Archives par étiquette : Crespel

7 mars

Repos aux abris Somme-Tourbe (Voir topo Tome I)
Capitaine Triol du 139e commandant du 2e bataillon

Je me réveille vers 7 heures du matin. Gauthier est là avec le café. Je ne puis m’empêcher de le féliciter.

Je sors après avoir remis avec bien du mal mes chaussures. Naturellement je ne vois aucun planton de la liaison sur la route. Je rentre alors en tonitruant. La lacune est comblée bientôt, mais le régiment est-il passé oui ou non ? J’attends espérant que non.

Je n’ai aucun goût à me nettoyer. Je suis si sale. Je vois le capitaine Delahaye qui fume une cigarette en tenue sommaire. Lui aussi est sale et cela me console un peu. Voici Crespel et caillez qui rentrent. Je leur demande s’ils ont vu le régiment. Ils me répondent négativement.

Voici vers 9 heures un chariot sur lequel j’aperçois le lieutenant Lebeau et quelques sapeurs ainsi que le caporal fourrier Bourgerie. On me dit que le premier bataillon suit.

Déjà des feux sont allumés et les cuistots d’escouade font bonne besogne avec les restes car hier il n’y eut pas de distributions.

Je vois ceux de la 5e, Lavoine, Licour, Chandelier. On m’offre du café que j’accepte de grand cœur.

Je vais saluer le lieutenant Collandre commandant la 5e. Il vient de se lever et me félicite « alors » dit-il « vous me quitter, car vous passerez adjudant de bataillon ». Je vois Jombart qui vient à la liaison ; il fait le sergent major, le fourrier et le caporal fourrier à la 8e. Je ne fais semblant de rien et suis aimable avec lui.

Enfin vers 10 heures, par le temps sombre qu’il fait et donne une certaine mélancolie aux lieux, je vois arriver des fantômes boueux, vrais paquets de qui se traînent. C’est le régiment. Dans quel état lamentable !

J’avertis aussitôt le capitaine Delahaye qui va causer au commandant du 1e bataillon. Des baraquements sont libres derrière nous. Ils font être vite occupés.

Je vois ensuite le commandant Vasson à cheval. Il fait de grands gestes en causant avec le chef du 2e bataillon. Je n’y entends rien et ne m’en préoccupe pas.

Je rentre me décrotter plutôt que d’assister au défilé lamentable des rescapés de Mesnil.

On mange peu de chose. Gauthier n’a rien. J’ai un morceau de pain de l’ordonnance et ouvre une boîte de pâté.

Vers 1 heure alors que j’étais absorbé par mon décrottage sans avoir pu encore me débarbouiller je suis appelé par le capitaine Delahaye qui me dit de rassembler les 4 fourriers et de le suivre dans 10 minutes.

Nous partons à cinq sur la route vers Somme-Tourbe puis un peu plus loin à 500 m prenons à travers champs sur la gauche. Nous descendons un ravin, traversons un petit ruisseau sur un pont de bois et montons une petite cote au haut de laquelle on aperçoit trois rangées de baraquements dont une partie encore en construction.

Ces baraquements seront notre cantonnement. J’hérite d’une lignée. Nous entrons et constatons avec plaisir qu’ils sont plus finis que les autres et mieux aménagés. Je divise en six : les quatre compagnies le poste de secours et la liaison du bataillon.

Une heure après chaque fourrier allait chercher sa compagnie pour l’installer.

Moi-même, avec Gauthier qui m’avait suivi, j’installais mon coin. Dégourdi Gauthier trouve quelques planches les place sur le sol. Le lit est tout trouvé. Le sac à la tête, les couvertures étendues, le fusil dans le coin avec le bidon et la musette accrochés. Je suis placé. Il peut-être 3 heures.

Mais quel brouhaha dehors ! C’est celui de l’arrivée de toute troupe qui s’installe. La liaison ne tarde pas à arriver. Je vois Cailliez, Crespel cyclistes, Frappé, Brillant, Garnier, agents de liaison des 7, 5, 8e, puis Jombart, Sauvage, Verleene fourriers de 8, 7, 6e ; avec Gauthier, c’est tout cela me fait neuf unités. C’est bien suffisant et je n’en demande pas plus. Je sors pour voir l’installation car j’ai déjà mon métier d’adjudant de bataillon à cœur. J’apprends que le capitaine Delahaye reprend la 3e compagnie et passe le commandement du bataillon au capitaine Triol du 139e nouveau venu. Aussitôt je vais dire au revoir au capitaine Delahaye. Je le trouve dans un baraquement réservé aux officiers et où pas mal de ceux-ci sont occupés à causer. Il me dit au revoir et me présente au capitaine Triol qui me reçoit aimablement et à qui je demande ses instructions pour le cantonnement. Il me dit de faire pour le mieux, selon l’habitude. Je rentre donc près de ma liaison et dicte quelques notes sur les cuisines, les feuillées* etc…

Je suis fatigué et m’étends tandis que Gauthier part aux distributions sur la route de Somme-Tourbe et qu’on annonce à grands coups de gosier dans tout le cantonnement.

