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1er mars

Perte de la 5e compagnie
Capitaine commandant le 2e bataillon blessé

Le petit jour se lève et les boches se réveillent car le marmitage recommence après le départ du chef du régiment. Notre coin est très exposé, les obus de canon revolver rasent le parapet*.

Et voici le rapport de ce qui ne tarde pas à se passer, rapport strictement exact qui fut adressé au commandement.

Le 28 février à 23 heures, la 5e compagnie se porta à 200 m en avant de la première ligne où elle exécuta une tranchée*.

L’adjudant Culine et quatre hommes se portèrent en avant pour reconnaître les tranchées allemandes qui se trouvaient à une cinquantaine de mètres en avant de la nouvelle ligne. À droite de la compagnie, un petit bois, la lisière à une quinzaine de mètres en avant ; à gauche, la 7e compagnie ; tranchée continue, liaison établie.

L’adjudant Culine rentre, ayant essuyé quelques coups de feu sans perte.

À 6 heures du matin, tranchée pour tireur presque debout sans créneaux. Pas de boyau* de communication avec l’ancienne première ligne. Nuit calme.

De 6 à 7 heures, bombardement de la tranchée : quelques tués sur la gauche à la 4e section (Giraudeau [1] – Venouze – Durand – Lesaint [2] – Carbillet [3]).

Vers 7 heures, l’ennemi attaque en rangs serrés. Il est obligé de réintégrer sa tranchée sous le feu efficace de la compagnie. À 8 heures, il attaque de nouveau sur le front et sur la droite. À droite, aucune compagnie en liaison, aucun soutien. Le sous-lieutenant d’Ornant [4], l’adjudant Culine [5], le sergent Gibert , chefs des 2e, 3e et 4e sections sont tués ; le sous-lieutenant Alinat [6], chef de la 1ère section, [est] grièvement blessé ; également sont tués le sergent Raoult et une moyenne de dix hommes par section. Sur la gauche, une partie de la 7e compagnie se replie et laisse l’ennemi s’infiltrer. Celui-ci, au nombre de quatre-vingts, saute dans la tranchée française où se trouvait peut-être une trentaine de survivants. Le capitaine Aubrun est saisi par une dizaine d’allemands et emmené malgré sa résistance. Le reste de la compagnie est faite prisonnière. Le sergent Inchelin est blessé. Le sous-lieutenant Alinat est mort.

Les deux hommes, les seuls qui sont reconnus avoir certainement participé au combat jusqu’au moment où la compagnie fut faite prisonnière et qui ont réussi à s’échapper, déclarent ne pouvoir donner d’autres renseignements. On déplore la perte de la grande partie de la 7e compagnie et des officiers Crouzette, capitaine, Blachon, sous-lieutenant prisonniers aux dires d’une dizaine d’hommes qui ont rallié les lignes françaises.

La tranchée prise par l’ennemi fut bouleversée par nos obus dans la journée du 1er mars et évacuée par l’ennemi. Le sergent Lenotte, blessé, fut trouvé par une patrouille le soir du 1er mars sur le terrain et enlevé à la nuit. Il n’a rien déclaré d’intéressant.

Ainsi donc, sous une pluie de mitraille et d’obus de canons revolvers nous forçant à rester accroupis au fond de notre tranchée, nous assistâmes à la scène.

Vers 8 heures, un homme hagard, Lecq, agent de liaison de la 5e arriva et sauta dans notre tranchée en criant « Du renfort, du renfort ! On est pris ».

Vers 7 heures, nous avions entendu une forte fusillade. Cette fois, nous entendons une clameur.

Le capitaine Sénéchal renvoie Lecq, lui disant de tenir bon, que le renfort va arriver.

Le pauvre commandant du 2e bataillon n’a plus de troupes. Il veut donc m’envoyer, son bataillon se réduisant aux trente hommes de la 8e et à un aspirant, près du commandant Vasson lui réclamer du renfort. Je file rapidement près du chef du régiment qui aussitôt donne des ordres pour que la 3e compagnie file sur nous. Je remonte près du capitaine Sénéchal, à temps pour entendre une clameur fantastique et une fusillade intense. Puis deux hommes surgissent, fous, sans armes, sans équipement, pâles et les yeux hagards. Ils sautent près de moi. Je les attrape tous deux par le bras ; ce sont deux hommes de ma compagnie. Ils pleurent nerveusement et m’indiquent du doigt la 5e compagnie. Je vois alors surgir les uniformes gris-vert au haut du dos d’âne. Aussitôt, tout le monde tire, nous devons nous défendre nous-mêmes. Mais tout espoir est perdu : la compagnie a disparu. Les boches n’insistent pas sur notre accueil chaud. Ils se retirent, tandis que leur artillerie continue à nous marmiter avec force.

Eau-forte de Léon Broquet – Source : http://www.dessins1418.fr/wordpress/

Je suis abasourdi par le malheur qui me frappe, quand mes deux hommes me racontent vivement ce qui s’est passé. Tous mes amis sont disparus. La 5e compagnie qui comptait deux cent cinquante hommes se résume à moi et deux hommes. C’est affreux.

