Archives de catégorie : Partie 2 – Chap. 2

19 octobre

Repos à Florent

Nous nous dirigeons vers la mairie. Nous y entrons. Une lampe brûle. C’est une espèce de vestibule avec un escalier à gauche.

Nous nous étendons par terre. On dort, laissant De Juniac se débrouiller avec l’officier de cantonnement qui doit se trouver là.

On est réveillé. Il est 5 heures. Il faut aller faire le cantonnement*. De Juniac a reçu l’officier de cantonnement qui, d’accord avec le major, lui a indiqué un coin du village.

Le petit jour se lève. Le village nous paraît grand. La place est vaste. L’église au milieu n’est pas mal. Nous devons occuper plusieurs rues à l’est. On arrive sur l’emplacement. Chaque fourrier a son coin pour loger la compagnie. Je commence aussitôt, mal réveillé. Les habitants dorment encore, il est 5 h 30. Ce n’est qu’au prix de difficultés inouïes qu’ils daignent me répondre. Je suis furieux. (Cantonnement dans la rue C, voir topo Tome IV)

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Topo Tome IV – Schéma réalisé par Émile Lobbedey

Une maison cependant m’ouvre aimablement. Les personnes m’offrent du café et un verre de liqueur. Je loge chez eux le capitaine.

Enfin c’est fait. Je retourne sur la place. Le long des murs, des territoriaux font du café. Je vois également des artilleurs. Les civils viennent à passer, les femmes : je regarde tout grand, cela me semble tout nouveau. Gauthier a réussi à faire un peu de café sur le feu d’un territorial. J’en bois un quart délicieux.

Soudain j’aperçois à cheval le capitaine Aubrun. Je cours vers lui et amène la compagnie à son emplacement. Le capitaine m’annonce aussitôt qu’à la relève un obus est tombé sur la section Culine, pulvérisant trois hommes et en blessant quatre autres.

À 9 heures, tout était fait. La troupe fourbue reposait sur la paille dans trois granges. Le capitaine avait une chambre chez deux personnes, homme et femme bien aimables, acceptant même la popote* des officiers. Les deux lieutenants avaient un modeste lit dans une autre maison aux gens rébarbatifs.

Pour nous, De Juniac a trouvé une maison. Une pièce est occupée par une vieille personne à peu près folle qui vit de ce que laisse la troupe. À gauche, en entrant, se trouvent deux pièces, l’une donnant devant, l’autre derrière. Elles sont malpropres. On se met aussitôt au nettoyage. Avec Gauthier je vais dans un bois non loin couper du bois tandis que le reste nettoie tout.

Je reviens vers 10 heures. Sans être beau, c’est propre. Il n’y a pas de chaises, sinon une espèce de vieille commode. On peut faire un feu de bois. Il y a une petite table boiteuse. La seconde pièce est nue mais c’est un plancher. Une table s’y trouve avec une planche et deux tonneaux qui servent de sièges. Nous sommes heureux de trouver tout cela.

Déjà les denrées ont été cherchées. On commence immédiatement la popote. On se nettoiera l’après-midi. Des biftecks ne tardent pas à cuire et on s’en donne à cœur joie.

Vers 11 heures, je me rends dans la rue où se trouve cantonnée la compagnie, déjà de nombreux feux sont allumés et les cuistots préparent la popote.

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Florent, campement militaire : la troupe au repos – 1915.07.18 ©Ministère de la Culture (France)

Je vois le lieutenant Lambert causant avec un soldat de première classe, Godart, venu en renfort sans doute. Il fut blessé le 28 août.

Le commandant Jeannelle est logé près de nous. Il vient nous voir, demande si tout s’est bien passé et se dit tout à fait rétabli. Le capitaine Sénéchal a repris sa place près du colonel.

L’après-midi se passe à communiquer des ordres et à se nettoyer. Je vais voir à la voiture de compagnie où se trouvent sans doute dans le coffre une dernière chemise et un dernier caleçon. Je ne trouve rien. Franchement, je commence à en avoir assez de me promener avec une seule chemise.

Je me débarbouille quand même, remettant au lendemain le lavage complet et je passe le reste de l’après-midi à somnoler.

