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7 mars

Repos aux abris Somme-Tourbe (Voir topo Tome I)
Capitaine Triol du 139e commandant du 2e bataillon

Je me réveille vers 7 heures du matin. Gauthier est là avec le café. Je ne puis m’empêcher de le féliciter.

Je sors après avoir remis avec bien du mal mes chaussures. Naturellement je ne vois aucun planton de la liaison sur la route. Je rentre alors en tonitruant. La lacune est comblée bientôt, mais le régiment est-il passé oui ou non ? J’attends espérant que non.

Je n’ai aucun goût à me nettoyer. Je suis si sale. Je vois le capitaine Delahaye qui fume une cigarette en tenue sommaire. Lui aussi est sale et cela me console un peu. Voici Crespel et caillez qui rentrent. Je leur demande s’ils ont vu le régiment. Ils me répondent négativement.

Voici vers 9 heures un chariot sur lequel j’aperçois le lieutenant Lebeau et quelques sapeurs ainsi que le caporal fourrier Bourgerie. On me dit que le premier bataillon suit.

Déjà des feux sont allumés et les cuistots d’escouade font bonne besogne avec les restes car hier il n’y eut pas de distributions.

Je vois ceux de la 5e, Lavoine, Licour, Chandelier. On m’offre du café que j’accepte de grand cœur.

Je vais saluer le lieutenant Collandre commandant la 5e. Il vient de se lever et me félicite « alors » dit-il « vous me quitter, car vous passerez adjudant de bataillon ». Je vois Jombart qui vient à la liaison ; il fait le sergent major, le fourrier et le caporal fourrier à la 8e. Je ne fais semblant de rien et suis aimable avec lui.

Enfin vers 10 heures, par le temps sombre qu’il fait et donne une certaine mélancolie aux lieux, je vois arriver des fantômes boueux, vrais paquets de qui se traînent. C’est le régiment. Dans quel état lamentable !

J’avertis aussitôt le capitaine Delahaye qui va causer au commandant du 1e bataillon. Des baraquements sont libres derrière nous. Ils font être vite occupés.

Je vois ensuite le commandant Vasson à cheval. Il fait de grands gestes en causant avec le chef du 2e bataillon. Je n’y entends rien et ne m’en préoccupe pas.

Je rentre me décrotter plutôt que d’assister au défilé lamentable des rescapés de Mesnil.

On mange peu de chose. Gauthier n’a rien. J’ai un morceau de pain de l’ordonnance et ouvre une boîte de pâté.

Vers 1 heure alors que j’étais absorbé par mon décrottage sans avoir pu encore me débarbouiller je suis appelé par le capitaine Delahaye qui me dit de rassembler les 4 fourriers et de le suivre dans 10 minutes.

Nous partons à cinq sur la route vers Somme-Tourbe puis un peu plus loin à 500 m prenons à travers champs sur la gauche. Nous descendons un ravin, traversons un petit ruisseau sur un pont de bois et montons une petite cote au haut de laquelle on aperçoit trois rangées de baraquements dont une partie encore en construction.

Ces baraquements seront notre cantonnement. J’hérite d’une lignée. Nous entrons et constatons avec plaisir qu’ils sont plus finis que les autres et mieux aménagés. Je divise en six : les quatre compagnies le poste de secours et la liaison du bataillon.

Une heure après chaque fourrier allait chercher sa compagnie pour l’installer.

Moi-même, avec Gauthier qui m’avait suivi, j’installais mon coin. Dégourdi Gauthier trouve quelques planches les place sur le sol. Le lit est tout trouvé. Le sac à la tête, les couvertures étendues, le fusil dans le coin avec le bidon et la musette accrochés. Je suis placé. Il peut-être 3 heures.

Mais quel brouhaha dehors ! C’est celui de l’arrivée de toute troupe qui s’installe. La liaison ne tarde pas à arriver. Je vois Cailliez, Crespel cyclistes, Frappé, Brillant, Garnier, agents de liaison des 7, 5, 8e, puis Jombart, Sauvage, Verleene fourriers de 8, 7, 6e ; avec Gauthier, c’est tout cela me fait neuf unités. C’est bien suffisant et je n’en demande pas plus. Je sors pour voir l’installation car j’ai déjà mon métier d’adjudant de bataillon à cœur. J’apprends que le capitaine Delahaye reprend la 3e compagnie et passe le commandement du bataillon au capitaine Triol du 139e nouveau venu. Aussitôt je vais dire au revoir au capitaine Delahaye. Je le trouve dans un baraquement réservé aux officiers et où pas mal de ceux-ci sont occupés à causer. Il me dit au revoir et me présente au capitaine Triol qui me reçoit aimablement et à qui je demande ses instructions pour le cantonnement. Il me dit de faire pour le mieux, selon l’habitude. Je rentre donc près de ma liaison et dicte quelques notes sur les cuisines, les feuillées* etc…

Je suis fatigué et m’étends tandis que Gauthier part aux distributions sur la route de Somme-Tourbe et qu’on annonce à grands coups de gosier dans tout le cantonnement.

Vers 6 heures je me présente au capitaine lui demandant ses instructions pour la nuit. Il est à table avec les officiers du bataillon dans le bâtiment de tantôt. Celui-ci est séparé en deux pièces. Dans la première il y a une vingtaine de couchettes et un foyer qui brûle ; dans la 2e quelque table et quelques bancs où les officiers sont occupés à prendre leur repas. Le commandant du bataillon me demande de garder la liaison sous ma main. Je lui dis que c’est fait. Je mérite de ce fait un très bien et puis disposer.

Je rentre près de la liaison heureux à la pensée de passer une nuit tranquille. Nous sommes près du poste de secours et héritons de la chaleur du foyer qui y est allumé. Nous aussi nous allumons le nôtre, trou creusé par le génie sous les planches qui ne peuvent prendre feu grâce à de la tôle dont elles sont recouvertes, avec tirage à l’extérieur. Chacun va barboter du bois. Gauthier revient des distributions avec Cailliez et Crespel ainsi que René qui en arrivant aussitôt à donner un coup de main au passage. Aussitôt flambe un bon feu. Il faut manger. On décide de faire des biftecks à fin de se coucher rapidement.

Il y a une porte en bois. Nous la posons à l’intérieur contre l’entrée. Il fait chaud aussitôt. Chacun a pu se procurer une planche qui le séparera de la terre humide. Nous sommes presque heureux tandis que nous avalons la viande à peine cuite arrosé d’un quart de « pinard ». Le café suit et bonne nuit !

Il est déjà 10 heures.

6 mars

Aussitôt réveillé vers 05 heures je vais chez le capitaine Delahaye. Avant de le réveiller je commence le compte rendu de la nuit où il n’y a rien à signaler. Puis je réveille mon chef qui content de mon initiative le signe.

Crespel et Cailliez n’ont pas ce qu’on appelle chez nous « le filon ».

Comme il fait jour, Crespel part seul au Trapèze porter l’ordre.

Ne sachant que faire je me recouche jusque 8 heures. Je suis réveillé par une conversation à haute voix.

Ce sont deux officiers de l’état-major de la 87e brigade commandée par le général Rémond notre ancien colonel. Ces messieurs sont a l’observatoire et examinent la plaine qui s’étend devant nous. Ils ne tardent pas à repartir.