Le capitaine Sénéchal est affreusement morne, son bataillon se résume à trente hommes commandés par un aspirant ; d’où perte en 24 heures de dix officiers et plus de sept cents hommes. Tout pâle, il m’envoie au commandant Vasson pour lui expliquer le tout. Je cours accompagné de mes deux hommes et arrive au PC du commandant du régiment. Je lui dis tout ainsi qu’au capitaine de Lannurien. Je n’ai pas le temps ni le loisir de voir leur impression, car moi-même je suis trop endeuillé.

Je dis aux deux hommes de repartir un peu en arrière et si possible de trouver les cuisiniers et de les amener. Ils l’ont bien gagné, les bougres. Je remonte à mon poste. En route, on m’apprend que le capitaine Sénéchal vient de passer, blessé. Je rentre aussitôt au poste du commandant Vasson pour l’avertir. Je trouve le capitaine Sénéchal qui me dit chaleureusement au revoir et m’annonce que le sergent fourrier Legueil est grièvement blessé. Lui-même a une plaie à la tête. Le capitaine de Lannurien est parti le remplacer là-haut. Mais que reste-t-il du bataillon ?

Les marmites* éclatent toujours autour de moi. Je repars à mon poste. Je suis arrêté par des hommes de la 8e, non loin de là. Ils me disent que le capitaine de Lannurien vient de descendre, blessé à la tête, tandis qu’il montait remplacer Sénéchal. Je suis ému, triste, abattu ; mon courage et mon énergie sont à bout. Tac ! Une douleur à l’épaule. Une balle m’a touché l’épaule, déchiré la capote et devant moi, l’un des hommes qui me causent, mon vis-à-vis, crache le sang atrocement : il a reçu la balle dans la gorge. J’enlève vivement ma capote ; on panse mon compagnon ; on m’aide, on regarde. Rien sinon la capote déchirée ; rien sinon un léger engourdissement du bras droit.

Du coup, je décide de rentrer retrouver mon sac. Je crois en avoir fait assez pour le moment. D’ailleurs je n’en puis plus. J’ai faim, j’ai soif, j’ai sommeil et j’ai besoin de me remettre.

Ainsi donc, seul ; toute la bande de Charmontois, tous mes bons amis du début de la campagne, toute ma belle compagnie fauchée, disparue. Malgré moi, mes yeux se mouillent, et après quelques tâtonnements j’arrive à l’ancien PC du bataillon à l’arrivée.

J’ai perdu mes couvertures, un fusil. J’ai gardé ma peau, mais ce n’est pas de ma faute. Le marmitage est toujours aussi intense que la veille ; mais je n’y ai garde ; je suis blindé.

Surprise ! Je tombe sur le capitaine Claire et son ordonnance ; le capitaine est assis sur une banquette dans le parados*. « Ah ! Mon capitaine ! » ne puis-je m’empêcher de m’écrier en le voyant. Il ne sait rien, rentre ce matin après avoir terminé l’instruction des élèves sous-officiers de la division. Je lui raconte tout. Il me quitte bientôt, allant rejoindre le commandant Vasson qui n’a plus d’auxiliaire.

Quant à moi, il me reste la fortune de manger du chocolat. J’ai soif, j’ai faim, je n’ai rien à me mettre sous la dent. Il peut être 10 heures 30 du matin.

Soudain je vois apparaître Paradis, puis toute la liaison du bataillon. Là-haut, il n’y a plus personne. L’aspirant Chupin lui-même avec ses trente-cinq hommes et une douzaine de la 7e est parti en deuxième ligne. Aussi sont-ils rentrés.

J’ai retrouvé mon sac et ma musette avec le bidon. Un fusil, j’en trouverai toujours. Je m’allonge donc dans le boyau, m’abritant dans une grotte, avec l’idée de reposer un peu, malgré le marmitage sérieux. Je suis à bout de forces.

Une heure après, Paradis vient me réveiller. Il m’annonce la présence de Gauthier. Je suis aussitôt debout. On dévore le rata de la marmite et on boit. Quel bonheur !

Gauthier fulmine contre Jombart qui est resté à Mesnil-les-Hurlus, trouvant que le bombardement était trop violent. Il voulait l’empêcher de continuer. Il traite Jombart de « grand froussard » et s’en dit dégoûté. D’ailleurs il tient la place de son caporal fourrier.

Ils ont rencontré le capitaine Sénéchal à Mesnil-les-Hurlus.

Jombart en a profité pour rentrer aussitôt à Wargemoulin, accompagnant le capitaine et lui prodiguant force salamalecs. Du coup, une grande partie de mon amitié pour le sergent fourrier de la 8e compagnie est partie. Je n’admets pas qu’on abandonne ses amis qui se font casser la figure, au point de ne pas oser risquer légèrement la sienne pour leur apporter du pain. Enfin nous mangeons, c’est le principal.

Gauthier me dit que les cuisiniers de la 5e sont là-bas à l’entrée du secteur, c’est-à-dire à l’endroit où on prend le boyau Mesnil-les-Hurlus vers l’arrière.

