Archives de catégorie : Partie 2 – Chap. 2

26 octobre

Relève* au bois de la Gruerie

Je fais une nuit délicieuse et repose encore quand, vers 7 heures, Gauthier arrive pour faire le café. Je sors. Le temps est toujours pluvieux. Enfin, pour la journée, nous sommes toujours à sec.

La matinée se passe à communiquer des notes, à réparer un peu les effets, à se nettoyer. Je vais voir le coiffeur du village, le père Thomas que tout le monde connaît déjà. Une coupe de cheveux après deux mois et demi n’est pas du luxe.

Après le repas du matin, je reçois une dépêche de Bergues, de la mère de mon cousin Louis, me demandant de le soigner et de lui dire de se soigner au sujet de coliques que j’ignorais. Je vais aussitôt trouver ce dernier qui rit beaucoup. En effet il eut une diarrhée fantastique lors du séjour Saint-Thomas Servon, comme chacun d’entre nous d’ailleurs. Son seul tort est de l’avoir écrit chez lui et d’avoir affolé sa mère. Ces pauvres mamans ! Aussitôt, devant moi, il écrit qu’on se rassure.

À mon retour à la liaison, je trouve un volumineux colis de cinq kilos renfermant des linges et des vivres, chocolat, tabac, bougies, allumettes, papier à cigarettes, de tout. Quelle joie incommensurable ! Je mets le strict nécessaire dans mon sac et porte le reste dans le coffre de la voiture de compagnie. Me voici au moins fourni pour quelque temps.

Je rentre bientôt mais une autre surprise m’attend. On part ce soir en ligne, de nouveau dans le bois.

Vers 5 heures du soir, nous partons en tête du bataillon. Le temps est toujours pluvieux. La route de Florent à La Harazée est longue et fastidieuse. À quelques 500 mètres au-delà du village, après avoir fait un coude à droite, c’est un bois à droite et à gauche : bois des Petits Bâtis, suivi du bois des Hauts Bâtis qui va continuer jusqu’à la Placardelle et la route s’étend alors droite jusqu’à perte de vue, avec des alternatives de montée et de descente.

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

Après une heure de route, nous faisons halte. Il pleut. Nous sommes près du parc d’artillerie.

Le temps est désagréable au possible. Les routes sont boueuses. Nous partons.

Bientôt, c’est la cote 211, puis la descente vers la Placardelle, toujours mouvementée.

Nous traversant le village dans l’obscurité, troublée par la lumière scintillante de quantité de lanternes.

C’est ensuite une route zigzagante qui nous amène au haut d’une côte, celle qui surplombe La Harazée.

LaHARAZEE-17bOn la descend en glissant un peu et enfin nous faisons une nouvelle pause à l’entrée du village, qui lui également est constellé de lumières.

 

26 octobre (suite)

TomeV

Couverture du cinquième cahier intitulé Tome V

Les officiers quittent leurs chevaux que les ordonnances, sous les ordres du maréchal des logis de liaison Jacques, vont ramener vers un village de l’arrière où ils seront cantonnés.

Pour nous, avec le commandant à notre tête, nous commençons l’ascension de la côte qui nous donne l’accès du bois. Un léger clair de lune nous aide à nous guider. La pluie a cessé.

Nous marchons abominablement, glissant, butant, faisant parfois une chute. Plusieurs pauses nous laissent prendre haleine ; pas de lumière naturellement et le plus grand silence.

Enfin, après une heure de marche pénible, nous rencontrons le colonel Rémond et bientôt, c’est la clairière que nous reconnaissons grâce au clair de lune.

Cette fois nous obliquons à droite pour nous engouffrer bientôt dans le bois de nouveau. Nous sommes arrivés.

VienneLeChateau-APD0000528Je vais chercher le capitaine et les quatre chefs de section. Nous suivons, la compagnie restant couchée sur ces emplacements, un officier du régiment à relever. Celui-ci nous amène 200 mètres plus loin dans un gourbi*. Nous nous entassons. Les consignes se passent. Puis, successivement, le lieutenant Lambert, qui a ses deux galons depuis deux jours, l’adjudant Culine, et les sergents Huyghe et Collin vont prendre leur section afin d’opérer individuellement la relève.

Quand tout est fait et la compagnie à relever relevée, je quitte le capitaine et rentre auprès du commandant afin de lui rendre compte.

Je m’installe ensuite dans un gourbi assez bien fait où se trouvent déjà mes amis.