Je passe ma matinée à classer les papiers de Gallois. Puis je vais dire bonjour au médecin auxiliaire Paris. Nous causons de Gallois de mon nouveau poste que certainement à son avis va m’échoir définitivement avec le grade. J’apprends par lui, en causant de nos pertes, que le sous-lieutenant Dupont fut blessé par un obus qui tua cinq ou six de ses mitrailleurs. C’était un grand ami du sous-lieutenant d’Ornant, jeune comme lui et arrivé en même temps en janvier à Charmontois au régiment.

Mais Gauthier à l’heure comme un réveil matin arrive avec la soupe. Nous mangeons aussitôt. On cause de Gallois dont Gauthier qui fait la cuisine au Mesnil a été voir la croix placée près de celle du colonel. Il me raconte à moi seul que Jombart est rentré au village tout en refusant de monter ici : il lui prête certains propos qui sont plutôt malveillants au sujet de mes aptitudes au grade d’adjudant de bataillon et revendiquerait la place. Ce sont des cancans. Je suis au-dessus de cela certes, mais quand même je mets tout ceci dans ma manche. Où se trouve l’ami sincère ?

Vers 2 heures je suis appelé par le capitaine Delahaye. Il vient de recevoir l’ordre de relève du 2e bataillon pour ce soir 9 heures et me dicte ses ordres pour les quatre compagnies.

Rassemblement à Mesnil-les-Hurlus à 9h30. Aussitôt arrivées, les 5e et 7e feront prévenir le chef de bataillon au poste de secours où il se trouvera. A 9h25 rassemblement des 6e et 5e sur la route Mesnil – Hurlus. Le commandant prendra la tête de la colonne. Nous allons à Somme-Tourbe.

Je dicte la note à Brillant (5e) Sauvage (7e) Verleene (6e) et Garnier (8e) qui aussitôt vont la communiquer à leurs compagnies.

Je prépare mon fourniment et passe l’après-midi dans mon trou entendant toutes les deux minutes les obus de canon revolver siffler en pure perte au-dessus de ma tête. Parfois un obus de gros calibre s’égare par ici, mais sans grand dommage.

Vers 5 heures je mange ce qui me reste de nourriture ; il faudra des forces car Somme-Tourbe est loin. Il y a certainement 15 km.

Le temps est beau. Si les boches veulent être sages, cela pourra marcher.

J’envoie par Cailliez et Crespel le compte rendu de la journée en leur disant de filer ensuite à Somme-Tourbe par Wargemoulin où ils ont laissé leurs bécanes.

A 8h45 je rassemble la liaison et nous partons, le capitaine Delahaye en tête. Nous ne recevons pas d’obus. Les boches dorment sans doute ou jugent que nous sommes tous exterminés.

Après un long parcours, nous commençons à rencontrer l’eau dans le boyau. Nous montons le parapet et sans encombre arrivons à Mesnil-les-Hurlus par la route de Minaucourt.

Nous nous arrêtons près du poste de secours. Le capitaine Delahaye y rentre me disant de l’avertir quand le bataillon sera là. Nous attendons donc par un clame parfait. Le marmitage a cessé. Il fait beau temps, mais les routes sont boueuses et il fait noir comme dans un four.

J’avertis que la 5e et la 7e sont sur la route et que 6 et 8 se rassemblent. Pour cela je rentre dans le poste de secours où autour d’une table sont rassemblés des docteurs et le capitaine. A mon nom qu’on prononce, on m’adresse la parole. C’est le docteur Demmeux [ ?] de Calais, major mobilisé au 8e d’infanterie qui me demande des nouvelles de ma famille dont il est l’ami. On se serre la main : je lui cause de mes deux cousins [1] l’un tué, l’autre prisonnier.

En route ! Le capitaine Delahaye en tête nous partons. Plutôt que de prendre le boyau nous laissons la route de Hurlus à notre droite et filons rapidement à travers champs. Le capitaine se guide sur la boussole. Nous marchons aussi à travers tout, la boue, les trous, sautant les obstacles désireux de mettre le plus rapidement possible le plus grand espace entre les batteries boches et nous. Enfin après une heure de marche nous faisons la pause. Au loin nous voyons les fusées monter de tous côtés. C’est un vrai feu d’artifice.

Le capitaine dont je tiens la boussole regarde avec un coin de sa lampe électrique. Nous sommes à peu près dans la direction de Somme-Tourbe.

Nous regardons après avoir eu connaissance que le bataillon suivait. C’est une nouvelle heure de marche, Dieu sait comment. Rien ne peut décrire une marche pareille à travers les champs détrempés, par l’obscurité la plus complète. Défense absolue de fumer et de se servir de lampes de poches. Nous montons des cotes, descendons des ravins, suivons des layons, passons un petit bois où plus d’un prend la buche.

Une bonne pause cette fois nous récompense. Nous sommes hors de la zone dangereuse.

Nous croyons voir des lumières bien loin. Ce doit être faux ou du moins c’est bien plus long que l’endroit où nous allons.

20 minutes après nous repartons. On voit quelques lumières encore qui se meuvent cette fois. Le capitaine me dit que c’est sûrement la route de Somme-Tourbe à Wargemoulin. Nous piquons là-dessus. C’est une nouvelle heure de marche. Nous pouvons plus.

Enfin nous tombons dans des obstacles qu’on ne peut déterminer. Devant nous tout est illuminé, lumières sous tente. Le capitaine près le bouton de sa lampe. Cri de surprise ! Nous somme dit-il dans le cimetière militaire de Saint-Jean-sur-Tourbe et les obstacles que nous prenons pour des piquets ce sont des croix.

Photos peu connues (16).jpg

On passe à gauche et après nous être embourbés dans une espèce d’étang nous tombons sur la route ou nous faisons une très longue pause afin de permettre aux quatre compagnies de se rassembler.

J’ai la curiosité de regarder ma montre. Il est 1 heure du matin. Nous sommes de vrais noctambules. Du coup heureux d’avoir la route, j’allume une bonne cigarette. Maintenant il n’y a plus de danger d’être repéré.

Une demi-heure après nous repartons éclairé par les phares des autos de ravitaillement par les lumières de voitures de toutes espèces, des caissons d’artillerie etc… Quel passage sur cette route !

Au bout de 1500 m nous cherchons les abris que nous avons occupés en arrivant ici. Le capitaine n’a eu aucune indication et croit que c’est ceux-ci que nous devons occuper.

Je m’arme de la lampe de mon chef et me paie une balade à travers champs, tandis que sur la route il suit tout doucement en m’appelant de temps en temps. Enfin après bien des misères je tombe sur les baraques. Aussitôt je tourne ma lampe du côté de la route et appelle. On se guide sur moi.

Une partie du baraquement est occupée par les artilleurs. Le cantonnement est cependant vite fait. Nous sommes aux plus 150 même avec les cuisiniers qui nous suivent depuis Mesnil. Les hommes s’engouffrent là-dedans heureux de pouvoir déposer armes et bagages. Des bougies s’allument ; on s’installe ; je rejoins le capitaine qui trouve le gourbi séparé des officiers ; je lui remets sa lampe il me dit « bonsoir ! Dormez ! Demain nous verrons ! Le régiment n’arrivera qu’au petit jour ; placer un planton à la route qui vous avertira ».

Je désigne donc la liaison pour ce poste une demi-heure chacun. Je n’ai pas encore vu Cailliez ni Crespel mais Jombart. Je m’étends parmi les artilleurs sur la paille à côté de l’ordonnance du capitaine. Je casse la croûte avec lui, tire mes chaussures et quelle joie de pouvoir le faire. Bientôt je m’endors harassé de fatigue. Je suis rendu. Il fait froid et je me couvre de mon mieux car je suis trempé de sueur.