Je ne tarde pas à m’y rendre. Je remonte successivement l’adjudant Drion avec une trentaine d’hommes de la 6e compagnie ; les adjudants Blay, Vannier et l’aspirant Chupin avec une trentaine d’hommes de la 8e compagnie ; à peine quelques hommes de la 7e avec l’aspirant Boutollot. Après quelques tâtonnements, je prends le boyau Mesnil-les-Hurlus et fais 100 m avec Gauthier. Heureux suis-je de trouver une tête connue : je vois quelques cuisiniers dont Lavoine, trois caporaux revenus du peloton des élèves sous-officiers avec le capitaine Claire, Pignol, Jeanjeot ; et je trouve un sergent Roudelet, sauvé par miracle, enterré par un obus dans la nuit et venu se remettre à l’arrière sur l’ordre du capitaine Aubrun. Je donne donc mes ordres. Demain matin, rassemblement ici de toute la compagnie, caporal d’ordonnance et caporal fourrier compris. En attendant, que tout le monde rentre à Mesnil-les-Hurlus où sont installées les cuisines sous les ordres de Radelet [Roudelet ?], qui amènera tout le monde demain.

Les cuisiniers des officiers me donnent leurs marmites ; de cette façon je saurai me rattraper de mon jeûne de 24 heures.

Content d’avoir pris une décision pour la compagnie dont je suis responsable, je rentre au poste du bataillon. Le marmitage est moins violent que ce matin. Il peut être 1 heure de l’après-midi, toute la liaison est installée dans des trous et dort.

Je ne veux pas de cela et me rends au poste du commandant Vasson. Il se trouve dans un gourbi très bas et très profond avec le capitaine Claire et un commandant du 33e d’infanterie. Je trouve en arrivant un ami, décidément je vais de surprises en surprises : l’abbé Wartel, d’Arras, sous-lieutenant qui prend les instructions de son commandant au 33e. Nous causons deux minutes, on se serre la main et les yeux disent ce que notre bouche n’a pas le temps d’exprimer. Quand il est parti, j’explique au commandant Vasson ce que j’ai vu du 2e bataillon. Il n’en savait rien et me dit alors de me rendre près de l’adjudant Drion de la 6e compagnie afin qu’il prenne le commandement de tous ces hommes, les classe par compagnie sous les ordres du grade le plus élevé et le plus ancien, et leur indique une tranchée où ils pourront se mettre. De plus, chaque commandant des débris de sa compagnie enverra ici le plus tôt possible le nombre d’hommes qui lui restent.

Je m’acquitte de ma commission, avertis Drion de l’arrivée de la 5e compagnie demain matin et rentre au PC Vasson. Pêcheur possède un petit abri en face ; sergent secrétaire, il ne fait qu’écrire notes sur notes. Il m’offre une place et me dit que je pourrais l’aider. Entendu.

Je rentre au PC du bataillon où la liaison de bouge pas, pas paresseux, et armé de mon sac, de mon fourniment, je rejoins Pêcheur.

Celui-ci m’annonce que l’adjudant Tobie vient d’être blessé par un éclat d’obus ici tout à côté. J’hérite de ses couvertures et de son passe-montagne. Nous regardons dans son sac car il est parti comme un froussard en n’abandonnant tout : nous trouvons quantité de protecteurs et cela nous fait beaucoup rire.

Je calcule le nombre d’hommes que compte la compagnie et j’arrive au nombre trente-quatre. Je ne croyais pas qu’il en restait tant. Dans tous les cas, sur ces trente-quatre, il y en a quatre seulement qui étaient en ligne le 28 février, Radelet, les deux rescapés et moi. Je passe mon chiffre au capitaine Claire qui m’annonce quarante-deux à la 6e ; dix-sept à la 7e et cinquante et un à la 8e. Cela fait donc pour le bataillon un total de cent quarante-quatre unités. C’est peu ; le tout commandé par un adjudant.

Le soir tombe et le marmitage cesse un peu pour faire place aux fusées. Malgré moi, je m’endors, n’en pouvant plus. À chaque instant je suis réveillé. Il pluvine aussi et un peu d’eau filtre dans ce semblant d’abri. Pêcheur doit souvent sortir pour prendre des notes adressées soit au commandant, soit aux  bataillons, les 1er et 3e car le 2e ne compte plus. Enfin vers 9 heures, un peu tranquilles, nous nous partageons notre nourriture et assis sur le sol, le dos contre la paroi du parapet, la tête appuyée contre la terre, nous demandons un peu de repos.


[1] Giraudeau :  Il s’agit probablement de Henri Gabriel GIRAUDEAU, dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre.archives_F400388R[2] Lesaint :  Il s’agit probablement de Gustave LESAINT, dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre.

archives_H180891R[3] Carbillet :  Il s’agit probablement de Auguste Nicolas CARBILLET, dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre.

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[4] Culine :  Il s’agit sans doute de Charles Alphonse CULINE, dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre.

archives_D621114R[5] D’Ornant :  Il s’agit sans doute de Marie Gontran D’ORNANT, dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre.

archives_M250168R[6] Alinat :  Il s’agit sans doute de Emile Ludovic Jean Louis ALINAT, dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre.

