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[1] Gourbi : Dans l’argot des combattants, désigne un abri. Le terme s’applique peu en première ligne, il est utilisé surtout à partir de la seconde ligne jusqu’au cantonnement. (Renvois : Abri, Cagna, Guitoune)

2 mars

Capitaine Delahaye commandant du 2e bataillon
Lieutenant Collandre commandant de la 5
e compagnie

C’est en somme une nuit blanche. À 4 heures, une fusillade éclate. Nous commencions à nous assoupir. Il faut être debout. Puis c’est le marmitage qui commence, systématique.

Malgré le bombardement, j’ai le loisir de circuler un peu et je puis constater dans quel état sont les secondes lignes. C’est effroyable. Qu’il suffise de dire que les tranchées sont jonchées littéralement de cadavres de blessés morts là en se traînant vers l’arrière. Les parapets* et parados* sont faits de cinq ou six cadavres superposés et recouverts de terre.  14-18-Premieres-lignes-dans-la-region-des-Eparges.-1915Or parfois, un obus est tombé tout à côté défonçant tout, émiettant la terre quand il n’a pas réduit les corps en bouillie ; alors c’est un entonnoir dont les bords découvrent des membres, des troncs, des morceaux de viande humaine. Cette vue n’est pas supportable, malgré tout le caractère et la force d’âme qu’on puisse avoir. Je quitte ce coin peu hospitalier où les marmites* tombent dru et rejoins Pêcheur. Gallois est avec lui ainsi que l’adjudant de bataillon du 33e.

Vers 9 heures, je suis appelé : on me dit que c’est un lieutenant désigné pour commander la 5e compagnie qui me demande. Je file et vois un officier, la tête bandée. Celui-ci dit s’appeler « lieutenant Collandre », me serre la main et demande de me conduire à la compagnie. Nous filons donc au boyau* Mesnil-les-Hurlus. Après 100 m de parcours, nous trouvons un grand emplacement creusé dans la paroi du boyau, servant de dépôt de matériaux. On s’y installe. J’explique à mon nouveau chef l’odyssée de la compagnie et lui rend compte de mes ordres donnés la veille.

Charmant, le lieutenant me félicite, me dit qu’il me fera nommer adjudant, qu’il me prend à sa table. Nous fumons en attendant le sergent Radelet qui doit amener tout le contingent. Il peut être 11 heures quand Chopin apparaît avec ses marmites. La compagnie suit et Radelet arrive. Il amène tout le monde au complet. Il y a trente-cinq hommes.

Aussitôt nous décidons de former une section dont Radelet prendra le commandement. Les quatre escouades seront commandées par les trois caporaux élèves sous-officiers et un soldat de première classe Lasire, l’ordonnance du sous-lieutenant d’Ornant. Quant à la question cuisine, nous renvoyons avec Chopin un cuisinier par escouade à Mesnil-les-Hurlus.

Ainsi, après avoir fait la répartition, nous avons en tout trente-cinq hommes, trois caporaux, un sergent, un sergent fourrier, un officier ; et au combat trente hommes, trois caporaux, vingt-et-un sous-officiers, un officier. C’est maigre, après avoir eu deux cent cinquante hommes, trois officiers, quatorze sous-officiers.

Chopin s’en va. Je le charge de dire des sottises à Jamesse et Delbarre, caporal fourrier est caporal d’ordinaire. Je demande que demain Jamesse remonte sur l’ordre du commandant de compagnie. Il n’est pas permis, après que sa compagnie n’a plus que des débris, de ne pas oser venir en tranchées voir les survivants, à plus forte raison sur un ordre. Ces messieurs se chauffent dans un gourbi* à Mesnil-les-Hurlus, mangent chaud ; je vais leur apprendre de quel bois je me chauffe. Pour quatre cuisiniers, un grade suffit amplement. Le caporal fourrier de ce fait remontera ici pour me remplacer.

