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1er janvier 1915

voeux1915bLa nuit se passe pourtant assez calme et dans l’obscurité vers une heure du matin nous ravitaillons comme nous avions fait dans l’après-midi.

À mon retour je téléphone aux capitaines des 5e et 6e compagnies qui me répondent que tout le monde est sur pied et que l’ennemi n’est pas entreprenant.

Jusqu’au petit jour, c’est un défilé continuel de cuisiniers qui montent aux tranchées où rentrent à la Harazée. Quelques blessés également passent en geignant lamentablement.

Un Aumônier militaire en 1914-1918...

Le Chanoine Adolphe, Joseph, Marie Bellec.

Le lever du jour est salué par une fusillade intense ; sans doute l’ennemi veut il élargir ses quelques succès d’hier. Je me tiens toujours prêt à toute éventualité. Cela se calme pourtant vers 7 heures

À 9 heures, nous voyons arriver des troupes fraîches. C’est le 1er régiment d’infanterie dont un bataillon vient nous renforcer.

Je vois un prêtre à qui je cause et qui me connaît quand je lui donne mon nom : c’est l’aumônier du régiment. Je lui offre mon abri, mais le brave veut monter en tranchées* avec les hommes. Je l’admire et le félicite.

Le bataillon passe donc et se rend sur l’emplacement des 7e et 8e compagnies qui n’ont plus que des débris. Va-t-on attaquer de nouveau ?

Je vais au poste téléphonique : les téléphonistes disent que oui ; du moins il leur semble d’après les conversations entendues. Ils me disent même que l’attaque est fixée pour 2 heures. J’attends donc que le temps s’écoule assis dans le gourbi. Joie, vers midi, le capitaine Sénéchal rejoint son PC. Nous en sommes tous heureux, car nous aimons notre chef comme un père, le capitaine me dit que là-haut c’est une hécatombe, qu’il a cédé le commandement du coin au commandant du bataillon du 1er d’infanterie sous les ordres du colonel du 120e, chef de secteur : il ne s’occupe plus que des 5e et 6e compagnies, les débris des deux autres compagnies étant en 2e ligne. Vers une heure, on nous annonce que le brave sergent Brévier [1] est tué. C’est le seul sous-officier de la 7e qui restait. Il n’en reste donc plus. Le capitaine est triste et morne de voir son beau bataillon traité ainsi.

L’après-midi se passe dans des transes. Vers 2 heures en effet la fusillade éclate renforcée par le bruit des bombes et l’éclatement d’obus. Nous nous tenons prêts autour du PC de bataillon au cas où l’ennemi s’infiltrerait afin de le recevoir dignement.

Le capitaine Sénéchal demeure au poste téléphonique afin d’être renseigné minute par minute. Il téléphone aux 5e et 6e ; tout est calme là-bas.

Dans le Bois le Prêtre [au Nord de Pont-à-Mousson], poste téléphonique [soldats français] : [photographie de presse] / [Agence Rol] - 1

Nous vivons dans des transes. Les nouvelles sont tantôt bonnes, tantôt mauvaises. Le 1er attaque. Réussira-t-il ? Une contre-attaque ennemie ne jouera-t-elle pas le rôle du voleur volé ?

Bientôt c’est un long défilé de blessés du bataillon d’attaque. Ceux-ci comme toujours disent que c’est un enfer.

[Les éclopés] : [estampe] / Steinlen 1917 - 1Enfin vers 5 heures un officier blessé à la tête nous dit que cela se calme et que l’ennemi a été délogé des tranchées prises hier.

La nuit tombe. Tout redevient tranquille. On respire.

N’y tenant plus, je pars à la 5e compagnie ; je n’y suis allé depuis 48 heures. Sans risque, sans à-coups, j’arrive au capitaine Aubrun qui est heureux de causer et durant une heure je lui raconte tout ce qui s’est passé.

Je rentre sans recevoir de balles. Les boches sont trop occupés dans l’autre coin pour songer à veiller ici. Il fait un clair de lune superbe. Je rentre donc tranquillement, à temps pour manger la soupe chaude que Gauthier vient de faire réchauffer. Jombart me donne une lettre de ma mère qui me remonte un peu le moral.

Je décide d’oublier tout pour cette nuit et je m’étends rapidement pour chercher le sommeil qui d’ailleurs ne tarde pas à venir.


 [1] sergent Brévier : Il s’agit de Léandre BREVIER, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes.
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