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22 février

Dampierre
(voir topo tome VIII)

t8-DAMPIERRE-PlansDessinésELOBBEDEY_0015Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous nous levons assez tard et nous rendons à la popote*. Après cela, le café bu au travail. Nous sommes heureux de notre installation. Dans la matinée nous recevons la visite du sergent fourrier de la 8e Jombart rentré hier soir de Sainte-Menehould. Il nous fait rire en nous expliquant le nez qu’il a fait en rentrant à Braux-Saint-Rémy où il n’y avait plus personne. Ce n’est pas sans mal qu’il est arrivé à Dampierre vers 11 heures du soir après s’être renseigné aux quatre coins du chemin sur l’endroit vers lequel nous nous étions dirigés.

Nous réglons avec lui les comptes de la compagnie et prenons livraison de tout ce qu’il a acheté.

Je reçois quantité de boîtes de pâté à distribuer aux hommes avant le départ. Je vais trouver le capitaine dans sa chambre et décide de faire les distributions aussitôt. Les hommes sont heureux d’avoir une amélioration dans leur musette.

Culine et Gibert viennent se plaindre que les hommes de leur section ont très peu de paille. Il faut que je me charge de leur en procurer : travail de cet après-midi.

Après mes distributions, je vois le capitaine Sénéchal, commandant le bataillon qui cause avec le capitaine Aubrun. Nous parlons question paille. Il ne faut pas compter sur l’intendance. Je décide donc de faire le nécessaire.

Mascart est au bureau quand je rentre. Il s’acquitte bien de ses fonctions et est heureux de son poste d’agent de liaison près du colonel. Celui-ci fait notes sur notes sur la propreté du cantonnement et le nettoyage des routes ; sur la tenue ; sur la consigne des cafés ; sur les sorties du cantonnement après la soupe de 17 heures : c’est la présence du général de corps d’armée qui nous vaut cette avalanche.

Lannoy lit tout cela au rapport de 10 heures. Le colonel préconise même un certain exercice. Vraiment c’est à croire que notre chef ne vit plus que de frousse.

À 11 heures nous mangeons en popote. On se distrait à parler encore et toujours de Sedan et nos hôtes nous racontent leur fugue lamentable de Pouru-Saint-Rémy qui doit être complètement brûlé. Ils ont trouvé ici une maison abandonnée et avec l’autorisation du maire s’y sont installés, vivant surtout du passage des troupes.

Mon après-midi se passe à chercher de la paille. Je me rends directement chez le maire qui m’indique deux fermes où je pourrais en trouver en donnant un bon de réquisition. Vers 3 heures, une bonne portion de bottes arrivait à la compagnie amenée par la voiture de compagnie. On fit les distributions et je pris quelques bottes pour le bureau. Licour se charge de nous faire une literie dans un coin de la pièce et promet à la châtelaine de tout enlever au départ. Le brave garçon d’ailleurs lave le couloir d’entrée à la grande satisfaction de notre propriétaire.

Vers 4 heures nous recevons la visite d’un capitaine d’état-major qui nous demande un homme dévoué, intelligent et dégourdi pour couper un peu de bois dans la demeure du général. Nous lui donnons Jacquinot qui n’a plus de magasin. Nous envoyons Licour acheter une boîte de homard, du vinaigre, etc.… Nous collationnons. C’est Lannoy qui a émis cette idée et cette idée est excellente.

Enfin le soir arrive et avec lui rentre au cantonnement une bonne partie de la compagnie qui a passé l’après-midi à aménager, rapproprier les alentours du cantonnement et nettoyer la route qui est boueuse. Depuis ce matin le temps s’est remis un peu au beau. Un léger soleil a brillé.

Le capitaine vient nous voir vers 5h30. Il met exercice demain matin et demain après-midi de 7 heures à 10 heures et de 2 à 5 sur la route de Sainte-Menehould.

Nous filons alors à notre popote annonçant la nouvelle à nos amis. Nous sommes satisfaits malgré tout : l’annonce de l’exercice signifie que nous ne partons pas demain.

La soirée se passe agréablement et à 9 heures nous étions couchés dans la paille côte à côte, Lannoy, Jamesse, Licour, Rogery et moi.

21 février

Départ de Braux

Je me lève à 8 heures, tandis que Lannoy revient ayant déjà été boire le café et déclarant qu’il n’y a plus d’alcool, de vin etc. tout a été bu hier. Il est furieux. Que voulez-vous ? Il fallait être là. Je suis occupé tranquillement à nous débarbouiller quand une note laconique arrive apportée par Brillant. Départ du campement à 9 heures. Le bataillon suivra une heure après etc.…

Une pointe de feu ne m’aurait pas fait sursauter davantage. Je n’ai donc que le temps : quand j’ai bouclé les malles et mis sac au dos, il est près de 9 heures. Je file donc vers la liaison du bataillon, boire rapidement un café à notre popote et emmène un cuisinier sur deux, Levers que Jamesse a averti en hâte.

Le campement cette fois conduit par Gallois s’en va sous les ordres du capitaine Crouzette de la 7e compagnie. Le temps est pluvieux et les routes détrempées.