Vers 6 heures je me présente au capitaine lui demandant ses instructions pour la nuit. Il est à table avec les officiers du bataillon dans le bâtiment de tantôt. Celui-ci est séparé en deux pièces. Dans la première il y a une vingtaine de couchettes et un foyer qui brûle ; dans la 2e quelque table et quelques bancs où les officiers sont occupés à prendre leur repas. Le commandant du bataillon me demande de garder la liaison sous ma main. Je lui dis que c’est fait. Je mérite de ce fait un très bien et puis disposer.

Je rentre près de la liaison heureux à la pensée de passer une nuit tranquille. Nous sommes près du poste de secours et héritons de la chaleur du foyer qui y est allumé. Nous aussi nous allumons le nôtre, trou creusé par le génie sous les planches qui ne peuvent prendre feu grâce à de la tôle dont elles sont recouvertes, avec tirage à l’extérieur. Chacun va barboter du bois. Gauthier revient des distributions avec Cailliez et Crespel ainsi que René qui en arrivant aussitôt à donner un coup de main au passage. Aussitôt flambe un bon feu. Il faut manger. On décide de faire des biftecks à fin de se coucher rapidement.

Il y a une porte en bois. Nous la posons à l’intérieur contre l’entrée. Il fait chaud aussitôt. Chacun a pu se procurer une planche qui le séparera de la terre humide. Nous sommes presque heureux tandis que nous avalons la viande à peine cuite arrosé d’un quart de « pinard ». Le café suit et bonne nuit !

Il est déjà 10 heures.

6 mars

Aussitôt réveillé vers 05 heures je vais chez le capitaine Delahaye. Avant de le réveiller je commence le compte rendu de la nuit où il n’y a rien à signaler. Puis je réveille mon chef qui content de mon initiative le signe.

Crespel et Cailliez n’ont pas ce qu’on appelle chez nous « le filon ».

Comme il fait jour, Crespel part seul au Trapèze porter l’ordre.

Ne sachant que faire je me recouche jusque 8 heures. Je suis réveillé par une conversation à haute voix.

Ce sont deux officiers de l’état-major de la 87e brigade commandée par le général Rémond notre ancien colonel. Ces messieurs sont a l’observatoire et examinent la plaine qui s’étend devant nous. Ils ne tardent pas à repartir.

Je passe ma matinée à classer les papiers de Gallois. Puis je vais dire bonjour au médecin auxiliaire Paris. Nous causons de Gallois de mon nouveau poste que certainement à son avis va m’échoir définitivement avec le grade. J’apprends par lui, en causant de nos pertes, que le sous-lieutenant Dupont fut blessé par un obus qui tua cinq ou six de ses mitrailleurs. C’était un grand ami du sous-lieutenant d’Ornant, jeune comme lui et arrivé en même temps en janvier à Charmontois au régiment.

Mais Gauthier à l’heure comme un réveil matin arrive avec la soupe. Nous mangeons aussitôt. On cause de Gallois dont Gauthier qui fait la cuisine au Mesnil a été voir la croix placée près de celle du colonel. Il me raconte à moi seul que Jombart est rentré au village tout en refusant de monter ici : il lui prête certains propos qui sont plutôt malveillants au sujet de mes aptitudes au grade d’adjudant de bataillon et revendiquerait la place. Ce sont des cancans. Je suis au-dessus de cela certes, mais quand même je mets tout ceci dans ma manche. Où se trouve l’ami sincère ?

Vers 2 heures je suis appelé par le capitaine Delahaye. Il vient de recevoir l’ordre de relève du 2e bataillon pour ce soir 9 heures et me dicte ses ordres pour les quatre compagnies.

Rassemblement à Mesnil-les-Hurlus à 9h30. Aussitôt arrivées, les 5e et 7e feront prévenir le chef de bataillon au poste de secours où il se trouvera. A 9h25 rassemblement des 6e et 5e sur la route Mesnil – Hurlus. Le commandant prendra la tête de la colonne. Nous allons à Somme-Tourbe.

Je dicte la note à Brillant (5e) Sauvage (7e) Verleene (6e) et Garnier (8e) qui aussitôt vont la communiquer à leurs compagnies.

Je prépare mon fourniment et passe l’après-midi dans mon trou entendant toutes les deux minutes les obus de canon revolver siffler en pure perte au-dessus de ma tête. Parfois un obus de gros calibre s’égare par ici, mais sans grand dommage.

Vers 5 heures je mange ce qui me reste de nourriture ; il faudra des forces car Somme-Tourbe est loin. Il y a certainement 15 km.

Le temps est beau. Si les boches veulent être sages, cela pourra marcher.

J’envoie par Cailliez et Crespel le compte rendu de la journée en leur disant de filer ensuite à Somme-Tourbe par Wargemoulin où ils ont laissé leurs bécanes.

A 8h45 je rassemble la liaison et nous partons, le capitaine Delahaye en tête. Nous ne recevons pas d’obus. Les boches dorment sans doute ou jugent que nous sommes tous exterminés.

Après un long parcours, nous commençons à rencontrer l’eau dans le boyau. Nous montons le parapet et sans encombre arrivons à Mesnil-les-Hurlus par la route de Minaucourt.

Nous nous arrêtons près du poste de secours. Le capitaine Delahaye y rentre me disant de l’avertir quand le bataillon sera là. Nous attendons donc par un clame parfait. Le marmitage a cessé. Il fait beau temps, mais les routes sont boueuses et il fait noir comme dans un four.

