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27 janvier

De bonne heure, debout ! Vivement le débarbouillage !

Cela nous remet en place depuis que chaque jour nous pouvons normalement procéder à notre toilette. La vermine a complètement disparu.

Licour dévoué et heureux d’être exempt de service lave le linge et s’occupe de toutes les questions matérielles comme un volontaire modèle : j’y ai retrouvé tout le linge reçu à Florent et heureux suis-je de pouvoir être propre.

Après le chocolat, je pars avec Jaquinot et ma voiture à l’officier de détails. J’arrive dans Charmontois-l’Abbé en grand équipage et voit Bourgerie, un ami d’antan de Sedan, sergents fourriers à la C.H.R.* qui dit me servir aussitôt, heureux de se débarrasser de sa camelote le plus vite possible.

Pendant qu’on me sert je vois pour la première fois des aspirants qui viennent d’arriver. L’un de et chef de poste de police : Boutollot affecté à la 7e compagnie.

J’inscris donc que tout ce que je reçois et bientôt brodequins, chemises, chaussettes, caleçons s’entassent pêle-mêle dans la voiture. Jaquotte [1 Jacquinot ?] qui flânait depuis deux jours aura du travail à ranger tout cela.

Nous touchons jusqu’à du fil, des aiguilles, du galon etc.… Je file avec toute ma marchandise. Au passage les gendarmes me saluent, riant de me voir marchand de nouveautés.

À ma rentrée je rends compte à Gallois par écrit de ce que j’ai touché et envoie Jamesse avec ceci le chargeant également de monter le magasin.

Il est 10 heures. Je vois revenir la compagnie de l’exercice sous le commandement du capitaine Aubrun à cheval. Celui-ci descend et vient nous trouver.

Lannoy par lire le rapport. Je demande au capitaine de supprimer l’exercice de l’après-midi pour les distributions d’effets. Accepté. Je cours rejoindre Lannoy. Donc cet après-midi section par section à intervalle d’une demi-heure, distributions à partir de 2 heures, gradés présents.

Nous prenons notre repas à 11 heures, un peu plus tranquilles que la veille. Mascart vient cependant nous harceler au café. C’est une note du colonel qui déclare que les galons doivent être placés sur les manches de telle façon, suit le modèle, et non à la capote et à la tunique entre le 2e et le 3e bouton selon les ordres d’antan du colonel Rémond. Bon !

Le galon doit avoir 0,09m et les galons rouges sont remplacés par des noirs.

Je reçois un peu de courrier. J’ai toujours de bonnes lettres de ma famille, mais depuis hier seulement. Une seconde lettre aujourd’hui avec une carte de mon camarade le sergent Noël qui est en traitement et se dispose à rejoindre bientôt le dépôt. Le courrier avec notre déplacement à eu quelque retard. À présent tout est normal.

Je passe mon après-midi au magasin ou ayant en main l’état du manquant par section je procède aux distributions. Je reçois la visite du sous-lieutenant d’Ornant qui timidement vient essayer une paire de souliers.

Enfin à 4 heures mon magasin est vidé, et tout le monde n’est pas servi loin de là.

À mon retour je trouve le capitaine Aubrun au bureau. Celui-ci fait demain du service en campagne ; 7 heures, rentrée 10 heures. L’après-midi revu à 3 heures des capotes nouvellement galonnées. Repos pour le reste de la compagnie. Aussitôt le capitaine parti, nous bouclons tout et filons chez La Plotte. Nos amis n’y sont pas. Nous continuons, entrant en passant à l’épicerie, vers le coin de Culine. Nous y rencontrons nos amis occupés à jouer aux cartes. On s’attable, on raconte l’affaire des galons, du service en campagne pour demain et on trinque à la victoire.

Gaiement nous rentrons chez nous. Il fait un froid de canard. Depuis notre arrivée ici, il gèle à pierre fendre.

La soirée se passe gaiement et se termine par quelques chansonnettes.


[1] Jaquotte : s’agit-il d’un surnom donné à Jaquinot ou d’une erreur de nom ? Toujours est-il qu’aux dates du 26, 27 et 28 janvier le nom Jaquotte est rayé dans le cahier et remplacé par Jaquinot. Sauf ici dans une phrase ! S’agit-il d’un oubli de correction de la part d ‘Émile Lobbedey ?

19 janvier – Troisième partie

Troisième partie – Un mois de repos


Sénart – Charmontois – Belval
(Voir topo tome VII)

19 janvier – Départ de Florent et arrivée à Charmontois

Vers 5 heures, Gallois nous quitte. On lui souhaite bonne chance en lui disant de nous préparer un beau cantonnement.

Nous nous levons une heure après et préparons nos fourniments pour le départ pendant que Gauthier fait le café. Dans la rue, c’est une agitation fébrile. Les hommes sont enthousiastes : on entend des chansons partout.

Frappé, l’agent de liaison de la 7e, qui est un peu l’ordonnance de Gallois, porte son fourniment aux voitures. Je vais voir le capitaine Sénéchal qui me dicte une note : rassemblement des compagnies du bataillon sur la route de la Grange aux Bois pour 8 heures 45.

Sac au dos. À 8 heures 30, nous quittons notre « home » et nous rendons sur la route en tête de la 5e compagnie qui déjà s’amène et parcourt 800 m avant de s’arrêter afin de laisser la place aux compagnies suivantes.

Je vais chercher le capitaine Sénéchal et nous revenons ensemble en tête du bataillon tandis qu’au loin nous entendons notre musique qui arrive, exécutant un pas redoublé. Le colonel Desplats, en tête à cheval, nous dépasse et met pied-à-terre. Il s’entretient avec nos officiers tandis qu’au son des tambours et clairons, le drapeau est salué par nous à son passage.

La musique se place en avant de la colonne. Halte !

Il est 9 heures. Nous partons. La route est bonne, le soleil nous fait grâce de quelques rayons. Adieu Florent !

En route nous parlons avec volubilité. C’est notre façon d’être heureux. Nous voyons au haut d’une petite colline le commandant du régiment qui nous regarde défiler.

Je ne vois pas le reste du régiment. On me dit que les 1er et 3e bataillons sont déjà à la Grange aux Bois. C’est vrai, Jombart me l’avait dit hier. Soudain, nous obliquons à gauche. Si nous continuions tout droit, nous irions directement à Sainte-Menehould dont nous sommes éloignés de 5 km. Nous allons par ici à la Grange aux Bois où se trouvent les camions automobiles qui doivent nous transporter à l’arrière, bien loin, dans ce pays du rêve qui sera notre repos.

Nous faisons une pause pendant laquelle le colonel ordonne de quitter les couvre-képis, manchons. Cela nous paraît tout drôle de voir des képis rouges : c’est la première fois depuis l’ouverture des hostilités.

Nous repartons pour nous arrêter de nouveau 2 km plus loin. Nous nous divisons par fraction de douze et ainsi, à 30 m les uns derrière les autres, par portions, nous entrons au son de la musique dans le village. Nous tournons à droite. Sur le côté droit de la route, nous voyons quantité de camions-autos arrêtés. Déjà la musique, les sapeurs commencent à embarquer. Arrivés à notre voiture respective, nous en faisons autant, entassant corps et biens au milieu de la joie générale.