J’attends des colis, des lettres. Rien n’arrive.

Vers le soir, je descends faire un tour dans le village. Il n’y a pas de café. Il n’y a rien d’attrayant. Je fais une visite dans l’église et rentre l’âme morne.

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Florent , une rue avec des soldats – 1915.07.27 ©Ministère de la Culture (France)

18 octobre

Relève de tranchées

Nous rentrons au petit jour. Il a encore plu la nuit. Les terrains sont détrempés et on glisse à tout instant. La journée est encore agrémentée de quelques obus.

Je vois à plusieurs reprises le lieutenant Péquin qui loge avec le capitaine Sénéchal.

Je vois aussi mon cousin Louis qui est en réserve non loin de moi. Ni l’un ni l’autre n’avons de nouvelles des nôtres.

Hier soir, nous avons touché de nouveau du tabac. On passe sa journée à fumer. Vers 5 heures de l’après-midi, nous recevons l’ordre de relève*. Il commence à être temps. Chacun était fatigué.

Bientôt, l’adjudant de bataillon et les quatre fourriers*, suivis de notre clairon cuisinier Gauthier, nous partons faire le cantonnement à Florent.

Il fait déjà nuit noire. Heureusement nous connaissons un peu la route à travers bois et Gauthier la connaît très bien. Le temps et brumeux. Il a plu. On glisse. De guerre lasse, après un certain parcours et des chutes nombreuses, nous allumons une lanterne que nous avons avec nous. On se suit à la queue l’un de l’autre. Plusieurs fois, des officiers rencontrés nous ordonnent d’éteindre notre bougie. Nous allons attirer des obus, dit-on. On rallume chaque fois un peu plus loin.

Enfin, après une marche impossible à décrire, on descend une pente glissante où sont stationnées des troupes qui, elles aussi, protestent contre la lumière. De guerre lasse, nous l’éteignons. Je prends une bûche dans la descente. Il peut être 8 heures. Nous sommes dans La Harazée.

On continue et à la sortie nous faisons une longue pause qui nous semble délicieuse car on n’en peut plus. Nous quittons pour nous appuyer une forte côte du haut de laquelle nous apercevons toutes les lumières de La Harazée. Des batteries d’artillerie y sont installées.

Gallica-batterie On file clopin-clopant. La route fait un serpentin. Nous arrivons dans une autre agglomération que nous ne connaissons pas. C’est la Placardelle. Beaucoup de monde y circule et c’est un brouhaha indescriptible. Nous faisons de nouveau la pause à la sortie. C’est à croire que nous ne pourrons aller plus loin.
Un cycliste arrive et bute contre nous.Gallica-Vaguemestre On va s’invectiver quand on reconnaît la vaguemestre* Renaudin qui vient à la rencontre du bataillon. On lui dit qu’il peut attendre toute la nuit car le bataillon n’est pas près d’arriver. Il se charge donc de retourner et de nous conduire à Florent, village que nous ne connaissons pas. Il peut être 10 heures du soir.

Bientôt, c’est une nouvelle côte qu’il faut passer rapidement, car les balles y sifflent. Cela nous laisse froids, on en a vu bien d’autres. D’ailleurs impossible d’aller plus vite, on n’en peut plus.

On fait la pause de nouveau, désespérant d’atteindre jamais le contournement. Il y a encore 6 km à faire, on repart. Pour me distraire, je compte les pas, heureux de rapprocher petit à petit.

Gallica-ArtillerieConvoiNous rencontrons des convois d’artillerie en quantité. Il ne pleut pas mais il a plu et les terrains sont boueux. De chaque côté de la route, c’est un bois. On désespère d’en voir la fin.

Enfin, après deux heures de marche et de multiples pauses espacées de 500 en 500 mètres, nous atteignons notre but. On tourne à gauche et une sentinelle*, 100 mètres plus loin, nous arrête. De Juniac a le mot heureusement et nous passons.

On voit ou plutôt on devine les premières maisons. On tourne à droite, voici une rue qu’on monte, guidés toujours par Renaudin et nous arrivons bientôt sur la Grand-Place.

Arrivés, cri de joie ! Mais le cantonnement* est à faire !

