Archives de catégorie : Partie 2 – Chap. 5

28 novembre

Relève au bois de la Gruerie

Rien de particulier aujourd’hui. Notre vie continue calme et paisible, malgré quelques rafales d’obus dont on entend les explosions plus ou moins proches. Le village est respecté. J’opine de plus en plus à croire que l’obus de l’autre soir est un obus lancé au hasard.

Les nouvelles nominations paraissent vers 10 heures. Blanchet est nommé caporal. Je le félicite, mais le brave me quitte les larmes aux yeux.

Pignol lui succède. C’est un bon garçon, très intelligent, chanteur comique de talent.

Nous pouvons à présent nous ravitailler pour quelques menus objets aux hommes des voitures qui font, à notre satisfaction, un léger commerce de bougies, tabac et allumettes.

Dans l’après-midi, nous recevons l’ordre de relève*. On s’y attendait. Préparatifs habituels. Le temps, quoique sombre, n’est pas pluvieux. Décidément la chance sera peut-être avec nous.

Nous mangeons rapidement à 5 heures. À 7 heures, nous partons pour La Harazée et le bois.

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Dessin de Sem, Quelques dessins de guerre, 1915-1916 – Source : http://www.dessins1418.fr/wordpress/

Malgré l’obscurité, le trajet qui n’est pas long d’ailleurs, se passe bien. Nous arrivons une heure après avec le bataillon qui suit. Au lieu de prendre le chemin habituel, nous obliquons à gauche, au milieu du village, et faisons la pause à l’entrée d’un parc. C’est le château, dit-on, résidence de la brigade.

VienneLeChateau-APD0000585Nous passons la grille d’entrée, suivant le capitaine Sénéchal, et nous arrêtons près de la demeure, vaste, remplie de dépendances et encore belle malgré son abandon des propriétaires et une occupation militaire de deux mois.

Nous voyons d’autres officiers du bataillon à relever que rejoignent bientôt ceux de nos compagnies. J’apprends que nous sommes en réserve à l’entrée du bois, dans la direction du Four de Paris.

La relève ne tarde pas à se faire. La compagnie passe. Pignol, mon agent de liaison*, la suit pour en reconnaître l’emplacement après s’être informé et avoir su que le PC du capitaine Sénéchal serait ici.

Non loin, la compagnie est sur ses emplacements. Il fait une obscurité profonde. Il a fallu escalader des talus glissants, passer à travers bois, etc… Quant à Blanchet, il lui faut rentrer. Au risque de se casser le cou, il descend tout ce qu’il avait escaladé, glissant, butant, pestant. Il aperçoit heureusement quelques lumières. C’est le village de La Harazée. Plus moyen de se perdre.

Il arrive au château, assez heureux de retrouver son sac près du mur contre lequel il avait laissé. Il peut être 11 heures quand après vingt minutes de recherches, il me retrouve et me rend compte de son expédition.

Notre logis se compose de deux gourbis* sordides qu’occupaient les agents de liaison du bataillon relevé. On se partage les logements, attendant le départ des troupes du 72e que nous remplaçons.

Après leur départ, il peut être minuit, on s’y installe pour la nuit. Le feu pétille, on alimente et on dort à poings fermés, roulés dans sa couverture. Le temps est à la pluie et le vent souffle en rafales. Heureusement du bon feu.

27 novembre

Le temps n’est pas à la pluie. Nous sommes cependant en plein dégel et les terrains sont détrempés.

Nous sommes à présent tout reposés et attendons tranquillement le moment de repartir.

Le courrier arrive régulièrement l’après-midi avec le vaguemestre* Renaudin. Ce sont toujours des montagnes de lettres et de colis.

Dans la journée, je vais voir la popote* des sous-officiers de la compagnie. Dans l’établissement voisin se trouve le poste de secours. Je dis bonjour à quelques connaissances. Au premier étage se trouve un vieux piano. J’y joue quelques morceaux. VienneLeChateau-APZ0000661ACela me distrait. Je n’avais plus vu une touche depuis Marville où je jouais parfois un air sur le piano qui se trouvait à l’école.