La relève par automobile (camion) : [photographie de presse] / Agence Meurisse - 1

Il est 11 heures. Nous démarrons. J’ai pris la bonne place : je suis assis sur le devant entre les deux titulaires du camion : le conducteur et le mécanicien. Ce sont deux types de 40 ans. Ils rient de me voir si heureux et je leur raconte toutes les anecdotes du bois de la Gruerie, les attaques, la dure vie, les bons moments.DSCN9664

Le temps est sec. Mais il fait froid. Aimablement, mes compagnons me couvrent de leurs couvertures.

C’est à présent un long défilé sur la route d’autos qui se suivent à 25 m, quelquefois moins, quelquefois plus ; et quand à un tournant de route il est donné de jeter un regard en arrière, cela paraît être un long serpent.

Mes camarades à l’intérieur hurlent un vieux refrain populaire. Je suis chef du groupe et obligé de leur dire de se taire.

Nous passons dans Sainte-Menehould. Je vois une ville animée… Des rues, de vraies rues… Des maisons à étages… Des magasins, des boutiques, des épiceries… Je vois du monde circuler affairé, des civils, femmes en toilette, des hommes en chapeau… Je regarde, je regarde.

L’émotion est trop forte et je verse malgré moi quelques pleurs, tandis que l’auto corne [klaxonne] et que mes deux compagnons de route veillent à ne rien accrocher. Ils ne me voient pas en ce moment, mais s’ils pouvaient deviner tous les sentiments qui s’agitent en moi.

Sentiment de peine surtout : quoi ! La vie normale existe donc ! Il y a des gens qui vivent paisiblement, qui ont tout le confortable, qui vont au café, dans les magasins, qui ont une table, un intérieur chic, des chaises… Et nous, qu’avons-nous ? La vie dure, pénible, la vie de sacrifices ; et ces gens qui regardent curieusement, on dirait même avec dédain, parce que nous sommes sales, boueux, déchirés ; il y a ici des soldats qui ressemblent à des officiers, ils se promènent les mains derrière le dos, ils ont un pantalon rouge ; eux aussi nous regardent avec curiosité et toute leur attitude semble dire « les poires ! » Et ils continuent semblant répéter « Après tout, moi je m’en fous ! J’suis à sec ».

Sentiment de peine. Fait d’étonnement d’abord : je suis comme un exilé qui retrouve ce qu’il a connu dans la nuit des temps et dont il a été éloigné longtemps comme un vrai naufragé du Spitzberg ; qui est rapatrié après des années de vie sauvage. Fait de peine proprement dite : si seulement je pouvais en profiter un jour de tout ce que je vois, combien j’en remplirais mes yeux, mes oreilles, mes sens. Fait de haine et de dégoût, pour ces militaires trop heureux et qui n’ont pas honte de faire montrer de leur lâcheté, pour ces gens qui nous regardent curieusement ; si au moins l’un d’entre eux avait l’esprit de crier « Vive l’armée ! », de saluer ces soldats boueux, hirsutes, ceux qui depuis quatre mois dans ce coin, leur ont fait un rempart de leurs poitrines afin de leur permettre de se distraire, de se recréer et de dormir tranquilles.

Nous avons quitté Sainte-Menehould. C’est fini ; je me frotte les yeux ; le pli que j’avais au front a disparu.

Il peut être midi. Nous voici sur la route de Verrières que je reconnais. Nous y passons à toute allure. Je demande à mes compagnons où nous allons. Ils l’ignorent totalement. « On suit les voitures qui se trouvent devant nous, ayant toujours soin d’avoir en vue celle qui se trouve derrière. En tête de la colonne se trouve en automobile l’officier chef de groupe. C’est lui qui connaît la direction ».

Quelques kilomètres plus loin, nous traversons Villers-en-Argonne. Nous filons sur Passavant.

Mes camarades, à l’intérieur, chantent à tue-tête. C’est la joie de faire de l’auto qui vaut cela. Le temps est superbe. N’empêche que j’ai les pieds gelés.

Nous laissons Passavant ; nous filons sur Le Chemin. C’est un tout petit pays que nous traversons en partie, car nous tournons à gauche. On commence à ralentir. Serait-on arrivé ? Je regarde ma montre ; il est 1 heure.

Nous avons devant nous un pays qui semble assez important. Nous le laissons sans doute car nous tournons à gauche. Nous arrivons à un carrefour de routes. Nous tournons à droite.

« Halte ! Tout le monde en bas !
– Au revoir les amis ! ».
« Les fourriers* au colonel ! Pas gymnastique ! 5e compagnie ?
– Présent. »

Camions Saurer : embarquement de troupes : [photographie de presse] / Agence Meurisse - 1

Parcours vers le repos. Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Parcours vers le repos. Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous sommes arrivés. Je vois Gallois, un officier que je ne connais pas, à deux galons, le colonel. Le bataillon se rassemble, les hommes mettent leur fourniment en place ; c’est le remue-ménage habituel où les commandements, les « chuts ! », les cris se succèdent. Le lieutenant nous dicte quelques renseignements sous l’œil sévère du colonel qui ne sait rester immobile, tant il est énervé.

Demeure du colonel, poste de police, bureau du colonel, demeure du chef du 2e bataillon. Nous sommes revenus au temps de paix. Quand je faisais le cantonnement* lors de la retraite, il y avait moins de cérémonies et moins de chinoiseries que cela.

J’apprends donc que le pays est Charmontois ; que le 2e bataillon seulement y cantonne ; que le colonel, son état-major et la C.H.R.* y cantonnent également.

« Vous avez une demi-heure, les fourriers ; dans une demi-heure, les compagnies arriveront pour se placer » nous déclare le lieutenant-colonel de son ton cassant.

En route donc vivement pour le patelin qui se trouve à 800 m. 

En route, Gallois très énervé me dit qu’il y a Charmontois-le-Roi. Au premier logent, le colonel et les 6e, 7e et 8e compagnies ; au second, la 5e : là se trouve le général de division Guillaumat [ci-dessous ] et son état-major.

« Mais où se trouve Charmontois-le-Roi ?
– Par là…, fait Gallois en m’indiquant vaguement la direction.
– Y as-tu été ?
– Non. »
C’est catégorique et cela veut dire « Débrouille-toi ».

Je suis furieux ; mais je suis philosophe et par-dessus le marché très bien avec mon capitaine.

Gallois « m’a possédé », selon l’expression militaire. Ça va bien ; on se retrouvera, mon petit.

Ne sachant rien du topo du pays, j’attends donc tranquillement d’être fixé. J’ai tout loisir de voir le patelin et d’admirer l’allure paysanne des habitants. Qu’est-ce que ce pays nous réserve comme ressources ? Ce n’est certes pas Sainte-Menehould.

J’entends la musique. Je vois le lieutenant-colonel Desplats qui débouche. Au son d’un pas redoublé, les troupes s’avancent. Je regarde tranquillement. La 5e est en tête.