Nous mangeons, Radelet et moi, avec le lieutenant Collandre qui est charmant. Officier de réserve à la 10e compagnie, il eut le crâne éraflé par une balle. Il a demandé à garder son commandement et vient de nous être envoyé pour reconstituer la 5e compagnie. Il m’apprend que le sous-lieutenant Gout a la 6e, le sous-lieutenant Carrière la 7e et le lieutenant Guichard la 8e.

Dans l’après-midi, je rentre au poste du commandant Vasson et avertis le capitaine Claire que la 5e est reconstituée. Le commandant m’annonce qu’il me cite à l’ordre du jour et me lit ma citation :

Lobbedey Émile, sergent fourrier à la 5e compagnie du 147e, agent de liaison du chef de bataillon, a fait preuve d’un courage remarquable depuis le début de la campagne et particulièrement dans la période de 28 février au 4 mars où il a porté, à de nombreuses reprises, des ordres sur un terrain des plus dangereux.

« Ainsi donc », me dit le commandant, « je vous prends toujours comme agent de liaison*, car nous ne sommes que le 2 mars. Soyez sans crainte, je ne vous exposerai pas inutilement ».

Je rentre dans l’abri de Pêcheur, tout heureux de l’estime de mes chefs. Je vais peu après communiquer un ordre au capitaine Werner du 3e bataillon, qui en a le commandement, plus la 3e compagnie. Je reprends le chemin de la veille de trous d’obus en trou d’obus car la tranchée est déchiquetée par le marmitage incessant. Je rencontre toujours le triste spectacle des cadavres qui gisent. Je longe ensuite la première ligne qu’occupe la 3e compagnie et j’atteins enfin le capitaine Werner qui se trouve à l’emplacement où fut blessé le capitaine Sénéchal. Il est là, revolver au poing, sous le bombardement, encourageant ses hommes par sa présence. Je lui demande quel commandement il exerce et quelle est la situation. Il me dit qu’il a le premier bataillon à sa gauche, commandé par le capitaine de la 1ère compagnie ; il commande le 3e bataillon et prend du point M au point N ; à sa droite, il a la 3e compagnie qui prend de N en O et lui rend compte.

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Plan dessiné par Émile Lobbedey – Tome VIII

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Extrait Front de Champagne, 25 septembre 1915 – Source : Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE F CARTE-9675

Je prends tous ses renseignements, accroupis tous deux au fond de la tranchée, tandis que les obus de canons revolvers, à chaque passage «ziiii i Boum », rasent le parapet et nous couvrent de terre. Je repars, au petit bonheur la chance, heureux d’arriver indemne au PC Vasson et de pouvoir rendre compte de ma mission.

J’éprouve grand amusement de voir la tête des poilus qui me demandent tous si je suis blessé en voyant ma capote déchirée à l’épaule.

De là, je file trouver le lieutenant Collandre, heureux de pouvoir lui annoncer la proposition de citation et l’avertissant que je suis à la disposition du commandant Vasson.

Je rejoins Pêcheur. Celui-ci m’annonce que le capitaine prend le commandement du 2e bataillon. Je suis horriblement fatigué. Pêcheur demande donc pour moi au capitaine Claire une nuit de repos, aussitôt accordée. Je file donc au PC du 2e bataillon où nous nous sommes placés en arrivant ici. Je trouve Gallois et toute la bande occupés à manger. J’installe mon fourniment dans une petite grotte et roulé dans mes couvertures, je m’endors sans manger. Je n’en puis plus.

27 février

Relève des tranchées de Mesnil-les-Hurlus

Au petit jour, je dois me lever, car il ne fait pas chaud et on se réveille littéralement gelé. C’est général d’ailleurs et tout le monde se lève. On boit le café peu après, on se secoue, on regarde l’animation qui règne sur la route : elle est grande.