J’avertis que la 5e et la 7e sont sur la route et que 6 et 8 se rassemblent. Pour cela je rentre dans le poste de secours où autour d’une table sont rassemblés des docteurs et le capitaine. A mon nom qu’on prononce, on m’adresse la parole. C’est le docteur Demmeux [ ?] de Calais, major mobilisé au 8e d’infanterie qui me demande des nouvelles de ma famille dont il est l’ami. On se serre la main : je lui cause de mes deux cousins [1] l’un tué, l’autre prisonnier.

En route ! Le capitaine Delahaye en tête nous partons. Plutôt que de prendre le boyau nous laissons la route de Hurlus à notre droite et filons rapidement à travers champs. Le capitaine se guide sur la boussole. Nous marchons aussi à travers tout, la boue, les trous, sautant les obstacles désireux de mettre le plus rapidement possible le plus grand espace entre les batteries boches et nous. Enfin après une heure de marche nous faisons la pause. Au loin nous voyons les fusées monter de tous côtés. C’est un vrai feu d’artifice.

Le capitaine dont je tiens la boussole regarde avec un coin de sa lampe électrique. Nous sommes à peu près dans la direction de Somme-Tourbe.

Nous regardons après avoir eu connaissance que le bataillon suivait. C’est une nouvelle heure de marche, Dieu sait comment. Rien ne peut décrire une marche pareille à travers les champs détrempés, par l’obscurité la plus complète. Défense absolue de fumer et de se servir de lampes de poches. Nous montons des cotes, descendons des ravins, suivons des layons, passons un petit bois où plus d’un prend la buche.

Une bonne pause cette fois nous récompense. Nous sommes hors de la zone dangereuse.

Nous croyons voir des lumières bien loin. Ce doit être faux ou du moins c’est bien plus long que l’endroit où nous allons.

20 minutes après nous repartons. On voit quelques lumières encore qui se meuvent cette fois. Le capitaine me dit que c’est sûrement la route de Somme-Tourbe à Wargemoulin. Nous piquons là-dessus. C’est une nouvelle heure de marche. Nous pouvons plus.

Enfin nous tombons dans des obstacles qu’on ne peut déterminer. Devant nous tout est illuminé, lumières sous tente. Le capitaine près le bouton de sa lampe. Cri de surprise ! Nous somme dit-il dans le cimetière militaire de Saint-Jean-sur-Tourbe et les obstacles que nous prenons pour des piquets ce sont des croix.

Photos peu connues (16).jpg

On passe à gauche et après nous être embourbés dans une espèce d’étang nous tombons sur la route ou nous faisons une très longue pause afin de permettre aux quatre compagnies de se rassembler.

J’ai la curiosité de regarder ma montre. Il est 1 heure du matin. Nous sommes de vrais noctambules. Du coup heureux d’avoir la route, j’allume une bonne cigarette. Maintenant il n’y a plus de danger d’être repéré.

Une demi-heure après nous repartons éclairé par les phares des autos de ravitaillement par les lumières de voitures de toutes espèces, des caissons d’artillerie etc… Quel passage sur cette route !

Au bout de 1500 m nous cherchons les abris que nous avons occupés en arrivant ici. Le capitaine n’a eu aucune indication et croit que c’est ceux-ci que nous devons occuper.

Je m’arme de la lampe de mon chef et me paie une balade à travers champs, tandis que sur la route il suit tout doucement en m’appelant de temps en temps. Enfin après bien des misères je tombe sur les baraques. Aussitôt je tourne ma lampe du côté de la route et appelle. On se guide sur moi.

Une partie du baraquement est occupée par les artilleurs. Le cantonnement est cependant vite fait. Nous sommes aux plus 150 même avec les cuisiniers qui nous suivent depuis Mesnil. Les hommes s’engouffrent là-dedans heureux de pouvoir déposer armes et bagages. Des bougies s’allument ; on s’installe ; je rejoins le capitaine qui trouve le gourbi séparé des officiers ; je lui remets sa lampe il me dit « bonsoir ! Dormez ! Demain nous verrons ! Le régiment n’arrivera qu’au petit jour ; placer un planton à la route qui vous avertira ».

Je désigne donc la liaison pour ce poste une demi-heure chacun. Je n’ai pas encore vu Cailliez ni Crespel mais Jombart. Je m’étends parmi les artilleurs sur la paille à côté de l’ordonnance du capitaine. Je casse la croûte avec lui, tire mes chaussures et quelle joie de pouvoir le faire. Bientôt je m’endors harassé de fatigue. Je suis rendu. Il fait froid et je me couvre de mon mieux car je suis trempé de sueur.

 


[1] mes deux cousins : Louis Lobbedey tué le 31 décembre 1914 et Charles Lobbedey prisonnier au camp d’Ohrdruf.

5 mars

C’est comme hier le réveil au petit jour après une nuit bien calme. Les obus de canon revolver tapent avec leur bruit caractéristique «  ziiiii Bouuumm ». je regarde aussitôt le temps qu’il fait ; il a plu très peu. Un gros brouillard règne, c’est dire qu’il va sans doute faire un peu de soleil.

Je bois l’eau de vie afin de me réchauffer un peu. Grâce à l’ordonnance du capitaine Delahaye, je puis allumer une cigarette de tabac fin et boire un quart de café chauffé sur un réchaud à alcool solidifié. On me donnerait un louis que je ne serais pas plus content.