Je vois le lieutenant qui a fait le cantonnement, lieutenant Garousse ; je l’accoste :
« Où doit cantonner la 5e ?
– Dans ce petit pays que vous voyez à 300 m, Charmontois-le-Roi ; la route y conduit.
– Bon ! »

Je me place près du capitaine Aubrun, en tête de la compagnie. La musique s’est arrêtée en jouant toujours. On rend les honneurs au drapeau en marchant. Nous continuons la route et sortons du village. « Tout droit, mon capitaine ». « L’arme à la bretelle. Halte ! »

Nous sommes à l’entrée de Charmontois-le-Roi. En deux mots, j’explique au capitaine la situation, la conduite de l’adjudant de bataillon vis-à-vis de la compagnie et de moi-même. Le capitaine se charge de laver la tête au camarade Gallois.

La compagnie fait donc une bonne pause pendant que je vais faire le cantonnement. Le capitaine en profitera pour leur donner toutes ses prescriptions.

Ce n’est pas le premier cantonnement que je fais : il sera rondement mené. Je vais à la division pour savoir de quoi je dispose. Je vois le sous-lieutenant Dupont, interprète. Il me fait venir le porte-fanion du général, maréchal des logis, qui a fait avec l’officier le cantonnement de la division.

Nous filons vers la première extrémité du village, direction Le Chemin.

En route je vois le débit La Plotte. Nous entrons ; je suis si heureux de boire quelque chose. Je paie une tournée, deux et trois. Nous sortons. Deux granges : deux sections sont logées et bien, car les granges sont énormes et pleines de paille. Deux maisons d’habitation : une chambre pour le capitaine, proprette sans luxe ; c’est le garde champêtre qui habite ici : le capitaine sera bien gardé ; une chambre pour le docteur Veyrat qui s’est recommandé à moi comme faisant partie de la 5e compagnie ; cette chambre servira de salle à manger ; les cuisiniers auront la cuisine ; c’est une excellente femme qui habite ici : le docteur guérira ses rhumatismes.

Il reste l’autre extrémité du village. Nous retournons sur nos pas et ne pouvons résister à la tentation de prendre encore quelque chose chez La Plotte. C’est d’ailleurs la tournée de mon compagnon. Un café ! Je n’y ai mis les pieds depuis le départ de Marville. Je suis déjà en bons termes avec la patronne, Madame La Plotte, à qui je raconte quelques exploits. Je vois là-dedans des gendarmes de la division qui font popote. Je paie une tournée ; me voici déjà camarade avec ces gens-là.

À l’autre extrémité du pays, où nous filons dare-dare, direction Givry-en-Argonne, deux granges. Voilà la compagnie logée.

En un bond, je suis prêt du capitaine, après avoir donné rendez-vous à mon compagnon porte-fanion ce soir chez La Plotte. Il est 4 heures. Je place aussitôt le premier peloton, adjudant Culine, sergent Hilinan ( ?) du côté Givry. Je reviens ensuite vers Gibert et Diat, sergents qui commandent les 3e et 4e sections. Bientôt ils sont placés, ainsi que le capitaine et le docteur Veyrat. Le capitaine est très satisfait.

« Lobbedey vous êtes dégourdi ! Amusez-vous bien, vous êtes libres ! »
Je ne me le fais pas dire deux fois.

Je sors et tombe sur Lannoy.
« Et nous ?
– Ne t’en fais pas. Attends quelques minutes que diable ! »

Henri Robert, bâtonnier des avocats. 1913

J’ai déjà depuis longtemps mon objectif. Je me rends à la dernière maison à la sortie vers Le Chemin, maison de très belle apparence. Je m’adresse à une jeune fille, puis à une seconde jeune fille, puis à la maman. Je parle comme un avocat, tel Henri Robert [1], ou Jaurès [2] à la chambre. J’obtiens un succès fou. Les jeunes filles me cèdent leur chambre et la maman me donne la cuisine pour y faire popote ainsi que la grange à côté si je veux en disposer.

Je cours trouver Lannoy en poussant un cri de triomphe. Nous arrivons tous deux aussitôt en remerciant vivement nos hôtesses tout heureuses de nous voir heureux.

Nous installons donc le bureau de la compagnie dans la chambre où se trouvent un grand et un petit lit. Lannoy et Culine coucheront dans l’un et moi dans l’autre. Mais à demain les affaires sérieuses !

Nous partons ensemble chez La Plotte que Lannoy ne connaît pas encore. En route, je vois Licour, un soldat de mon pays, le brosseur [3] de Lannoy. Je lui indique où se trouve mon fourniment que j’ai laissé pour faire le cantonnement et lui dis de le porter dans ma villa.

Nous entrons chez La Plotte, heureux d’être si bien logés et d’avoir l’expectative d’un bon lit.

Ah ! Tout est déjà rempli de monde qui chante, danse et boit sec. Nous trouvons ici toute la 5e qui fraternise, pendant que les gendarmes eux-mêmes aident à servir à boire car la patronne ne sait où donner de la tête. Je vois Culine, Cattelot, Diat, Jamesse, Maxime Moreau qui chante à tue-tête, Gibert. C’est notre bande. Nous trinquons de multiples fois, avalant vin, café, liqueurs et ne songeant réellement à manger. Nous dressons notre plan de campagne.

Un bureau de compagnie, une chambre où deux lits seront occupés par Culine, Lannoy et moi ; une cuisine où deux cuisiniers feront popote, Levers et Delacensellerie ; la maison d’habitation où nous mangerons en invitant les habitants, le père, la mère, les deux jeunes filles ; la popote se composera de Culine, adjudant, président, de Lannoy, trésorier, de Cattelot, Gibert, Maxime Moreau, Diat, Jamesse et moi. Nous nous cotiserons. Demain à midi, premier repas après installation de nos deux cuistots et présentation des membres. Quant à Licour, Lannoy se l’adjoint définitivement. Pour le logement des membres, ils ont à choisir entre la grange de nos hôtes ou leur cantonnement de section, mais certainement qu’ils trouveront un lit dans un coin ou l’autre.

Et nous chantons, heureux ! Nous régalons Licour qui vient m’annoncer que la commission est faite ; nous faisons venir nos futurs cuistots et bientôt toute la bande, nous faisons un boucan du diable. Que nous sommes heureux !

On ne s’aperçoit pas de l’heure. Maxime Moreau, lui, ne s’était pas aperçu qu’on avait allumé la lampe.

Nous régalons les gendarmes. Nous leur racontons nos exploits. Nous nous présentons à eux les uns les autres. Nous sommes déjà leurs amis. « Vive la gendarmerie », crie-t-on ; ils nous répondent « Vive les poilus ! »

Maxime Moreau est tellement ému qu’il embrasse le pandore [4], son voisin… Culine n’est pas très brillant non plus. Quant à Lannoy, il pérore sans discontinuer et déclare à tout le monde qu’il n’a pas 21 ans et qu’il est sergent major. Gibert dort sur la table. Et moi, je ne me souviens plus très bien de ce qui se passe dans la suite…


[1] Henri Robert : Considéré comme l’un des meilleurs avocats d’Assises de sa génération par ses talents d’orateur, sa réputation lui vaut le surnom de « Maître des maîtres de tous les barreaux ». (Source Wikipédia)

[2] Jean Jaurès : homme politique français (18591914). Parlementaire socialiste, il s’est notamment illustré par son pacifisme et son opposition au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Connu pour être un grand orateur. (Source Wikipédia)

[3] Brosseur : (Vieilli) Soldat attaché à un officier en qualité de domestique. Aujourd’hui, on dit plutôt ordonnance.
(Source : http://fr.wiktionary.org/wiki/brosseur)

[4] Pandore : (Argot) Gendarme, policier obéissant et passif.
(Source : http://fr.wiktionary.org/wiki/pandore)

18 janvier

Séjour à Florent

Impossible de dormir, tellement je suis énervé ! et mouillé… Je fume cigarette sur cigarette ! Tandis qu’un à un mes amis rentrent plus ou moins boueux, le dernier est Paradis ; il peut être 2 heures du matin. Au-dehors c’est une allée et venue sans pareille de troupes qui chuchotent.

