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[2] Vaguemestre : Militaire chargé de la distribution du courrier aux armées. Son arrivée est espérée et guettée par les combattants qui attendent les lettres et colis constituant leur lien avec l’arrière.Gallica-Vaguemestre

27 novembre

Le temps n’est pas à la pluie. Nous sommes cependant en plein dégel et les terrains sont détrempés.

Nous sommes à présent tout reposés et attendons tranquillement le moment de repartir.

Le courrier arrive régulièrement l’après-midi avec le vaguemestre* Renaudin. Ce sont toujours des montagnes de lettres et de colis.

Dans la journée, je vais voir la popote* des sous-officiers de la compagnie. Dans l’établissement voisin se trouve le poste de secours. Je dis bonjour à quelques connaissances. Au premier étage se trouve un vieux piano. J’y joue quelques morceaux. VienneLeChateau-APZ0000661ACela me distrait. Je n’avais plus vu une touche depuis Marville où je jouais parfois un air sur le piano qui se trouvait à l’école.

Nous continuons ce soir la séance d’hier. Décidément le vent est à la gaieté. Très tard nous nous couchons. L’ordre de relever n’arrive pas. Nous nous réjouissons.

Je couche toujours avec Carpentier sur le sommier du lit tandis que les autres s’étendent sur les paillasses et matelas par terre. Tout cela est dans un état répugnant. Rien d’étonnant que la vermine ait toujours le dernier mot.

20 novembre

Huvenois nous quitte aujourd’hui, remplacé par Courquin. Celui-ci ne fait pas l’affaire du capitaine Claire. Huvenois est destiné à recevoir les galons de sergent major ; le caporal fourrier Legneil reste.

Au petit jour, avec les cuisiniers, arrive le courageux de Juniac. Le capitaine Sénéchal le renvoie aussitôt.

Dans la journée, nous recevons plusieurs visites de la liaison ; on va se dire bonjour de gourbi à gourbi*. Le temps se maintient beau et le secteur est relativement calme.

Le vaguemestre* Renaudin m’apporte un mot de ma mère, lettre recommandée datée du 20 août. Cela me fait rire. Aussi je la renvoie chez moi. La lettre n’a mis que trois mois pour m’arriver. Heureusement qu’elle était recommandée.

 

6 novembre

Relève au bois de la Gruerie 

La journée se passe à se préparer. Nous relevons ce soir le 120e.

Le vaguemestre* arrive régulièrement l’après-midi. Ce sont toujours des tas de lettres. C’est un travail fou qui ne fera qu’augmenter : une majeure partie des lettres sont à trier car beaucoup sont adressées à des camarades morts, blessés ou disparus. Nous recevons également des bulletins des armées qui sont intéressants ainsi que le petit journal du coin, très intéressant parce qu’il parle de choses connues, L’Écho de l’Argonne.EchoArgNov14Je vois dans l’après-midi le colonel Rémond qui commande le régiment. Il est cantonné à l’extrémité du village, direction la Harazée, dans une maison de belle apparence. Le père Rémond, comme on l’appelle, est un homme brave et un brave homme ; il commande toujours son bon régiment qu’il commandait à Sedan. Nous avons toute confiance en lui comme il a, je crois, confiance en sa troupe.

Il peut être 7 heures quand nous partons pour la première ligne. Nous suivons toujours le chemin connu, ayant à notre tête le capitaine Sénéchal à cheval.

A mi-route, non loin des batteries, un obus passe au-dessus de la tête et explose à 50 mètres dans un champ, à gauche de la route. Ce sont les batteries de 75 qui nous valent cela. Elles tournent sans discontinuer et cela nous donne froid dans le dos.

Voici La Harazée. Nous faisons une pause dans le village. Les chevaux quittent. En route de nouveau ? Contrordre, on s’arrête. Je m’abrite avec la liaison dans une grange ouverte à tous les vents mais dont le toit est encore solide. Nous attendons dans l’obscurité tandis qu’une pluie fine tombe sans arrêt.

Bientôt, nous apprenons que le ravitaillement est là. C’est sans doute la cause de l’arrêt. En tout cas, on s’approvisionne de pain et de riz. L’eau-de-vie est en faible quantité, les bidons manquent d’ailleurs ; nous la buvons.