 


[1] mes deux cousins : Louis Lobbedey tué le 31 décembre 1914 et Charles Lobbedey prisonnier au camp d’Ohrdruf.

3 mars

Départ pour le calvaire

Je passe une nuit excellente. Je me réveille gelé, naturellement, mais il y a peu de mal car je me sens reposé. Je me lève donc. Il fait petit jour et un grand brouillard règne autour de nous. Les boches sont calmes : ils tirent beaucoup moins. Je remets en ordre mon fourniment et cherche un fusil que je n’ai aucun mal à trouver car il en traîne des tas.

Je vois Gallois qui m’annonce que Paradis fut blessé hier, chose que j’ignorais. Je bois du café apporté hier par Gauthier. Je fume tranquillement et attends le lever du soleil. Il va faire beau aujourd’hui et si les boches sont calmes, on pourra se remettre un peu de ses émotions.

Quelques marmitages passagers saluent le lever du jour. Je crois que des deux côtés, nous ne demandons qu’à passer une journée un peu tranquille.

Vers 9 heures, je vais voir le sergent Pêcheur qui m’annonce que je suis tranquille. Deux cyclistes sont arrivés hier comme agents de liaison*. Je vais donc voir le lieutenant Collandre qui est installé dans une espèce de gourbi. Je vois Radelet et Jamesse qui vient d’arriver.

Nous causons un peu comptabilité. Heureusement que nous tenons la comptabilité en double. Nous trouvons le double dans la voiture de compagnie, Lannoy sergent major ayant sans doute été pris avec tous ses papiers.

Nous déjeunons avec le lieutenant Collandre à qui je présente Jamesse. Il dit qu’il le proposera comme sergent major et moi-même comme adjudant.

Nous sommes heureux du beau temps et du moins grand nombre de marmites*, bien que le secteur n’est pas encore fameux. Nous causons de nos pertes et du grand nombre de blessés qui sont morts, faute du manque de soins, et traînent dans les tranchées, piétinés sans cesse. Jamais on n’arrivera à assainir ce coin si les attaques se répètent.

Je rentre une partie de l’après-midi près de Gallois au PC du bataillon. Je rencontre au passage les débris des compagnies dans les boyaux. Réellement, c’est une petite compagnie de survivants qui subsiste du beau bataillon que nous formions. Tous les officiers sont par terre, excepté le capitaine Claire qui n’était pas là. Nous avons [comme] tués : les lieutenants de Monclin, Monchy, Aline, d’Ornant et le nouveau venu de la cavalerie à la 6e compagnie ; blessés : le capitaine Sénéchal, les lieutenants Vals et le nouveau venu de la cavalerie à la 8e ; prisonniers sans doute : les capitaines Aubrun, Crouzette et le sous-lieutenant Blachon ; à ajouter à l’actif du régiment, le colonel tué et le commandant Dazy, le capitaine de Lannurien blessés. Quant aux hommes disparus ils sont au nombre de plus de six cents. C’est une omelette sérieuse.

Vers 3 heures, une note arrive du commandant Vasson. Le 2e bataillon partira à 6 heures sous les ordres du capitaine Delahaye et ira se placer à l’est de Mesnil-les Hurlus en seconde ligne derrière les chasseurs à pied, à la position appelée calvaire ; mi-partie au village de Mesnil, mi-partie en tranchées au calvaire.

Le capitaine Delahaye nous dicte les ordres complémentaires sous le bombardement qui a l’air de vouloir reprendre. Il est obligé de crier de toutes ses forces pour que nous l’entendions. Départ à 6 heures derrière la liaison du bataillon, boyau* Mesnil-les-Hurlus dans l’ordre 5, 7, 6, 8.

Je prends mon fourniment, disant à Gallois que je reviendrai au passage à 6 heures. Je vais rejoindre le lieutenant Collandre et lui montre l’ordre. Heureux sommes-nous de quitter ce maudit coin où nous en avons laissé tant des nôtres.

Nous recevons vers 4 heures la visite de Chopin et des cuisiniers qui ravitaillent les hommes. Chopin nous dit qu’un petit incendie s’est allumé ce matin dans Mesnil à cause d’obus incendiaires que les boches y lançaient. Nous l’avertissons de notre changement de résidence et mangeons afin de nous donner des forces pour la marche de tout à l’heure.

6 heures arrivent. Nous voyons arriver le capitaine Delahaye. Le lieutenant Collandre me dit de rester avec lui durant la route : aussi vrai, Brillant est à la liaison et suffit.

Nous suivons et marchons bon pas alors que le crépuscule tombe. Quelques marmites éclatent non loin de nous. Chacun file de bon cœur ; on sent qu’on est heureux de quitter ces rives peu hospitalières.

Une heure après, en pleine obscurité, nous arrivons dans Mesnil, après avoir fait un 100 mètres en rase campagne car le boyau que nous avons suivi se termine à cette distance de l’église.

Quelques petites lumières de cuistots dissimulées dans des toiles de tente servent à nous guider un peu. Nous faisons un long stationnement, nous abritant derrière des murs car de temps en temps un sifflement nous parvient, suivi d’une explosion pas très loin. Je me demande où est l’incendie dont parlait Chopin car je ne vois rien ; sans doute que c’est fini.

À quelque temps de là, nous revoyons le capitaine Delahaye qui, sans doute, s’est informé du chemin à suivre. Il parle devant moi au lieutenant Collandre et au sous-lieutenant Carrière. Les 5e et 7e compagnies vont les suivre. Il va trouver les 6e et 8e ; celles-ci vont s’installer comme elles peuvent dans les caves du village en ruines, prêtes à accourir en cas de demande ; c’est ce que nous dit le chef de bataillon en revenant sur nous. Quant aux 5e et 7e , elles prendront possession de la seconde ligne au calvaire proprement dit derrière les chasseurs à pied. Il y a un moment de discussion, car les chefs des 5e et 7e font remarquer à juste titre que c’est aléatoire de compter sur un soutien fondé sur deux compagnies de quarante hommes à peine, harassés et fourbus, venant de passer quatre jours par les émotions les plus terribles.

De temps en temps, les obus arrivent : sifflement, éclairs et détonations qui ébranlent tout : c’est sinistre. Nous partons quand même, la tête entre les épaules, sur la route, mais au pas de course. Il n’y a pas de boyau ou du moins, aux dires du capitaine Delahaye, un boyau rempli d’eau.

Il peut être 9 heures du soir. Nous recevons des marmites ; les boches bombardent la route de Mesnil à Minaucourt car sans doute croient-ils que c’est l’heure du ravitaillement. Un obus éclate à moins de 30 m en avant de nous. C’est un bon moment de frousse. Enfin, après un pas gymnastique de 400 m, on saute dans un boyau à la file les uns des autres. Il y a encore de l’eau. On patauge dans la boue jusqu’aux genoux. Qu’importe, le boyau est profond. On continue encore vivement 200 m afin de permettre à toute la troupe d’être dans le boyau. Puis on s’arrête tandis que du canon revolver siffle au-dessus de nos têtes. L’eau a diminué mais j’ai froid aux mollets, mes bandes molletières* sont des paquets de boue.