Allons, tout va bien ! Nous pouvons dormir jusque 7 heures, c’est l’heure fixée pour notre départ ! On s’étend et on s’endort pêle-mêle les uns sur les autres, la joie au cœur, et la tête remplie d’un avenir de félicité !

Il est 6h30. Nous sommes réveillés par des appels. C’est le capitaine Claire qui nous envoie son ordonnance [1], Stewart, on va partir.

Bientôt arrivent tout rieurs le capitaine Aubrun et le lieutenant Carrière, Gout et Vals. Le capitaine Claire les suit. Nous pouvons partir de l’avant. Adieu Gruerie ! Nous agitons nos képis en passant le petit pont de bois de Fontaine Madame.

Nous partons, déambulant dans la boue, mais avec une hâte fébrile de quitter ce mauvais coin où nous avons laissé tant des nôtres.

Non loin de la Harazée nous attrapons le colonel Desplats et le capitaine de Lannurien. Ceux-ci sont boueux comme nous et nous amusent par les contorsions qu’ils font pour ne pas s’aplatir dans les flaques d’eau. Nous arrivons dans la Harazée vers 8 heures. Un petit soleil semble saluer notre passage, cela nous fait plaisir. Ce qui nous plaît moins, ce sont quelques shrapnells que les boches nous envoient.

Nous ne nous arrêtons pas en conséquence dans ce coin peu hospitalier. J’ai un souvenir en passant pour Jean Carpentier. Il eût été si heureux, le pauvre, de filer aussi avec nous ayant l’expectative d’un long repos.

Les shrapnells* nous suivent et même des obus percutants* se mettent de la partie. J’émets donc l’avis qu’il serait ridicule de se faire tuer ou blesser ici. Nous laissons donc la cote de la Harazée, malgré Gallois qui veut y passer quand même. Quand Legueil, René, mitrailleur, Paradis, Sauvage, et Crespel le cycliste, nous prenons la route de Vienne le Château. C’est un détour de 10 km. Au moins nous serons à l’abri, et d’ailleurs nous avons pour nous toute la journée et journée de plus ensoleillée.

Nous filons donc rapidement sur Vienne-le-Château, en hâte car la zone quoique moins visée que la cote de la Harazée est fort dangereuse quand même. C’est d’ailleurs ici que dernièrement tombaient les obus lancés contre nos voitures de ravitaillement, spectacle auquel nous assistâmes étant dans la Harazée. Presqu’à l’entrée de Vienne le château, nous sommes dépassés par tous les officiers de notre bataillon. Eux aussi prennent notre route pour plus de sûreté.

Il est 8h30. Le temps est splendide ; sans doute le soleil sabre-t-il notre départ de l’Argonne et veut-il fêter comme nous le fameux repos qui nous met le cœur en liesse.

Nous nous arrêterons dans le château et entrons dans une maison abandonnée où quelques marsouins font popote*. Nous profitons de la pause pour faire du café. Il y a ici tout ce qu’il faut pour cela et les camarades de l’infanterie coloniale sont très complaisants.

Image illustrative de l'article Adolphe Guillaumat

               Général Guillaumat

Nous voyons passer un général de division avec tout son état-major et sa suite. Sans doute est-ce celui qui succède au nôtre, le général Guillaumat, et qui vient voir un peu ce que ses troupes doivent garder.

Le café bu, nous partons, tranquillement cette fois, car les obus sont rares de ces côtés. Nous marchons dans la direction de Vienne-la-Ville. Nous voyons à notre droite à 2 km sur sa hauteur le village de Saint-Thomas en ruine. Au carrefour de la route qui mène à Saint-Thomas, Pêcheur sergent secrétaire du colonel me dépasse à bicyclette en me criant bonjour. Décidément tout le monde suit notre idée et personne n’a aimé affronter la route de la Placardelle toujours balayée d’obus.

On continue. Bientôt nous rencontrons deux compagnies d’un régiment inconnu. Puis un galop de cheval nous fait tourner la tête. Aussitôt nous rectifions la position, c’est le colonel Desplats suivi du capitaine de Lannurien. Lui aussi prend notre route. En passant le colon nous crie aimablement « à Florent ! ».

Voici Vienne-la-Ville. Nous faisons une nouvelle pause. Réellement la route est longue. Nous avons abattu une dizaine de kilomètres et nous en avons encore 15 au moins.

Enfin nous repartons quand soudain quelle aubaine ! Des caissons d’artillerie nous dépassent à vide rentrant au cantonnement à Moiremont.

Une, deux ! Nous sommes dessus, blaguant avec les artilleurs, et chantant à tue-tête. Naturellement il n’y a pas de ressorts, on est un peu secoué, mais on est si heureux et il fait un si bon soleil. Nous arrivons ainsi à Moiremont. Il nous faut descendre, car les caissons s’arrêtent ici. N’empêche que cela nous fait 8 km de parcourus gaiement. Je me souviens de la boulangerie d’autrefois quand nous avons logé dans la ferme Hulion qui brûla la nuit. Si je pouvais avoir un pain frais. J’arrive, j’insiste et puis achète. Quelle bonne chère nous allons faire tout à l’heure sur le bord de la route en cassant la croûte.

Nous voici sur la route de Moiremont à Florent. Encore 6 km et nous serons arrivés.

Nous faisons une bonne pause et nous partageons le pain. Je suis avec Paradis et Sauvage. Les autres nous ont devancé. Nous mangeons de bon cœur le pain frais que nous connaissons ainsi qu’une boîte de pâté. Il est midi et le soleil donne toujours à notre grande joie. Un vieux fond de vin nous désaltère et en route !

Nous marchons, marchons de bon cœur. Il est 2 heures quand nous atteignons Florent.

Un grand va-et-vient de troupes y règne. Nous avons grand mal de nous orienter parmi ce peuple. Nous voyons des chasseurs à pied, du 96e d’infanterie, des artilleurs etc.…

Après bien des recherches nous trouvons un écusson de notre régiment qui nous dit où se trouve le deuxième bataillon : dans la ferme-château (voir topo Florent tome IV  [ci-dessous]).Plan14-11Florent En route nous voyons Verleene, l’agent de liaison de la 6e compagnie. Il nous indique une maison où se trouve la liaison. La maison est située face à un coin du concert de la 4e division. Nous entrons dans une pièce assez vaste où nous trouvons nos amis, Gallois, Jombart etc.… Gauthier est occupé à faire popote. Quelques chaises sont là. Nous nous installons au coin du feu heureux de pouvoir nous asseoir et avaler un quart de café. La route m’a légèrement fatigué.

Jombart me dit que tout le bataillon est logé dans la ferme-château avec les officiers qui ne sont installés que d’une façon rudimentaire.

