e compagnie se trouve en réserve dans le bois avoisinant.

Je puis donc me coucher. Avec Carpentier j’hérite du lit qui n’a d’ailleurs qu’une vulgaire paillasse.

12 décembre

Relève des tranchées

Le colonel Rémond est nommé général de brigade et remplacé par le commandant Desplats du 128e. Gallois est nommé adjudant de bataillon.

Vers 7 heures, c’est encore l’arrivée épique de notre cuisinier. Aussitôt debout, rassemblement, distribution d’eau-de-vie pendant que dans la marmite le café chante sur le feu.

Gauthier pour une fois nous annonce une grande nouvelle. Le colonel Rémond est nommé général de brigade. Il est remplacé dans son commandement par le commandant Desplats du 128e.

On annonce cela au capitaine Sénéchal qui n’en sait encore rien et reste sceptique. Gauthier dit tenir cela du personnel des voitures de ravitaillement.

Dans la matinée, une note arrive, apportée par un cycliste du colonel. La nouvelle est vraie. C’est un adieu de notre chef à ses troupes qu’il se dit fier d’avoir commandées. Il nous recommande le valeureux commandant Desplats, chef sans peur et de grand mérite, ancien colonial.

Une autre note annonce la promotion de Gallois au grade d’adjudant de bataillon et celle de Menneval à celui de sergent fourrier.

Nous nous promettons de fêter ces fameuses promotions aussitôt que les circonstances le permettront.

Gallois est des plus heureux et nous partageons sa joie car le voilà définitivement à notre tête et c’est un charmant camarade.

La pluie a complètement cessé et le soleil luit misérablement, un petit soleil d’hiver qui ne réchauffe et ne sèche pas. Les terrains sont détrempés au possible. Vers 1 heure, une note annonce que nous serons relevés cette nuit. Cantonnement* à Florent. Nous nous apprêtons donc immédiatement, attendant que le capitaine Sénéchal nous dise de partir préparer le cantonnement. Il nous appelle bientôt en effet, avec ordre d’aller reconnaître la route de La Harazée.

Nous suivons donc Gauthier qui nous mène par trois ou quatre layons jusqu’au moment où il n’y a qu’à suivre pour arriver le layon sur lequel nous nous trouvons.

En route, nous rencontrons une batterie alpine bien dissimulée qui tire depuis plusieurs jours. Nous l’avions entendue, nous demandant quel était ce genre d’obus rapide qui ressemble aux 75 par sa rapidité. C’est la première fois que nous sommes dotés d’une batterie de ce genre.

Nous revenons au PC du bataillon. Le capitaine Sénéchal m’appelle et me charge de partir, chef de cantonnement, avec les fourriers Carpentier Menneval, et Jombart qui fera le cantonnement de la 7e compagnie. Je ne suis pas satisfait car ma charge est double : cantonnement du bataillon et cantonnement de ma compagnie.

D’un autre côté, je me charge d’en profiter pour la loger princièrement. Gallois reste donc avec le commandant. Gauthier m’accompagne.

Nous partons, laissant nos agents en second, Pignol, Frappé et Garnier des 5e, 6e et 8e appelés pour la circonstance ainsi que Legueil de la 6e compagnie, caporal fourrier, les cyclistes et René, l’agent de liaison de mitrailleuses.

Il peut être 4 heures. Grâce à Gauthier qui connaît parfaitement le chemin, nous passons par les routes les meilleures. Nous loin du village quelques balles sifflent à nos oreilles, serions-nous vus ? En tout cas nous prenons le petit pas gymnastique qui nous amène rapidement au patelin.

Ici je dois rassembler tout ce que je trouve de cuisiniers et les diriger sur Florent. Ceux-ci, petit à petit avançant sans cesse l’heure du départ des tranchées pour chercher et préparer les vivres au village, et retardant petit à petit l’heure d’arrivée le matin, ont réussi sans qu’on s’en aperçoive à s’installer au village où ils passent la majeure partie du temps. C’est ainsi que je trouve à La Harazée, dans quatre coins différents connus de Gauthier, les caporaux d’ordinaire de chaque compagnie installés dans de véritables chambres garnies, meublées avec des débris de table, de chaises et de literies trouvés un peu partout. Les cuisiniers ont une véritable installation digne d’un Vatel*. Cela se passe de cuisiniers de bataillon relevé à cuisiniers du bataillon de relève. C’est tout juste si on ne dresse pas un état du matériel avec signatures au bas. Cela me fait rire. Nous faisons une longue pause au logis de la 8e compagnie où nous buvons force café. Une nouvelle pause m’amène à la 6e compagnie où on fait des crêpes : j’en avale plusieurs. Là nous voyons le frère d’un cuisinier de la 6e compagnie, Verleene ; celui-ci part à Florent avec une voiture et se charge d’emporter nos havresacs que nous n’aurons qu’à lui réclamer à destination. Grand soulagement !

