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7 décembre

Relève au bois de la Gruerie

90423614img-2120-jpgNuit excellente et réveil tardif.

Le temps est à la pluie. Cela nous désole car on sent bien que la relève* au bois est proche. Dans la matinée en effet, une note arrive fixant le départ à la tombée de la nuit. On se prépare donc tranquillement, tout en copiant de temps en temps une nouvelle note qu’on communique. Menneval remplace Courquin. Il attend sa nomination de sergent fourrier.

Je passe l’après-midi à composer ma chansonnette sur un air connu et je donne la primeur du premier couplet à mes braves camarades qui applaudissent à tour de bras.

Le voici, intitulé : Le 147e en Argonne

Depuis trois mois qu’on vadrouille en Argonne
Qu’est-ce qu’on y fait ? C’est ce que je vais vous conter
Car notre colon nous permet qu’on déconne
Un petit air que l’on pourra chanter
Quand on va traverser
Toutes les petites cités :

La Harazée    pan pan pan pan
Florent et son clocher         D°
Le pont de la Neuville         D°
Et bientôt Binarville            D°
Vienne-le-Château               D°
Saint-Thomas, son plateau D°
Placardelle, le Claon           D°
Moiremont et plus tard Servon.

Nous partons subitement vers 3 heures, le départ ayant été avancé. Il pleut un peu et cela ajoute à la mélancolie d’une relève. Nous suivons en groupe l’itinéraire connu et fastidieux de Florent à La Harazée, derrière le capitaine Sénéchal à cheval, suivi de Jacques tandis que le bataillon marche dans l’ordre fixé aux compagnies.

Après différentes pauses, le passage au parc d’artillerie, à la cote 211, à la Placardelle, à la cote de La Harazée où nous passons rapidement, nous arrivons dans La Harazée vers 5h30.

Nous entrons dans le jardin qui se trouve devant le château. Quelques obus arrivent dans le village. Nous faisons la pause entre les grands marronniers pendant que le bataillon stationne sur place. Les officiers avec le capitaine commandant rentrent dans le château et en ressortent quelques instants après. Je vois sur le seuil le colonel Rémond qui leur serre la main.harazee

Nous partons, suivons une route qui nous est inconnue, boueuse, plus que boueuse à flanc de coteau. La marche est lente et très pénible. Parfois la boue étant trop dense, nous sommes obligés de monter parmi les arbres auxquels nous nous accrochons et de marcher à flanc de côté. Heureusement que la pluie a cessé et qu’un léger, très léger clair de lune nous permet de voir à peu près où nous marchons.

Enfin nous sommes anéantis bientôt par la fatigue. Il faut suivre quand même.

Plus d’une heure après, suant sang et eau, nous arrivons à un petit carrefour où nous voyons quelques lumières. Une petite rivière barre la route. Il y a un pont de bois fait de quelques modestes planches. C’est tout un art de passer là-dessus par l’obscurité. Plusieurs l’apprennent à leurs dépens et roulent dans l’eau. C’est un bain douche inédit. On s’arrête, croyant être arrivés. On attend, car le capitaine Sénéchal a disparu comme par enchantement. Gallois est affolé.

Une demi-heure après, nous sommes rappelés par une voix connue, celle de notre chef qui nous dit de le suivre. Nous retraversons le pont et nous enfonçons à droite dans une espèce de ravin où nous avons de l’eau jusqu’à mi-jambe. Marche agréable s’il en est ! Jamais je n’ai vu cela et pourtant j’ai vu quelques coins peu enviables !

Le ravin passé, nous sommes sur un boyau adossé contre une colline très haute. On fait une courte pause.

Le capitaine nous rassemble à voix basse et dit qu’on doit monter là-haut en silence sans cigarettes. Il fait nuit noire et sans cela, nous serions vus de l’ennemi. Donc si une fusée monte, s’aplatir et ne pas bouger.