Le village est occupé par les troupes d’un autre corps d’armée que le nôtre. Nos états-majors sont partis, et il a eu toutes les peines du monde, le cher fourrier, à placer le bataillon dans un coin qu’on voulait lui refuser. Les autres bataillons ont été d’ailleurs dans le même cas, mais ils sont déjà partis à la Grange aux Bois.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Pour nous il a trouvé la maison qu’habitaient depuis notre arrivée dans l’Argonne les trois vaguemestres* du régiment. Nous sommes encore les mieux lotis.

Gallois me raconte qu’il est arrivé à 11 heures après avoir manqué « d’y passer » à la cote de la Harazée. Il ajoute qu’un obus est tombé sur une colonne de territoriaux en marche sur la Harazée, tuant douze hommes. Nous avons eu raison donc de prendre la route de Moiremont.

Je vais voir Mascart qui se trouve dans une grange en face avec les autres agents de liaison. Je lui donne quelques affaires à nettoyer.

Soudain nous entendons la musique. Je me dirige vers la place ; c’est le 96e qui donne une aubade. Je vois nos officiers ; je salue le capitaine Sénéchal qui est rétabli et loge toujours au presbytère. J’aperçois quantité de jeunes sous-lieutenants, un peu godiche dans leurs uniformes tout neufs. Ce sont les saint-cyriens de la promotion « croix du drapeau », de jeunes Marie-Louise qui n’ont pas encore vu le feu.

Je rentre en visitant notre ancienne salle de spectacle. Ce n’est plus qu’une vulgaire grange ou sont cantonnées des troupes. Adieu aussi, chic concert ! Tout cela sent le départ et tu ne nous reverras plus de longtemps sans doute.

La soirée se passe autour de la table à sabler notre « pénard » avec le vaguemestre en attendant de boire le bon vin du repos. La longue route nous a creusé l’estomac et nous mangeons de bon appétit.

Vers 8 heures, Gallois est appelé au bureau du colonel. Une demi-heure après il rentre un peu ennuyé. Les trois adjudants de bataillon partent avec l’officier de cantonnement* demain matin à 5 heures. Ils doivent se munir d’une bicyclette et filer au-delà de Sainte-Menehould dans des villages dont le nom n’a pas été donné, mais qu’ils connaîtront demain. Ils y feront le cantonnement ; le régiment arrivera vers 2 heures après-midi.

Gallois repart vers le capitaine Sénéchal. Il rentre bientôt me déléguant ses pouvoirs. Me voici bien loti de nouveau. Dans tous ses états le pauvre Gallois se voit perdu. Enfin Caillez lui cède la bicyclette et nous nous chargerons de faire porter son fourniment aux voitures.

Allons un quart* de café ; une note fixant le départ pour demain 9 heures. Et nous communiquons à nos commandants de compagnie heureux du départ car ils sont dans une vulgaire masure. La maison d’habitation est occupée par des officiers du nouveau corps d’armée qui nous succède.

Je rentre et nous nous couchons à même le plancher roulés dans nos couvertures autour du foyer.


[1] ordonnance : Soldat attaché à la personne d’un officier pour l’entretien de ses effets, de ses armes et de son cheval.

17 janvier

Relève* des tranchées.

Au petit jour vers 6 heures je me rends comme la veille près le capitaine Claire pour le compte rendu du matin. Il me manque celui de la 8e. Paradis, le caporal fourrier, ne tarde pas à me l’apporter. Il se plaint que par là on a de la boue jusqu’aux cuisses.

Mascart dans notre abri fait un grand feu pour sécher nos couvertures qui durant la nuit ont reçu de l’eau et qui sont trempées.

Gauthier ne tarde pas à s’amener. Il est toujours le bienvenu. Jombart nous annonce que nous serons relevés ce soir ; il le tient de l’adjudant du ravitaillement Cousinard. Celui-ci a reçu ordre de ne pas amener le ravitaillement ce soir à la Harazée.

Je vais immédiatement donner « le tuyau » au capitaine Claire. Ce doit être vrai, car nous en sommes au septième jour de tranchées. Le capitaine Claire appelle Legueil qui passera probablement sergent fourrier* à la 6e compagnie. Un agent de liaison* lui est adjoint, Verleene.

La liaison se transforme petit à petit. Nous avons Gallois, adjudant de bataillon, Jombart, Sauvage et moi sergents fourriers, Legueil et Paradis caporaux fourriers, Mascart, Verleene, Frappé et Garnier, agents de liaison, les deux cyclistes Caillez et Crespel, René le mitrailleur et Gauthier notre sympathique cuisinier. Legueil ne tardera pas à avoir les baguettes de sergent fourrier et Verleene sans doute celles de caporal.

Les cuisiniers des 5e, 6e et 7e compagnies passent. Je salue l’adjudant Culine qui revient. Il ne peut rester inactif à la Harazée et préfère les tranchées. Je l’admire.

Gallois ne tarde pas à rentrer. Il préfère son poste à celui de chef de section.

Vers midi une note assez longue à copier nous arrive. Le lieutenant-colonel Desplats salue le régiment à la tête duquel il est placé définitivement. La relève aura lieu ce soir. Les commandants de compagnie resteront jusqu’au lendemain matin. Quant aux compagnies elles iront à Florent. Le grand repos a sonné pour nous ; nous irons nous reposer à l’arrière.

Heureux je vais moi-même communiquer la note au capitaine Aubrun tout heureux de n’avoir plus la responsabilité de son coin que durant quelques heures.

Le capitaine Claire vers 5 heures envoie la liaison en second avec Jombart à Florent pour faire le cantonnement. Quant aux fourriers Sauvage, Legueil, Paradis et moi, nous restons jusqu’au lendemain avec les cyclistes et l’agent de liaison de mitrailleuses.

Ainsi dit ainsi fait. Nous nous mettons tous après le départ ensemble dans le plus bel abri, laissons les autres à la disposition de ceux qui viendront nous relever.

À la nuit tombante des officiers arrivent. Ils sont d’un autre corps que le nôtre. Longtemps ils confèrent avec le capitaine Claire puis nous les conduisons au PC de chacun de nos commandants de compagnie. C’est avec un cri de joie que le capitaine Aubrun accueille son successeur. Je descends au PC du bataillon amenant avec moi l’agent de liaison par section. Ce n’est pas facile dans la nuit. Plus d’une fois je fais des chutes et m’aplatis dans l’eau. Mais qu’importe, on est relevé et on va à l’arrière. Quelle chance !

Quand j’arrive, je trouve les agents de liaison du bataillon qui nous relève. Ceux-ci s’installent et m’annoncent que le bataillon n’est pas loin. Il peut être 8 heures du soir.

Une heure après, les éléments de tête arrivent. Je suis appelé par le capitaine Claire qui me donne quelques explications. Je prends avec moi mes agents de liaison des quatre sections qui sont confiées aux quatre chefs de section de la compagnie de relève. Je prends la tête de la colonne et en route !

Vers 10h30 la 5e compagnie passait se dirigeant sur Florent. Quant à moi, ma besogne terminée, je me frottais les mains près du foyer de notre gourbi*, heureux d’avoir fini le premier. Terminé le cauchemar du bois de la Gruerie ! Un repos d’un mois, c’est le rêve ! Jamais je n’aurais espéré cela ! En un mot, que je suis heureux ! Je suis de nouveau rappelé par le capitaine Claire pour conduire une demie compagnie à l’emplacement occupé par le sergent Tercy lors du premier séjour (voir topo tome VI [ci-dessous]) tandis que Sauvage conduit une autre fraction à l’emplacement de la 7e.