Vers 10 heures, je vais dire bonjour à mes amis Soubin* et « Pitche ». On a chuchoté qu’on pourrait bien partir aujourd’hui. Je vais donc leur faire mes adieux. J’arrive par la route déjà bien connue à la cagna où je trouve mon compatriote qui aussitôt me régale d’un bon quart de bouillon qui certes, me fait grand bien. Je vois Soubyn*, Bonduot, Looten et à tous, je dis que je crois bientôt partir. Leurs souhaits de bonne chance m’accompagnent : je les sens sincères. « Pitche » m’a parlé encore des fils Sapelier qu’il va voir bientôt : le 8e doit être relevé et cantonne dans les bois à 2 km d’ici. Il me fait l’éloge de Louis Sapelier, estimé de ses chefs pour sa bravoure et qu’il dit passer sous-lieutenant bientôt. Je n’ose m’absenter longtemps et aller au 8e. Aussi je le charge de mes vives amitiés par mes deux compatriotes.

Je rentre, il est 11 heures. Une longue note est arrivée, fixant notre départ par bataillon. Le 2e bataillon quitte ici à 2 heures pour les abris Guérin au nord de Wargemoulin.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Après la soupe, on se prépare fébrilement au départ. À 1 heure 30, nous sommes rassemblés. À 2 heures, nous partons en colonne, direction de Saint-Jean-sur-Tourbe. Nous traversons bientôt le village par un beau soleil, ayant en tête le capitaine Sénéchal à cheval. Devant nous se trouve le premier bataillon avec le commandant Dazy à sa tête. Nous faisons la pause non loin de notre village, bien démoli, mais non rasé comme Saint-Jean et Somme-Tourbe ; c’est Laval.

Reprenant notre marche, aux premières maisons du village, nous voyons le général Guillaumat, notre commandant de division, qui dit au revoir au lieutenant-colonel Desplats à cheval.

Le canon tonne de plus en plus. Nous marchons toujours, mais le silence se fait peu à peu comme toujours quand on approche du danger.

Nous arrivons bientôt à un autre village, détruit dans le genre de Laval : Wargemoulin. Des troupes nous regardent passer. Nous tournons à gauche, en file par un, suivant un layon. Nous longeons une crête, descendons de petits ravins, nous arrêtant, pressant ensuite le pas ; marche pénible. Nous rencontrons de petites cagnas* où se trouvent des artilleurs qui font popote.

Il peut être 4 heures, à 600 m à notre gauche, des batteries de canons de tous calibres tirent sans discontinuer, abritées dans des boqueteaux fictifs. Nous voyons les départs, la flamme de la gueule des canons, puis le coup suit, nous assourdissant. Cela fait une drôle d’impression et malgré soi, on se demande si l’obus ne va pas nous broyer à son passage. Enfin, après une marche d’une heure, nous arrivons dans un grand boqueteau où nous nous arrêtons dans la formation de ligne de colonne de compagnie. De grands trous y sont creusés. On s’y tasse, avec ordre de garder le plus grand silence. Nous ne sommes donc pas loin des lignes. Il est 5 heures 30.

Nos officiers sortent du bois. Le capitaine Sénéchal nous fait demander l’adjudant de bataillon et les quatre fourriers. Nous voyons dans la plaine le lieutenant-colonel à cheval, suivi du capitaine de Lannurien. Il fonce sur notre groupe et nous indique un boqueteau situé devant nous à 200 m. Ce sera l’emplacement de notre bataillon.

Toute la zone que nous traversons est labourée de trous d’obus. Cela certes ne nous inspire pas confiance et malgré nous, nous pressons le pas. Le canon tonne toujours et quelques sifflements caractéristiques puis des éclatements nous annoncent l’arrivée de shrapnells qui éclatent en l’air à 400 m devant nous, dans la direction des batteries. Dans le bois qui nous est dévolu, nous trouvons de grands abris recouverts de terre, mais dont l’intérieur est d’une malpropreté repoussante. Heureux sommes-nous cependant de les trouver, car nous croyions ne rien trouver du tout. Le cantonnement est vite fait.