Je quitte donc La Harazée, suivi d’une file interminable de cuistots qui font un grand remue-ménage de plats et marmites. C’est un cortège digne de tenter le pinceau d’un maître. L’obscurité est complète : il peut être 6 heures du soir.leroux_cortege

Nous passons la Placardelle où des obus, tombant à la cote 211, nous font faire une bonne pause et nous procurent la joie d’un pas de gymnastique rapide à l’endroit dangereux.

Au parc d’artillerie, je dépasse une petite caravane et reconnaîs mon ami Pécheur, sergent secrétaire du colonel, qui, lui-même, se rend à Florent faire le cantonnement de l’état-major du régiment. Nous faisons route ensemble, échangeant nos impressions sur le nouveau commandant du régiment que nous ne connaissons pas et qui doit se trouver au village où nous cantonnons.

Il peut être 9 heures quand nous arrivons à Florent par une obscurité complète et un vent qui souffle en bourrasque. Temps détestable sans pluie heureusement.

Toujours suivi de ma brillante suite, je fais halte sur la place, attendant Pécheur parti à la mairie où se trouve le bureau de cantonnement. Il revient bientôt avec les renseignements voulus et m’amène d’abord avec lui pour saluer le commandant Desplats dont il a le numéro du logement. Nous attendons le départ de deux cavaliers qui sont reçus en ce moment, puis c’est notre tour. Nous nous présentons et sommes reçus aimablement par un homme petit, nerveux, ne tenant pas en place, chauve, au teint bronzé, aux yeux scrutateurs derrière des lunettes, un vrai colonial. Il s’informe vaguement du régiment et nous dicte ses désirs au sujet du cantonnement. Nous pouvons nous retirer, ce que nous faisons avec empressement. Mes impressions : homme peut-être excellent, mais très méticuleux.

Pécheur m’indique mon cantonnement que je commence, éclairé par toutes les lanternes des cuistots qui suivent et s’installent aussitôt qu’une répartition est faite entre les quatre compagnies. Mon cantonnement est restreint car je n’ai qu’une rue, la rue A. (Voir topo Tome IV).Plan14-11Florent Je loge aussi bien que possible la compagnie et envoie paître mes amis qui déclarent que le cantonnement est exigu tant pour la troupe que pour les officiers. De guerre lasse et après bien des pourparlers, je retrouve Pécheur et obtient de lui une chambre épouvantable qu’il me cède même à regret, gêné lui-même dans son cantonnement : cette chambre est en dehors du cantonnement, je la cède à Jombart qui, de concert avec Carpentier, décide d’y loger les lieutenants Régnier, Péquin et de Monchin ; deux lits à trois matelas, une table, aucun siège. C’est luxueux. Quant à moi, je loge le capitaine Aubrun dans un rez-de-chaussée de deux pièces. La première servira de cuisine et déjà Chopin et Verhee, le nouveau successeur de Chochois relevé, font bonne besogne. La seconde contenant deux lits à peu près potables sera la salle à manger et le dortoir pour le capitaine, le sous-lieutenant Vals et le médecin aide major Veyrat. Que faire ? Impossible de trouver mieux.

Très ennuyé de tout cela, je me rends près de Gauthier, il peut être minuit. Celui-ci, à qui j’ai donné tous droits de choisir, est dans une petite cabane, sans étage, en briques : deux modestes pièces ayant une petite fenêtre chacune ; dans la première, un bois de lit, deux chaises, une table, un foyer ; dans la seconde, de la paille. Je bois un quart de café, me chauffe, me sèche et attends, bientôt rejoint par Carpentier, Menneval et Jombart qui tâchent de compléter le cantonnement en cherchant des coins partout. Le capitaine Sénéchal est logé au presbytère. Lui seul sera bien. Dehors, le temps est pluvieux et le vent siffle. Beau temps pour une relève.

10 décembre

Les nuits sont excellentes dans l’abri bien clos, spacieux et élevé.

Je continue ma chanson car elle me tient au cœur.

