Archives par étiquette : Verleene

18 janvier

Séjour à Florent

Impossible de dormir, tellement je suis énervé ! et mouillé… Je fume cigarette sur cigarette ! Tandis qu’un à un mes amis rentrent plus ou moins boueux, le dernier est Paradis ; il peut être 2 heures du matin. Au-dehors c’est une allée et venue sans pareille de troupes qui chuchotent.

Allons, tout va bien ! Nous pouvons dormir jusque 7 heures, c’est l’heure fixée pour notre départ ! On s’étend et on s’endort pêle-mêle les uns sur les autres, la joie au cœur, et la tête remplie d’un avenir de félicité !

Il est 6h30. Nous sommes réveillés par des appels. C’est le capitaine Claire qui nous envoie son ordonnance [1], Stewart, on va partir.

Bientôt arrivent tout rieurs le capitaine Aubrun et le lieutenant Carrière, Gout et Vals. Le capitaine Claire les suit. Nous pouvons partir de l’avant. Adieu Gruerie ! Nous agitons nos képis en passant le petit pont de bois de Fontaine Madame.

Nous partons, déambulant dans la boue, mais avec une hâte fébrile de quitter ce mauvais coin où nous avons laissé tant des nôtres.

Non loin de la Harazée nous attrapons le colonel Desplats et le capitaine de Lannurien. Ceux-ci sont boueux comme nous et nous amusent par les contorsions qu’ils font pour ne pas s’aplatir dans les flaques d’eau. Nous arrivons dans la Harazée vers 8 heures. Un petit soleil semble saluer notre passage, cela nous fait plaisir. Ce qui nous plaît moins, ce sont quelques shrapnells que les boches nous envoient.

Nous ne nous arrêtons pas en conséquence dans ce coin peu hospitalier. J’ai un souvenir en passant pour Jean Carpentier. Il eût été si heureux, le pauvre, de filer aussi avec nous ayant l’expectative d’un long repos.

Les shrapnells* nous suivent et même des obus percutants* se mettent de la partie. J’émets donc l’avis qu’il serait ridicule de se faire tuer ou blesser ici. Nous laissons donc la cote de la Harazée, malgré Gallois qui veut y passer quand même. Quand Legueil, René, mitrailleur, Paradis, Sauvage, et Crespel le cycliste, nous prenons la route de Vienne le Château. C’est un détour de 10 km. Au moins nous serons à l’abri, et d’ailleurs nous avons pour nous toute la journée et journée de plus ensoleillée.

Nous filons donc rapidement sur Vienne-le-Château, en hâte car la zone quoique moins visée que la cote de la Harazée est fort dangereuse quand même. C’est d’ailleurs ici que dernièrement tombaient les obus lancés contre nos voitures de ravitaillement, spectacle auquel nous assistâmes étant dans la Harazée. Presqu’à l’entrée de Vienne le château, nous sommes dépassés par tous les officiers de notre bataillon. Eux aussi prennent notre route pour plus de sûreté.

Il est 8h30. Le temps est splendide ; sans doute le soleil sabre-t-il notre départ de l’Argonne et veut-il fêter comme nous le fameux repos qui nous met le cœur en liesse.

Nous nous arrêterons dans le château et entrons dans une maison abandonnée où quelques marsouins font popote*. Nous profitons de la pause pour faire du café. Il y a ici tout ce qu’il faut pour cela et les camarades de l’infanterie coloniale sont très complaisants.

Image illustrative de l'article Adolphe Guillaumat

               Général Guillaumat

Nous voyons passer un général de division avec tout son état-major et sa suite. Sans doute est-ce celui qui succède au nôtre, le général Guillaumat, et qui vient voir un peu ce que ses troupes doivent garder.

Le café bu, nous partons, tranquillement cette fois, car les obus sont rares de ces côtés. Nous marchons dans la direction de Vienne-la-Ville. Nous voyons à notre droite à 2 km sur sa hauteur le village de Saint-Thomas en ruine. Au carrefour de la route qui mène à Saint-Thomas, Pêcheur sergent secrétaire du colonel me dépasse à bicyclette en me criant bonjour. Décidément tout le monde suit notre idée et personne n’a aimé affronter la route de la Placardelle toujours balayée d’obus.

On continue. Bientôt nous rencontrons deux compagnies d’un régiment inconnu. Puis un galop de cheval nous fait tourner la tête. Aussitôt nous rectifions la position, c’est le colonel Desplats suivi du capitaine de Lannurien. Lui aussi prend notre route. En passant le colon nous crie aimablement « à Florent ! ».