Les compagnies s’amènent alors et prennent chacune un grand abri. Les officiers logent au milieu de leurs troupes.

On donne comme consigne d’observer le silence, de procéder au nettoyage des abris où de la vieille paille pouilleuse voisine avec du vieux linge et des détritus de viande, et de ne pas faire voir, à la nuit, de lumières à l’extérieur.

Ce sont donc les fameux abris Guérin. Les hommes, très disciplinés, observent les consignes et sortent peu car des shrapnels font toujours entendre leur sifflement.

Le capitaine Sénéchal s’est niché dans un petit abri médiocre et très sale que son ordonnance nettoie. Quant à nous, sa liaison, comme une nichée de lapins, nous nous sommes installés dans deux petits abris voisins, plus sales encore si c’est possible.

Le soir tombe. Nous ne pouvons faire de feu. Après avoir nettoyé un peu l’intérieur de la villa, on casse la croûte toujours au son des pruneaux boches et on s’étend les uns sur les autres. Que faire de mieux que d’attendre et tâcher d’oublier nos misères dans le sommeil ?

Vers 7 heures, nous communiquons une note ordonnant le retour des chevaux à Somme-Tourbe, près des voitures qui sont cantonnées là-bas avec l’officier payeur Simon, et l’envoi des cuisiniers sur la route Wargemoulin Laval. Ceux-ci toucheront les vivres et les prépareront sous les ordres des caporaux fourriers et caporaux d’ordinaire. Gauthier nous quitte donc avec Jombart.

J’ai trouvé le capitaine Aubrun dans un coin du gourbi de la compagnie, pelotonné sur lui-même en compagnie de ses deux officiers, Alinat et d’Ornant. Je salue Culine et Lannoy qui cassent la croûte à la lueur d’une bougie.

Ne pouvant dormir, je fume et cause à voix basse avec mes camarades de chambrée. Vers 9h00, une note du colonel arrive. Nous partons dans une demi-heure pour relever aux tranchées devant Mesnil-les-Hurlus, à l’endroit dénommé le trapèze. Un agent de liaison du régiment à relever est arrivé ici à notre disposition pour nous guider.

Nous partons à travers champs, suivis du bataillon. Nous marchons très lentement et arrivons bientôt sur une crête. À 2000 m de nous, nous voyons partir quantité de fusées amies et ennemies. C’est là que nous allons.

Après une heure de marche, nous rencontrons des fractions qui s’en vont, comme de vrais fantômes blancs. Un officier cause au capitaine Sénéchal. Il est aussi boueux et hirsute que ses hommes.

Nous voici dans un village en ruine, c’est Mesnil-les-Hurlus. Il fait grand clair de lune. Nous faisons la pause, ayant le village à notre droite. Quelques toiles de tente y laissent filtrer de la lumière.

le-mesnil-en-ruineEnfin, quand on a fait passer « Le bataillon suit », nous passons un large boyau admirablement fait, vrai boulevard ; il faut le dire ; jamais je n’ai vu de boyau si profond et si spacieux ; si bien que nous respirons, nous sommes à l’abri.

Nous marchons lentement. Nous rencontrons de petites fractions.

Le boyau est large et on ne se gêne pas. Nous rencontrons également des blessés, soit seuls, soit en brancard.

Après une heure de marche, nous tournons carrément à gauche. Le capitaine Sénéchal me désigne pour rester à ce carrefour jusqu’au dernier homme du bataillon et me dit de ne plus m’occuper de la compagnie.

Je pose donc mon sac et bouche le passage en ligne droite, indiquant à chacun le chemin de gauche à suivre.

Après avoir eu chaud, ce long stationnement nous refroidit. Qu’importe, on a d’autres chats à fouetter.

Enfin, voici le dernier homme de la 4e section de la 8e compagnie. Je le suis après avoir vu passer tous les commandants de compagnie et tous les chefs de section.