On monte donc. Quelle suée ! Le capitaine, comme nous, est à bout de souffle. On s’arrête tous les 25 m. Parfois on désespère de passer, tellement l’herbe est haute, les boqueteaux nombreux, la terre détrempée. On s’accroche partout, on tombe sur les genoux, il faut parfois ramper, car la crête est presqu’à pic.

Combien de temps ces 100 m d’ascension nous demandent-ils ? Beaucoup. Enfin nous arrivons au haut. Dans quel état ? Heureusement qu’il fait noir et qu’on ne se voit pas. Nous tombons sur un petit boyau qui nous amène bientôt à quelques abris éclairés. Le bois est des plus touffus.

Il commence à tomber quelques gouttes de pluie. Le capitaine nous quitte, disant de nous caser et de lui faire savoir quand chacune de nos compagnies arrivera : il va dans l’abri du chef de bataillon que nous relevons.

Celles-ci ont pris une autre route moins fatigante.

Nous sommes donc arrivés, ce n’est pas trop tôt. Se caser est facile à dire, tous les abris sont remplis de troupes.

Je rentre dans l’un d’eux et reçois l’ordre formel de sortir d’un officier que je reconnais : le lieutenant Ducroo du régiment qui se trouve là avec sa section. C’est donc du régiment qui est là, le premier bataillon, qui va au repos et que nous remplaçons.

Très peu flatté du cordial accueil reçu, je retrouve Carpentier qui me console et qui, flegmatique sous la pluie, mange une saucisse, assis sur un arbre abattu. Je ris malgré moi et fais la même chose que lui. Je crois que tous deux, nous sommes attachés l’un à l’autre pour l’existence.

La saucisse avalée et l’estomac calmé, nous cherchons de nouveau car la pluie continue et sommes assez heureux pour trouver un grand abri occupé par quelques téléphonistes qui nous donnent une place et déclarent qu’ils vont bientôt s’en aller. J’appelle Pignol qui se morfond sous la pluie.

Il peut être minuit quand j’entends la voix du capitaine Aubrun qui, furieux, sa lampe électrique en main, furète partout. Je l’amène à tâtons au capitaine Sénéchal et les laisse se débrouiller tous deux. Je rentre car il pleut toujours et je suis ruisselant d‘eau et de boue de la tête aux pieds. Il y a de quoi attraper une fluxion de poitrine mais je n’ai guère le temps de songer à une pareille bagatelle. Je rencontre Crespel et Caillez qui, au prix de mille difficultés, amènent un paquet de boue : leur bicyclette. Ils ont suivi le bataillon.

Les téléphonistes partent bientôt, nous laissant l’abri qui, heureusement, à certains endroits, empêche l’eau de filtrer. Nous avons alors tout loisir de nous admirer, boueux d’une couche épaisse de boue de la tête aux pieds. Carpentier en a même la figure recouverte car il a fait plusieurs chutes et me fait rire par ses remarques et les grimaces qu’il nous fait.

On ne peut se coucher ; on ne se réveillerait pas. Nous prenons donc le parti à cinq, Pignol, Crespel, Caillez, Carpentier et moi, de continuer le feu laissé par nos prédécesseurs et de passer la nuit à nous sécher. Nos autres amis sont dans des gourbis avoisinants.broquet_halte

Je n’ai pas le courage de m’informer où peut se trouver la compagnie. Je la trouverai toujours demain. Quant aux sacs et aux fusils, attendons le petit jour pour les retrouver.

Le feu nous cause des misères, car le bois est mouillé et nous nous usons les poumons à tour de rôle à souffler dessus.

 

 

 

 

 

 

6 décembre

Aujourd’hui dimanche, Saint-Nicolas, nous nous promettons pour le soir une petite fête agrémentée d’une forte amélioration d’ordinaire.

Dans la matinée, un renfort arrive, composé en grande partie de jeunes soldats de la classe 1914. Le capitaine réunit dans la rue les nouveaux venus et leur adresse un petit speech auquel j’assiste. Je remarque Noël qui est caporal et un vieux brave de 50 ans, engagé volontaire, le caporal Marie que le capitaine félicite et cite à notre admiration de tous.