Je communique que les cuisiniers doivent rester. Ils arriveront demain matin. Le capitaine Aubrun me demande comment ils nous trouveront. Mystère. L’ordre c’est l’ordre.

Il est bien 10 heures quand nous entrons sous bois. Le 120e a le temps de nous attendre.

Marche sous bois par la pluie, agréable s’il en est ; et l’obscurité complète ne fait qu’ajouter au charme d’une telle balade. Heureusement, les balles sifflent moins.

Après des péripéties sans nombre, nous défilons devant le colonel qui doit se trouver là car j’entends sa grosse voix qui tonne. C’est sans doute le temps qui est la cause de sa mauvaise humeur.

Quelle nuit noire ! On n’y voit pas à deux pas ! Il pluvine toujours !

Suit-on, ne suit-on pas, mystère ! Quelle heure est-il ? Depuis combien de temps marchons-nous ? Je désespère d’arriver à destination.

Enfin, nous arrivons à un emplacement où nous nous arrêtons. C’est ainsi qu’entendant des voix, je devine que c’est le PC du bataillon qui nous relevons.

Et quel temps, quel terrain ! Nous sommes des paquets de boue ! Pauvres bandes molletières* !

Il faut attendre car le bataillon ne suit pas. J’attends ma compagnie, philosophe et flegmatique. C’est elle en effet qui s’amène la première. Le capitaine est furieux : c’est toujours le mauvais temps qui en est la cause, je crois. Il est vrai qu’on serait mieux à Monaco.

Un agent de liaison* du 120e est avec moi. Nous partons donc, suivi de la compagnie, vers le séjour enchanteur de la tranchée.

Voici le PC de la compagnie. Je retiens l’agent de liaison car en rentrant, je n’ai nulle envie de me faufiler chez l’ennemi. Les consignes passées, la relève* s’opère. Gourbi* misérable au gré du capitaine. Il est vrai qu’il est médiocre. Il y pleut d’ailleurs. Petit, mal fini, il n’a rien d’un hôtel.

Je puis disposer et rentre avec mon fidèle mentor près du capitaine Sénéchal.

Je cherche un logement et tombe dans un vaste gourbi où se trouve entassée une section* du 120e.VienneLeChateau-APD0002019 Il pleut toujours. Je me mets à sec quoique l’abri laisse filtrer un peu d’eau. Assis sur mon sac, trempé jusqu’aux os et couvert de boue, j’attends, flegmatique toujours, le départ de ces Messieurs qui dorment, afin de me préparer un coin.

Il peut être 2 heures quand l’ordre de départ arrive. Je leur souhaite bonne chance à ces braves.

J’aime mieux encore être ici malgré la proximité de l’ennemi. Une marche dans le bois par cette nuit noire et ce temps diluvien n’a rien d’attrayant même avec l’expectative du repos. Merci, je sors d’en prendre.

28 octobre

On a dormi un peu. Au petit jour, l’arrivée de nos cuisiniers nous met aussitôt debout. On allume un peu de feu et on fait chauffer le café.

VienneLeChateau-APD0000693Nous ne recevons pas d’obus dans ce coin. Pourquoi, nous ignorons.

Je n’ai pas eu à communiquer cette nuit. Je vais chercher le rapport du matin et manque de m’égarer. Heureusement, je m’en aperçois à temps, sinon je courais droit sur la première ligne, trop veinard de ne pas être vu de l’ennemi.

Dans l’après-midi, le vaguemestre* arrive avec des lettres, des bulletins des armées et un nouveau petit journal hebdomadaire à nous : L’Écho de l’Argonne. Je porte mon stock au PC de la compagnie.

EchoArgNov14Dans la journée, des corvées* viennent à plusieurs reprises prendre des bombes et des cartouches. On me dit que c’est un enfer et qu’il y a plusieurs tués.

Vers le soir, le capitaine demande à cor et à cris des rondins afin de pouvoir couvrir certaines parties de tranchées* où les hommes sont exposés aux bombes ennemies qui foisonnent.

À la tombée de la nuit, des corvées viennent en prendre au PC en quantité.

Je communique vers 9 heures et vois, étendu près du PC du capitaine, un brave garçon qui va mourir d’une balle à la poitrine, le soldat Massy [1] de la classe 1913. Cela me fait pitié.