Nous continuons ce soir la séance d’hier. Décidément le vent est à la gaieté. Très tard nous nous couchons. L’ordre de relever n’arrive pas. Nous nous réjouissons.

Je couche toujours avec Carpentier sur le sommier du lit tandis que les autres s’étendent sur les paillasses et matelas par terre. Tout cela est dans un état répugnant. Rien d’étonnant que la vermine ait toujours le dernier mot.

26 novembre

Je suis en plein sommeil quand la 5e compagnie rentre de son équipée. Le capitaine vient me voir. Je me lève et l’informe que le cantonnement* est le même. Il fait un temps de chien au-dehors et le capitaine est assez bon pour me dire de me recoucher.

Au matin, nous recevons la visite intempestive du sergent major de Brésillon. On dit qu’il brigue la place d’adjudant de bataillon. Gallois et lui ont une petite algarade. Il s’en va de guerre lasse, houspillé par nous.

Dans la matinée, on parle encore d’un changement possible : Sénéchal, adjoint au colonel, de Lannurien, chef de bataillon.

Vers midi, je suis appelé par le capitaine pour un changement de cantonnement, le 1er bataillon ayant quitté le cantonnement pour les tranchées*.

Je passe donc mon après-midi à installer la compagnie vers l’autre extrémité du pays, direction La Harazée. CP-LaHArazee866_001L’ordonnance Vandewalle (?) et les cuisiniers prennent deux maisons abandonnées et trouvées dans le plus grand état de malpropreté. Petit à petit, le nettoyage se fait et le soir ces Messieurs sont installés.

J’ai fait mieux et réservé une maison pour mes amis sous-officiers qui y installent un semblant de popote.

Avant mon repas, je vais les voir. Ils sont déjà installés et occupés à se restaurer. Je vois Culine, adjudant, Lannoy, sergent major, Gibert, Cattelot, Maxime Moreau. Lannoy me dit que mon agent de liaison, Blanchet, va passer incessamment caporal.

L’adjudant Culine me dit de prendre un bon petit soldat que j’accepte aussitôt : Pignol.

Je rentre à la liaison. Nous sommes un peu en verve de gaieté ce soir. Jombart nous a préparé un riz au chocolat réussi. Nous chantons, restant à table assez tard. Carpentier ayant trouvé quelques nippes de femmes, s’en est affublé et nous avons beaucoup ri.

Nous sommes toute une famille. Gallois, Carpentier, Courquin, et moi, sergents fourriers, les caporaux fourriers Jombart et Legueil des 6e et 8e compagnies, les deux cyclistes, Crespel et Cailliez, que nous appelons « Mievile » (??) Gauthier, René, et les deux agents de liaison élèves caporaux de la 5e, Blanchet et de la 7e Frappé. C’est un véritable état-major pour le capitaine commandant.


 

25 novembre

À minuit, j’entends les deux compagnies se rassembler. À 1 heure, elles sont parties. Je suis sorti. Il pleut un peu. Décidément, le temps n’est pas propice.

Au petit jour, je me rends au capitaine Sénéchal pour lui dire l’affaire de la veille au soir. Il me donne un mot pour le capitaine chef de musique, afin que les brancardiers musiciens s’occupent d’enterrer les cadavres.

Je vois en route le chef armurier qui me parle du pays. Je suis occupé et n’ai pas grand temps de causer ! Je vais à la grange dont le toit est percé et une partie démolie par l’obus. Au haut d’une échelle, dans une espèce de grenier, au milieu de la paille, je trouve les trois cadavres alignés côte à côte, dans la position du sommeil. Tous trois sont décapités et affreusement mutilés. Aidé de quelques brancardiers, je prends leurs papiers et pièces d’identité. Puis la funèbre besogne s’exécute ; on place les corps un à un dans un vieux drap que j’ai trouvé, et le cortège se dirige vers la fosse qu’on s’occupe à creuser.