Je vais avec Carpentier à la grand-messe de 10 heures où l’aumônier divisionnaire qui chante la messe, fait à l’Évangile un magistral discours. 92493890Un mes amis, musicien brancardier, joue quelques morceaux de violon, accompagné à l’harmonica par le chef de musique, Monsieur Legris. Le sous-lieutenant Simon, de sa belle voix, chante également deux partitions.

À la sortie, je vois mon cousin Louis que j’accompagne à la popote où il m’offre un quart* de vin, « le pinard » réglementaire.

À midi, à table, ayant mis chacun la quote-part que j’ai versée, je mange à la popote* de mes amis sous-officiers de la compagnie. Ils ont une grande pièce, deux tables, deux bancs et un foyer. Elle leur sert de salle à manger et de salon de lecture. Je m’y amuse médiocrement et préfère de beaucoup la table de la liaison. D’ailleurs, notre popote est de beaucoup supérieure à la leur : j’ai toujours dit que Gauthier était un cuisinier hors-ligne.

Caillez est parti le matin en bicyclette à Sainte-Menehould pour le compte du capitaine Sénéchal. Il rentre l’après-midi et rapporte quelques bricoles, canifs, glaces, pipes, porte-cigarettes, blagues à tabac. Nous lui achetons tout.

Vers le soir, une note du colonel exprime le désir que des artistes qui se sentent un certain talent composent une chanson sur notre vie dans l’Argonne. Sollicité par mes camarades de l’entourage, je promets de tâcher de composer quelque chose.

Courquin nous quitte aujourd’hui. Il rend ses baguettes pour passer chef de section* et espère passer plus tard à la section des pionniers du régiment. On fêtera ses adieux en même temps que la Saint-Nicolas. Le caporal Menneval doit passer sergent fourrier tandis que Legueil reste caporal fourrier. Huvenois est nommé sergent major à la 6e compagnie.

Le soir, vers 6 heures, nous nous mettons à table, décidés à fêter dignement Saint-Nicolas. Tout se passe bien. À 10 heures, nous sommes encore à table : chacun y a été de sa ou de ses chansons et Pignol et Carpentier font merveille.

Enfin, quand tout est bu et mangé, on se décide à s’étendre pour reposer, car bientôt les tranchées* vont faire entendre leur appel.

La famille se compose actuellement de Gallois, sergent major, qui fait fonction d’adjudant et attend sa nomination, de Carpentier et moi, sergents fourriers* des 8e et 5e compagnies, Legueil et Jombart, caporaux fourriers des 6e et 8e compagnies, Cailliez et Crespel, cyclistes, Gauthier, clairon cuisinier, René, agent de liaison de mitrailleuses, des agents de liaison en second des 5e et 7e, Pignol et Frappé ( ?). Quant à Jacques, maréchal des logis de liaison près le chef de bataillon, il fait partie de notre société au repos. Lors des séjours aux tranchées, il est à la Grange aux bois avec les ordonnances et les chevaux des officiers du bataillon. C’est donc une véritable famille où malgré une note discordante, d’ailleurs peu fréquente, tout le monde s’entend parfaitement.

3 décembre

Relève pour la cote 211

Allant voir le capitaine, je rentre par la route de La Harazée au Four de Paris. Sur la route, adossées contre le talus, je vois quelques Kanias[ou cagna]. Ce sont les cuistots de la compagnie qui font popote*. Je reconnais en particulier Lavoine qui m’offre un quart* de « jus ».

O désespoir ! Durant la nuit, des apaches certes que nous envoyons à tous les diables, ont enlevé le carreau, volet noir de notre chambre à coucher. Du coup, le soir à la lumière nous serons vus dans notre intérieur. Quel dommage de ne pouvoir pincer les coupables.

Nous apprenons bientôt par le capitaine Sénéchal que nous quittons ce soir. On ne sait encore si c’est pour aller au repos ou en ligne. Nous sommes tous persuadés que c’est pour aller se cogner. Courquin rentre bientôt et nous raconte ses misères dans la pluie, sous un gourbi* minable et me traite de veinard.