Que faire, sinon dormir encore. Je m’étends de nouveau tranquillement tachant de reposer encore.

Mais une grande émotion m’attendait. J’entends des cris et aussitôt j’aperçois Crespel qui blême me demande de venir « Gallois [1] est tué, l’adjudant Gallois a reçu un obus de canon revolver ». je m’élance sur les pas du cycliste et un peu plus loin que le PC du capitaine Delahaye dans le boyau je trouve Gallois étendu sur le dos, le visage rouge de sang. Il râle. Déjà le médecin auxiliaire Paris est là il regarde. « Fracture du crâne » dit-il « c’est fini ; regarde, la cervelle est sortie ; je vais le faire enlever » Et il s’en va chercher les brancardiers. Crespel pleure ainsi que les camarades de la liaison atterrés. Je regarde de plus près. Le crâne est ouvert, le sang coule abondamment de la blessure et de la bouche, du nez, du sang, toujours du sang qui coule à flots. Les brancardiers s’amènent et avec précautions placent le corps sur un brancard. Je leur demande s’il ne faut pas faire un pansement. Ils me répondent que c’est inutile, qu’il est fini, qu’il n’a plus connaissance et que dans quelques minutes il ne râlera plus. On fouille les poches et on rassemble tout, portefeuille, porte-monnaie, papiers etc… tandis que les brancardiers emportent le corps. Décidément on est vite expédié de l’autre côté du monde.

Je trie les papiers, ramasse les notes de services, tandis que Crespel s’occupe de faire un petit ballot avec les affaires personnelles.

Je vais trouver le capitaine Delahaye qui s’informe. Je lui réponds que Gallois est mort. Je le remplace.

Je rentre à mon trou, le capitaine me disant qu’il me fera appeler quand il aura besoin de moi.

La liaison est atterrée. On s’entretient de cette mort. Souffrir davantage, je ne le puis : mon cœur est endeuillé au plus haut point. Décidément la mort nous fauche en ce moment avec plaisir, dirait-on.

Crespel arrive sur ces entrefaites et m’explique l’accident. L’adjudant Gallois hier et aujourd’hui, très brave certes mais très gamin se plaisait, malgré les avertissements du cycliste, à regarder par-dessus le parapet. Crespel se tuait à lui dire qu’il lui arriverait d’être atteint par le canon revolver. Et ce qu’il redoutait est arrivé !

Regardant, la tête en dehors du boyau, il s’écroula comme une masse sans un cri. On s’empressa. On sait le reste.

Gauthier arrive. Il a rencontré Gallois en route. Il était mort. Il est atterré lui aussi. Enfin on mange. Gauthier nous raconte que le colonel a été enterré dans le cimetière militaire de Mesnil-les-Hurlus. Gallois sera placé près de lui.

Il repart et l’après-midi se passe morne et triste à penser au camarade défunt.

Vers 5 heures je suis appelé par le capitaine Delahaye et fait avec lui le compte rendu de la journée qui ne signale rien, « calme parfait » au point de vue du secteur. On signale la mort de l’adjudant de bataillon tué par un obus de canon revolver.

J’envoie Cailliez porter l’ordre au colonel. Il va s’appuyer Mesnil-les-Hurlus et le Trapèze où se trouve toujours le commandant Vasson. Crespel l’accompagne.

Le capitaine me souhaite le bonsoir me demandant de venir à 5 heures pour le compte rendu de la nuit. Il est le type du chef bienveillant et simple. Rien qu’à lui causer je lui suis déjà attaché. Je communique mes impressions en flamand à son ordonnance qui me répond simplement : «  tes a good man ».

Après avoir cassé la croute et fumé quelques cigarettes, je m’allonge tachant d’oublier mes chagrins dans le sommeil. Je songe à mon nouveau poste, échu après un deuil. Serai-je nommé adjudant de bataillon ? Je me sens de taille à en assurer le service. De plus je crois que le poste m’appartient. Je suis agent de liaison depuis le début de la campagne, et me suis souvent dépensé sans compter. Je suis le plus ancien de la liaison. Enfin j’ai souvent remplacé Gallois de son vivant. J’irai même jusqu’à dire que lorsqu’une question délicate se présentait, c’est moi qu’on en chargeait. Toutes ces idées me dansent dans la tête et je m’endors avec la conviction d’être nommé.


 [1] Gallois : voir ci-après la fiche Mémoire des Hommes
archives_F100983R

4 mars – Chapitre III

Chapitre III
Mesnil-les-Hurlus – Le calvaire

(voir topo tome I)


t8-PlansDessinésELOBBEDEY_0008b

Plan dessiné par Émile Lobbedey – Tome VIII

Je me réveille au petit jour. Aussitôt je me rends compte de l’endroit où je me trouve, car des obus de canons revolvers me passent sans cesse au-dessus de la tête.

Le temps a l’air de s’adoucir un peu. Je sors de mon trou qui n’est autre qu’une grotte un peu plus profonde que les autres, où je peux tenir allongé, recroquevillé sur moi-même.

Il y a quelques grottes comme la mienne où je trouve Sauvage, Verleene, Crespel, Cailliez, Frappé, Garnier, Brillant. René mitrailleur est resté au Trapèze, les mitrailleuses ne nous suivant pas. La liaison a diminué un peu. Je fais connaissance avec l’ordonnance du capitaine Delahaye qui est flamand et avec qui je cause dans cette langue.