17 octobre

Les jours se suivent et se ressemblent malgré une pluie ennuyeuse qui survient dans la matinée.

Notre gourbi*, heureusement, est bien étayé et la pluie n’est pas forte. Nous sommes à sec. Chaque soir, à la tombée de la nuit, la fusillade éclate. On ne s’en préoccupe plus. Cela dure une heure et puis ce ne sont plus que des coups de feu isolés. Parfois cependant, cela s’étend, se prolonge et la fusillade pour quelques instants reprend de nouveau. C’est à croire que de part et d’autre on est affolé.

Le capitaine me demande si on parle de relève*. Je n’entends encore rien.

Je descends le soir pour le ravitaillement. Tout se passe comme la première fois. L’adjudant du ravitaillement Cousinard me dit qu’il y aura probablement relève demain. Le sait-t-il ?

16 octobre

Nos braves cuisiniers nous apportent la pâtée au petit jour. Après vingt-quatre heures de jeûne, on mange avec appétit. Une innovation soulage les cuisiniers d’escouade*. Un mulet par compagnie les accompagne, transportant le pain et quelques vivres. Au PC du bataillon, tout est descendu et transporté aux tranchées.

Le ravitaillement en munitions se fait très bien aussi. La consommation des cartouches est effroyable.

Le capitaine, dans une de mes communications, me parle des bombes que les troupes continuent à recevoir. Nous n’avons rien pour répondre. Heureusement, les tranchées sont couvertes en grande partie. J’amène au PC Sénéchal une espèce de boîte éclatée, remplie de poudre brûlée et en cuivre reçue à plusieurs reprises.

Notre vie dans le gourbi* est tranquille. On fait du feu et nous pouvons manger chaud. La place n’est pas grande. À trois nous sommes très serrés mais la nuit nous avons d’autant plus chaud.

La vaguemestre* arrive chaque soir vers 4 heures et amène quelques lettres. Le service postal semble fonctionner normalement.

Les agents de liaison* en second se sont également confectionnés un gourbi et se déclarent heureux. Ils nous sont d’un grand soulagement car les notes à communiquer sont souvent nombreuses.

Nous apprenons dans la journée qu’une tranchée* a été perdue au 3e bataillon sous une formidable poussée boche. La 11e compagnie s’est défendue jusqu’à la mort, particulièrement la section du sous-lieutenant Ardant du Masjambost [1] qui est tué et dont le corps est resté aux mains ennemies.

Ce soir, la 7e compagnie relève la 8e qui est en ligne depuis notre arrivée ici. De Juniac, l’adjudant, veut faire comme nous et accompagne les cuisiniers au ravitaillement. C’est un charmant garçon !


[1] Ardant du Masjambost : voir ci-après la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (16 octobre au lieu de 15), semble correspondre

FicheMDHarchives_B240748R

15 octobre

Je trouve Huvenois couché. Il n’a pas trouvé sa compagnie et n’est pas reparti ! D’ailleurs, autant prendre la lune, dit-il. Cela ne le préoccupe pas plus que cela.

Notre journée est agrémentée d’obus. Ceux-ci tombent à 600 mètres derrière nous, près du colonel.

Les cuisiniers des compagnies ne sont pas partis. Les fourriers* sont donc à couvert.

La 7e compagnie est en réserve près du colonel. Le lieutenant Régnier loge avec le capitaine Sénéchal.
CP-tonneauPopoteChaque jour, des mulets de mitrailleuses amènent des petits tonneaux de thé [1. lire le commentaire ci-dessous] et les compagnies viennent prendre leur ration par section, dans les bidons des hommes.

Dans l’après-midi, une centaine de couvertures arrive pour chaque compagnie. On les étend, les compte. Par ballots, elles partent pour les combattants.
Ceux-ci seront heureux, car il fait un froid de loup.

14 octobre

Dans la journée, nous changeons de gourbi* et nous installons à côté, dans un gourbi plus grand, occupé par l’agent de liaison* en second de la 6e compagnie, caporal fourrier* Legueil. On passe sa journée à aménager l’intérieur et l’extérieur du gourbi, cela nous réchauffe. Nous coupons également des brindilles d’arbres très sèches afin de pouvoir faire du feu sans fumée le jour. De cette façon nous mangerons chaud.