Quand surprise ! dans l’après-midi, des troupes de chasseurs viennent prendre nos emplacements et nous partons à la cote 211 prendre position nous-mêmes derrière la première ligne du Four de Paris.

Heureux sommes-nous ! La pluie commence à tomber, on n’y prête pas attention.

a2_avancee_dans_les_sous_bois_boueuxNous arrivons bientôt à la Placardelle, mouillés par la pluie persistante. Pas de pause, on continue directement par un chemin boueux où on enfonce jusqu’à mi-jambe.

Point de direction : la Seigneurie. Quelle route ! Je manque de m’enliser et après de multiples peines, réussis à monter le talus de la route afin de continuer à travers champs. Je suis le capitaine Sénéchal qui peste contre le mauvais, tandis que, à 100 m de nous, dans un désordre remarquable, suit la 5e compagnie, première relevée du bataillon.

Nous arrivons enfin aux portes de la Seigneurie. Ce n’est pas notre cantonnement* ; il est occupé par des batteries d’artillerie. Le capitaine Sénéchal, après avoir pesté de nouveau et s’être chamaillé un peu, se voit obligé d’abandonner l’espoir de s’abriter à la ferme.

Pendant ce temps les compagnies s’amènent par paquets et se faufilent dans le bois aux positions à occuper, que nous connaissons pour y avoir déjà séjourné.

La pluie a cessé. Nous suivons notre chef dans la brume du soir vers la lisière du bois. C’est une nouvelle chevauchée dans la boue. Nous sommes tellement malheureux qu’on ne peut s’empêcher d’en rire.

Nous arrivons à la lisière. Un petit pavillon de chasse s’y trouve. Le capitaine s’y installe, bientôt rejoint par le commandant de compagnie Aubrun, Claire, Régnier et Péquin.

Pendant ce temps, un * rempli de paille et bien fait s’offre à ma vue. Nous nous y installons à quelques-uns pendant que Gauthier, suivi de quelques autres, trouve plus loin un abri qu’il préfère aux nôtres.CP-Gourbi

On annonce que le ravitaillement se trouve cote 211. Les cuistots, commandés par les caporaux d’ordinaire, s’y rendent donc. Pour nous, heureux suis-je que ce n’est pas mon tour. Menneval s’appuie la corvée*. Il rentre à 9 heures, couvert de boue, s’étend aplati avec Gauthier, plusieurs fois au grand détriment des vivres.

Le sommeil ne tarde pas à nous gagner. Nous avons quand même la force de faire une partie de cartes avant de nous coucher.

 

30 novembre

Aujourd’hui, Courquin nous quitte dans la matinée car sa compagnie est assez éloignée et le capitaine Claire exige sa présence près de lui, laissant le caporal fourrier* Legueil près du capitaine Sénéchal, avec nous.

Carpentier et moi qui faisons une bonne paire d’amis, visitons le château et ses dépendances. Nous voyons des écuries en quantité, des serres, des pavillons et faisons un tour dans le parc qui s’étend bien loin. Mais tout est déjà dévasté, aussi bien le parc qui est couvert de tranchées que les bâtiments qui sont abîmés par le passage des troupes. Serres, pavillons, écuries, tout est rempli de troupes.sablon-28-011

L’extérieur du château lui-même fait pitié. Je crois cependant que l’intérieur est respecté, vu qu’il est toujours occupé par l’autorité supérieure.

Un cimetière militaire est tout à côté d’ici. Nous y allons et prions sur la tombe du lieutenant Lambert que nous trouvons parmi beaucoup d’autres. Nous assistons même à l’enterrement d’un soldat roulé dans sa toile de tente : un aumônier préside à la simple et funèbre cérémonie.

enterrement3Le temps est brumeux. Dans l’après-midi, nous recevons la visite de Renaudin, le vaguemestre*, qui nous apporte des foules de lettres. Puis, c’est le défilé des cuisiniers qui viennent des compagnies et se rendent à la Harazée pour les distributions des vivres.