 [1] Massy : s’agit-il de MASSY Léon ?
Voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (19 novembre 1914 au lieu du 28 octobre) mais aussi de l’année de la classe (1912), pourrait correspondre.
FicheMDHarchives_H750117R

23 octobre

Départ pour la cote 211

Encore une nuit délicieuse !

Dans la matinée, nous sommes avertis que nous allons partir l’après-midi prendre position entre Florent et la Placardelle, à la cote 211.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Après le repas, je reçois un colis de la maison contenant du linge et des friandises. C’est mon premier colis. Il ne se plaindra pas de ne pas être le bienvenu. À présent, je commence à aimer la vie. J’ai mon sac et ma musette fournis, je suis nippé : pantalon, souliers et molletières* et j’ai de bonnes nouvelles de chez moi. Tout va bien.

Pourtant les nouvelles mettent bien longtemps encore. Ma lettre est datée d’il y a un mois.

L’après-midi se passe à copier et communiquer une avalanche de notes. Nous sommes heureux de partir le soir à 5 heures, car c’est à devenir fou.

Le temps se maintient beau ! Nous partons en tête du bataillon, suivant le commandant à cheval, suivi de Jacques, le maréchal des logis de liaison. Après une pause faite près du parc d’artillerie, nous repartons pour arriver vers 7 heures à la position. C’est la cote 211, c’est la cote où le vaguemestre* nous conseillait de presser le pas parce que les balles sifflaient.

Un bois se trouve à droite et à gauche de la route. La 5e compagnie s’installe au point A ; c’est une position de seconde ligne qui se trouve à proximité du Four de Paris. La 8e compagnie s’installe près de nous dans des gourbis* en B. Nous sommes avec le PC du commandant à la lisière du bois, à droite de la route. Quant à la 6e et la 7e compagnies, elles sont en réserve dans le bois à gauche. (Voir topo Tome IV), couverture.

TopoTIVa

Plan établi par Émile Lobbedey intitulé Topo Tome IV .

Cote211-archives_SHDGR__GR_26_N_340__002__0197__T

Extrait carte J.M.O.* de la 41e D. I. de 1916 (archives_SHDGR__GR_26_N_340__002__0197__T)

J’accompagne la 5e compagnie afin de reconnaître l’emplacement du PC de la compagnie et rentre, il peut être 9 heures, presque à tâtons, au PC du bataillon.

La majeure partie des gourbis sont pris par mes amis. J’en trouve un cependant plus ou moins confortable, que je puis examiner grâce à un bout de bougie.

René le mitrailleur survient. Je l’invite et tous deux nous installons pour la nuit. Il n’a pas l’air de faire bien chaud. Heureux serons-nous s’il ne pleut pas.

18 octobre

Relève de tranchées

Nous rentrons au petit jour. Il a encore plu la nuit. Les terrains sont détrempés et on glisse à tout instant. La journée est encore agrémentée de quelques obus.

Je vois à plusieurs reprises le lieutenant Péquin qui loge avec le capitaine Sénéchal.

Je vois aussi mon cousin Louis qui est en réserve non loin de moi. Ni l’un ni l’autre n’avons de nouvelles des nôtres.

Hier soir, nous avons touché de nouveau du tabac. On passe sa journée à fumer. Vers 5 heures de l’après-midi, nous recevons l’ordre de relève*. Il commence à être temps. Chacun était fatigué.

Bientôt, l’adjudant de bataillon et les quatre fourriers*, suivis de notre clairon cuisinier Gauthier, nous partons faire le cantonnement à Florent.

Il fait déjà nuit noire. Heureusement nous connaissons un peu la route à travers bois et Gauthier la connaît très bien. Le temps et brumeux. Il a plu. On glisse. De guerre lasse, après un certain parcours et des chutes nombreuses, nous allumons une lanterne que nous avons avec nous. On se suit à la queue l’un de l’autre. Plusieurs fois, des officiers rencontrés nous ordonnent d’éteindre notre bougie. Nous allons attirer des obus, dit-on. On rallume chaque fois un peu plus loin.

Enfin, après une marche impossible à décrire, on descend une pente glissante où sont stationnées des troupes qui, elles aussi, protestent contre la lumière. De guerre lasse, nous l’éteignons. Je prends une bûche dans la descente. Il peut être 8 heures. Nous sommes dans La Harazée.