Voici Vienne-la-Ville. Nous faisons une nouvelle pause. Réellement la route est longue. Nous avons abattu une dizaine de kilomètres et nous en avons encore 15 au moins.

Enfin nous repartons quand soudain quelle aubaine ! Des caissons d’artillerie nous dépassent à vide rentrant au cantonnement à Moiremont.

Une, deux ! Nous sommes dessus, blaguant avec les artilleurs, et chantant à tue-tête. Naturellement il n’y a pas de ressorts, on est un peu secoué, mais on est si heureux et il fait un si bon soleil. Nous arrivons ainsi à Moiremont. Il nous faut descendre, car les caissons s’arrêtent ici. N’empêche que cela nous fait 8 km de parcourus gaiement. Je me souviens de la boulangerie d’autrefois quand nous avons logé dans la ferme Hulion qui brûla la nuit. Si je pouvais avoir un pain frais. J’arrive, j’insiste et puis achète. Quelle bonne chère nous allons faire tout à l’heure sur le bord de la route en cassant la croûte.

Nous voici sur la route de Moiremont à Florent. Encore 6 km et nous serons arrivés.

Nous faisons une bonne pause et nous partageons le pain. Je suis avec Paradis et Sauvage. Les autres nous ont devancé. Nous mangeons de bon cœur le pain frais que nous connaissons ainsi qu’une boîte de pâté. Il est midi et le soleil donne toujours à notre grande joie. Un vieux fond de vin nous désaltère et en route !

Nous marchons, marchons de bon cœur. Il est 2 heures quand nous atteignons Florent.

Un grand va-et-vient de troupes y règne. Nous avons grand mal de nous orienter parmi ce peuple. Nous voyons des chasseurs à pied, du 96e d’infanterie, des artilleurs etc.…

Après bien des recherches nous trouvons un écusson de notre régiment qui nous dit où se trouve le deuxième bataillon : dans la ferme-château (voir topo Florent tome IV  [ci-dessous]).Plan14-11Florent En route nous voyons Verleene, l’agent de liaison de la 6e compagnie. Il nous indique une maison où se trouve la liaison. La maison est située face à un coin du concert de la 4e division. Nous entrons dans une pièce assez vaste où nous trouvons nos amis, Gallois, Jombart etc.… Gauthier est occupé à faire popote. Quelques chaises sont là. Nous nous installons au coin du feu heureux de pouvoir nous asseoir et avaler un quart de café. La route m’a légèrement fatigué.

Jombart me dit que tout le bataillon est logé dans la ferme-château avec les officiers qui ne sont installés que d’une façon rudimentaire.

Le village est occupé par les troupes d’un autre corps d’armée que le nôtre. Nos états-majors sont partis, et il a eu toutes les peines du monde, le cher fourrier, à placer le bataillon dans un coin qu’on voulait lui refuser. Les autres bataillons ont été d’ailleurs dans le même cas, mais ils sont déjà partis à la Grange aux Bois.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Pour nous il a trouvé la maison qu’habitaient depuis notre arrivée dans l’Argonne les trois vaguemestres* du régiment. Nous sommes encore les mieux lotis.

Gallois me raconte qu’il est arrivé à 11 heures après avoir manqué « d’y passer » à la cote de la Harazée. Il ajoute qu’un obus est tombé sur une colonne de territoriaux en marche sur la Harazée, tuant douze hommes. Nous avons eu raison donc de prendre la route de Moiremont.

Je vais voir Mascart qui se trouve dans une grange en face avec les autres agents de liaison. Je lui donne quelques affaires à nettoyer.

Soudain nous entendons la musique. Je me dirige vers la place ; c’est le 96e qui donne une aubade. Je vois nos officiers ; je salue le capitaine Sénéchal qui est rétabli et loge toujours au presbytère. J’aperçois quantité de jeunes sous-lieutenants, un peu godiche dans leurs uniformes tout neufs. Ce sont les saint-cyriens de la promotion « croix du drapeau », de jeunes Marie-Louise qui n’ont pas encore vu le feu.

Je rentre en visitant notre ancienne salle de spectacle. Ce n’est plus qu’une vulgaire grange ou sont cantonnées des troupes. Adieu aussi, chic concert ! Tout cela sent le départ et tu ne nous reverras plus de longtemps sans doute.

