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28 janvier

Nous nous levons tôt, du moins l’adjudant Culine. Nous nous mettons rapidement au bureau, car probablement que le capitaine qui commande le service en campagne viendra avant le départ. En effet, il arrive l’air heureux et nous annonce qu’il est proposé pour la croix de la Légion d’honneur. Nous le félicitons.

La matinée se passe calme, tandis que Licour qui a pris le galon que j’ai touché hier s’ingénue à nous galonner réglementairement.

Nous recevons la visite de Brillant. Je dois me rendre immédiatement chez l’officier de détail, le lieutenant Lebeau, toucher des marmites. Jamesse arrive sur ces entrefaites. On ne le voit pas beaucoup. Aussi je l’envoie chercher les plats et autres ustensiles, en compagnie de Jaquotte [Jaquinot ?].

La compagnie rentre du service en campagne vers 10 heures. Aussitôt Lannoy s’élance pour lire le rapport avant que la troupe ne se soit séparée. Il lit : repos cet après-midi et travaux de propreté. À 3 heures revue des gradés par le capitaine. À 4 heures revue des armes par les chefs de section.

À 11 heures selon notre habitude nous sommes à table et mangeons gaiement. On boit le café tranquillement aujourd’hui. Mes amis se plaignent qu’il fait un froid de loup. Ils ont fait des déploiements en tirailleurs et des installations de petits postes dans les champs environnants.

Nous nous quittons nous donnant rendez-vous à 3 heures devant la demeure du capitaine pour l’inspection. Je termine quelques états au bureau remettant à demain la distribution des marmites et bouteillons.

Vers 2 heures, Brillant vient me dire qu’il me faut aller chercher des galoches. Cela commence à devenir « la barbe ». Je pars suivi du fidèle Jaquinot qui conduit la voiture de l’honnête paysan assez aimable pour la prêter. Le cheval de la voiture de compagnie se trouve dans l’écurie de la famille Adam. Nous n’avons donc pas grand retard pour arriver à la demeure du lieutenant Lebeau. Retard suffisant d’ailleurs pour avoir mon tour le dernier.

En attendant mon tour, je vois le lieutenant-colonel Desplats qui se promène suivi d’un ancien adjudant venu en renfort, Tobie [1], que j’ai connu dans l’active à Sedan. Le colonel se l’est adjoint. Vraiment notre chef de corps à l’air terrible, il me fait tout à fait l’air, avec sa petite taille et sa face grimaçante, d’un roquet rageur. Il est craint certes ; on croit sentir autour de soi une atmosphère de terreur. Tout le monde le salue, chacun file, et on sent que ceux qui osent rester à leur poste se sentent bien à leur place et dans leur droit.

Je profite de l’attente pour aller voir la liaison. Je la trouve dans une maison située dans une petite rue près de l’église. La pièce est assez spacieuse, sans aucun luxe. Je vois quelques chaises, deux tables, un foyer. Mes amis écrivent : ils sont tués par la besogne, écrire, écrire sans cesse ; certes, à en juger par les multiples et longues notes que mes agents de liaison m’apportent… Gallois se plaint qu’il était harcelé par le colonel qui le rend responsable d’un tas de choses, corvées, nettoyage du cantonnement, heures d’exercices, de réveil, d’extinction des feux, de relève du poste de police, de la transmission des ordres etc. etc.…

Mon pauvre camarade en est malade. Je vois avec eux de nouvelles têtes ; un soldat qui sert de secrétaire au capitaine Sénéchal, Gilson ; un dessinateur. Enfin la liaison devient un état-major sérieux. – Lui, c’est le bureau. – Je vais dans une autre maison où je trouve Gauthier au milieu de ses plats, heureux de me revoir : il m’offre du café.

Je me sauve chez l’officier de détail, et arrive bien à temps, car j’attends encore. Il est 4 heures : j’ai échappé du coup à la revue du capitaine.

Je touche quantité de sabots, galoches, chaussons. J’embarque tout cela avec quelques brodequins et quelques lanternes d’escouade. Je rentre à Charmontois-le-Roi et déverse le tout dans le magasin : Jaquinot y mettra ordre.

Je vois au bureau en rentrant Delbarre, caporal d’ordinaire. Le brave garçon travaille Lannoy pour qu’on tue un cochon. Le sergent-major se charge de le demander au capitaine. Nous filons bientôt dire bonsoir à nos amis les gendarmes. Toujours bien reçus dans les cuisines où nous passons les moments les plus agréables de la journée.

Nous prenons en famille notre repas à 7 heures. À 9 heures au lit ! Quel bon lit et quelles bonnes nuits ! Mon rhume est à présent complètement disparu.


 [1] Tobie ? : Réserve ici sur le nom de cet adjudant, le texte étant ici peu lisible.
InconnuLe 1er mars, le nom est cette fois plus lisible, il s’agit bien de Tobie.