Le boyau que nous occupons est un cul de sac.

Je vais voir Gallois qui se trouve dans un petit abri en face de l’abri du capitaine Delahaye. Crespel d’ailleurs qui n’est pas très brave va le rejoindre, se croyant plus en sureté là-bas qu’ici.

Je vois aussi l’abri de notre chef de bataillon qui a avec lui des téléphonistes.

Je visite également Paris le médecin auxiliaire qui se trouve a deux pas de nous avec des brancardiers.

Le secteur est calme. Il est 9 heures, nous sommes peu marmités à part les obus de canon révolver qui rasent le parapet. Il faut donc sortir le moins possible et baisser la tête dans les boyaux. Vers 10 heures nous recevons la visite de Gauthier qui nous apporte la popote. Il est le bienvenu et aussitôt chacun prend sa part et mange de bon appétit. Gauthier nous dit qu’il n’a plus revu Jombart qui sans doute se cache à Wargemoulin.

L’après-midi se passe à écrire chez soi. Enfin je commence à croire que nous avons trouvé le bon coin ici. Nous n’avons reçu encore aucun obus. Quant au canon revolver, c’est par instant qu’il tape.

Dans le boyau il y a un espèce d’observatoire. Je passe une heure à regarder à la jumelle, mais je ne vois rien sinon une plaine dévastée remplie de boyaux et de tranchées auxquels on n’y comprend rien et jonchée d’un grand nombre de cadavres.

Gallica-Tranchée3

Le soir tombe sans qu’on n’ait aucun ordre à communiquer. On casse la croute de nouveau.

Je ne tarde pas à m’allonger dans mon trou ; il tombe quelques gouttes d’eau. Je place ma toile de tente afin de boucher hermétiquement l’entrée et ne tarde pas à dormir. Je profite de ce calme pour me rattraper dans mon sommeil.

 


Courrier envoyé par Émile Lobbedey à ses parents le 04 mars 1915 04Mars1915a 04Mars1915b

12 février

Je me lève tard et notre bande en fait autant. Nous prenons le chocolat vers 8 heures.

Levers nous le sert en riant et nous raconte une bonne blague. Il brûle les fagots de bois de la mère Azéline en lui faisant accroire que c’est du bois acheté aux voisins. La brave femme répète qu’elle n’a pas de bois et qu’elle le donnerait de bon cœur. Heureusement que ce filou de Levers a trouvé dans un coin du grenier un tas de fagots. Il va donc en prendre un chaque soir et l’amène tranquillement dans la matinée en disant l’avoir acheté tantôt ici, tantôt là et pour un prix vraiment exorbitant (je te crois, Benoît). Nous rions beaucoup nous-mêmes.

Dehors le temps semble s’être remis au beau mais les routes sont boueuses et glissantes.

Lannoy fait sa situation de prise d’armes. Licour marchera et cédera sa place d’embusqué pour aujourd’hui à Delacensellerie.

Nous mangeons plus tôt, vers 10 heures 30. Tout est prêt, nos sacs sont montés : il n’y a plus qu’à partir.

Je rejoins donc la liaison dans son logis vers 11 heures 30 je trouve Gallois qui s’est acheté un képi d’adjudant et une cantine ; Sauvage, Legueil, Jombart sergents fourriers* des 7e 6e et 8e, Verlaine et Paradis, caporaux fourriers 5e et 8e, René, agent de liaison* de la section de mitrailleuses qui bientôt, dit-on, formera une compagnie, Gauthier qui fait toujours popote* mais doit être aidé des deux cyclistes Cailliez et Crespel car il est clairon avant tout et souvent de garde ou à la musique, Gilson secrétaire du commandant, le dessinateur soldat de la 8e, Brillant et Mascart, mes agents de liaison ainsi que Garnier, celui de la 8e et Frappé de la 7e. Cela fait en tout avec moi dix-sept membres. Quel équipage !

Sous les ordres de Gallois, nous partons sur la route de Sénard en passant devant le bureau du colonel. À 300 m à la sortie du village, c’est le point de rassemblement du bataillon.

Le capitaine Sénéchal à cheval, suivi du maréchal des logis Jacques, ne tarde pas à arriver. Les compagnies arrivent à leur tour et à midi, nous partons dans la direction de Le Chemin. Le temps est assez bon. Successivement, nous passons à Le Chemin, puis à Sénard où est cantonné le 1er bataillon, lui-même en marche. Nous continuons ensuite sur Triaucourt. Avant d’entrer dans le village, nous faisons une pause où le capitaine Sénéchal nous annonce que le lieutenant Péquin est hors de danger.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

De Triaucourt, nous reprenons la route de Charmontois où nous nous disloquons à 4 heures.

Je suis réellement fatigué par la marche : je n’ai plus d’entraînement. Je reste donc au coin du feu. Le capitaine arrive et signe les pièces : demain exercice comme à l’habitude.