La soirée se passe autour de la table à sabler notre « pénard » avec le vaguemestre en attendant de boire le bon vin du repos. La longue route nous a creusé l’estomac et nous mangeons de bon appétit.

Vers 8 heures, Gallois est appelé au bureau du colonel. Une demi-heure après il rentre un peu ennuyé. Les trois adjudants de bataillon partent avec l’officier de cantonnement* demain matin à 5 heures. Ils doivent se munir d’une bicyclette et filer au-delà de Sainte-Menehould dans des villages dont le nom n’a pas été donné, mais qu’ils connaîtront demain. Ils y feront le cantonnement ; le régiment arrivera vers 2 heures après-midi.

Gallois repart vers le capitaine Sénéchal. Il rentre bientôt me déléguant ses pouvoirs. Me voici bien loti de nouveau. Dans tous ses états le pauvre Gallois se voit perdu. Enfin Caillez lui cède la bicyclette et nous nous chargerons de faire porter son fourniment aux voitures.

Allons un quart* de café ; une note fixant le départ pour demain 9 heures. Et nous communiquons à nos commandants de compagnie heureux du départ car ils sont dans une vulgaire masure. La maison d’habitation est occupée par des officiers du nouveau corps d’armée qui nous succède.

Je rentre et nous nous couchons à même le plancher roulés dans nos couvertures autour du foyer.


[1] ordonnance : Soldat attaché à la personne d’un officier pour l’entretien de ses effets, de ses armes et de son cheval.

17 janvier

Relève* des tranchées.

Au petit jour vers 6 heures je me rends comme la veille près le capitaine Claire pour le compte rendu du matin. Il me manque celui de la 8e. Paradis, le caporal fourrier, ne tarde pas à me l’apporter. Il se plaint que par là on a de la boue jusqu’aux cuisses.

Mascart dans notre abri fait un grand feu pour sécher nos couvertures qui durant la nuit ont reçu de l’eau et qui sont trempées.

Gauthier ne tarde pas à s’amener. Il est toujours le bienvenu. Jombart nous annonce que nous serons relevés ce soir ; il le tient de l’adjudant du ravitaillement Cousinard. Celui-ci a reçu ordre de ne pas amener le ravitaillement ce soir à la Harazée.

Je vais immédiatement donner « le tuyau » au capitaine Claire. Ce doit être vrai, car nous en sommes au septième jour de tranchées. Le capitaine Claire appelle Legueil qui passera probablement sergent fourrier* à la 6e compagnie. Un agent de liaison* lui est adjoint, Verleene.

La liaison se transforme petit à petit. Nous avons Gallois, adjudant de bataillon, Jombart, Sauvage et moi sergents fourriers, Legueil et Paradis caporaux fourriers, Mascart, Verleene, Frappé et Garnier, agents de liaison, les deux cyclistes Caillez et Crespel, René le mitrailleur et Gauthier notre sympathique cuisinier. Legueil ne tardera pas à avoir les baguettes de sergent fourrier et Verleene sans doute celles de caporal.

Les cuisiniers des 5e, 6e et 7e compagnies passent. Je salue l’adjudant Culine qui revient. Il ne peut rester inactif à la Harazée et préfère les tranchées. Je l’admire.

Gallois ne tarde pas à rentrer. Il préfère son poste à celui de chef de section.

Vers midi une note assez longue à copier nous arrive. Le lieutenant-colonel Desplats salue le régiment à la tête duquel il est placé définitivement. La relève aura lieu ce soir. Les commandants de compagnie resteront jusqu’au lendemain matin. Quant aux compagnies elles iront à Florent. Le grand repos a sonné pour nous ; nous irons nous reposer à l’arrière.

Heureux je vais moi-même communiquer la note au capitaine Aubrun tout heureux de n’avoir plus la responsabilité de son coin que durant quelques heures.

Le capitaine Claire vers 5 heures envoie la liaison en second avec Jombart à Florent pour faire le cantonnement. Quant aux fourriers Sauvage, Legueil, Paradis et moi, nous restons jusqu’au lendemain avec les cyclistes et l’agent de liaison de mitrailleuses.

Ainsi dit ainsi fait. Nous nous mettons tous après le départ ensemble dans le plus bel abri, laissons les autres à la disposition de ceux qui viendront nous relever.