Dans la matinée, je me rends près du capitaine Aubrun et lui en montre quelques fragments ainsi qu’aux lieutenants Péquin et Vals. Cela les met en gaieté et le capitaine me promet de la faire imprimer aussitôt finie pour la distribuer à la compagnie. Gauthier et Jombart arrivent vers 10 heures. Ils ont eux aussi fait une nuit excellente et la grasse matinée, car plus que fatigués par les promenades de ces derniers jours, ils n’en pouvaient plus. On fait un feu d’enfer afin de faire un repas chaud. Jombart d’ailleurs s’est procuré des tas de choses aux voitures de ravitaillement qui amélioreront l’ordinaire.

Nous mangeons de bon appétit et nous croyons revenus aux séances de La Harazée quand Carpentier de sa plus belle voix entonne une chansonnette, « Le petit loupiot ».

Le capitaine Sénéchal l’entendant l’appelle et l’envoie communiquer une note à son commandant de compagnie. On rit beaucoup.

La vermine recommence à nous prendre dans la chaleur de l’abri. Nous nous plaignons tous et chacun se gratte dans son coin, malheureux souvent, car on n’est pas une minute sans avoir une démangeaison. À tout instant, on surprend l’un d’entre nous presque complètement dévêtu et tuant les misérables animaux par douzaines, de toutes les formes et de toutes dimensions.

Dans l’après-midi dégoûté, je mets le linge que j’ai dans mon sac et jette le linge enlevé en plein bois. Il est rempli de bestioles : il y a quatre jours à peine que je l’ai sur le corps. C’est à en être malade.

Je vais communiquer un ordre le soir dans l’obscurité. Tout notre entourage est rempli de petites lumières qui scintillent, les bougies des nombreux gourbis occupés par la 6e : c’est un véritable village nègre. Heureusement que le bois est des plus touffus et l’ennemi éloigné sinon ce serait une cible magnifique.77-marne-1915-abris

Dans la soirée, après le repas chaud grâce à notre foyer, au cœur du feu, ce sont entre nous des causeries sans fin, quelques morceaux chantés en sourdine et même quelques pitreries qui font toujours rire. Nous ne pouvons nous imaginer que nous sommes en première ligne tant le secteur est différent des autres secteurs que nous avons pu précédemment.

Côte à côte sur les fougères, nous nous étendons avec consigne que celui d’entre nous qui se réveille la nuit mette du bois dans le feu. Nous nous endormons alors au milieu de grattages sans pareil, cause bestioles qui, heureuses d’être au chaud, remuent sans discontinuer.

24 novembre

On parle encore du capitaine de Lannurien qui peut prendre le commandement du bataillon. On dit également que le sergent major de Brésillon de la 8e brigue la place d’adjudant de bataillon. On dit également que nous partons ce soir. On dit tant de choses au cantonnement* et les cuisiniers savent tant et tant.

Vers midi cependant, une note arrive, disant que 5e et 7e se rendront le soir à une position au-delà de la Harazée dans le bois. Le capitaine, accompagné du sergent Régnier, commandant la 7e compagnie, part reconnaître.Cote211-archives_SHDGR__GR_26_N_340__002__0197__T

Contrordre arrive ensuite, car c’est au petit jour que la position doit être occupée. Je ne comprends rien à une telle chose. La seule qui m’intéresse est de savoir si je suis la compagnie ou reste ici au chaud. La décision vient du capitaine Sénéchal : je reste. Heureux suis-je !

Après avoir vécu dans l’anxiété, je passe l’après-midi tranquillement, attendant le retour du capitaine.

Je le vois le soir à table. La compagnie va quitter à 1 heure du matin pour rentrer la nuit suivante.

Je ne suis pas rentré près de mes amis de la liaison quand, de la rue, j’entends une formidable explosion à 100 m derrière moi. Un obus est tombé dans le cantonnement de la compagnie.

J’accours de nouveau au logis du capitaine. Quelques minutes après, Lannoy vient nous dire qu’un obus est tombé dans une grange face à l’habitation.

On déplore la perte de trois tués et de deux blessés.

Le sous-lieutenant Vals flegmatiquement appelle Chopin et lui crie « Chopin, passe-moi les biscuits ! ». Il est permis de ne pas s’affoler ; mais je trouve cela du cynisme. Le capitaine a plus de cœur et donne, les larmes aux yeux, des ordres d’évacuation de la grange et de resserrement de la compagnie. Il n’y a pas de cantonnement vacant, force lui est donc de garder la compagnie sur son emplacement et d’y rester lui-même. L’obus, d’ailleurs, n’est qu’un obus égaré car tout rentre dans le calme.

Je vais donc rejoindre mes camarades, prenant sur moi de faire donner la sépulture aux trois braves défunts.