Je suis à peine installé près du feu qu’une note arrive, disant qu’un renfort se trouve non loin du bureau du colonel et que les fourriers doivent aller chercher leur lot. Force m’est donc d’y courir. Arrivé près du bureau du colonel, je vois le sous-lieutenant Monchy rétabli qui vient de nous rejoindre. Il va saluer le colonel. Je fais 200 m sur la route et dans une pâture à gauche, trouve une troupe qu’on est occupé à fractionner. Je vois quelques anciennes connaissances ; ce sont tous d’anciens blessés. Je prends possession de mon lot, dans lequel je trouve Berquet, celui que j’ai sauvé à Beaumont le 28 août – le brave garçon me le rappelle aussitôt – ainsi que Prunier, une mauvaise tête, brave au feu. Ce Prunier est attendu du capitaine à qui il écrit souvent. Mauvaise tête s’il en est, je doute fort que la lune de miel soit longue entre eux. Ex-blessé de l’Argonne, brave si on veut, mais hâbleur et frotte-manches.

J’arrive au bureau avec la quinzaine d’hommes qui m’est dévolue et Lannoy en fait la répartition par section. À 7 heures, nous nous mettons à table. Tout le monde est fatigué et nous ne tardons pas à nous coucher.

18 janvier

Séjour à Florent

Impossible de dormir, tellement je suis énervé ! et mouillé… Je fume cigarette sur cigarette ! Tandis qu’un à un mes amis rentrent plus ou moins boueux, le dernier est Paradis ; il peut être 2 heures du matin. Au-dehors c’est une allée et venue sans pareille de troupes qui chuchotent.

Allons, tout va bien ! Nous pouvons dormir jusque 7 heures, c’est l’heure fixée pour notre départ ! On s’étend et on s’endort pêle-mêle les uns sur les autres, la joie au cœur, et la tête remplie d’un avenir de félicité !

Il est 6h30. Nous sommes réveillés par des appels. C’est le capitaine Claire qui nous envoie son ordonnance [1], Stewart, on va partir.

Bientôt arrivent tout rieurs le capitaine Aubrun et le lieutenant Carrière, Gout et Vals. Le capitaine Claire les suit. Nous pouvons partir de l’avant. Adieu Gruerie ! Nous agitons nos képis en passant le petit pont de bois de Fontaine Madame.

Nous partons, déambulant dans la boue, mais avec une hâte fébrile de quitter ce mauvais coin où nous avons laissé tant des nôtres.

Non loin de la Harazée nous attrapons le colonel Desplats et le capitaine de Lannurien. Ceux-ci sont boueux comme nous et nous amusent par les contorsions qu’ils font pour ne pas s’aplatir dans les flaques d’eau. Nous arrivons dans la Harazée vers 8 heures. Un petit soleil semble saluer notre passage, cela nous fait plaisir. Ce qui nous plaît moins, ce sont quelques shrapnells que les boches nous envoient.

Nous ne nous arrêtons pas en conséquence dans ce coin peu hospitalier. J’ai un souvenir en passant pour Jean Carpentier. Il eût été si heureux, le pauvre, de filer aussi avec nous ayant l’expectative d’un long repos.

Les shrapnells* nous suivent et même des obus percutants* se mettent de la partie. J’émets donc l’avis qu’il serait ridicule de se faire tuer ou blesser ici. Nous laissons donc la cote de la Harazée, malgré Gallois qui veut y passer quand même. Quand Legueil, René, mitrailleur, Paradis, Sauvage, et Crespel le cycliste, nous prenons la route de Vienne le Château. C’est un détour de 10 km. Au moins nous serons à l’abri, et d’ailleurs nous avons pour nous toute la journée et journée de plus ensoleillée.

Nous filons donc rapidement sur Vienne-le-Château, en hâte car la zone quoique moins visée que la cote de la Harazée est fort dangereuse quand même. C’est d’ailleurs ici que dernièrement tombaient les obus lancés contre nos voitures de ravitaillement, spectacle auquel nous assistâmes étant dans la Harazée. Presqu’à l’entrée de Vienne le château, nous sommes dépassés par tous les officiers de notre bataillon. Eux aussi prennent notre route pour plus de sûreté.

Il est 8h30. Le temps est splendide ; sans doute le soleil sabre-t-il notre départ de l’Argonne et veut-il fêter comme nous le fameux repos qui nous met le cœur en liesse.

Nous nous arrêterons dans le château et entrons dans une maison abandonnée où quelques marsouins font popote*. Nous profitons de la pause pour faire du café. Il y a ici tout ce qu’il faut pour cela et les camarades de l’infanterie coloniale sont très complaisants.

Image illustrative de l'article Adolphe Guillaumat

               Général Guillaumat

Nous voyons passer un général de division avec tout son état-major et sa suite. Sans doute est-ce celui qui succède au nôtre, le général Guillaumat, et qui vient voir un peu ce que ses troupes doivent garder.

Le café bu, nous partons, tranquillement cette fois, car les obus sont rares de ces côtés. Nous marchons dans la direction de Vienne-la-Ville. Nous voyons à notre droite à 2 km sur sa hauteur le village de Saint-Thomas en ruine. Au carrefour de la route qui mène à Saint-Thomas, Pêcheur sergent secrétaire du colonel me dépasse à bicyclette en me criant bonjour. Décidément tout le monde suit notre idée et personne n’a aimé affronter la route de la Placardelle toujours balayée d’obus.

On continue. Bientôt nous rencontrons deux compagnies d’un régiment inconnu. Puis un galop de cheval nous fait tourner la tête. Aussitôt nous rectifions la position, c’est le colonel Desplats suivi du capitaine de Lannurien. Lui aussi prend notre route. En passant le colon nous crie aimablement « à Florent ! ».