Dix minutes après, sur notre demande, on fait répondre que les deux compagnies suivent. Nous repartons alors un peu plus tranquillement, toujours sous le canon revolver qui semble nous suivre ; mais les parapets ont 2 m de haut. Il n’y a rien à craindre.

Nous avons de fréquents arrêts. Nous marchons dans le silence le plus profond. Nous rencontrons des cuisiniers de chasseurs qui descendent, des brancardiers qui ramènent des blessés.

Enfin nous arrivons près de quelques gourbis éclairés. Après une longue attente, le capitaine Delahaye ressort de l’un d’eux et remet un agent de liaison au lieutenant Collandre afin qu’il le conduise à son emplacement situé à 400 m d’ici. Je dis à Brillant d’aller reconnaître l’endroit et je reste avec la liaison. Le sous-lieutenant Carrière suit, une fois que la 5e s’est écoulée ; il reçoit un agent de liaison également.

Quand les deux compagnies sont passées, je cherche, ainsi que mes amis, un gourbi* où je m’installe heureux de ne pas coucher en plein air ; nous sommes en seconde ligne. Rien à penser. Fatigué, je m’allonge et bientôt m’endors. Il peut être 11 heures. Franchement j’ai une triste opinion de la Champagne.


28 février

Chapitre II
Mesnil-les-Hurlus – Le Trapèze

(Voir topo tome 1)


Attaques du 2e bataillon

Le petit jour se lève. Je suis assoupi, mais n’ai pu fermer l’œil. Je suis gelé, surtout des pieds. Je me promène donc dans la tranchée* étroite, sur un parcours de 10 m, frappant du pied. Il peut être 6 heures du matin.

Je casse la croûte. Je bois très peu, me disant que jamais Gauthier ne nous trouvera et il faut être économe.

Un peu réchauffé, je fais comme les autres ; je prends la pelle bêche et commence à creuser une grotte. Les obus sont nombreux par ici et également les balles. La fusillade ne cesse jamais complètement ; et les marmites* arrivent de tous côtés. Où est l’ennemi ? Je ne sais.

Il importe donc de se faire un trou. Je vais voir vers 7 heures l’emplacement de la compagnie, guidé par Brillant. Après un parcours assez long et quelques tâtonnements ; tandis que Brillant retourne au PC du bataillon, je vois le capitaine Aubrun en 2e ligne à 250 m de moi. Il se plaint qu’il n’y ait pas le moindre trou et dit en faire faire un. Il n’y a aucun moyen de protection ; les parapets* s’effritent ; ils sont d’ailleurs faits avec des cadavres et il me montre des effets gris-vert de boches qui dépassent. Je vois Culine qui ne bronche pas : les obus de 150 lui passent continuellement sur la tête et éclatent à 50 m de l’endroit où il se trouve. Il me montre la plaine qui s’étend devant lui, me passe ses jumelles et me dit de regarder. Je regarde et sur un espace de 300 m, je vois le double de cadavres français allongés dans la position de combat. C’est horrible. Culine me fait ensuite remarquer l’espèce de bois de manches à balai par lequel passent ses tranchées ; puis il me fait signe avec l’oreille, me faisant remarquer le bruit des sifflements et des éclatements nombreux, bruit qui nous empêche de nous entendre, puis il me crie dans l’oreille : « Ça a bardé par ici, et ça barde encore ». Il dit cela simplement, le brave, et allume sa cigarette.image

Oui, ça barde et je rentre à mon poste près du capitaine. Je me trompe de boyau et tombe soudain dans un charnier : plus de cinquante cadavres français et allemands ont été jetés ici. Ils obstruent le boyau et en font un cul-de-sac. Les corps sont entremêlés dans toutes les positions. Ils ont été jetés là, quoi ! Ils ont été gelés et conservent leur posture rigide. Il y en a qui ont l’air de tendre le poing, d’autres, boches et français, ont l’air de faire un corps à corps, même dans la mort. Sans doute on eut l’idée de combler le boyau et n’en eut-on pas le temps. Chose qui est triste mais qu’il faut dire, le boyau est devenu feuillées* et les cadavres sont couverts de déjections.

Le spectacle est peu réconfortant. Je me retire donc vivement, non sans avoir jugé la situation d’un coup d’œil. Et cette odeur mêlée de poudre et de décomposition vous prend toujours à la gorge. Quant au marmitage, il est continuel et je ne puis mieux comparer les sifflements successifs des nombreux obus qui se suivent qu’au bruit d’une pompe dont on ferait lentement fonctionner le levier, bruit dans ce genre «Uian, uian, uian, uiiian, uiiiiian » ; bruit dominé parfois par un gros éclatement assez près, tandis qu’on voit une énorme colonne de terre noire et de fumée s’élever à 100 m du sol.

D’après ce que je vois, le bataillon est en deuxième ligne, à 15 m de la première, dans des tranchées de 1,50 m de parapet, éboulées, ébréchées, sans trou, sans aucun abri, sans créneaux, laissant entrevoir des têtes, des bras, des jambes et dégageant une odeur infecte. Je traverse et vois les hommes assis sur leur sac, mornes, hagards, aux aguets pour rentrer la tête dans les épaules à l’éclatement d’une marmite et [qui] vous regardent vous qui circulez et avez l’air de connaître le secteur, en semblant vous demander « Que fait-on ici » et ajouter « Quel coin ! Seigneur quel coin ! ». C’est ce que disent les chefs de section quand je passe ; en ajoutant « Ça barde ».

Je suis perdu, car j’ai fait certainement 300 m. Je m’informe, je demande. Enfin je trouve Gallois. Voici bien deux heures que je suis parti. J’interroge Gallois, il ne sait rien sur l’emplacement du bataillon, ni sur nos projets. Je file donc à ma place, me demandant toujours si un obus ne viendra pas m’y chercher.

Je termine mon trou et, avant de m’y fourrer, j’admire celui de Frappé à qui la peur a donné l’énergie du désespoir et qui s’est fait, par un travail fébrile de dix heures durant, un petit souterrain. Malgré tout, je ris de le voir blotti au fond, recroquevillé sur lui-même, la tête entre les épaules. Vers 11 heures, je file au capitaine Aubrun tandis qu’une petite accalmie s’est faite. Je lui dis de venir avec ses quatre chefs de section. Il les appelle et je les amène près du capitaine Sénéchal.

Je reste non loin, désireux d’entendre la conversation. Je n’entends rien, le bruit du marmitage est trop fort. Je vois le capitaine Sénéchal tirer des plans et procéder à des explications. Un quart d’heure après, c’est fini. J’approche plus près et j’entends le capitaine Aubrun dire au sous-lieutenant d’Ornant « Regardez les cadavres que vous verrez dans le blanc des yeux, bien en face, touchez-les, remuez-les, afin que cela ne vous fasse plus rien. Du courage, n’est-ce pas ! » Ils s’en vont. Tout cela m’indique que nous allons attaquer.

Vers midi, le bombardement reprend. Je parle avec Gallois. Il m’annonce que le sergent Bibi s’est fait tuer en sortant de la tranchée pour regarder la position des tranchées allemandes. Pauvre bougre ! Il me dit que le terrain que nous occupons a été pris aux boches et que toute la plaine remplie de cadavres est à nous, prise aussi à l’ennemi par des attaques répétées. Les boches, rageurs et craignant de nouvelles attaques, nous marmitent continuellement. Certes, c’est par milliers les obus qu’ils nous envoient depuis notre arrivée ici. Ce que je constate pourtant, c’est que nous sommes encore loin de Vouziers.