Le boyau se rétrécit petit à petit. Nous faisons de longs stationnements. Parfois nous nous disputons avec un poilu étranger qui veut passer en sens inverse.

Quelle heure est-il ? Je l’ignore. Cela m’importe peu ; le plus clair, c’est que les obus sont peu nombreux et la fusillade peu vive.

Après avoir attendu longtemps, je me décide à franchir le parapet et à longer le boyau. Bien m’en prend, et j’arrive ainsi, après quelques tâtonnements et des sauts par-dessus des tranchées, près de la liaison du bataillon qui est arrêtée. Je vois le capitaine Sénéchal qui confère avec le chef de bataillon qu’il relève. Gallois me dit que nous nous installons ici.

J’attends. Le chef de bataillon relevé s’en va, suivi de ses agents de liaison*. Alors je cherche un gourbi. Il n’y a rien, rien. Il suffit de dire que le capitaine a une petite grotte sous le parapet [1] pour savoir qu’il est inutile de chercher plus loin.

Je trouve une espèce de banquette creusée un peu plus loin dans le parados [2]. Philosophe, je défais mes couvertures, m’enroule dedans et m’assieds. Bonne nuit !

Nous sommes en 2e ligne, je crois, car je ne vois pas de créneaux. Les tranchées sont ébréchées, éboulées et s’émiettent car c’est de la craie. De plus, une odeur âcre de poudre et de cadavre vous prend à la gorge. Décidément ce doit être encore un bon coin. Nous verrons demain.

Il fait froid et comment reposer ? Je suis pourtant très fatigué, autant par la marche que par les émotions d’un secteur inconnu. Enfin, il est certainement 2 heures du matin et de ce fait, la nuit ne sera pas longue.


[1] parapet : Rebord de la tranchée qui fait face à la tranchée adverse. Il constitue à la fois une protection (renforcée par des barbelés et des sacs de sable) et un obstacle à escalader lors des attaques ou des départs pour patrouilles et coups de main. Une des règles primordiales de la guerre des tranchées consiste à ne rien exposer à l’adversaire au-dessus du parapet.

[2] parados : Protection par un monticule de terre en arrière de la tranchée.

 

8 décembre – Chapitre VII

Bois de la Gruerie : secteur Fontaine aux charmes – 7e séjour

Au petit jour, vers 6 heures, alors que nous commençons à nous assoupir, un peu séchés, le capitaine Sénéchal nous appelle. Il nous indique un endroit situé à 100 m de là et nous dit de venir le rejoindre là. Notre emplacement est réservé aux 5e et 6e compagnies qui placeront une section en réserve.

Nous nous armons donc de nos sacs et nos fusils que nous trouvons après quelques recherches et allons à l’endroit désigné où nous ne trouvons rien, aucun trou, aucun abri.

Jamais, à part notre arrivée dans le bois lors de la poursuite, cela ne nous était arrivé.

Quant au capitaine Sénéchal, il délibère avec le capitaine Claire et bientôt leurs ordonnances*, aidés de quelques hommes, démolissent la toiture d’un abri existant et se mettent à l’œuvre pour l’agrandir et le consolider.

Quant à nous, gens de décision, nous nous partageons le travail, assez nombreux pour faire quelque chose de potable. Des pelles et des pioches se trouvent dans un petit abri à munitions, de quoi loger un homme. Cailliez, Crespel, Gauthier se mettent à défricher et piocher avec ardeur, cela les réchauffera. René et quelques autres coupent des gros rondins aux arbres avoisinants. Quant à moi, aidé de Carpentier, j’ai pour mission de couper quantité de fougères afin d’en faire une litière au fond du gourbi* et d’en faire un toit au-dessus des rondins, afin de pouvoir recouvrir le tout de terre sans danger que celle-ci passe à travers les rondins pour retomber dans l’abri.

Ainsi dit, ainsi fait. Il ne pleut plus, grande chance. Tout le monde travaille d’arrache-pied, cela nous fait oublier les douches de la veille.