Voici Vienne-la-Ville. Nous faisons une nouvelle pause. Réellement la route est longue. Nous avons abattu une dizaine de kilomètres et nous en avons encore 15 au moins.

Enfin nous repartons quand soudain quelle aubaine ! Des caissons d’artillerie nous dépassent à vide rentrant au cantonnement à Moiremont.

Une, deux ! Nous sommes dessus, blaguant avec les artilleurs, et chantant à tue-tête. Naturellement il n’y a pas de ressorts, on est un peu secoué, mais on est si heureux et il fait un si bon soleil. Nous arrivons ainsi à Moiremont. Il nous faut descendre, car les caissons s’arrêtent ici. N’empêche que cela nous fait 8 km de parcourus gaiement. Je me souviens de la boulangerie d’autrefois quand nous avons logé dans la ferme Hulion qui brûla la nuit. Si je pouvais avoir un pain frais. J’arrive, j’insiste et puis achète. Quelle bonne chère nous allons faire tout à l’heure sur le bord de la route en cassant la croûte.

Nous voici sur la route de Moiremont à Florent. Encore 6 km et nous serons arrivés.

Nous faisons une bonne pause et nous partageons le pain. Je suis avec Paradis et Sauvage. Les autres nous ont devancé. Nous mangeons de bon cœur le pain frais que nous connaissons ainsi qu’une boîte de pâté. Il est midi et le soleil donne toujours à notre grande joie. Un vieux fond de vin nous désaltère et en route !

Nous marchons, marchons de bon cœur. Il est 2 heures quand nous atteignons Florent.

Un grand va-et-vient de troupes y règne. Nous avons grand mal de nous orienter parmi ce peuple. Nous voyons des chasseurs à pied, du 96e d’infanterie, des artilleurs etc.…

Après bien des recherches nous trouvons un écusson de notre régiment qui nous dit où se trouve le deuxième bataillon : dans la ferme-château (voir topo Florent tome IV  [ci-dessous]).Plan14-11Florent En route nous voyons Verleene, l’agent de liaison de la 6e compagnie. Il nous indique une maison où se trouve la liaison. La maison est située face à un coin du concert de la 4e division. Nous entrons dans une pièce assez vaste où nous trouvons nos amis, Gallois, Jombart etc.… Gauthier est occupé à faire popote. Quelques chaises sont là. Nous nous installons au coin du feu heureux de pouvoir nous asseoir et avaler un quart de café. La route m’a légèrement fatigué.

Jombart me dit que tout le bataillon est logé dans la ferme-château avec les officiers qui ne sont installés que d’une façon rudimentaire.

Le village est occupé par les troupes d’un autre corps d’armée que le nôtre. Nos états-majors sont partis, et il a eu toutes les peines du monde, le cher fourrier, à placer le bataillon dans un coin qu’on voulait lui refuser. Les autres bataillons ont été d’ailleurs dans le même cas, mais ils sont déjà partis à la Grange aux Bois.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Pour nous il a trouvé la maison qu’habitaient depuis notre arrivée dans l’Argonne les trois vaguemestres* du régiment. Nous sommes encore les mieux lotis.

Gallois me raconte qu’il est arrivé à 11 heures après avoir manqué « d’y passer » à la cote de la Harazée. Il ajoute qu’un obus est tombé sur une colonne de territoriaux en marche sur la Harazée, tuant douze hommes. Nous avons eu raison donc de prendre la route de Moiremont.

Je vais voir Mascart qui se trouve dans une grange en face avec les autres agents de liaison. Je lui donne quelques affaires à nettoyer.

Soudain nous entendons la musique. Je me dirige vers la place ; c’est le 96e qui donne une aubade. Je vois nos officiers ; je salue le capitaine Sénéchal qui est rétabli et loge toujours au presbytère. J’aperçois quantité de jeunes sous-lieutenants, un peu godiche dans leurs uniformes tout neufs. Ce sont les saint-cyriens de la promotion « croix du drapeau », de jeunes Marie-Louise qui n’ont pas encore vu le feu.

Je rentre en visitant notre ancienne salle de spectacle. Ce n’est plus qu’une vulgaire grange ou sont cantonnées des troupes. Adieu aussi, chic concert ! Tout cela sent le départ et tu ne nous reverras plus de longtemps sans doute.

La soirée se passe autour de la table à sabler notre « pénard » avec le vaguemestre en attendant de boire le bon vin du repos. La longue route nous a creusé l’estomac et nous mangeons de bon appétit.

Vers 8 heures, Gallois est appelé au bureau du colonel. Une demi-heure après il rentre un peu ennuyé. Les trois adjudants de bataillon partent avec l’officier de cantonnement* demain matin à 5 heures. Ils doivent se munir d’une bicyclette et filer au-delà de Sainte-Menehould dans des villages dont le nom n’a pas été donné, mais qu’ils connaîtront demain. Ils y feront le cantonnement ; le régiment arrivera vers 2 heures après-midi.

Gallois repart vers le capitaine Sénéchal. Il rentre bientôt me déléguant ses pouvoirs. Me voici bien loti de nouveau. Dans tous ses états le pauvre Gallois se voit perdu. Enfin Caillez lui cède la bicyclette et nous nous chargerons de faire porter son fourniment aux voitures.