Quand les voitures de ravitaillement arrivent, nous nous précipitons pour être servis, allant tous, afin de nous entraider.Lieu:Saint Crepin aux Bois - Description:GUERRE 1914-15 - OFFEMO

Les journées sont longues malgré cela. Nous passons notre temps ici à écrire à nos familles et à bayer aux corneilles.

À 5 heures, il fait nuit. Nous mangeons dans notre chambre, le fameux cabinet noir, vers 5 heures 30. Pris de gaieté, nous chantons sous la direction de Carpentier qui fait le pitre, jouons aux enfants. Que voulez-vous, il faut bien se distraire ! Cela nous amène agréablement à 9 heures du soir, après que nous avons bu tout le vin et toute l’eau-de-vie. C’est une de nos plus agréables soirées.

26 novembre

Je suis en plein sommeil quand la 5e compagnie rentre de son équipée. Le capitaine vient me voir. Je me lève et l’informe que le cantonnement* est le même. Il fait un temps de chien au-dehors et le capitaine est assez bon pour me dire de me recoucher.

Au matin, nous recevons la visite intempestive du sergent major de Brésillon. On dit qu’il brigue la place d’adjudant de bataillon. Gallois et lui ont une petite algarade. Il s’en va de guerre lasse, houspillé par nous.

Dans la matinée, on parle encore d’un changement possible : Sénéchal, adjoint au colonel, de Lannurien, chef de bataillon.

Vers midi, je suis appelé par le capitaine pour un changement de cantonnement, le 1er bataillon ayant quitté le cantonnement pour les tranchées*.

Je passe donc mon après-midi à installer la compagnie vers l’autre extrémité du pays, direction La Harazée. CP-LaHArazee866_001L’ordonnance Vandewalle (?) et les cuisiniers prennent deux maisons abandonnées et trouvées dans le plus grand état de malpropreté. Petit à petit, le nettoyage se fait et le soir ces Messieurs sont installés.

J’ai fait mieux et réservé une maison pour mes amis sous-officiers qui y installent un semblant de popote.

Avant mon repas, je vais les voir. Ils sont déjà installés et occupés à se restaurer. Je vois Culine, adjudant, Lannoy, sergent major, Gibert, Cattelot, Maxime Moreau. Lannoy me dit que mon agent de liaison, Blanchet, va passer incessamment caporal.

L’adjudant Culine me dit de prendre un bon petit soldat que j’accepte aussitôt : Pignol.

Je rentre à la liaison. Nous sommes un peu en verve de gaieté ce soir. Jombart nous a préparé un riz au chocolat réussi. Nous chantons, restant à table assez tard. Carpentier ayant trouvé quelques nippes de femmes, s’en est affublé et nous avons beaucoup ri.

Nous sommes toute une famille. Gallois, Carpentier, Courquin, et moi, sergents fourriers, les caporaux fourriers Jombart et Legueil des 6e et 8e compagnies, les deux cyclistes, Crespel et Cailliez, que nous appelons « Mievile » (??) Gauthier, René, et les deux agents de liaison élèves caporaux de la 5e, Blanchet et de la 7e Frappé. C’est un véritable état-major pour le capitaine commandant.


 

21 novembre

Relève des tranchées

Ce matin, allant chercher le compte rendu de la nuit, je vois au PC du capitaine un sergent, Peltier, chef de section des mitrailleuses. Il est blessé à la tête, mais reste : le capitaine le félicite, heureux, car deux de ses chefs de section manquent à l’appel. Gibert commande la section Huyghe. Je vois également le sergent Pellé qui se chauffe : il est gelé. Il est vrai que la température est basse. Les boches sont calmes, me dit-il. En effet, quand je communique, les balles sifflent moins.