La nuit est assez belle. Le temps est au beau, car la pluie a complètement disparu. Mais l’obscurité est complète car la lune a disparu.


 

25 octobre

Retour à Florent

Je n’ai fermé l’œil de la nuit à cause de la vermine qui grouille dans la paille. C’est terrible ! Impossible de se débarrasser plus de deux jours de ces bestioles !

Au petit jour, je suis debout pour me nettoyer de nouveau à fond.

Les notes sont toujours nombreuses. On se demande qui peut « pondre » tout cela. Nous sommes à présent deux agents de liaison* par compagnie aux tranchées, nous demanderons, si cela continue à être, deux au repos.

Aujourd’hui dimanche, il y a grand-messe à 10 heures. Une grande affluence de troupes s’y rend. L’église est plus que comble. L’aumônier divisionnaire qui est chanoine chante la messe. À l’évangile, il prononce une magnifique allocution. On l’écoute religieusement. Je suis avec mon cousin Louis. C’est la premières fois depuis le début de la campagne qu’il m’est donné d’entendre réellement une messe chantée avec sermon. Je songe aux miens qui sont bien loin de moi et que peut-être je ne reverrai jamais. Je suis ému jusqu’au fond de l’âme et prie avec ferveur. Tous les officiers sont là. Le respect humain n’existe pas. À la sortie, chacun stationne. On cause par petits groupes. Le temps est maussade cependant. Puis la foule s’écoule et chacun va à son repas.

À la sortie de l’église, je vois Jean Lotthé qui est rentré guéri de ses blessures d’août. Il n’a aucune nouvelle de son frère Louis, notre ami commun, qu’il croit avoir été tué le 28 août à la bataille de Beaumont.

Gallica-messe2Je reçois, nouvelle joie, une lettre du 11 (?). On me rassure sur la chère maison et je suis pour le reste de la journée tout à la joie. Dans l’après-midi, nous touchons quantité des chemises, chandails, etc… J’hérite d’un gilet de chasse que je mets immédiatement et qui me plaît beaucoup. Petit à petit, ma garde-robe se remonte.

Le soir cependant, au coucher, je ne rentre plus à la grange. Je m’étends sur un vieux sac qui me sépare des pierres qui forment le sol de la remise. Un havresac pour ma tête, une serviette autour de la tête, deux couvertures. Naturellement le sommier n’est pas moelleux, mais au moins la vermine ne m’atteindra pas. Je suis seul dans la remise. De ce fait, du moins, personne ne me dérangera.

24 octobre

Cote 211

La nuit fut longue et bonne. C’est un coin tranquille. On se lève tard. Le soleil donne et cela nous fait plaisir.

Nous sommes ici en position d’attente. Dans la matinée, je communique un ordre au capitaine. Celui-ci est installé dans un gourbi* potable avec la liaison avec lui.

Vers 9 heures, je me rends à une ferme que je ne connais pas, la ferme de la Seigneurie. En route, je rencontre une corvée de territoriaux qui m’indiquent la direction à suivre.

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Extrait carte J.M.O.* de la 41e D. I. de 1916 (archives_SHDGR__GR_26_N_340__002__0197__T)

J’arrive au bout d’un layon à la lisière d’arbres. Dans la maison d’habitation, deux femmes servent à manger.

Je prends de l’eau à une pompe et rentre au PC du bataillon, distant de 1200 mètres. Nous faisons du café qui nous réchauffe et mangeant quelques conserves. Je ne suis pas à court cette fois, grâce au paquet reçu hier. Dans le cours de l’après-midi, je rentre à Florent avec mes amis les fourriers et l’adjudant De Juniac. Nous allons faire le cantonnement* car le bataillon rentre dans la soirée.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Heureux de cette nouvelle, alors qu’on se croyait de nouveau au feu, nous arrivons bientôt au cantonnement. Nous recevons un autre coin, la rue Duperytren ( ?). (Voir topo, Tome IV)

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Plan établi par Émile Lobbedey intitulé Topo Tome IV .

Une heure après, il peut être 6 heures du soir, la compagnie s’installait dans trois granges. Le capitaine et les officiers de la 5e étaient logés avec le commandant dans une vaste demeure faisant le coin de la rue et de la place.

Quant à la liaison, nous avions la remise de la maison avec un banc et une immense table. Au fond se trouvent une chaudière qui nous servira à faire la popote*, et une commode. Du bois est entassé à l’entrée, à droite. Malgré la défense d’y toucher, c’est une ressource.