Nos agents de liaison* nous imitent et se construisent également un petit gourbi à côté du nôtre.

Au début, nous ne sommes pas trop rassurés car nous craignons un peu les marmites*. Bientôt, n’entendant aucune balle siffler et aucune explosion aux alentours, nous sommes quasi rassurés : secteur calme.

À midi, nous cassons la croûte, admirant notre travail. Nous sommes d’avis de faire quelque chose de très solide, de spacieux et de confortable. Le trou est presque terminé : il peut avoir 10 m sur 3 et 1 m 20 de profondeur. Une trentaine de gros rondins sont à pied d’œuvre et les fougères s’amoncellent.

Pourvu qu’il ne pleuve pas ! Nous nous remettons rapidement au travail et pouvons bientôt commencer le montage du toit. Grave affaire car il ne faut pas qu’il pleuve à l’intérieur, que la terre tombe dans le gourbi et que trop de terre fasse effondrer le tout.

f2.highresUn énorme foyer est également installé.

Quand le soir tombe, le travail de couverture est terminé. Nous laissons la porte au lendemain, une sorte de tente la remplacera pour ce soir.

On allume du feu tandis que Gauthier et René, suivis de Jombart, partent à La Harazée pour opérer notre ravitaillement.

Dans la journée, j’ai procuré à mon brave Pignol le poste de gardien des munitions. De ce fait il hérite du gourbi.

Quant à la 5e compagnie elle a ses sections installées dans les gourbis à 100 m devant nous avec des petits postes en avant.

Le capitaine a un gourbi qu’il partage avec le lieutenant Péquin qui commande la 7e qui est en liaison avec la 5e.

La 6e compagnie est dans des gourbis un peu en arrière, non loin de nous, en réserve et la 8e, ayant à sa tête le lieutenant Régnier, se trouve à droite de la 6e, en réserve également. L’ennemi est à 800 m sur la crête, en face de la nôtre.

Fne-aux-charmesNous sommes donc quasi installés. Il restera à compléter l’œuvre demain. Heureux, côte à côte, nous nous étendons voulant rattraper la nuit blanche de la veille.

 

3 décembre

Relève pour la cote 211

Allant voir le capitaine, je rentre par la route de La Harazée au Four de Paris. Sur la route, adossées contre le talus, je vois quelques Kanias[ou cagna]. Ce sont les cuistots de la compagnie qui font popote*. Je reconnais en particulier Lavoine qui m’offre un quart* de « jus ».

O désespoir ! Durant la nuit, des apaches certes que nous envoyons à tous les diables, ont enlevé le carreau, volet noir de notre chambre à coucher. Du coup, le soir à la lumière nous serons vus dans notre intérieur. Quel dommage de ne pouvoir pincer les coupables.

Nous apprenons bientôt par le capitaine Sénéchal que nous quittons ce soir. On ne sait encore si c’est pour aller au repos ou en ligne. Nous sommes tous persuadés que c’est pour aller se cogner. Courquin rentre bientôt et nous raconte ses misères dans la pluie, sous un gourbi* minable et me traite de veinard.

Quand surprise ! dans l’après-midi, des troupes de chasseurs viennent prendre nos emplacements et nous partons à la cote 211 prendre position nous-mêmes derrière la première ligne du Four de Paris.

Heureux sommes-nous ! La pluie commence à tomber, on n’y prête pas attention.

a2_avancee_dans_les_sous_bois_boueuxNous arrivons bientôt à la Placardelle, mouillés par la pluie persistante. Pas de pause, on continue directement par un chemin boueux où on enfonce jusqu’à mi-jambe.

Point de direction : la Seigneurie. Quelle route ! Je manque de m’enliser et après de multiples peines, réussis à monter le talus de la route afin de continuer à travers champs. Je suis le capitaine Sénéchal qui peste contre le mauvais, tandis que, à 100 m de nous, dans un désordre remarquable, suit la 5e compagnie, première relevée du bataillon.