À la nuit tombante des officiers arrivent. Ils sont d’un autre corps que le nôtre. Longtemps ils confèrent avec le capitaine Claire puis nous les conduisons au PC de chacun de nos commandants de compagnie. C’est avec un cri de joie que le capitaine Aubrun accueille son successeur. Je descends au PC du bataillon amenant avec moi l’agent de liaison par section. Ce n’est pas facile dans la nuit. Plus d’une fois je fais des chutes et m’aplatis dans l’eau. Mais qu’importe, on est relevé et on va à l’arrière. Quelle chance !

Quand j’arrive, je trouve les agents de liaison du bataillon qui nous relève. Ceux-ci s’installent et m’annoncent que le bataillon n’est pas loin. Il peut être 8 heures du soir.

Une heure après, les éléments de tête arrivent. Je suis appelé par le capitaine Claire qui me donne quelques explications. Je prends avec moi mes agents de liaison des quatre sections qui sont confiées aux quatre chefs de section de la compagnie de relève. Je prends la tête de la colonne et en route !

Vers 10h30 la 5e compagnie passait se dirigeant sur Florent. Quant à moi, ma besogne terminée, je me frottais les mains près du foyer de notre gourbi*, heureux d’avoir fini le premier. Terminé le cauchemar du bois de la Gruerie ! Un repos d’un mois, c’est le rêve ! Jamais je n’aurais espéré cela ! En un mot, que je suis heureux ! Je suis de nouveau rappelé par le capitaine Claire pour conduire une demie compagnie à l’emplacement occupé par le sergent Tercy lors du premier séjour (voir topo tome VI [ci-dessous]) tandis que Sauvage conduit une autre fraction à l’emplacement de la 7e.

TomeVI-planFneMadameAvec bien du mal j’arrive à mon but après m’être cassé le nez sur des éléments du bataillon relevé. Les boyaux de ce côté sont de vrais ruisseaux. Je m’enfonce jusqu’aux genoux. Paradis avait raison de se plaindre.

9 janvier – Chapitre X

Chapitre X – Bois de la Gruerie : secteur Fontaine Madame
Séjour à la Harazée – voir topo tome I

Fauteuil voltaire

Enfin au petit jour la place est déblayée. Gauthier et moi, faisons l’inventaire de notre héritage : une pièce de 10 m de long sur 5 de large ; une commode ; une table ; 4 chaises, un voltaire*, un foyer où on pourra faire popote.

La liaison ne tarde pas à rappliquer chez nous et chacun s’installe comme il peut. Nous sommes littéralement les uns sur les autres. Gallois arrive à son tour et j’ai une nouvelle discussion avec lui, car je l’accuse de n’avoir pas fait son service.

Nous sommes là-dedans à 12 : Gallois, adjudant, Menneval, Sauvage, Jombart et moi, sergents fourriers, Paradis, Verleene, caporaux fourriers René, agent mitrailleur, Gauthier, clairon cuisinier, Pignol, Garnier et un homme de la 7e agents de liaison en second.

Enfin plus on est de fous, plus on rit, dit-on. C’est peut-être vrai car à notre misère de logement, on supplée par une grande gaieté.

Je garde cependant le fauteuil comme propriété personnelle, c’est ce qu’il y a de plus confortable.

Nous faisons popote*, jouons aux cartes l’après-midi, écrivons aux nôtres, recevons la visite du vaguemestre* et passons la journée assez péniblement.

Vers 5 heures nous assistons à un spectacle assez grandiose. Les voitures de ravitaillement arrivent sur la route de Vienne le château – la Harazée quand des sifflements d’obus se font entendre. Les obus éclatent en gerbes noires, ce sont des obus percutants*, à 25 m à droite et à gauche de la route avec un bruit terrifiant.

Les voitures au galop des chevaux passent, tandis que les obus tombent toujours. Sans doute l’ennemi grâce à un ballon observatoire ou un taube [1] sait-il quelque chose, de l’heure d’arrivée de nos voitures. En tout cas, celles-ci arrivent dans le village au triple galop.

02555 - Ballon d'observation allemand - Guerre mondiale 14-On se réfugie dans les caves croyant à un bombardement du village. Il n’en est rien.

Une heure après les distributions commencent et les hommes du ravitaillement me disent avoir passé une belle minute d’indicible émotion. Les obus boches ont d’ailleurs été lancés en pure perte, car tout est intact, hommes, chevaux et matériel.