On s’installe donc. Une volière se trouve dans la remise. Les canaris nous distraient.

Deux fenêtres de la cuisine donnent dans la remise. Les gens ne sont pas des plus aimables. Je réussis cependant à m’introduire et à obtenir de l’eau. Dans la cuisine, je vois le sous-lieutenant Lambert et le médecin aide major Veyrat (Veyrat ?) qui se chauffent tandis que les cuisiniers Chochois et Chopin vaquent à la préparation du repas.Popote01-103-5-31Après le repas qui cuit merveilleusement dans la chaudière, nous partons nous coucher dans une grange voisine où se trouvent cantonnées la musique du régiment et la C. H. R. [1].
Quelle bonne nuit dans la paille !

 


[1] C. H. R. : Compagnie Hors Rang, compagnie unique qui se trouve au niveau du régiment et regroupe ce qui touche au fonctionnement administratif, logistique et au commandement du régiment. On y trouve le secrétariat du colonel et de son petit état-major, les cellules traitant de l’approvisionnement en matériel, habillement, nourriture, un peloton de pionniers pour les travaux de protection, la section de brancardiers qui est en même temps la musique du régiment. Pour commander, il faut assurer les liaisons vers les supérieurs et les subordonnés, et naturellement une équipe de téléphonistes y a sa place.

 

 

 

23 octobre

Départ pour la cote 211

Encore une nuit délicieuse !

Dans la matinée, nous sommes avertis que nous allons partir l’après-midi prendre position entre Florent et la Placardelle, à la cote 211.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Après le repas, je reçois un colis de la maison contenant du linge et des friandises. C’est mon premier colis. Il ne se plaindra pas de ne pas être le bienvenu. À présent, je commence à aimer la vie. J’ai mon sac et ma musette fournis, je suis nippé : pantalon, souliers et molletières* et j’ai de bonnes nouvelles de chez moi. Tout va bien.

Pourtant les nouvelles mettent bien longtemps encore. Ma lettre est datée d’il y a un mois.

L’après-midi se passe à copier et communiquer une avalanche de notes. Nous sommes heureux de partir le soir à 5 heures, car c’est à devenir fou.

Le temps se maintient beau ! Nous partons en tête du bataillon, suivant le commandant à cheval, suivi de Jacques, le maréchal des logis de liaison. Après une pause faite près du parc d’artillerie, nous repartons pour arriver vers 7 heures à la position. C’est la cote 211, c’est la cote où le vaguemestre* nous conseillait de presser le pas parce que les balles sifflaient.

Un bois se trouve à droite et à gauche de la route. La 5e compagnie s’installe au point A ; c’est une position de seconde ligne qui se trouve à proximité du Four de Paris. La 8e compagnie s’installe près de nous dans des gourbis* en B. Nous sommes avec le PC du commandant à la lisière du bois, à droite de la route. Quant à la 6e et la 7e compagnies, elles sont en réserve dans le bois à gauche. (Voir topo Tome IV), couverture.

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Plan établi par Émile Lobbedey intitulé Topo Tome IV .

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Extrait carte J.M.O.* de la 41e D. I. de 1916 (archives_SHDGR__GR_26_N_340__002__0197__T)

J’accompagne la 5e compagnie afin de reconnaître l’emplacement du PC de la compagnie et rentre, il peut être 9 heures, presque à tâtons, au PC du bataillon.

La majeure partie des gourbis sont pris par mes amis. J’en trouve un cependant plus ou moins confortable, que je puis examiner grâce à un bout de bougie.

René le mitrailleur survient. Je l’invite et tous deux nous installons pour la nuit. Il n’a pas l’air de faire bien chaud. Heureux serons-nous s’il ne pleut pas.

22 octobre

La journée se passe calme. Je reçois une lettre de la maison, datée du 29 septembre. C’est pour moi un renouveau de joie.

La compagnie reçoit encore du linge que je vais toucher au bureau de l’officier de détail. On distribue à tout le monde, car tout le monde réclame, dénué de tout. Malheureusement, ce n’est pas suffisant et souvent cela crée des jalousies.

Le matin, le capitaine a beau distribuer lui-même les pipes aux plus braves.