Le temps se maintient sec. Ce qui commence à nous peser, c’est le manque de nécessaire de toilette. Je profite, l’après-midi, de ce que nous avons plusieurs bidons de thé pour me laver un peu dans un quart. Cela me rafraîchit un peu et me fait sourire. Quelle misère ! J’écris le fait chez moi.

Le soir, la 5e relève* la 7e. Nous suivons un boyau coupé par une tranchée en deux endroits. Il faudra faire attention la nuit. Puis il faut tourner à gauche et 200 mètres plus loin, on arrive. Jamais la nuit, je n’arriverai à communiquer. À mon retour, de toute façon, avec Garcia, mon second, nous tâchons de prendre des points de repères et de nous les rappeler.

Vers le soir, après l’installation de la compagnie, une longue fusillade crépite. Je vais rapidement dire de ne pas envoyer les cuisiniers [1]. Le capitaine me dit qu’il ne sait ce qu’il y a et rapidement, sous les balles, après m’être quasi égaré deux fois à l’aller et au retour, je rentre au gourbi. Vers 10 heures, nous recevons chacun l’ordre de nous rendre à nos compagnies respectives afin de dire que la fusillade calmée, on peut envoyer les ravitailleurs.

Il fait nuit noire : on n’y voit pas à deux pas. Je pars avec Garcia le tenant par la main. Malgré ma bonne volonté, je renonce à arriver. Je compte mes pas, mais tombe dans la première tranchée coupant le boyau. Pas de mal ! J’allume, risquant tout, des allumettes et trouve ainsi le chemin de gauche. Je rencontre la seconde tranchée et tombe de nouveau. Heureux suis-je malgré tout, car nous ne sommes pas encore égarés !

Tâtonnant, on continue. Et ne sachant plus où nous sommes, je prends le parti d’appeler.

Au bout d’un instant, un peu de lumière apparaît. Sauvés, nous y sommes ! Le capitaine maugrée* pour mes cris et comprend la difficulté qu’il peut y avoir à se guider en pleine nuit noire, dans un bois méconnu, à proximité de l’ennemi.

Il est presque minuit. J’ai mis plus d’une heure pour faire 300 mètres. Inutile de ce fait d’envoyer les cuisiniers. Le ravitaillement doit avoir quitté La Harazée et d’ailleurs, jamais il ne serait rentré pour le petit jour.

Plein de courage après une bonne pause, nous repartons Garcia et moi. La route est aussi longue et les tâtonnements aussi grands. Je n’évite pas une nouvelle chute, j’évite la seconde. Ma boite d’allumettes est épuisée mais nous arrivons.

Je suis fier de dire l’ordre transmis à mon chef. Celui-ci me félicite et déclare que les trois autres ont déclaré qu’il était impossible d’aller à leur compagnie. Il les a renvoyés. Quelle bonne nuit je passe !


[1] Parmi les cuisiniers du 147e régiment d’infanterie, Paul Leleu.
Originaire du Nord, il meurt le 15 octobre 1914 (fiche Mémoire des Hommes ci-dessous) au combat dans le Bois de la Gruerie (Marne).
En savoir plus : http://europeana1914-1918.eu/fr/contributions/10169#prettyPhoto

1 - Main frame

Fiche MDH-archives_H030357R

13 octobre

Au petit jour, retour des cuisiniers. La vie commence à être réglée.

Nous entendons des obus qui sifflent dans la journée. Mais cela nous laisse indifférents, ils ne tombent pas juste.

Nous touchons vers midi deux bonbonnes de thé par compagnie. Les escouadesenvoient un homme en chercher. Nous nous servons. Cela, ce soir, nous permettra de faire un peu de chocolat. La nourriture n’est pas brillante en effet : chacun son morceau de viande large comme la main et un quart de riz, le tout gelé car il gèle. Nous préférons d’ailleurs ce temps à la pluie. Les terrains sont secs et plus praticables. Le soir, nous recommençons notre feu grâce à des brindilles de bois que nous coupons à la hache.