Beaucoup d’hommes suivent le brancard dans chaque voyage ; les 6e et 8e compagnies sont restées au village.

Arrivée des morts (Villers-aux-Bois)La fosse est creusée. Côte à côte, on place les corps ayant au drap la plaque d’identité accrochée. C’est la fin. Une croix de bois avec chaque nom. Quelques prières récitées à voix basse par ceux qui croient et qui n’ont pas de respect humain au milieu de curieux qui regardent.

Je quitte, ayant fait ce que j’ai dû et pu. Mais une grande tristesse me prend toute la journée.

Le temps se met à la pluie. La journée n’est pas fameuse et nous ne sortons pas, restant au coin du feu, écrivant aux nôtres, préparant la popote et arrangeant de-ci de-là quelque chose de défectueux aux effets.

24 novembre

On parle encore du capitaine de Lannurien qui peut prendre le commandement du bataillon. On dit également que le sergent major de Brésillon de la 8e brigue la place d’adjudant de bataillon. On dit également que nous partons ce soir. On dit tant de choses au cantonnement* et les cuisiniers savent tant et tant.

Vers midi cependant, une note arrive, disant que 5e et 7e se rendront le soir à une position au-delà de la Harazée dans le bois. Le capitaine, accompagné du sergent Régnier, commandant la 7e compagnie, part reconnaître.Cote211-archives_SHDGR__GR_26_N_340__002__0197__T

Contrordre arrive ensuite, car c’est au petit jour que la position doit être occupée. Je ne comprends rien à une telle chose. La seule qui m’intéresse est de savoir si je suis la compagnie ou reste ici au chaud. La décision vient du capitaine Sénéchal : je reste. Heureux suis-je !

Après avoir vécu dans l’anxiété, je passe l’après-midi tranquillement, attendant le retour du capitaine.

Je le vois le soir à table. La compagnie va quitter à 1 heure du matin pour rentrer la nuit suivante.

Je ne suis pas rentré près de mes amis de la liaison quand, de la rue, j’entends une formidable explosion à 100 m derrière moi. Un obus est tombé dans le cantonnement de la compagnie.

J’accours de nouveau au logis du capitaine. Quelques minutes après, Lannoy vient nous dire qu’un obus est tombé dans une grange face à l’habitation.

On déplore la perte de trois tués et de deux blessés.

Le sous-lieutenant Vals flegmatiquement appelle Chopin et lui crie « Chopin, passe-moi les biscuits ! ». Il est permis de ne pas s’affoler ; mais je trouve cela du cynisme. Le capitaine a plus de cœur et donne, les larmes aux yeux, des ordres d’évacuation de la grange et de resserrement de la compagnie. Il n’y a pas de cantonnement vacant, force lui est donc de garder la compagnie sur son emplacement et d’y rester lui-même. L’obus, d’ailleurs, n’est qu’un obus égaré car tout rentre dans le calme.

Je vais donc rejoindre mes camarades, prenant sur moi de faire donner la sépulture aux trois braves défunts.


 

23 novembre

Nuit à la cote 211 – Ferme de la Seigneurie

Nuit excellente, agrémentée cependant de quelques démangeaisons. On se lève au plus vite à 8 heures tandis que le courageux Gauthier est occupé à faire le café.

Les agents de liaison* en second sont heureux également dans leur coin. Ils nous sont d’un précieux concours pour copier les notes et les communiquer car les notes sont très nombreuses.

Je vais voir Louis qui a passé un bon séjour de tranchées* et ne m’apprend rien de particulier.

A la compagnie, le capitaine est installé avec le sous-lieutenant Vals. Le feu pétille. Les cuisiniers Chochois et Chopin rivalisent d’activité.