TomeVI-planFneMadameAvec bien du mal j’arrive à mon but après m’être cassé le nez sur des éléments du bataillon relevé. Les boyaux de ce côté sont de vrais ruisseaux. Je m’enfonce jusqu’aux genoux. Paradis avait raison de se plaindre.

10 janvier

Relève au bois de la Gruerie

La nuit s’est passée calme. Nous restons couchés tard. Il est près de 8 heures quand on se décide à se lever. Gauthier fait le café et chacun remonte son sac et son fourniment.

Quelques shrapnells* boches saluent notre réveil, mais cela ne nous empêche pas de boire tranquillement notre café.

La journée se passe tranquille comme la veille. Il fait horriblement chaud dans notre pièce et bien souvent je sors prendre l’air.

Je vais voir le capitaine Aubrun avec qui se trouve le sous-lieutenant Vals commandant la 8e compagnie. Ceux-ci me disent que très probablement nous relèverons ce soir à Fontaine Madame. Le mauvais coin encore une fois, zut ! Si ça continue nous y resterons tous.

En effet dans l’après-midi une note confirme leurs dires. Nous relevons un bataillon du 120e dans la nuit. Le temps est assez propice, mais la nuit il fait une obscurité profonde : pas le moindre clair de lune.

Vers 6 heures, nous partons suivons le capitaine Claire qui commande le bataillon tandis que les compagnies se rassemblent pour prendre la route connue ; petit layon ignoble, à flanc de coteau, vrai cloaque.

Il est inutile de dépeindre la marche, ce qui d’ailleurs sera difficile ; elle est comme toutes les ballades de relève dans le bois : plus que dégoûtante. Il pleut même cette fois afin d’ajouter au charme de la promenade. Nous parcourons près de 1500 m et arrivons au PC du bataillon que je connais. J’installe aussitôt mon fourniment dans mon ancien gourbi* où se trouvent des agents de liaison du 120e et laisse Pignol gardant tout ceci en lui disant de ne s’occuper de rien au sujet la compagnie.

J’attends donc le passage de celle-ci sous la pluie, m’abritant tant bien que mal avec l’agent de liaison du 120e de la compagnie à relever. Quant au capitaine Claire il a poussé plus haut, car le commandant du 120e s’est placé avec un commandant de compagnie plus près la première ligne. Sans doute craignait-il une attaque et a-t-il fait comme le capitaine Sénéchal dans les journées des 30 et 31 décembre. Tout cela me dit que le coin n’est pas meilleur.

Gallois décide de s’installer ici avec nous à moins que des ordres contraires n’arrivent de la part de notre commandant.

Je suis bien mouillé quand la 5e compagnie s’amène la première. Je file donc en tête suivie du capitaine Aubrun. Nous tournons à droite du carrefour. Il a cessé de pleuvoir : c’est de bon augure. Après avoir pataugé dans un espèce d’étang de boue qui nous a pris jusqu’à mi-jambe, nous montons sur un layon une cote assez forte. Bientôt le layon se continue en boyau étroit qui nous amène au PC ou se trouve le capitaine Claire à 50 m de la crête. Là on s’arrête longuement pendant que le capitaine Aubrun confère avec les officiers qui se trouvent dans l’abri.

Nous repartons ensuite après que personnellement je me sois assuré que les 4 sections suivaient. Heureux sommes-nous que les boches n’aient pas l’idée de tirer, sinon ce serait une belle boucherie dans un groupe comme le nôtre stationnant ainsi. Nous continuons donc l’ascension et après un dédale incroyable nous aboutissons au PC de la compagnie à relever tandis que les sections se placent j’ignore comment car ce n’est pas chose facile. En tout cas mon rôle consiste à suivre le capitaine pour reconnaître son PC et rendre compte au chef de bataillon une fois la relève terminée. Je suis donc le capitaine dans l’abri car en dehors il pleut. L’abri est très médiocre. Nous y trouvons un officier du 120e avec qui le capitaine pérore.

Je m’approche du feu qui s’éteint et le capitaine me demande de souffler pour le rallumer en attendant de rentrer quand la compagnie aura relevé et sera placée. Je suis très content de me chauffer un peu. Au-dehors le temps est détestable. Nous sommes ici à 25 m des boches, dit le lieutenant du 120 ; on n’y prend garde. Le gourbi du moins ne laisse pas percer l’eau, c’est déjà un avantage.

Soudain une voix furieuse arrive. C’est le capitaine Claire qui tonne et rentre mouillé et boueux parmi nous. Il m’aperçoit, m’attrape littéralement disant que je ne suis où je dois être, qu’il n’avait personne pour le conduire, que j’aurais dû rentrer plutôt que me chauffer, que j’étais son agent de liaison et non celui du capitaine Aubrun, qu’il me défend de répondre et qu’il me flanque 8 jours d’arrêts de rigueur. En un mot il exhale une bile monstre. Quant à moi je courbe la tête sous l’avalanche. Si je m’attendais à celle-là… J’attends donc que tout se calme ; n’empêche que j’ai le cœur gros, car j’ai la conviction de faire tout mon devoir sans aucune restriction. Pendant ce temps le sous-lieutenant carrière qui commande la 7e compagnie veut se placer avec le capitaine Aubrun. La 7e compagnie est en soutien derrière la 5e.

Enfin au moment de quitter, après une longue conversation sur la tactique à suivre, le capitaine Aubrun prend ma défense. Claire qui est un bon garçon sourit. La colère est passée. Nous filons donc parmi les poilus recevant l’ondée, glissant, butant, montant parfois sur le parapet, recevant même des injures de types a qui nous écrasons les pieds. Nous ne voyons pas à 2 pas, tellement l’obscurité est profonde. Nous recevons des bombes qui éclatent à 25 m de nous et la lueur de l’éclatement est sinistre. Je suis mon chef rapidement à pas de loup, les mains dans la boue du parapet… Enfin nous arrivons à une descente. C’est la descente rapide, on glisse sur le dos, on se ramasse ; des balles sifflent, en baisse la tête, et toujours la pluie qui nous coule dans le dos ; un trou d’obus, je m’y aplatis et le capitaine doit me tendre la main ; je suis trempé jusqu’à la poitrine.

Sans titre 2

Extrait de l’album d’Etienne Maxime DUPONT, artilleur – Europeana 1914-1918

Voici un peu de lumière, c’est l’abri du sous-lieutenant Gout qui commande la 6e compagnie : le sous-lieutenant de Monclin est resté à Florent malade. Nous rentrons vivement, mais dans quel état suis-je ? Je reste dans un coin, boueux et trempé, pendant que le capitaine Claire donne ses instructions au lieutenant. Le gourbi est petit et peu profond encombré en outre de 2 téléphonistes qui communiquent par téléphone avec le poste du commandant Desplats, chef de secteur. Le capitaine Claire décide de rester ici et me dit de me caser à côté restant à sa disposition. Je suis donc en quête d’un gourbi qu’enfin je trouve en manquant de faire connaissance avec un second trou d’obus. Je rencontre Sauvage qui cherche le capitaine Claire. N’écoutant que mon bon cœur, toujours sous la pluie, je conduis mon camarade qui se plaint de l’état des choses qui certes n’est pas amusant.