À 12 heures 30, le capitaine Sénéchal nous envoie dire aux commandants de compagnie le mot « Préparation ». On n’y comprend rien, mais le capitaine Aubrun fait aussitôt dire « Toile de tente autour du corps en bandoulière ». Il a compris et moi aussi : nous allons attaquer.

À 1 heure, je repars et donne le mot « Position ». Je rentre en me trompant, le chemin est dur à connaître, je retombe dans le charnier. Enfin j’arrive à destination. Déjà mes amis sont prêts, le fusil entre les mains, les cartouchières garnies. Je fais comme eux ; je laisse mon sac ici, dans mon trou, et y place même musette et bidon afin d’être plus agile.

On va donc faire son devoir et cogner une bonne fois les boches. J’avale le reste de mon eau-de-vie d’entrée. Je suis content et déjà je voudrais être sur le parapet. La 5e compagnie arrive en colonne par un dans notre boyau tandis que, suivant le capitaine Sénéchal, nous nous postons en deuxième ligne. Je vois des hommes de la 6e compagnie ainsi que le sous-lieutenant de Monclin [Moutclin] qui attend avec sa liaison. Je vois aussi un nouvel officier arrivé hier soir, ex-maréchal des logis de cavalerie ; il a son sabre à nu, un grand sabre recourbé et qui doit être une arme terrible pour celui qui sait bien s’en servir.

Je vois passer le sergent major de la 8e, blessé d’un éclat d’obus. Il remet ses paperasses à Paradis, le caporal fourrier, et s’en va se faire panser.

Et toujours ces obus de tous calibres qui éclatent en avant et en arrière de la tranchée, longs et courts ! Bruit infernal qui vous empêche de vous comprendre et vous démoralise un peu, odeur acre de poudre qui vous grise et vous ranime alors, rage au cœur qui vous prend, attente fébrile qui vous pèse, appréhension aussi ; on ne peut qualifier ce coin qu’en lui donnant l’épithète d’infernal ; et les sentiments que nous éprouvons sont bien ceux de l’assaillant avant son assaut. image

Spectacle lamentable aussi ; les tranchées sont étroites, les parapets, faits de sacs à terre, sont déchiquetés, le sol est jonché de sacs abandonnés, d’équipements, de baïonnettes, et de loin en loin, un cadavre barre le chemin ; chacun a marché dessus et le pauvre hère n’est souvent qu’un paquet de boue ; quant aux parados*, c’est un amas d’effets verts grisâtres, ce qui signifie qu’ils sont faits de cinq ou six cadavres superposés. Nous sommes là-dedans, attendant.

Voici le colonel Desplats, suivi du capitaine de Lannurien. Il nous précède. En avant ! Le cri se passe de bouche en bouche. Nous longeons la tranchée de deuxième ligne par bonds de 25 m.

Je suis Gallois qui suit le capitaine Sénéchal. Celui-ci suit le colonel et le capitaine de Lannurien. Des moments, nous sommes obligés de ramper. Le parados était éboulé, la tranchée fait une courbe et nous pouvons être vus à droite. Nous profitons de semblants de pare-éclats, d’un cadavre contre lequel nous nous blottissons. Plus nous avançons, plus des obus tombent drus et près. En route, nous rencontrons, à gauche et à droite, sous le parapet, des grottes dans lesquelles sont couchés des hommes du 8e de ligne qui ont évacué les tranchées que nous allons prendre comme parallèle de départ pour l’attaque. Je vois un ami du régiment, Monsigny, sergent au 8e, Monsigny de Calais, de la classe 1910, ex-caporal adjoint au fourrier de la 5e compagnie. J’ai à peine le temps d’être surpris et de lui dire bonjour !

Nous tournons à gauche à présent. Il faut grimper car le boyau monte. Il est excessivement étroit et profond ; il est inoccupé, ayant été évacué par la 8e de ligne. C’est la parallèle de départ pour notre attaque, car sûrement nous attaquons. Nous sommes à présent dans la première ligne qui a été évacuée par le 8e de ligne. Je suis un peu fou et abruti par les émotions.

Enfin voici un point où nous nous arrêtons, c’est une espèce de carrefour, le point A. Le colonel nous fait passer « Que la 6e suive ! ».

Il est 2 heures. Le bombardement ennemi est effroyable. C’est un véritable enfer.t8-PlansDessinésELOBBEDEY_0009

La 6e compagnie qui suit se place dans la ligne A B où nous sommes. Le sous-lieutenant de Monclin est en tête ; héroïque, il monte sur le parapet et crie « Baïonnette au canon ». Puis le lieutenant-colonel applaudit ; c’est sans doute son signal. Aussitôt de Monclin agite son mouchoir. Il brandit : « En avant ». Au même moment, toute la 6e compagnie monte le parapet et s’élance en avant. Cela n’a pas demandé deux minutes.

Quelques instants après, la 8e, ayant à sa tête le sous-lieutenant Vals, arrive. Ce dernier s’arrête à notre hauteur. Il fait le même geste que de Monclin et crie « En avant » au signal du colonel.

http://images.mesdiscussions.net/pages14-18/mesimages/2547/img303.jpg1..jpgMais déjà arrive sur nous en trombe une bonne partie de la 6e compagnie en débandade ainsi que des tas de blessés. Fous, littéralement fous, ces hommes sautent dans la tranchée avec l’idée de s’en aller, de fuir. Ils encombrent tout et suscitent une pagaille inouïe. Et le bombardement auquel s’ajoutent des obus de canon revolver au sifflement caractéristique continue, s’accentue, effroyable. Des obus percutants* tombent en avant, en arrière de nous. Je reçois un éclat dans le dos. Cela me fait mal. On n’a pas le temps de s’en occuper. La fusillade fait rage du côté ennemi ; on entend les mitrailleuses cracher et les balles sifflent au-dessus de nos têtes.

Nous sommes abasourdis, on crie, on gueule, il faut dire le mot ; et jamais la plume ne saura décrire une scène semblable, véritable enfer.

En 1ère ligne, une vague d'assaut : [photographie de presse] / Agence Meurisse - 1Le colonel met revolver au poing et s’élance hors de la tranchée ; il court à la rencontre de ceux qui reviennent. Il tire en l’air. Les hommes font demi-tour et se couchent. Le colonel va se faire tuer. Des cris dominent malgré toutes les explosions ; ce sont les cris des blessés ; les cris de terreur des fuyards qui reviennent ; ce sont les cris de rage poussés par le colonel qui, revolver au poing, est impuissant à leur faire faire demi-tour.

Les obus tombent dans le terrain qui se trouve en face de nous. Nous voyons des jambes, des têtes valser dans les airs. Les blessés qui sont collés sur place, les hommes auxquels le colonel a fait faire demi-tour sont tués par dix ou douze à la fois.