Gallois me dit que nous allons cantonner à Dampierre. Nous tournons à droite à 1 km du départ, marchant bon pas, car le bataillon nous suit de près. Nous faisons une bonne pause. Nous repartons, tournons cette fois à gauche et 3 km plus loin traversons un village Voilemont. Une petite pluie fine tombe. Nous voici à moitié route. Nous filons sur Dampierre. Nous arrivons à l’entrée du village qui semble assez important. Nous faisons la pause tandis que le capitaine Crouzette se rend aux informations pour le cantonnement. Il est midi.

La pluie tombe tandis que le capitaine revient et que nous commençons. Pendant que nous sommes occupés à circuler à droite et à gauche, passe à cheval le lieutenant-colonel Desplats suivi de son état-major. Il me crie « bonjour » en passant. Pourquoi à moi plutôt qu’à d’autres ? Je l’ignore.

Fausse manœuvre. Alors que le cantonnement*, du moins le mien était presqu’organisé, un officier d’état-major vient trouver Crouzette. Celui-ci alors nous rassemble et place le bataillon par moitié : 6 et 7e avec le chef de bataillon de ce côté-ci du pays, 5 et 8e à l’autre extrémité.

Je fulmine en moi-même, mais je suis le capitaine qui court ni plus ni moins. Nous traversons le pays. J’ai le temps d’apercevoir une petite place avec l’église ; sur cette place beaucoup d’autos ; c’est le quartier général du 2e corps. Nous passons sur un pont et nous arrêtons à 400 m de là.

t8-DAMPIERRE-PlansDessinésELOBBEDEY_0015Je reçois mon cantonnement. Il est fait au bout d’une demi-heure. Le capitaine Aubrun les officiers et leur popote sont logés dans une maison de belle apparence habitée par une dame et son fils, la dame du juge de paix mobilisé.

On appelle cette maison le château ; un grand parc se trouve derrière. La propriétaire très aimable et de grande éducation me donne une pièce vide de tout meuble pour y installer le bureau. Je la remercie mille fois.

À côté du château se trouve une vaste grange : la compagnie y est aussitôt logée.

Non loin se trouve une maison où logent des braves gens évacués de Pouru-Saint-Rémy près Sedan (Ardennes). Levers s’y installe et fait déjà du café afin d’en offrir aux braves personnes qui nous donnent asile pour faire popote.

Quand tout est fait, vers 1h30, la compagnie s’amène. Le capitaine après avoir vu se déclare satisfait. À 2 heures tout était installé et nous entendions les chants des poilus contents. Mes camarades sont déjà occupés à boire le café de Levers tandis qu’ils disent quelques bonnes paroles aux habitants. Lannoy Jamesse et Rogery prennent possession du bureau. Aucun meuble ne s’y trouve ; seule une table et deux chaises ; c’est une vraie salle à manger que cette belle pièce qui nous rappelle un peu mon « chez moi ».

Le reste de l’après-midi se passe à compléter l’installation. Je m’occupe de faire les pièces, tandis que Lannoy va chercher la voiture de compagnie afin de l’installer dans notre cantonnement, Jamesse fait des étiquettes à placer « bureau, 5e compagnie, logement du capitaine, etc.… »

Vers 6 heures nous allons à la popote. Nous y trouvons la bande. Nous nous mettons à table à 6h30. Une bonne gaieté règne toute la soirée. Nous parlons des Ardennes avec nos hôtes et nos hôtesses et cela nous fait du bien de nous remémorer un peu Sedan.

À 9 heures nous partons nous coucher. Au-dessus de la popote se trouve un beau grenier rempli de paille où la bande Culine, Diat, Gibert, Cattelot, Maxime va se blottir. Nous nous chargeons de la faire avertir en cas d’alerte. Quant à Lannoy, Jamesse et moi nous rentrons rejoindre Rogery. Nous nous étendons sur le plancher. C’est un peu dur mais côte à côte on dort bien quand même.

20 février

Braux-Saint-Rémy (voir topo tome VIII)

Nous passons une excellente nuit dans notre grenier, quoiqu’il n’y fasse pas très chaud. On se lève vers 7 heures. Débarbouillage dans un ruisseau voisin. Puis nous nous rendons à la popote* pour y prendre le café.

La matinée se passe dans les paperasses. Nous faisons encore quelques distributions d’effets. Ce qui ne peut être employé est placé dans la voiture de compagnie. Celle-ci est surchargée.

Nous recevons à ce sujet une note du bataillon. Le sergent fourrier Legueil de la compagnie de jour, la 6e heureusement pour moi, se rendra à Élise avec sa voiture de compagnie après avoir ramassé le reste des magasins des compagnies. Il versera toutes les fournitures à l’officier de détail. Ainsi dit ainsi fait. Jacquinot verse ce qu’il y a de moins utile et allège ainsi la voiture.

Nous nous mettons à table à 11 heures et y restons jusque 2 heures de l’après-midi. On s’amuse bien et quelques bonnes blagues sont racontées.

Nous recevons dans l’après-midi, la visite au bureau du sous-lieutenant Monchy qui vient nous dire bonjour. On se plaît à se remémorer le bureau de Sedan et à se féliciter d’être encore au complet : Monchy, Lannoy, Jamesse et moi. C’est un garçon charmant que Monchy.