J’attends un instant. Lui aussi doit se caser avec moi ; nous trouvons ensemble le gourbi, de tout à l’heure, éclairé par une bougie où se trouvent des mitrailleurs. Il nous faut une petite place ; il ne pleut pas à l’intérieur. Nous nous accroupissons, nous sommes à sec. Je crois que je vais laisser ma peau ici ; cette fois je suis trop mouillé et toute la nuit je vais grelotter, avec une bonne fluxion de poitrine pour résultat.

Impossible de s’allonger ; d’ailleurs inutile de songer à dormir, mouillés et couverts de boue comme nous sommes, car sauvage n’est pas plus beau que moi.

Peu à peu cependant mes idées se rassemblent, je cause avec mon camarade. La 7e est ici à côté à gauche et en arrière de la 5e, en 2e ligne. La 6e est à droite à l’ouvrage Blanloeil, puisque son commandant de compagnie est notre voisin. J’en conclus que la 8e se trouve aux emplacements occupés au premier séjour (voir topo Fontaine Madame) sans doute une partie de ces emplacements est-elle occupée par du 120e qui aura desserré à droite prenant les emplacements de la 6e et une partie de la 5e.

Quant aux 5, 6 et 7e compagnies, ce sont les plus exposées, car les tranchées ennemies touchent les leurs. Il est tout naturel de ce fait que pour la première nuit le capitaine Claire reste ici à proximité avec le commandant de la 6e compagnie nous gardant nous les agents de liaison de 5 et 7. Ce raisonnement déductif nous fait durant une heure oubliée nos misères. J’espère cependant qu’il nous sera donné au petit jour de rejoindre le PC de bataillon avec le capitaine qui se décidera à descendre.

7 janvier

Mais le lendemain matin, vers 8 heures, tandis que posément je me débarbouillais, un gendarme arrive accompagné de Gallois et de la bonne femme d’hier soir. Celui-ci constate qu’il n’y a aucun dégât, mais nous prie de quitter les lieux, car nous ne sommes que sous-officiers et la chambre doit être fermée.

Je n’y comprends rien à tout ce qu’il dit. Ce que je vois de plus clair, c’est qu’il faut décamper et que résister serait risquée une sanction.

Je quitte donc et descends dans l’escalier furieux contre cette femme que nous défendons de nos poitrines somme toute et qui, je le souhaitais à ce moment, auraient dû avoir affaire à l’ennemi pour la dresser un peu.

Enfin il faut avaler la salive dans ces cas-là, et faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Je m’installe donc au rez-de-chaussée près de mon agent de liaison* Pignol. Je coucherai sur la paille, voilà tout. À un peu de confort, plus ou moins près… Ici c’est le nécessaire qu’il faut, le luxe est du superflu.

Je vais raconter la blague à quelques sous-officiers de la compagnie. L’adjudant Culine me force aussitôt, le charmant garçon, à venir loger dans sa chambre. J’accepte avec joie et installe mes bagages et mon fourniment près du sien et de celui de Lannoy sergent major. « Cette nuit » disent-ils « on mettra un matelas sur le parquet et le tour sera joué, chacun dormira bien ». Nous parlons du père Thomas, celui chez qui ils font popote et qui coupent les cheveux des Florentais et des poilus* avec un brio incomparable ; Culine a une façon de l’imiter qui fait rire aux larmes quand au milieu d’une coupe de cheveux il s’arrête pour discuter avec feu pour annoncer par exemple que des batteries japonaises sont à Florent ou qu’une grande offensive va se produire en Alsace le printemps prochain ou que Joffre a manqué d’être victime d’un attentat ou qu’on a arrêté à Florent deux espions qui faisaient des signaux, le tout suivi toujours du sempiternel « oui, Messieurs c’est comme je vous le dis ! ». Et une chose qui n’est pas à négliger, c’est que le père Louis trinque volontiers et qu’ensuite le soir autour de la table ce sont des conversations gaies ; on peut en juger par les rentrées tardives de mes amis qui rejoignent leur home bien après l’extinction des feux. Quant au père Louis, le propriétaire de la chambre, c’est un excellent homme, qui vit seul sourd comme un vieux pot est à qui la vieillesse a un peu obscurci les idées. Lui aussi estime beaucoup la dive bouteille et de ce fait Culine à son arrivée lui a arraché des larmes quand il la régalé « d’un vieux verre d’eau-de-vie » qui n’était autre que la « gnôle [1] » du poilu. De ce fait, après récidive, il est excessivement bien avec « le patron », comme il l’appelle, et jouit d’une liberté d’allure complète dans la maison. Sacré Culine ! Camarade aussi charmant, et loustic aussi fin que soldat brave et apprécié.

Lannoy est parti vers 8h30 en voiture à Sainte-Menehould afin de faire quelques achats pour la compagnie : il en profitera pour nous rapporter différentes choses qu’on ne peut se procurer ; lampes électriques en particulier, car il n’y a rien de plus désagréable que marcher dans l’obscurité et comme toujours se planquer dans un trou d’obus rempli d’eau, buté contre une soquette [2] ou glisser 10 m sur le dos. Personnellement nous envions le bon dîner à l’hôtel qu’il va se payer à notre santé.

Image illustrative de l'article Adolphe Guillaumat

               Général Guillaumat

Après avoir avalé le fond d’un litre de rhum dont Culine aimablement me régale, je rentre à la liaison du bataillon à temps pour le repas. J’annonce gaiement à Gallois que j’ai un logis ; je lui en veux de ne pas se servir de ses galons d’adjudant pour exiger certaines choses auxquelles il a droit et de se laisser traiter souvent comme un manant. Adjudant de bataillon, que diable, pas le poste de tout monde. Il eut fallu traiter aussi de Juniac, son prédécesseur ; il se serait mis dans une belle colère. À table j’apprends que le général Rabier [3] quitte notre division et se trouvent remplacés à notre tête par le général de division Guillaumat*. Quant au commandant Desplats, il reprend le commandement du régiment, le colonel de Bonneville quitte pour raisons de santé. Voilà des nouvelles importantes.

Dans l’après-midi nous recevons la visite du vaguemestre* Renaudin qui nous apporte comme toujours quantité de missives.

À 4 heures sur la place de Florent, notre musique donne une audition réussie. Le général de division nouveau venu et sur le seuil de sa demeure avec son état-major. Il est petit, trapu, le visage calme, même souriant ; il donne l’impression d’un homme de sang-froid, de réflexion, sur de lui-même. Le commandant Desplats se trouve parmi la foule des poilus à qui il cause ; petit comme il est, on aperçoit à peine les 4 galons du képi. À chaque morceau, il applaudit frénétiquement particulièrement les tambours et clairons qu’il interpelle. Quand la Marseillaise est terminée, il serre la main du chef de musique, Monsieur Legris.871_001

Le temps est toujours sombre, mais il ne pleut pas. Le soir tombe. Le repas se prolonge, vrai repas de famille. Vers 8 heures, l’adjudant Renaud nouveau venu de la 6e suivi de l’adjudant Drion de la même compagnie passe parmi nous et monte au premier. Qu’est-ce que cela signifie ? Ces messieurs aux dires de Gallois occupent la chambre que nous venons de quitter ce matin. Furieux et n’y comprenant rien sinon l’imbécillité de notre adjudant de bataillon, je sors et vais me coucher chez le père Louis. J’y trouve Lannoy de retour de Sainte-Menehould, couché. Le pauvre garçon me dit d’une langue un peu éraillée qu’il a fait un excellent dîner.