Vers midi, nous apprenons que nous sommes relevés ce soir par le 120e.

courrier1Dans l’après-midi, le vaguemestre* m’apporte du courrier : lettre de René Parenty qui est au 8e territorial, cantonné à Crochte, village près de chez moi ; sa dame et sa fille sont à la maison et il a la joie de les voir ; il me parle de la vie de famille qu’il mène et cela me fait gros cœur malgré tout. Combien je donnerai pour une heure chez moi ! Je reçois également des nouvelles de ma mère, avec mandat toujours reçu avec joie et empoché avec hâte.

Aussitôt je réponds un simple mot avec mes vœux de sainte Catherine pour ma tante et de conservation pour le lieutenant Parenty.

Je communique l’ordre de relève au capitaine, ainsi que l’envoi de tous les cuisiniers à la Placardelle. C’est là que nous cantonnons de nouveau.

Vers 7 heures, je pars laissant Gallois avec le capitaine commandant le bataillon et les agents de liaison en second. Jombart, caporal fourrier de la 8e, Courquin et un sergent de la 7e m’accompagnent ainsi que Gauthier, notre cuisinier toujours précieux comme guide dans le bois et qui connaît la route à fond. Je suis chargé de faire le cantonnement*. Nous passons à la Harazée par un beau clair de lune. J’y prends au passage pas mal de cuisiniers qui m’attendent.

Il est 9 heures quand nous arrivons à la Placardelle, but de l’étape. Je vois l’officier du régiment qui, après quelques tergiversations, me donne le cantonnement de la dernière fois en me rognant toutefois quelques maisons, particulièrement notre maison de la liaison.

Le cantonnement est donc rapidement réparti entre les compagnies.

Pour la 5e compagnie, je loge la troupe comme la première fois. Le village est évacué depuis quelques jours. Quelques maisons sont démolies : le village a donc reçu des obus. C’est ce que j’avais prédit. Je trouve des hommes de fractions isolées un peu partout. Rien à craindre. Ils partiront rapidement avec un foudre de guerre comme le capitaine Aubrun.

Dans le logis de mes officiers, je trouve des hommes du 120e en train de veiller un capitaine défunt. Le corps sera enlevé la nuit. La maison est dans le plus grand désordre. J’abandonne donc le projet d’un logement ici.

Je vais donc voir la demeure ou plutôt le refuge lors de la première arrivée. Les habitants ont disparu. La maison est donc entièrement à moi avec ses quatre pièces. J’y installe les cuisiniers du capitaine. Ceux-ci nettoient à la lueur de bougies. Il y a deux fauteuils, deux lits avec sommier, une table en chêne, un buffet, quelques chaises. C’est tout ce qu’il faut pour faire une pièce convenable.

Je rencontre Jombart tandis que les cuisiniers touchent les vivres aux voitures qui sont arrivées. Il a trouvé une maison pour nous.Lieu:Saint Crepin aux Bois - Description:GUERRE 1914-15 - OFFEMO Elle se compose d’une seule vaste pièce avec lit au fond, foyer, commode, buffet, table et quelques chaises. Le tout doit être nettoyé mais Gauthier a déjà un balai en main et procède à l’installation.

Derrière, par une porte vitrée, on accède à une petite cuisine. C’est là que nous logerons nos agents de liaison en second.

Et voilà ! Le feu pétille. Il peut être minuit. Attendons l’arrivée du bataillon.


 

20 novembre

Huvenois nous quitte aujourd’hui, remplacé par Courquin. Celui-ci ne fait pas l’affaire du capitaine Claire. Huvenois est destiné à recevoir les galons de sergent major ; le caporal fourrier Legneil reste.

Au petit jour, avec les cuisiniers, arrive le courageux de Juniac. Le capitaine Sénéchal le renvoie aussitôt.

Dans la journée, nous recevons plusieurs visites de la liaison ; on va se dire bonjour de gourbi à gourbi*. Le temps se maintient beau et le secteur est relativement calme.

Le vaguemestre* Renaudin m’apporte un mot de ma mère, lettre recommandée datée du 20 août. Cela me fait rire. Aussi je la renvoie chez moi. La lettre n’a mis que trois mois pour m’arriver. Heureusement qu’elle était recommandée.