Nous arrivons enfin aux portes de la Seigneurie. Ce n’est pas notre cantonnement* ; il est occupé par des batteries d’artillerie. Le capitaine Sénéchal, après avoir pesté de nouveau et s’être chamaillé un peu, se voit obligé d’abandonner l’espoir de s’abriter à la ferme.

Pendant ce temps les compagnies s’amènent par paquets et se faufilent dans le bois aux positions à occuper, que nous connaissons pour y avoir déjà séjourné.

La pluie a cessé. Nous suivons notre chef dans la brume du soir vers la lisière du bois. C’est une nouvelle chevauchée dans la boue. Nous sommes tellement malheureux qu’on ne peut s’empêcher d’en rire.

Nous arrivons à la lisière. Un petit pavillon de chasse s’y trouve. Le capitaine s’y installe, bientôt rejoint par le commandant de compagnie Aubrun, Claire, Régnier et Péquin.

Pendant ce temps, un * rempli de paille et bien fait s’offre à ma vue. Nous nous y installons à quelques-uns pendant que Gauthier, suivi de quelques autres, trouve plus loin un abri qu’il préfère aux nôtres.CP-Gourbi

On annonce que le ravitaillement se trouve cote 211. Les cuistots, commandés par les caporaux d’ordinaire, s’y rendent donc. Pour nous, heureux suis-je que ce n’est pas mon tour. Menneval s’appuie la corvée*. Il rentre à 9 heures, couvert de boue, s’étend aplati avec Gauthier, plusieurs fois au grand détriment des vivres.

Le sommeil ne tarde pas à nous gagner. Nous avons quand même la force de faire une partie de cartes avant de nous coucher.

 

20 novembre

Huvenois nous quitte aujourd’hui, remplacé par Courquin. Celui-ci ne fait pas l’affaire du capitaine Claire. Huvenois est destiné à recevoir les galons de sergent major ; le caporal fourrier Legneil reste.

Au petit jour, avec les cuisiniers, arrive le courageux de Juniac. Le capitaine Sénéchal le renvoie aussitôt.

Dans la journée, nous recevons plusieurs visites de la liaison ; on va se dire bonjour de gourbi à gourbi*. Le temps se maintient beau et le secteur est relativement calme.

Le vaguemestre* Renaudin m’apporte un mot de ma mère, lettre recommandée datée du 20 août. Cela me fait rire. Aussi je la renvoie chez moi. La lettre n’a mis que trois mois pour m’arriver. Heureusement qu’elle était recommandée.

 

15 novembre

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Topo Cote 211 – Plan dessiné par Émile Lobbedey

Cote 211

Il fait un temps détestable et pleut continuellement depuis le petit jour. Notre gourbi* laisse filtrer l’eau et nous nous ingénions à arrêter le courant au moyen de couvertures. La journée se passe comme les autres à copier, etc., communiquer, voir l’un et l’autre de la compagnie, malgré la pluie persistante.

Vers 1 heure, le temps se lève. Du 120e nous remplace. Deux bonnes choses. Nous repartons à Florent et reprenons le même cantonnement*, pestant contre cette cote 211 qui nous a empoisonnés 24 heures. Une heure trente après, nous sommes réinstallés.

Quelques maisons sont ouvertes : on y vend des conserves. Des voitures arrivent également dans l’après-midi. Tout est acheté, mais on nous vole.

Un débit de tabac fonctionne même. Le malheur, c’est qu’il est toujours vide et vend surtout des cartes postales. Il est évident que tout est acheté en peu de temps.

Vers 4 heures, nous entendons quelques détonations qui nous font l’effet d’éclatement de marmites. On ne s’en préoccupe pas outre mesure, mais vers le soir, j’apprends qu’à 200 mètres du village, à l’ouest, des obus sont tombés. On ne sera donc jamais tranquille, même au repos à 12 km du front !