Voici le capitaine Crouzette qui nous demande : « Que fait-on ? ». On lui montre le colonel. Celui-ci se démène au milieu des obus et nous crie dans un moment de folie : « Chargez ! »

Le capitaine Crouzette part avec deux sections à peine, le reste ne suit pas. Le capitaine Sénéchal me crie : « Faites venir la 5e compagnie ! »

Je file rapidement par la route que nous avons suivie. Je ne vois plus, je ne sens plus, je suis fou furieux. Je crie « Laissezpasser ». Je bouscule [des] blessés, je monte sur le dos des hommes de la 7e qui ne sont pas sortis, gueule continuellement « Sortez, chargez ». On me regarde sans comprendre, on me fait place, sans doute qu’on me croit fou et je le suis. Il me faut Aubrun, il me le faut. Enfin je tombe sur lui : « Mon capitaine, filez là-haut, marchez, écrasez tout le monde mais filez vite » ; je crie à tout le monde qui se trouve devant moi « Couchez-vous, couchés ». Je m’aplatis par terre ; j’ai devant moi des blessés qui m’ont suivi, profitant du passage qu’on me faisait ; le capitaine marche carrément sur moi et sur eux. Effroyables plaintes de ces gens blessés ! Qu’importe ! Il le faut. Une bonne partie de la compagnie nous passe ainsi sur le corps. Je cache ma tête, le reste m’est égal. Un obus me couvre de terre et tue la moitié des blessés et autant d’hommes à 10 m de moi.

La brèche dessin de Georges Scott – Source : http://www.dessins1418.fr/wordpress/

Malgré moi, je me relève et crie aux autres hommes de la 5e qui montent : « Allons-y, suivez ! ». Maxime Moreau repasse devant moi et m’inonde de son sang, il a une affreuse blessure à la tête. Je lui crie « Maxime ! File en rase campagne ». Le bonhomme monte le parados et s’en va, laissant derrière lui une traînée de sang. Je vois Cattelot qui lui crie « Au revoir », et calme me demande « Qu’est-ce qu’on fout ? ». Je ne puis lui répondre, je n’ai plus de voix, et je n’en puis plus.

Que faire ? Tout le monde stationne. N’écoutant que mon courage, je monte le parados et 50 m plus loin, arrive près du capitaine Sénéchal. « Qu’y a-t-il ? La 5e est là ? ». Il ne me répond pas. Le capitaine de Lannurien, aplati dans la tranchée, cause avec le capitaine Aubrun, le capitaine Crouzette et le sous-lieutenant Blachon.

Gallois me montre sur le parapet le corps du colonel. De Lannurien s’en va. Il peut être 5 heures, si tant est qu’on ait l’heure. Sénéchal m’attrape soudain et me dit « Lobbedey, prenez quatre hommes ; trouvez des munitions et apportez-les ici ».

C’est un ordre formel. Je prends quatre hommes de la 7e compagnie qui me tombent sous la main. Je reprends mon chemin de tout à l’heure. La 5e compagnie stationne dans la tranchée, baïonnette au canon : les hommes sont couchés ; je leur passe dessus vivement ; je tombe à l’endroit où tomba l’obus à 10 m de moi. Spectacle effrayant : le parapet démoli, un trou énorme, des bras et des jambes épars, des troncs, des cadavres ; ils sont au moins douze. Je traverse rapidement toujours sous les obus de tous calibres. Je suis la tranchée de deuxième ligne où je vois du 8e de ligne.

Enfin, après de multiples informations, après une heure de parcours dans lequel sur mes quatre hommes, deux sont blessés, je tombe sur un gourbi de munitions près du boyau vers Mesnil-les-Hurlus.

J’exige trois sacs de bombes et trois sacs de cartouches. Le soir tombe. Quel travail ! Quelles émotions ! Quel coin ! Quelles pertes ! Heureusement que mes nerfs sont surexcités, sinon je tomberais.

Après une pause, je remonte vers le capitaine Sénéchal, chargé comme un mulet, il est 6 heures je crois.

J’use ma voix à demander du passage aux hommes du 8e. Un officier, je crois, m’attrape et me défend de passer. Je veux passer à tout prix et lui passe sur le corps. Il m’attrape le bras, fait jouer sa lampe électrique et tombe dans mes bras. C’est Arnould Vaast, d’Arques près Saint-Omer, un grand ami. Que de choses nous nous disons en cinq minutes. Mais je dois repartir et, exténué, je tombe dans la 5e compagnie.

L’obscurité règne. Tout le monde veille, baïonnette au canon. Le bombardement a un peu cessé si bien qu’on entend des milliers de plaintes de blessés tombés entre les lignes. La tranchée d’ailleurs est remplie de gens étendus que les camarades soignent du mieux qu’ils peuvent. Impossible de sauver tout ce monde ; les brancardiers ne suffiront jamais ; heureux celui qui sera ramassé. Les autres, la plupart, sont destinés à mourir là.

Je vois le capitaine Aubrun. Je lui remets mes munitions. Je lui demande [où est] le capitaine Sénéchal. Il répond qu’il est parti au poste du commandant Vasson pour conférer. Je lui demande des renseignements : il me répond qu’il ne sait rien et que d’ailleurs ce n’est pas le moment.

J’ai faim, j’ai horriblement soif. Je décide de rentrer au PC que nous occupions ce matin. Le tout est de le trouver.
Après bien du mal, j’y arrive et trouve quelques amis de la liaison. Où se trouve le capitaine Sénéchal ? Ils l’ont perdu. Je crois plutôt qu’ils l’ont perdu avec intention. Enfin je retrouve mes affaires dans mon trou : c’est une grande chose. Je commence à me moquer du bombardement. J’aurais dû être tué cent fois. À présent, zut ! Je mange un vieux morceau de pain et du chocolat et j’avale le reste de mon bidon de café. À présent, à Dieu va ! Je compte sur Gauthier. Soudain j’entends la voix du capitaine Sénéchal. Bonheur ! Il nous rassemble et nous dit que nous repartons là-haut. Il est 9 heures.

24 février

Départ de Dampierre

À 4 heures, nous sommes réveillés par des appels. C’est Brillant qui nous crie alerte, départ à 6 heures. Nous lisons la note qu’il nous apporte à la lueur d’une bougie. Aussitôt Lannoy monte chez le capitaine, tandis que Jamesse et moi, nous occupons à placer la comptabilité dans le coffre de la voiture.

Lannoy descend avec les ordres pour la compagnie : rassemblement à 5 heures 40 devant le cantonnement de la compagnie. Rogery part communiquer les ordres aux quatre chefs de section.

Nous bouclons notre fourniment. Et quand le capitaine descend, nous lui rendons compte que nous sommes prêts.

À 6 heures, nous partons par un temps brumeux qui nous fait présager un beau soleil pour 10 heures.

Je m’attache à la liaison du bataillon qui passe. C’est un vrai état-major. Il y a là Gallois, adjudant de bataillon, Legueil, Sauvage, Jombart et moi, sergents fourriers des 6, 7, 8 et 5e compagnies, Verleene et Paradis, caporaux fourriers des 6e et 8e compagnies, René, agent mitrailleur, Gauthier, clairon cuisinier, Jacques, maréchal des logis de liaison, Brillant, Frappé, Garnier, agents de liaison des 5, 7, 8e et celui de la 6e. Cela fait en tout quatorze hommes. Les 6e et 8e ont même ici en excédent leurs caporaux fourriers. Si avec cela les ordres ne sont pas bien communiqués, je n’y comprends rien.

Nous partons dans la direction de la route Châlons-sur-Marne à Sainte-Menehould. Après une pause, nous y tombons et rencontrons les deux autres bataillons qui nous attendent. Nous nous encastrons entre le 1er et le 3e et continuons, parmi le mouvement des autobus, des automobiles et des convois. La route est large, spacieuse et peu boueuse ; mais il y règne une circulation intense.