La journée se passe tranquille. La soirée à table est plus mouvementée car nos cuisiniers ont trouvé du champagne et nous fêtons les citations de Culine, Lannoy et Gibert qui est relevé de sa garde.

Nous recevons une note du bataillon disant que le caporal fourrier de la 6e Verleene et Jombart sergent fourrier de la 8e vont demain à Sainte-Menehould.

Les compagnies sont priées de leur porter le montant des denrées qu’elles désireraient faire acheter, ainsi que l’argent. Lannoy va donc trouver le capitaine et revient bientôt m’envoyant à la liaison porter la note. Je trouve toute la bande au premier étage de l’école. Je ne m’attarde pas, tandis que Jombart me dit toute sa satisfaction d’être de sortie demain : départ à 4 heures, rentrée à la nuit.

La soirée à la popote se passe gaiement. On sable le champagne, on chante. Bref il est minuit quand on songe à aller se coucher. Lannoy a quitté vers 9 heures, le lâcheur, disant qu’il a du travail. Sans doute est-ce pour se donner de l’importance, car il n’y a aucun travail urgent.

Que diable, on dormira davantage demain matin.

19 février – Quatrième partie

Quatrième partie – La Champagne


Chapitre 1 – Arrivée en Champagne
Départ de Charmontois

Vers 4 heures du matin, je suis réveillé en sursaut par quelqu’un qui entre en criant alerte. C’est Brillant qui m’apporte une longue note que je lis après avoir dit à Rogery de réveiller tout le monde.

Note du général de division disant que la 4e division doit loger ce soir dans la vallée de l’Ante. Note du colonel fixant le départ de tout le régiment pour 9 heures et du campement du 2e bataillon pour 7 heures. Note du chef de bataillon disant la même chose pour le campement : départ à 7 heures, les quatre fourriers sous les ordres du sergent fourrier Lobbedey plus l’ordinaire et les cuisiniers, plus une section de garde à l’arrivée, sous les ordres du capitaine Aubrun de la compagnie de jour.

Rassemblement à 6h45, sortie de Charmontois-le-Roi.

Je suis fixé et respire une minute tandis qu’un à un arrivent mes amis. Ceux-ci sachant le départ à 9 heures vont se recoucher, tandis que Rogery part avertir le capitaine et Jamesse en passant.

Je suis presque prêt quand Rogery revient avec les ordres pour la compagnie. Le commandement est délégué au lieutenant Alinat. Le sergent Cattelot fera le cantonnement* de la compagnie puisque je remplace l’adjudant de bataillon. La section Gibert partira avec le campement pour prendre la garde à l’arrivée au nouveau cantonnement.

C’est donc le vrai départ. J’avale un bon chocolat, garnis ma musette et mon bidon et dis au revoir à la mère Azéline qui s’est levée et pleure notre départ. Je vois Jacquinot qui me dit que tout le magasin se trouve sur la voiture de compagnie.

Il est 6 heures. Je pars à la liaison du bataillon. Je sors avec Paradis, Sauvage, Menneval. Dehors je rencontre Cattelot qui s’amène, Gibert et sa section, puis le capitaine Aubrun à cheval.

Celui-ci me dit de filer avec tout le monde à la sortie de Charmontois-le-Roi et de l’y attendre.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous partons donc du bureau du colonel où nous étions rassemblés. À Charmontois-le-Roi je dis au revoir en passant à Madame La Plotte et je m’arrête devant la famille Adam à qui je fais mes adieux.

Le capitaine Aubrun s’amène à cheval suivi du lieutenant Delepine officier de campement du 3e bataillon cantonné à Belval. Nous partons donc ensemble campements des 2e et 3e bataillons dans la direction de Le Chemin. Il est 7 heures. Le temps est sec et beau ; il fait un léger brouillard précurseur du soleil.

En route les deux officiers partent de l’avant me donnant la direction et me disant de faire la pause aux heures réglementaires.

Nous nous arrêtons un peu avant l’entrée à Le Chemin. Nous traversons ensuite le village et tournons à droite dans la direction de Passavant.

Je suis un peu mélancolique. Adieu, cher pays de Charmontois. Nous te serons toujours reconnaissants des bons moments que nous avons passés chez toi.

Le soleil s’est levé quand nous apercevons un gros village. Nous sommes toujours devancés par nos officiers. Je suis chef de colonne. Nous arrivons dans le pays paisible, Villers-en-Argonne. Nous le traversons.

Au milieu du village le capitaine Aubrun sort d’un café et me fait faire halte. Il nous donne le droit d’entrer nous installer au café et nous désaltérer. Quelle fête ! On allume une bonne cigarette et je bois une grenadine à l’eau de Selz qui me fait grand bien.

Un quart d’heure après nous repartons, tournons bientôt à gauche et laissons le 3e bataillon avec le lieutenant Delepine qui continue tout droit vers Élise, à ce que me dit le capitaine Aubrun. Quant à nous nous filons à Braux-Saint-Rémy.