 

13 novembre

Repos à Florent

Nous nous levons à 4 heures, gelés. Impossible de se recoucher, il faut qu’on se réchauffe. Je sors donc dans la rue. La pluie a cessé. Je cours pour me remuer le sang et mes camarades en font autant.

Gauthier tâche de trouver du bois. Enfin, après maintes recherches, nous allumons un peu de feu dans la rue. On écrase du café dans un couvercle de marmite avec une crosse à fusil. Une heure après, nous buvons le « jus » fameux que connaît tout troupier.

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Une rue avec des soldats – 1915.07.27 ©Ministère de la Culture (France)

Le jour est levé, mais point les habitants. Nous pouvons toujours cantonner la troupe puisque les granges sont ouvertes. Celles-ci sont potables, vastes et pleines de paille.

Le cantonnement* n’est donc pas trop mauvais.
(Cantonnement dans la rue B) voir topo Florent Tome IV

Plan14-11Florent

Topo Florent Tome IV – Plan dessiné par Émile Lobbedey

D’autre part, les maisons potables sont rares pour y loger nos chefs. Après plusieurs insuccès, je réussis quand même à trouver une chambre à deux lits très peu luxueuse. N’ayant que cela, force m’est de m’en contenter. Seulement, le capitaine de musique occupe un lit, son tambour major l’autre. Ils sont arrivés hier soir, me dit l’habitant, brave homme très déférent et très conciliant. Je suis donc obligé de réveiller ces Messieurs pour leur faire observer poliment qu’ils ne sont pas dans leur cantonnement. Quelle misère tout cela !

Il est 8 heures du matin quand, après deux longues heures d’attente, je reçois la compagnie. Capitaine en tête, tout le monde est fourbu, trempé, couvert de boue ; on procède vivement à l’installation.

Le capitaine fait grise mine en voyant son appartement. Le sous-lieutenant Vals rit à gorge déployée. Je m’excuse de mon mieux. Nécessité oblige. D’ailleurs, les chefs des autres compagnies sont encore plus mal logés. En bas, les cuisiniers se sont emparés de la cuisine, enjôlant les habitants comme seul sait le faire un « cuistot », et Chochois, Chopin font merveille. Le café est déjà prêt à être servi.

Notre logis à la liaison est minable. C’est une simple pièce remplie de paille répugnante. Comme siège, néant ; comme lit, néant ; comme carreaux, néant. Comme siège, nous aurons nos sacs ; comme lit, le plancher débarrassé de la paille infecte ; comme carreaux, des bulletins des armées de la république sont tout indiqués.

On se met donc à l’œuvre. Du bois est trouvé par Gauthier : quelques planches d’une grange voisine. On allume le feu, on nettoie la pièce, faisant place nette de tous les détritus qui jonchent le sol ; chacun a sa place assignée non sans quelques discussions. Je vais chercher le ravitaillement aux voitures qui sont stationnées sur la place.

À midi, nous pouvions nous restaurer.

L’après-midi, nous nous nettoyons. Ce n’est pas un luxe, inutile d’insister. Mais c’est toute une affaire et pas facile.

De l’eau, il faut en chercher à un puits, le seul du village qui en possède encore. Heureusement qu’il pleut, dira-t-on ; ce puits, il faut en connaître l’emplacement ; il faut y aller ensuite.

Il faut un récipient qu’on n’a pas, qu’il faut chercher, qu’il faut trouver.

Il faut une place ; la rue, dira-t-on ; précisément. Encore faut-il qu’il ne pleuve pas. Je ne vois pas d’ailleurs dix hommes dans une pièce de six mètres sur quatre se lavant en même temps tandis que d’autres écrivent, font la cuisine, entrent, sortent, etc…

La fontaine de Florent : les lavabos - 1915.07.18 ©Ministère de la Culture (France)

La fontaine de Florent : les lavabos – 1915.07.18 ©Ministère de la Culture (France)

Que de choses qui, autrefois, paraissaient si simples et qui, aujourd’hui, sont une affaire d’État. Que de discussions aussi entre nous ! Que de mots aigres-doux échangés !

Vers le soir, je vais voir le capitaine. Enjôlant à son tour ses hôtes, il a réussi à avoir un coquet petit salon dont les fenêtres donnent sur la place. Je le trouve dans un fauteuil, en pantoufles au coin d’un bon feu. Il me fait tout à fait l’effet d’un brave père de famille.

De bonheur, nous nous étendons côte à côte dans notre home. Nous aurons chaud, nous ne craignons pas la pluie. Que faut-il de plus ?