Nous ne tardons pas à quitter cette route et prenons la route de Valmy à droite. Nous avons à notre gauche le champ de bataille de Valmy et apercevons au loin le monument de Dumouriez qui surplombe la plaine.

 

Il peut être 9 heures quand nous passons la voie ferrée filant sur Somme-Bionne. Une bonne pause nous permet de juger du trafic qui se fait en gare de Valmy ; c’est quelque chose de fantastique.

Je vois passer sur la route un convoi automobile tandis que nous stationnons dans un champ à droite. J’aperçois la voiture camion automobile de la « Droguerie rouge, Dunkerque », ce m’est une étrange sensation et il me semble que c’est un coin du pays que je viens de voir.

Un coup de sifflet, nous repartons. Je commence à sentir un peu de fatigue : la route est longue. Le temps est beau, le soleil nous sourit.

On commence à sentir qu’on approche du front. Nous approchons de Somme-Bionne et voyons quelques cagnas* d’artilleurs, des cuisines en plein air. Nous voyons des « saucisses », ballons observatoires, tout à côté de la route et nous regardons curieusement. Tout cela nous dit que ça sent la tranchée. D’ailleurs nous entendons distinctement le canon qui tonne.

Nous passons dans Somme-Bionne. Le village, sans être démoli, semble dévasté par le passage des troupes. Beaucoup d’habitations sont dans un état lamentable : beaucoup sont abandonnées. Beaucoup de portes, de carreaux manquent. À l’intérieur, on voit des hommes qui font la cuisine, d’autres qui sont couchés sur la paille. Dans la rue, c’est un va-et-vient de convois de ravitaillement.

Les routes sont boueuses. Des troupes sont cantonnées ici et nous regardent défiler. Vers le milieu du village, nous apercevons, rassemblés dans la cour d’entrée d’une maison, une centaine de prisonniers boches, tout couverts de boue et minables dans leur aspect.

À la sortie du village, je suis pris par le bras. Je me retourne et me trouve face à face avec un soldat de mon pays, Ravel, que je connais bien : il habite à 400 m de ma demeure. Nous causons comme on se cause, en guerre, après deux ans de séparation et en marche quand on se rencontre. Je suis tout heureux de voir pour la première fois depuis les hostilités une tête connue avant la guerre. Nous causons beaucoup du pays, on cesse une conversation à peine ébauchée pour en prendre une autre. Il me quitte après un parcours de 500 m, me disant qu’il est boucher au ravitaillement du régiment, le 8e d’infanterie.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

À 600 m de Somme-Bionne, nous faisons une grand’halte, dans une prairie située à droite de la route. Il est midi.

Aussitôt les feux s’allument et les escouades font cuire leur frite [ ?], arrosée d’un bon quart de « jus ».

Pendant la pause, des aéroplanes nous survolent.

De nombreux convois passent, artillerie et infanterie. La route se sèche par ce beau soleil et déjà il y a de la poussière. En un mot, c’est l’activité fébrile de la proximité des lignes, l’arrière tout proche à 10 ou 12 km du front.

Une heure après, devançant le régiment d’une demi-heure, nous partions, Gallois, les trois fourriers et moi. À 400 m, nous nous unissons au campement des deux autres bataillons et bon [ ?] pas sous les ordres de trois officiers, un par bataillon, nous arrivons dans un pays de ruines où tout est rasé, à part quelque maisons restaurées avec des moyens de fortune et l’église à peu près intacte. C’est Somme-Tourbe. Nous avons la voie ferrée à notre gauche et un train passe direction [de] Paris : il nous fait gros cœur.

La vue du village, qui me rappelle mes souvenirs de la Marne, me fait pitié. Nous marchons toujours sans arrêt, afin de distancer la colonne du régiment. Nous tournons à droite, prenant la route de Saint-Jean-sur-Tourbe. Je suis fatigué par cette marche rapide. De plus, le soleil exagère car il nous envoie des rayons trop chauds. Après un parcours de 1500 m, nous prenons à travers champs, nous dirigeant vers des baraquements en planches situés à 200 m à gauche de la route.

Les officiers partent à cheval à travers les terres, nous disant de les attendre ici.

Heureux sommes-nous de pouvoir enlever nos sacs !

Nous avons tout loisir d’examiner les installations. Elles sont des plus rudimentaires. Si c’est là notre logement, ce n’est pas fameux. Les planches sont disjointes ; donc s’il fait mauvais temps, il pleut à l’intérieur ; quant au froid, aux courants d’air, la nuit surtout, inutile d’insister. L’intérieur n’est autre que l’extérieur avec des piquets soutenant le toit. Le baraquement se continue sans cloison sur 300 m. De quoi loger deux compagnies, à moins qu’on se serre. Je crois que nous serons malheureux là-dedans. Comme sol, la terre.

MOREAU Achille

Je sors. Mon examen m’a suffisamment renseigné. Non loin de là se trouve un amas de claies près duquel je vois un homme portant l’écusson du 8e d’infanterie. Aussitôt, je lui demande si le 1er corps est de ces côtés. Il ne sait ; du moins le 110e et le 8e sont de quelques jours en tranchées. Il est à l’arrière au train de combat, dans un bois qu’il me montre là-haut. Je lui cite des noms, lui demande des nouvelles d’amis du pays, il ne m’apprend rien de particulier sinon ce que je sais déjà de Ravel : capitaine Brouet tué, le lieutenant Blasin passé capitaine tué, sergent Kind, sergent Crandalle, adjudant Vandenbosshe tués, etc…

Nos officiers reviennent au galop. Je file au rassemblement, heureux d’avoir vu l’écusson du 8e. Nous partons 200 m plus loin. Là, j’hérite d’un baraquement semblable à ceux que je viens de quitter. Il y en a plusieurs : un pour deux compagnies. Nous commençons aussitôt le cantonnement des plus faciles. Je réserve une partie aux officiers. Une partie est dévolue à la liaison du bataillon. Puis on partage en deux. Je réserve un coin près de la liaison du bataillon pour le bureau de la 5e compagnie. Il n’y a plus qu’à attendre l’arrivée des troupes.

Le baraquement me fait tout l’air d’un dortoir. Il a 300 m de long sur 3,50 de large. Je vois d’ici la tête des troupes et des officiers. Tous les 25 m, il y a une ouverture. Avec les planches disjointes, je l’entends déjà baptisé : Hôtel des courants d’air.

Il peut être 3 heures. Le colonel Blondin, à cheval, commandant la brigade, avec le capitaine Garde, de son état-major, vient visiter les lieux. J’ignore ce qu’il pense du logement des troupes.

Enfin, voici le bataillon. Quand on aperçoit le logis, chacun fait grise mine et j’entends le sous-lieutenant Vals proférer « Où est mon gourrrrrbi de la Gruerie ? ».

Une heure après, le troupier était déjà occupé à arranger le tout de son mieux avec ses moyens de fortune : claies pour le sol, toile de tente pour le toit, couverture pour boucher les entrées, etc…, tandis que les cuisiniers, selon les ordres, à 100 m commençaient leurs feux et que des corvées creusaient des feuillées [1] à 250 m.

Je m’installe non loin des officiers avec la liaison du bataillon et le bureau de la compagnie que je vais quitter car nous ne tarderons pas à rejoindre les tranchées. Les cuisiniers des officiers sont occupés à installer une table avec des moyens de fortune et à aménager tant bien que mal, plutôt mal que bien, le coin de nos chefs.