On ne parle pas de départ encore. Nous nous tenons prêts de nouveau, car une alerte peut sonner, la vraie cette fois. Aussi le jour, sac, équipements, tout est prêt et monté. Le soir, j’apprends que le lieutenant Girardin quitte la compagnie pour prendre le commandement de la 9e compagnie. Je le félicite en communiquant.

21 octobre

Nous sommes une vraie famille. De Juniac est l’ancien, le père. Il y a ensuite les quatre fourriers*, Carpentier, Gallois, Huvenois et moi. Gauthier est clairon et cuisinier avec René, l’agent de liaison* de mitrailleuses. Puis viennent les deux cyclistes Crespel et Caillez. Jacques, le maréchal des logis de liaison, fait partie à présent de la suite du colonel.

Dans la matinée, je vais saluer mes amis Verley et Toulouse, secrétaires du trésorier. On parle du pays et cela nous fait plaisir de l’évoquer. Je fais connaissance d’un sergent âgé qui a été affecté avec eux. De retour, je rencontre dans la rue un monsieur de Sedan avec qui j’avais lié connaissance, Bourgerie. Il est arrivé simple soldat réserviste et est affecté comme cycliste et la liaison du colonel.

La journée se passe tranquillement, agrémentée de tartes que nous apporte encore De Juniac qu’on dédommage de ses frais.

À la compagnie, en reçoit des pantalons de velours, ainsi que des souliers. Je reçois une nouvelle paire de brodequins et un pantalon [1]. Cela me comble de joie et la bonne aubaine échoit à chacun d’entre nous à la liaison. C’est une vraie fête.

Mes jambières [1] étaient hors d’usage et les amis étant dans mon cas, nous nous taillons des bandes molletières [2] dans une vieille couverture.

Le soir, nous étions neufs.

Mais bientôt, il peut être 7 heures : alerte. Le commandant nous fait dire que dans 10 minutes, tout le monde doit être rassemblé, prêt à partir. Nous communiquons et revenons nous équiper en hâte, rouler nos couvertures, monter nos sacs, etc…

Puis nous attendons l’ordre de départ.

Nous allons dire qu’on peut former les faisceaux.Gallica-bivouac3 Et deux heures après, tout était terminé. On ne part pas, c’est un simple exercice, dû au général Rabier [3] qui se trouve à Florent, notre général de division. Quelle joie de pouvoir défaire son sac et s’étendre sur la bonne paille !


[1] Consulter le site : http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr/uniforme-habit.htm pour voir les principales composantes de l’uniforme.

[2]  Bandes molletières : Élément de l’équipement des fantassins français, constitué d’une bande en drap de laine enroulée autour du mollet.

[3] Général Rabier : il s’agit de Charles Anselme Adolphe RABIER, dont le fichier LEONORE nous apporte quelques précisions. Vois ci-dessous :
FRDAFAN83_OL2252064V029_LFRDAFAN83_OL2252064V030_L

20 octobre

La nuit fut excellente. On se lève tard. Je crois qu’on ne se lèverait pas si on ne devait pas communiquer. Nos couchons dans la première pièce. Il n’y a pas de paille. Mais tout est clos et on y fait du feu. De la seconde pièce, nous avons fait le salon de toilette, le bureau et le salon de réception.

Gallica-pailleNous touchons de la paille dans la matinée. On l’étend aussitôt, se promettant une nouvelle bonne nuit. Dans l’après-midi, les compagnies touchent du linge. Je m’empare aussitôt d’une chemise et d’un caleçon. Je me change l’après-midi abandonnant le linge que j’ai porté un mois. Malgré ma joie, la mélancolie me prend. Aurais-je jamais cru dans mon existence en arriver à ce point ?

Je vois Lannoy qui a installé le bureau dans une maison et fait ses écritures près du feu. Je lui apporte des pipes que je m’en fus chercher au bureau du colonel, au lieutenant Lebeau.

Notre popote* fonctionne bien. On se distrait à aider à la cuisine. On copie entre-temps quelques notes. On les communique ensuite. Cela distrait et fait passer le temps. De Juniac, au repos du soir, nous apporte une petite tarte aux pommes que l’on mange avec délices. C’est une dame qui fait cela et chez qui il logea le capitaine Claire. On ne peut en avoir plusieurs et il faut commander longtemps à l’avance. Tout le monde militaire s’arrache cela. De bonne heure, on se couche car il faut se refaire les forces. J’apprends dans la soirée que Masson est nommé caporal, c’est un grade mérité.