Allons un quart* de café ; une note fixant le départ pour demain 9 heures. Et nous communiquons à nos commandants de compagnie heureux du départ car ils sont dans une vulgaire masure. La maison d’habitation est occupée par des officiers du nouveau corps d’armée qui nous succède.

Je rentre et nous nous couchons à même le plancher roulés dans nos couvertures autour du foyer.


[1] ordonnance : Soldat attaché à la personne d’un officier pour l’entretien de ses effets, de ses armes et de son cheval.

17 janvier

Relève* des tranchées.

Au petit jour vers 6 heures je me rends comme la veille près le capitaine Claire pour le compte rendu du matin. Il me manque celui de la 8e. Paradis, le caporal fourrier, ne tarde pas à me l’apporter. Il se plaint que par là on a de la boue jusqu’aux cuisses.

Mascart dans notre abri fait un grand feu pour sécher nos couvertures qui durant la nuit ont reçu de l’eau et qui sont trempées.

Gauthier ne tarde pas à s’amener. Il est toujours le bienvenu. Jombart nous annonce que nous serons relevés ce soir ; il le tient de l’adjudant du ravitaillement Cousinard. Celui-ci a reçu ordre de ne pas amener le ravitaillement ce soir à la Harazée.

Je vais immédiatement donner « le tuyau » au capitaine Claire. Ce doit être vrai, car nous en sommes au septième jour de tranchées. Le capitaine Claire appelle Legueil qui passera probablement sergent fourrier* à la 6e compagnie. Un agent de liaison* lui est adjoint, Verleene.

La liaison se transforme petit à petit. Nous avons Gallois, adjudant de bataillon, Jombart, Sauvage et moi sergents fourriers, Legueil et Paradis caporaux fourriers, Mascart, Verleene, Frappé et Garnier, agents de liaison, les deux cyclistes Caillez et Crespel, René le mitrailleur et Gauthier notre sympathique cuisinier. Legueil ne tardera pas à avoir les baguettes de sergent fourrier et Verleene sans doute celles de caporal.

Les cuisiniers des 5e, 6e et 7e compagnies passent. Je salue l’adjudant Culine qui revient. Il ne peut rester inactif à la Harazée et préfère les tranchées. Je l’admire.

Gallois ne tarde pas à rentrer. Il préfère son poste à celui de chef de section.

Vers midi une note assez longue à copier nous arrive. Le lieutenant-colonel Desplats salue le régiment à la tête duquel il est placé définitivement. La relève aura lieu ce soir. Les commandants de compagnie resteront jusqu’au lendemain matin. Quant aux compagnies elles iront à Florent. Le grand repos a sonné pour nous ; nous irons nous reposer à l’arrière.

Heureux je vais moi-même communiquer la note au capitaine Aubrun tout heureux de n’avoir plus la responsabilité de son coin que durant quelques heures.

Le capitaine Claire vers 5 heures envoie la liaison en second avec Jombart à Florent pour faire le cantonnement. Quant aux fourriers Sauvage, Legueil, Paradis et moi, nous restons jusqu’au lendemain avec les cyclistes et l’agent de liaison de mitrailleuses.

Ainsi dit ainsi fait. Nous nous mettons tous après le départ ensemble dans le plus bel abri, laissons les autres à la disposition de ceux qui viendront nous relever.

À la nuit tombante des officiers arrivent. Ils sont d’un autre corps que le nôtre. Longtemps ils confèrent avec le capitaine Claire puis nous les conduisons au PC de chacun de nos commandants de compagnie. C’est avec un cri de joie que le capitaine Aubrun accueille son successeur. Je descends au PC du bataillon amenant avec moi l’agent de liaison par section. Ce n’est pas facile dans la nuit. Plus d’une fois je fais des chutes et m’aplatis dans l’eau. Mais qu’importe, on est relevé et on va à l’arrière. Quelle chance !

Quand j’arrive, je trouve les agents de liaison du bataillon qui nous relève. Ceux-ci s’installent et m’annoncent que le bataillon n’est pas loin. Il peut être 8 heures du soir.

Une heure après, les éléments de tête arrivent. Je suis appelé par le capitaine Claire qui me donne quelques explications. Je prends avec moi mes agents de liaison des quatre sections qui sont confiées aux quatre chefs de section de la compagnie de relève. Je prends la tête de la colonne et en route !

Vers 10h30 la 5e compagnie passait se dirigeant sur Florent. Quant à moi, ma besogne terminée, je me frottais les mains près du foyer de notre gourbi*, heureux d’avoir fini le premier. Terminé le cauchemar du bois de la Gruerie ! Un repos d’un mois, c’est le rêve ! Jamais je n’aurais espéré cela ! En un mot, que je suis heureux ! Je suis de nouveau rappelé par le capitaine Claire pour conduire une demie compagnie à l’emplacement occupé par le sergent Tercy lors du premier séjour (voir topo tome VI [ci-dessous]) tandis que Sauvage conduit une autre fraction à l’emplacement de la 7e.

TomeVI-planFneMadameAvec bien du mal j’arrive à mon but après m’être cassé le nez sur des éléments du bataillon relevé. Les boyaux de ce côté sont de vrais ruisseaux. Je m’enfonce jusqu’aux genoux. Paradis avait raison de se plaindre.