Nous décidons de cesser pour l’instant toute popote entre Culine et la bande, le souvenir des bons moments passés restera chez nous d’une façon impérissable, en attendant des moments meilleurs où nous pourrons recommencer.

Un cuisinier de la compagnie, Lavoine, se charge de la nourriture de Culine et Lannoy. Levers et Delacensellerie rentrent dans leur escouade. Je me remets donc avec la liaison du bataillon et mange la bonne cuisine de Gauthier.

Le soir tombe. Roulés dans nos couvertures, nous nous remettons aux bras de Morphée, lui demandant de chauffer les courants d’air et de chasser les nuages.


[1] feuillées : Latrines de campagne, généralement creusées dans la terre un peu à l’écart des tranchées principales. Les soldats s’y rendent pour « poser culotte », selon l’expression employée alors.

 

23 février

Dans la matinée, d’assez bonne heure, nous recevons la visite de Brillant qui nous communique une note donnant tout le détail de ce qu’une voiture de compagnie doit avoir ou non. On n’y prend pas grand garde. Il y a toujours de l’excédent, ce fut et ce sera toujours.

Cependant le capitaine Aubrun ayant vu Sénéchal nous donne ordre de jeter tout l’excédent et de le faire porter à l’officier de détail. Nous passons donc notre matinée à cela. De cette façon nous avons le réglementaire. Les réserves et ressources, telles que effets, brodequins, sont envoyées au lieutenant Lebeau. Lannoy un peu sec déclare au capitaine que lorsqu’un homme n’aura plus de chaussures et le lui dira, il l’enverra au commandant de la compagnie. C’est un peu vrai ! Chinoiseries de service.

Nous nous disputons à table avec nos amis à qui nous remettons certains ballots individuels qu’ils avaient fourrés dans la voiture et que nous ne pouvons plus tolérer. Culine seul a droit à la voiture pour sa cantine. Lannoy et moi nous débrouillons pour mettre toutes nos frusques dans le coffre avec la comptabilité afin que rien ne paraisse.

Dans l’après-midi, le capitaine vient nous voir tandis que la compagnie est repartie à l’exercice. Il nous dit de nous tenir toujours prêts à partir et de nous coucher, le tout emballé et nos papiers prêts à être mis en voiture. Cela sent le départ. Je vais acheter une boîte de homard afin de faire collation. Puis je rentre et nous nous lestons l’estomac.

Bientôt c’est la rentrée de la compagnie. Lannoy avant la dislocation lit une note disant que tout le monde doit se tenir prêt à partir.

La soirée se passe gaiement mais nous nous couchons tôt nous doutant bien que demain matin nous partons.

21 février

Départ de Braux

Je me lève à 8 heures, tandis que Lannoy revient ayant déjà été boire le café et déclarant qu’il n’y a plus d’alcool, de vin etc. tout a été bu hier. Il est furieux. Que voulez-vous ? Il fallait être là. Je suis occupé tranquillement à nous débarbouiller quand une note laconique arrive apportée par Brillant. Départ du campement à 9 heures. Le bataillon suivra une heure après etc.…

Une pointe de feu ne m’aurait pas fait sursauter davantage. Je n’ai donc que le temps : quand j’ai bouclé les malles et mis sac au dos, il est près de 9 heures. Je file donc vers la liaison du bataillon, boire rapidement un café à notre popote et emmène un cuisinier sur deux, Levers que Jamesse a averti en hâte.

Le campement cette fois conduit par Gallois s’en va sous les ordres du capitaine Crouzette de la 7e compagnie. Le temps est pluvieux et les routes détrempées.

Gallois me dit que nous allons cantonner à Dampierre. Nous tournons à droite à 1 km du départ, marchant bon pas, car le bataillon nous suit de près. Nous faisons une bonne pause. Nous repartons, tournons cette fois à gauche et 3 km plus loin traversons un village Voilemont. Une petite pluie fine tombe. Nous voici à moitié route. Nous filons sur Dampierre. Nous arrivons à l’entrée du village qui semble assez important. Nous faisons la pause tandis que le capitaine Crouzette se rend aux informations pour le cantonnement. Il est midi.

La pluie tombe tandis que le capitaine revient et que nous commençons. Pendant que nous sommes occupés à circuler à droite et à gauche, passe à cheval le lieutenant-colonel Desplats suivi de son état-major. Il me crie « bonjour » en passant. Pourquoi à moi plutôt qu’à d’autres ? Je l’ignore.

Fausse manœuvre. Alors que le cantonnement*, du moins le mien était presqu’organisé, un officier d’état-major vient trouver Crouzette. Celui-ci alors nous rassemble et place le bataillon par moitié : 6 et 7e avec le chef de bataillon de ce côté-ci du pays, 5 et 8e à l’autre extrémité.

Je fulmine en moi-même, mais je suis le capitaine qui court ni plus ni moins. Nous traversons le pays. J’ai le temps d’apercevoir une petite place avec l’église ; sur cette place beaucoup d’autos ; c’est le quartier général du 2e corps. Nous passons sur un pont et nous arrêtons à 400 m de là.

t8-DAMPIERRE-PlansDessinésELOBBEDEY_0015Je reçois mon cantonnement. Il est fait au bout d’une demi-heure. Le capitaine Aubrun les officiers et leur popote sont logés dans une maison de belle apparence habitée par une dame et son fils, la dame du juge de paix mobilisé.

On appelle cette maison le château ; un grand parc se trouve derrière. La propriétaire très aimable et de grande éducation me donne une pièce vide de tout meuble pour y installer le bureau. Je la remercie mille fois.

À côté du château se trouve une vaste grange : la compagnie y est aussitôt logée.

Non loin se trouve une maison où logent des braves gens évacués de Pouru-Saint-Rémy près Sedan (Ardennes). Levers s’y installe et fait déjà du café afin d’en offrir aux braves personnes qui nous donnent asile pour faire popote.

Quand tout est fait, vers 1h30, la compagnie s’amène. Le capitaine après avoir vu se déclare satisfait. À 2 heures tout était installé et nous entendions les chants des poilus contents. Mes camarades sont déjà occupés à boire le café de Levers tandis qu’ils disent quelques bonnes paroles aux habitants. Lannoy Jamesse et Rogery prennent possession du bureau. Aucun meuble ne s’y trouve ; seule une table et deux chaises ; c’est une vraie salle à manger que cette belle pièce qui nous rappelle un peu mon « chez moi ».

Le reste de l’après-midi se passe à compléter l’installation. Je m’occupe de faire les pièces, tandis que Lannoy va chercher la voiture de compagnie afin de l’installer dans notre cantonnement, Jamesse fait des étiquettes à placer « bureau, 5e compagnie, logement du capitaine, etc.… »

Vers 6 heures nous allons à la popote. Nous y trouvons la bande. Nous nous mettons à table à 6h30. Une bonne gaieté règne toute la soirée. Nous parlons des Ardennes avec nos hôtes et nos hôtesses et cela nous fait du bien de nous remémorer un peu Sedan.

À 9 heures nous partons nous coucher. Au-dessus de la popote se trouve un beau grenier rempli de paille où la bande Culine, Diat, Gibert, Cattelot, Maxime va se blottir. Nous nous chargeons de la faire avertir en cas d’alerte. Quant à Lannoy, Jamesse et moi nous rentrons rejoindre Rogery. Nous nous étendons sur le plancher. C’est un peu dur mais côte à côte on dort bien quand même.