Le capitaine continue à me devancer. Quelques kilomètres plus loin nous traversons la voie ferrée de Sainte-Menehould à Vitry-le-François. En gare, sans doute la station très petite certes de Villers-en-Argonne, nous voyons une locomotive blindée. La gare se trouve à 50 m à notre droite. Nous continuons et montons une côte, à la descente de laquelle nous tombons, après avoir rencontré une grande ferme sur notre gauche, sur la route de Sainte-Menehould à Vitry-le-François.

Chose curieuse, je rencontre le poteau indicateur disant Vitry-le-François 44,5 km ; et ce poteau je le reconnais pour l’avoir vu lors de la retraite et lors de la poursuite. Cela me fait quelque chose ; c’est comme un vieil ami que je rencontrerais après des mois.

En route nous avons rencontré l’automobile de la division. Nous traversons la route de Sainte-Menehould à Vitry et faisons une bonne pause au soleil. Il est 10 heures du matin.

Nous repartons vers un petit village que nous voyons à 1500 m. C’est Braux et le capitaine y est déjà.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

t8-Braux-PlansDessinésELOBBEDEY_0015

Plan dessiné par Émile Lobbedey

Nous arrivons dans le village vers 11 heures. Il fait un soleil magnifique. Le capitaine arrive à ma rencontre et nous commençons le cantonnement avec les ennuis et les péripéties de tous les cantonnements. Seulement celui-ci est un des plus fatigants avec le capitaine Aubrun qui au lieu de me laisser faire, va, vient, change, rechange, et au fond n’est pas très fixé.

Le colonel et son état-major logent ici. Puis à 1 heure un cycliste arrive et déclare qu’il cantonne à Élise.

Enfin à 2 heures tout est prêt. Le chef de bataillon, l’infirmerie et les docteurs sont logés par moi personnellement. Brillant de plus nous a accompagnés pour représenter l’état-major du bataillon. La liaison du bataillon est logée au premier dans l’école.

Quant au poste de police il est déjà installé au centre du village. Cattelot s’est chargé de la compagnie ; il nous a trouvé une popote. Moi j’ai trouvé un bureau. Tout est donc bien. Dans le village sont cantonnées des troupes de pontonniers [1] avec leurs médecins.

Je m’arrange avec l’un d’eux à qui je procure une chambre meilleure que celle qu’il occupait. J’hérite de ce fait de sa chambre et vais voir les propriétaires du logis, gens des moins affables, à qui je dis prendre la chambre pour moi en remplacement du major. Après bien des réticences, l’affaire est réglée.

Il peut être 3 heures quand le bataillon arrive. Il est placé une heure après son arrivée. Lannoy est très satisfait du bureau qui n’est autre qu’un petit bâtiment isolé où les propriétaires font leur pain et placent leur bois dans un petit grenier au-dessus. Ceux-ci nous prêtent des chaises ; comme table, deux tréteaux et une grande place recouverte d’une couverture, c’est tout ce qu’il faut. À côté se trouve une espèce d’atelier, où Jacquinot installe le soi-disant magasin, en allant aux voitures chercher son matériel qu’il transporte à brouette. J’avertis Lannoy qu’une chambre nous attend ce soir.

Licour est avec nous ainsi que Rogery. Une fois astiqués nous nous rendons vers le haut du village à notre popote*. Nous entrons dans une maison proprette où deux dames nous reçoivent.

Nous trouvons nos amis en partie autour du feu tandis que Levers et Delacensellerie font popote. Il peut être 5 heures. En face se trouve un petit débit de tabac assez bien achalandé. J’en profite pour me fournir de cigarettes.

Nous rentrons au bureau en attendant 7 heures. Nous causons avec nos propriétaires qui habitent en face de notre modeste logis. C’est une vieille dame et sa fille mariée dont le mari est mobilisé. Elles possèdent une maison en face qui donne asile à la popote de nos officiers.

La soirée se passe très bien. Nous dînons gaiement dans notre popote en compagnie de nos hôtesses qui disent que nous sommes chez nous. C’est extraordinaire dans ce pays, car les gens rivalisent pour montrer le moins d’amabilité.

Plusieurs fois durant le cantonnement le capitaine eut une prise de bec, particulièrement avec une femme qui ne voulait loger aucune popote, alors qu’elle habitait seule et qu’une magnifique et spacieuse cuisine se dévoilait à nous. Le capitaine a tout simplement réquisitionné la maison. De même nos hôtesses du bureau se plaignaient de devoir loger ; pourtant être deux et avoir deux demeures à soi et se plaindre d’avoir une pièce occupée par des officiers deux fois une heure par jour, je crois que c’est de l’exagération. Naturellement je me suis mis aussitôt de leur côté en les plaignant de tout ce tracas et de ce fait j’ai obtenu pour moi tout ce que j’ai voulu. On devient roublard dans le métier !

Nous mangeons donc de bon appétit. Nous recevons Rogery et Mascart qui nous apportent des notes : demain repos ; se tenir quand même prêt à partir. Nous chantons à la fin du repas, heureux d’être au chaud, autour d’une bonne table chez de charmants habitants.