Quant à Culine qui arrive une heure après, il rit aux larmes de voir le sergent Major dans un tel état. C’est pour nous une demi-heure de fou rire.


[1] Gnôle (Gniole, Gniaule) : Alcool fort, de tout type, consommé par les combattants.

[2] soquette : sens peu compréhensible du mot et ici de la phrase.

[3] Général Rabier : il s’agit de Charles Anselme Adolphe RABIER, dont le fichier LEONORE nous apporte quelques précisions. Vois ci-dessous :
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6 janvier

Retour à Florent

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

La nuit s’est passée sans aucun incident. J’ai bien dormi sur la paille, à vermine à en juger par les démangeaisons qui me courent le long de la peau, calamité dont on ne se débarrassera jamais. C’est l’opinion de mes camarades de chambrée d’ailleurs à en juger par les contorsions de ceux-ci. Nous sommes ici dans un pucier, c’est plus que sur. Que faire ? On ne peut pas coucher dehors, bien que cela nous soit déjà arrivé souvent.

Nous nous levons appelés par le capitaine Claire. Il peut être 8 heures.

Pendant que nous recevons les instructions, Gauthier rallume rapidement le feu. Nous partons vers une heure de l’après-midi de nouveau à Florent avec les cuisiniers. Le bataillon nous suivra 2 heures. Nous communiquons les ordres à nos commandants de compagnie ; cuisiniers prêts à partir à 12h30, compagnie à 13h30. Jusque-là ne pas se montrer, rester dans les caves.

Nous passons donc la matinée à examiner notre logis l’école. Je trouve un tableau noir et de la craie et m’amuse à faire des caricatures, sans songer le moins du monde aux obus boches qui arrivent toujours normalement. Je trouve également des livres qui m’intéressent.

A midi je mange des vivres envoyés par les miens, car notre pause d’hier soir nous vaut un jeune forcé ! On se rattrape en faisant du café.

Plusieurs d’entre nous passent leur temps à chercher les parasites qui les couvrent. Chacun prend son plaisir où il le trouve.

Enfin à une heure nous partons. Parmi les cuisiniers, le loustic de Lavoine arrive coiffer d’un chapeau haut de forme, trouvé dans quelque habitation. Je ne puis m’empêcher de rire pas plus que le capitaine Claire envoyant un tel accoutrement. Il faut cependant faire enlever cela ; l’individu s’exécute immédiatement en prenant un air de circonstance. Cependant il place sa coiffure dans une marmite, disant qu’il la conserve pour des temps meilleurs. Sans doute le verrons-nous un jour arriver ainsi aux tranchées ?

Rien d’impossible et ce serait charmant.

Nous filons donc rapidement, n’ayant nullement envie de recevoir un obus ; les cuisiniers d’ailleurs ne le désirent pas non plus et c’est une marche triomphale au son de marmites et de plats de toutes les dimensions, marmites moins dangereuses certes que celle que nous craignons.

Nous arrivons au Claon ou nous faisons une bonne pause. Nous sommes hors de danger. Quelques cuistots cependant jugent sans doute que « la prudence est la mère de la sûreté » car ils continuent sur Florent à vive allure.

Ces gens-là ne désirent pas s’exposer inutilement ce qui dans le langage du poilu [1] se traduit par « ils ont la frousse ». Enfin la fameuse cote que nous avons descendue si gaillardement est remontée avec plus de difficultés, encore un effort et nous sommes à Florent. Il est 2 heures. Un beau rayon de soleil nous salue.

Vivement Gallois se rend à la mairie et revient tout joyeux. Le cantonnement est le même. C’est une satisfaction générale. 10 minutes après chacun avait repris ses emplacements. Gauthier faisait du feu et nous nous logions de nouveau dans la chambrette que la veille nous avions quittée avec tant de regrets.

Vers 4 heures le bataillon était placé et la rue Dupuytien avait repris son aspect accoutumé.TopoTIV

Plans FlorentQuelques notes arrivent, des nominations : Jombart est sergent fourrier*, Paradis caporal fourrier. Cela vaut quelque chose. Tous 2 partent acheter quelques provisions qui amélioreront l’ordinaire. Nous allons au ravitaillement. Une heure après une bonne odeur nous prédisait bonne chère tandis que Jombart nous amenait champagne et biscuits.

La soirée se passe donc agréablement ; on ne chante pas cependant ; la mort de Carpentier est trop récente et le bataillon fut trop à la peine ces derniers jours.

Au milieu du repas nous recevons la visite d’une femme de Florent, vieille fille sans aucun doute, qui dit soigner la maison qui appartient à un de ses frères qui est instituteur et qui est parti et qui lui a dit qu’elle devait soigner sa demeure qui avait de la valeur, qui sûrement serait abîmée et qui et qui et qui…

Nous rigolons comme des bossus, d’autant qu’elle trouve tout horriblement sale. Nous sommes entièrement de son avis mais lui faisons justement remarquer que c’était encore plus sale à notre arrivée. Enfin ce sont des plaintes sur la guerre, un appel énergique à la paix, des lamentations sans fin. Elle monte ensuite au grenier et revient peu après furieuse de ce que la porte de la chambre est ouverte. La porte a été enfoncée et nous accuse, ne voulant admettre que ce n’est pas nous.

De ce fait une sainte fureur s’empare de moi et je la prie de sortir immédiatement et d’aller se plaindre à l’autorité si ça lui plaît. Zut et flûte ! Sinon je la mettrai moi-même dehors malgré tous ses droits de propriété. La pauvre vieille fille tâche de protester avec indignation, mais nos voix couvrent la sienne, un formidable chahut est organisé ; elle n’a que le temps de se sauver au milieu de l’hilarité générale. Une sanction on n’y songe même pas. La maison est abandonnée. Nous y logeons. La gendarmerie fait des rondes. Elle n’a jamais constaté aucun dégât. Un point c’est tout.

La scène nous a mis en gaieté et nous nous couchons le sourire aux lèvres.


[1] Poilu  :  Désignation des soldats français dès le début de la guerre de 1914-1918. L’origine du terme est plus claire qu’on ne le croit souvent, puisqu’il est attesté dès le XIXe siècle, pour désigner un soldat endurant et courageux, dans l’argot militaire. L’usage massif du terme en 1914-1918 tient en outre à plusieurs éléments liés : la difficulté effective, à l’hiver 1914, de se raser, le caractère rudimentaire de la toilette au front ; l’obligation pour tout militaire jusqu’en 1917 de porter la moustache, la simplicité de la désignation qui permet aux journaux et à l’arrière de mettre en scène la familiarité et la proximité avec les combattants. Le terme peut être employé dans des sens très différents, d’un combattant à un autre, certains le rejetant tandis que d’autres se l’approprient. Il est fréquent que les officiers l’emploient dénotant ainsi la distance qui les en séparent. Plus généralement, le terme semble employé indifféremment, comme synonyme de soldat.