Dans une pièce de derrière, je trouve l’adjudant Culine, Lannoy, sergent major, les sergents Moreau et Gibert occupés à se nettoyer et faire popote.

Dans l’après-midi, je vais au PC du colonel toucher, avec une corvée, des chaussures et du linge. J’amène tout cela au sergent major qui va en faire la distribution et j’hérite d’une paire de chaussettes.

Le temps est au beau depuis midi. Notre popote* de liaison fonctionne bien. Nous renvoyons vers 2 heures de Juniac qui nous fait ses adieux : il est évacué pour fatigue mais assure revenir sous peu. Nous voici donc avec Gallois à notre tête. Cela marchera admirablement car nous sommes tous, au même titre, bons camarades. Le caporal fourrier* Jombart met la note gaie dans notre comité. Il connaît de plus la cuisine. Nous commençons à manger très bien. Un riz au chocolat clôture le repas et c’est le cas de dire que nous nous léchons les doigts. Nous avons de plus trouvé dans la maison assiette et verres. C’est une des très rares fois qu’il nous est donc donné d’avoir un table, des bancs et un couvert. C’est donc la plus franche gaieté parmi nous.

Le vaguemestre* nous apporte chaque jour des paquets de lettres pour nos compagnies. Nous en avons chacun pour une heure à les trier. Bon nombre de paquets arrivent également. Ce sont des cris de joie quand l’un d’entre nous en reçoit un.

CP-arriveecourrierLe village est évacué. Des bruits comme toujours courent qu’il y avait des espions. Le moulin à eau fait toujours entendre son cri lugubre.

Une autre surprise peu agréable est l’arrivée de quelques obus non loin du village. Cela enlève un peu de notre verve.

Nous recevons la visite de Bourguignat, un ami de Sedan, secrétaire du trésorier-payeur. Il vient nous faire signer comme témoins les actes de décès de camarades tombés que nous connaissons ou les certificats d’origine de blessures de blessés connus.

Vers 4 heures, je pars à la ferme de la Seigneurie, laissant Blanchet à la liaison. 5e et 6e compagnies prennent position de nuit à la cote 211. Le capitaine Aubrun s’installe à la ferme. Je passe la soirée à jouer aux cartes avec quatre brancardiers du bataillon, deux infirmiers ayant un poste de secours, Tessier et Wydown (?), dans une pièce de la ferme. J’hérite d’un lit de Steenvoorde (Nord) avec draps, la ferme venant à peine d’être évacuée. Un ami du pays.
Je passe une nuit excellente et reste à la Placardelle au petit jour.

Les compagnies ne tardent pas à rentrer également.

 

22 novembre

Repos à la Placardelle (voir topo Tome I)

TopoTI-Placardelle

Topo Tome I – Plan dessiné par Émile Lobbedey

Il est 4 heures du matin quand le capitaine Aubrun arrive en tête de sa compagnie.

On procède aussitôt au logement de la compagnie puis le capitaine avec son lieutenant s’installent à leur tour. Je puis disposer, heureux de rejoindre mon logis.

Je trouve les agents de liaison* en second installés dans l’arrière-cuisine. Ils déclarent que la relève s’est très bien opérée.

Je me couche avec Carpentier sur le lit en forme de ruelle ; toute la maison, bientôt, est calme. Chacun se refait les forces par le sommeil.

Je me réveille vers midi. Chacun se lève et procède à la popote*.

L’après-midi, nous terminons notre installation et communiquons pas mal de notes. Ce n’est que dans la soirée qu’il m’est donné de procéder quelque peu à ma toilette.

De bonne heure nous nous couchons. On divise le lit. Chacun hérite qui d’une couverture, qui d’un oreiller, d’un traversin, qui d’un matelas. Carpentier et moi gardons le sommier et le bois de lit. Les autres s’étendent le long du bois qui achève de se consumer.

Au-dehors, le temps est à la pluie.