Le soir tombe. Nous aidons Gauthier à faire la cuisine. Nous mangeons et comme on ne part pas aux bois, nous nous installons pour la nuit. Je décide d’occuper le fauteuil. C’est encore la meilleure place. Nous sommes littéralement les uns sur les autres. N’empêche qu’on dormira bien et dans le fauteuil les pieds sur une chaise, je ne serai pas le dernier.


[1] Taube : Avion autrichien monoplan à ailes et queue de pigeon employé dès 1912 à des fins militaires.

12 décembre

Relève des tranchées

Le colonel Rémond est nommé général de brigade et remplacé par le commandant Desplats du 128e. Gallois est nommé adjudant de bataillon.

Vers 7 heures, c’est encore l’arrivée épique de notre cuisinier. Aussitôt debout, rassemblement, distribution d’eau-de-vie pendant que dans la marmite le café chante sur le feu.

Gauthier pour une fois nous annonce une grande nouvelle. Le colonel Rémond est nommé général de brigade. Il est remplacé dans son commandement par le commandant Desplats du 128e.

On annonce cela au capitaine Sénéchal qui n’en sait encore rien et reste sceptique. Gauthier dit tenir cela du personnel des voitures de ravitaillement.

Dans la matinée, une note arrive, apportée par un cycliste du colonel. La nouvelle est vraie. C’est un adieu de notre chef à ses troupes qu’il se dit fier d’avoir commandées. Il nous recommande le valeureux commandant Desplats, chef sans peur et de grand mérite, ancien colonial.

Une autre note annonce la promotion de Gallois au grade d’adjudant de bataillon et celle de Menneval à celui de sergent fourrier.

Nous nous promettons de fêter ces fameuses promotions aussitôt que les circonstances le permettront.

Gallois est des plus heureux et nous partageons sa joie car le voilà définitivement à notre tête et c’est un charmant camarade.

La pluie a complètement cessé et le soleil luit misérablement, un petit soleil d’hiver qui ne réchauffe et ne sèche pas. Les terrains sont détrempés au possible. Vers 1 heure, une note annonce que nous serons relevés cette nuit. Cantonnement* à Florent. Nous nous apprêtons donc immédiatement, attendant que le capitaine Sénéchal nous dise de partir préparer le cantonnement. Il nous appelle bientôt en effet, avec ordre d’aller reconnaître la route de La Harazée.

Nous suivons donc Gauthier qui nous mène par trois ou quatre layons jusqu’au moment où il n’y a qu’à suivre pour arriver le layon sur lequel nous nous trouvons.

En route, nous rencontrons une batterie alpine bien dissimulée qui tire depuis plusieurs jours. Nous l’avions entendue, nous demandant quel était ce genre d’obus rapide qui ressemble aux 75 par sa rapidité. C’est la première fois que nous sommes dotés d’une batterie de ce genre.

Nous revenons au PC du bataillon. Le capitaine Sénéchal m’appelle et me charge de partir, chef de cantonnement, avec les fourriers Carpentier Menneval, et Jombart qui fera le cantonnement de la 7e compagnie. Je ne suis pas satisfait car ma charge est double : cantonnement du bataillon et cantonnement de ma compagnie.

D’un autre côté, je me charge d’en profiter pour la loger princièrement. Gallois reste donc avec le commandant. Gauthier m’accompagne.

Nous partons, laissant nos agents en second, Pignol, Frappé et Garnier des 5e, 6e et 8e appelés pour la circonstance ainsi que Legueil de la 6e compagnie, caporal fourrier, les cyclistes et René, l’agent de liaison de mitrailleuses.

Il peut être 4 heures. Grâce à Gauthier qui connaît parfaitement le chemin, nous passons par les routes les meilleures. Nous loin du village quelques balles sifflent à nos oreilles, serions-nous vus ? En tout cas nous prenons le petit pas gymnastique qui nous amène rapidement au patelin.

Ici je dois rassembler tout ce que je trouve de cuisiniers et les diriger sur Florent. Ceux-ci, petit à petit avançant sans cesse l’heure du départ des tranchées pour chercher et préparer les vivres au village, et retardant petit à petit l’heure d’arrivée le matin, ont réussi sans qu’on s’en aperçoive à s’installer au village où ils passent la majeure partie du temps. C’est ainsi que je trouve à La Harazée, dans quatre coins différents connus de Gauthier, les caporaux d’ordinaire de chaque compagnie installés dans de véritables chambres garnies, meublées avec des débris de table, de chaises et de literies trouvés un peu partout. Les cuisiniers ont une véritable installation digne d’un Vatel*. Cela se passe de cuisiniers de bataillon relevé à cuisiniers du bataillon de relève. C’est tout juste si on ne dresse pas un état du matériel avec signatures au bas. Cela me fait rire. Nous faisons une longue pause au logis de la 8e compagnie où nous buvons force café. Une nouvelle pause m’amène à la 6e compagnie où on fait des crêpes : j’en avale plusieurs. Là nous voyons le frère d’un cuisinier de la 6e compagnie, Verleene ; celui-ci part à Florent avec une voiture et se charge d’emporter nos havresacs que nous n’aurons qu’à lui réclamer à destination. Grand soulagement !