On continue et à la sortie nous faisons une longue pause qui nous semble délicieuse car on n’en peut plus. Nous quittons pour nous appuyer une forte côte du haut de laquelle nous apercevons toutes les lumières de La Harazée. Des batteries d’artillerie y sont installées.

Gallica-batterie On file clopin-clopant. La route fait un serpentin. Nous arrivons dans une autre agglomération que nous ne connaissons pas. C’est la Placardelle. Beaucoup de monde y circule et c’est un brouhaha indescriptible. Nous faisons de nouveau la pause à la sortie. C’est à croire que nous ne pourrons aller plus loin.
Un cycliste arrive et bute contre nous.Gallica-Vaguemestre On va s’invectiver quand on reconnaît la vaguemestre* Renaudin qui vient à la rencontre du bataillon. On lui dit qu’il peut attendre toute la nuit car le bataillon n’est pas près d’arriver. Il se charge donc de retourner et de nous conduire à Florent, village que nous ne connaissons pas. Il peut être 10 heures du soir.

Bientôt, c’est une nouvelle côte qu’il faut passer rapidement, car les balles y sifflent. Cela nous laisse froids, on en a vu bien d’autres. D’ailleurs impossible d’aller plus vite, on n’en peut plus.

On fait la pause de nouveau, désespérant d’atteindre jamais le contournement. Il y a encore 6 km à faire, on repart. Pour me distraire, je compte les pas, heureux de rapprocher petit à petit.

Gallica-ArtillerieConvoiNous rencontrons des convois d’artillerie en quantité. Il ne pleut pas mais il a plu et les terrains sont boueux. De chaque côté de la route, c’est un bois. On désespère d’en voir la fin.

Enfin, après deux heures de marche et de multiples pauses espacées de 500 en 500 mètres, nous atteignons notre but. On tourne à gauche et une sentinelle*, 100 mètres plus loin, nous arrête. De Juniac a le mot heureusement et nous passons.

On voit ou plutôt on devine les premières maisons. On tourne à droite, voici une rue qu’on monte, guidés toujours par Renaudin et nous arrivons bientôt sur la Grand-Place.

Arrivés, cri de joie ! Mais le cantonnement* est à faire !

16 octobre

Nos braves cuisiniers nous apportent la pâtée au petit jour. Après vingt-quatre heures de jeûne, on mange avec appétit. Une innovation soulage les cuisiniers d’escouade*. Un mulet par compagnie les accompagne, transportant le pain et quelques vivres. Au PC du bataillon, tout est descendu et transporté aux tranchées.

Le ravitaillement en munitions se fait très bien aussi. La consommation des cartouches est effroyable.

Le capitaine, dans une de mes communications, me parle des bombes que les troupes continuent à recevoir. Nous n’avons rien pour répondre. Heureusement, les tranchées sont couvertes en grande partie. J’amène au PC Sénéchal une espèce de boîte éclatée, remplie de poudre brûlée et en cuivre reçue à plusieurs reprises.

Notre vie dans le gourbi* est tranquille. On fait du feu et nous pouvons manger chaud. La place n’est pas grande. À trois nous sommes très serrés mais la nuit nous avons d’autant plus chaud.

La vaguemestre* arrive chaque soir vers 4 heures et amène quelques lettres. Le service postal semble fonctionner normalement.

Les agents de liaison* en second se sont également confectionnés un gourbi et se déclarent heureux. Ils nous sont d’un grand soulagement car les notes à communiquer sont souvent nombreuses.

Nous apprenons dans la journée qu’une tranchée* a été perdue au 3e bataillon sous une formidable poussée boche. La 11e compagnie s’est défendue jusqu’à la mort, particulièrement la section du sous-lieutenant Ardant du Masjambost [1] qui est tué et dont le corps est resté aux mains ennemies.

Ce soir, la 7e compagnie relève la 8e qui est en ligne depuis notre arrivée ici. De Juniac, l’adjudant, veut faire comme nous et accompagne les cuisiniers au ravitaillement. C’est un charmant garçon !


[1] Ardant du Masjambost : voir ci-après la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (16 octobre au lieu de 15), semble correspondre

FicheMDHarchives_B240748R