 

5 novembre

Dans la matinée, j’apprends que les nominations vont paraître. Je vois mon ami, le sergent Huyghe, qui espérait le galon d’adjudant mais qui ne fut pas proposé. Le pauvre garçon, qui commande sa section en brave, est un peu attristé. Je le console, lui disant que ce sera pour la prochaine fois.

Les nominations paraissent. Vannier, sergent à la 8e compagnie, passe adjudant. Gallois est nommé sergent major. Il reste cependant à la liaison. Une petite discussion s’engage à ce sujet. Je ne m’y mêle car cela m’est absolument égal. À la compagnie, nous n’avons aucune nouvelle de la proposition Gibert.

Dans l’après-midi, le capitaine part à cheval saluer la dépouille de Lambert enseveli au cimetière de La Harazée.laHarazee-cimetiereCP-213_001

Vers 13 heures, nous partons de nouveau à notre position d’hier. Le sous-lieutenant Vals prend le commandement du bataillon. Les autres officiers sont partis reconnaître le secteur au bois de la Gruerie. C’est donc que nous relevons bientôt. Je crois que nous passons notre temps dans le bois, craignant un bombardement du hameau dans lequel nous sommes cantonnés.

Vers le soir, il commence à pleuvoir. C’est le sale temps en prévision de la relève*. Nous rentrons au cantonnement*.

3 novembre

Le temps est radieux. Le soleil brille.

Le capitaine Sénéchal, depuis hier, a permuté avec le capitaine De Lannurien.

Je vais communiquer une avalanche de notes au capitaine Aubrun vers midi. État de propositions, de pertes, etc…

Je le trouve à table avec le lieutenant Vals et les officiers de la 8e compagnie. Leur popote est installée dans le logis du sous-lieutenant Vals. Ils mangent dans la chambre à coucher où se trouvent deux lits occupés par le sous-lieutenant Vals et le capitaine. Celui-ci a cédé la chambre, vaille que vaille, de l’arrivée au sous-lieutenant Monchy. Je constate avec satisfaction moi-même qu’ils sont satisfaits. Notre installation est terminée également. Un nouveau camarade s’adjoint à nous, le caporal fourrier* Jombart, imprimeur à Paris, qui est très aimable et très débrouillard. Il sera dorénavant agent de liaison* en second de la 8e compagnie avec Carpentier. Le pauvre Gallois est surchargé de besogne : le sergent major de la 7e est tué. Il assure donc les rôles de sergent major et fourrier. Huvenois prend pour la 6e son caporal fourrier également, qu’il s’adjoint en second. Nous commençons à être une bande. Pour moi, le capitaine déclare garder Jamesse, son caporal fourrier ; je n’aurai qu’à prendre un agent de liaison en second quand bon me semblera. Je décide d’attendre le prochain séjour de tranchées.

Tout le monde ici se plaint de la vermine qui grouille partout. Que faire là contre ? C’est le cas de dire avec le vieux « La Fontaine ».

Le capitaine Sénéchal vient nous voir dans l’après-midi. C’est pour nous un père plutôt qu’un chef et c’est ainsi que nous l’aimons.

Je reçois quelques états de la compagnie. Gibert, le sergent qui succédera deux jours au sous-lieutenant Lambert, en attendant le sous-lieutenant Vals, est proposé comme sous-lieutenant ( ?). L’état des pertes se monte à 9 tués et 29 blessés.

La 8e compagnie est la plus triste : elle est réduite à cent hommes.

Je vais voir mon cousin Louis. Nous sommes heureux de causer des notres, des nouvelles reçues qui arrivent à présent régulièrement. Il me dit avoir reçu une balle dans son képi qui lui a enlevé une mèche de cheveux. Vraiment, il l’a échappé belle.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Le village n’est qu’un grand hameau. Une centaine de maisons sont échelonnées des deux côtés de la route, sillonnées de granges plus ou moins démolies. Une cinquantaine d’habitants sont encore là.Placardelle-CPIl n’y a pas d’église. Nous n’avons qu’un aumônier pour la division et nous sommes privés de tout exercice religieux. Cela pourtant ne serait pas de luxe parfois au repos.

Parfois dans la journée, nous entendons des arrivées d’obus. Mon opinion est que si le village fut épargné jusqu’ici, il ne tardera pas à être repéré par l’ennemi.

Les hommes vont et viennent. Les officiers se promènent au milieu d’eux. C’est un va-et-vient continuel.VienneLeChateau-APD0000570