Je quitte donc La Harazée, suivi d’une file interminable de cuistots qui font un grand remue-ménage de plats et marmites. C’est un cortège digne de tenter le pinceau d’un maître. L’obscurité est complète : il peut être 6 heures du soir.leroux_cortege

Nous passons la Placardelle où des obus, tombant à la cote 211, nous font faire une bonne pause et nous procurent la joie d’un pas de gymnastique rapide à l’endroit dangereux.

Au parc d’artillerie, je dépasse une petite caravane et reconnaîs mon ami Pécheur, sergent secrétaire du colonel, qui, lui-même, se rend à Florent faire le cantonnement de l’état-major du régiment. Nous faisons route ensemble, échangeant nos impressions sur le nouveau commandant du régiment que nous ne connaissons pas et qui doit se trouver au village où nous cantonnons.

Il peut être 9 heures quand nous arrivons à Florent par une obscurité complète et un vent qui souffle en bourrasque. Temps détestable sans pluie heureusement.

Toujours suivi de ma brillante suite, je fais halte sur la place, attendant Pécheur parti à la mairie où se trouve le bureau de cantonnement. Il revient bientôt avec les renseignements voulus et m’amène d’abord avec lui pour saluer le commandant Desplats dont il a le numéro du logement. Nous attendons le départ de deux cavaliers qui sont reçus en ce moment, puis c’est notre tour. Nous nous présentons et sommes reçus aimablement par un homme petit, nerveux, ne tenant pas en place, chauve, au teint bronzé, aux yeux scrutateurs derrière des lunettes, un vrai colonial. Il s’informe vaguement du régiment et nous dicte ses désirs au sujet du cantonnement. Nous pouvons nous retirer, ce que nous faisons avec empressement. Mes impressions : homme peut-être excellent, mais très méticuleux.

Pécheur m’indique mon cantonnement que je commence, éclairé par toutes les lanternes des cuistots qui suivent et s’installent aussitôt qu’une répartition est faite entre les quatre compagnies. Mon cantonnement est restreint car je n’ai qu’une rue, la rue A. (Voir topo Tome IV).Plan14-11Florent Je loge aussi bien que possible la compagnie et envoie paître mes amis qui déclarent que le cantonnement est exigu tant pour la troupe que pour les officiers. De guerre lasse et après bien des pourparlers, je retrouve Pécheur et obtient de lui une chambre épouvantable qu’il me cède même à regret, gêné lui-même dans son cantonnement : cette chambre est en dehors du cantonnement, je la cède à Jombart qui, de concert avec Carpentier, décide d’y loger les lieutenants Régnier, Péquin et de Monchin ; deux lits à trois matelas, une table, aucun siège. C’est luxueux. Quant à moi, je loge le capitaine Aubrun dans un rez-de-chaussée de deux pièces. La première servira de cuisine et déjà Chopin et Verhee, le nouveau successeur de Chochois relevé, font bonne besogne. La seconde contenant deux lits à peu près potables sera la salle à manger et le dortoir pour le capitaine, le sous-lieutenant Vals et le médecin aide major Veyrat. Que faire ? Impossible de trouver mieux.

Très ennuyé de tout cela, je me rends près de Gauthier, il peut être minuit. Celui-ci, à qui j’ai donné tous droits de choisir, est dans une petite cabane, sans étage, en briques : deux modestes pièces ayant une petite fenêtre chacune ; dans la première, un bois de lit, deux chaises, une table, un foyer ; dans la seconde, de la paille. Je bois un quart de café, me chauffe, me sèche et attends, bientôt rejoint par Carpentier, Menneval et Jombart qui tâchent de compléter le cantonnement en cherchant des coins partout. Le capitaine Sénéchal est logé au presbytère. Lui seul sera bien. Dehors, le temps est pluvieux et le vent siffle. Beau temps pour une relève.