Lannoy et moi nous quittons vers 8h30 pour nous diriger vers le lit espéré. Nous arrivons. Porte close. Longtemps nous frappons au volet et la grosse femme vient enfin ouvrir. Nous croyons entrer, mais la porte n’est ouverte qu’à demi et dans l’entrebâillement, elle nous déclare qu’elle loge un officier. La porte se referme. Est-ce vrai, pas vrai ? Nous prenons donc notre parti en braves, tout en ronchonnant un peu. Nous coucherons au grenier qui se trouve au-dessus du bureau avec Licour, Rogery, Jacquinot et Jamesse.

Bientôt allongés dans le foin, roulés dans nos couvertures, nous dormions à poings fermés.


[1] pontonniers : Les équipes de pontonniers sont des unités du génie militaire chargées de mettre en place, sur des cours d’eau, des ponts afin de permettre le franchissement de ceux-ci par les armées.

18 février

Au petit jour c’est un remue-ménage des gens de notre popote qui partent en marche à 8 heures. Jamesse ne tarde pas à arriver et avale rapidement son chocolat en nous traitant de veinards à l’annonce que nous ne marchons pas. Nous retenons notre ami à la dernière minute tandis que la compagnie se rassemble et s’en va.

Je profite de la matinée pour faire porter à la voiture les débris du magasin, souliers trop grands, vestes trop petites, etc. ainsi que quelques paires de galoches. De cette façon si nous partons rapidement la question du magasin sera liquidée d’avance.

À midi la compagnie est rentrée et nous nous mettons à table. Le capitaine arrive à ce moment et prescrit une revue en tenue de départ à 4 heures pour les hommes disponibles. Tout ceci sent le départ de plus en plus.

Pendant que nous sommes à table Brillant nous apporte une proclamation du général de division déclarant que les nouvelles du front sont bonnes : le centre allemand serait enfoncé en Champagne et on marcherait sur Vouziers. Heureux nous trinquons à la gloire de nos armes.

Un cri de surprise échappe à Lannoy en dépouillant un autre papier. C’est un ordre du jour de la division à Culine, Gibert et lui sont cités pour leur conduite en Argonne. Du coup c’est un hourra de félicitations. Mes amis sont heureux et nous aussi car cela nous vaudra le champagne.

Dans l’après-midi je reçois quelques lettres, de ma famille, du sergent Pellé blessés à Fontaine Madame, en traitement à Lyon, du futur aspirant Blanckaert de mes amis du pays, élève officier à la Courtine dans la Creuse, de notre ami incorporé au 16e bataillon de chasseurs à pied, Alidor Leceuche.

À 4 heures a lieu la revue. Le capitaine vient signer les pièces et s’en va, après avoir félicité Culine, Lannoy et Gibert à l’occasion de leur citation.

Vers 5 heures selon notre habitude nous nous dirigeons en bande chez La Plotte où nous passons deux heures agréables. Puis la soirée se passe avec la visite des agents de liaison du bataillon qui nous apprennent d’après une note qu’on doit s’attendre à partir d’un jour à l’autre.

Nous devons exécuter demain la dernière marche des cinq jours préconisée par le lieutenant-colonel Desplats. Départ comme ce matin, itinéraire renversé : Le Chemin, Passavant, Sénard, Charmontois.

Rogery va communiquer ceci au capitaine qui de nouveau met les mêmes ordres. Réellement nous lui sommes reconnaissants de nous faire trotter le moins possible.

La soirée se passe gaiement. Il faut profiter des derniers jours qui nous sont donnés. Vive la joie ! Au dessert nous buvons le champagne à la santé de nos glorieux amis cités à l’ordre du jour sur la proposition du capitaine Aubrun.

Mon lit me semble meilleur depuis que je songe au départ. Il est près de 11 heures quand je me couche.

14 février

Je me lève tard. Ce n’est qu’à 8 heures que les premiers de la bande apparaissent. On boit le chocolat et nous nous astiquons comme chaque dimanche pour assister à la messe. Nous y allons à 10 heures. L’église comme toujours est comble. À la sortie, le capitaine Aubrun appelle Lannoy, Culine et Gibert, tandis que le capitaine Sénéchal assiste à l’entretien. Je suis trop loin pour entendre quelque chose. En tout cas, cela se termine par des rires. Tout est donc bien qui finit bien.

En effet, le capitaine s’est montré bon père et après une petite semonce, car il devinait bien où était son adjudant, il renvoyait tout le monde absous !

Culine qui conserve cependant une dent contre Lannoy n’en démord pas qu’il lui a manqué de camaraderie.

Nous partons ensuite dire bonjour au débit La Plotte où nous prenons l’apéritif. Nous causons avec les gendarmes qui nous disent avoir de bonnes nouvelles du Nord. Nous avançons. Tant mieux, ce n’est pas trop tôt.

Nous faisons un bon repas. Culine nous dit que la classe 1915 va arriver fin février. On parle aussi d’un départ prochain. Il est vrai que voici déjà un bout de temps que nous sommes ici.

Après le repas, je me rends dans la ferme occupée par la section Gibert où je sais trouver le sergent fourrier Bourgerie qui prend ses repas. J’ai un renseignement à lui demander au sujet des fournitures touchées. Je suis reçu aimablement. On m’offre cigares, café, liqueurs et je passe une bonne partie de l’après-midi avec le sergent-major Charbonneau, le tambour major Roussel, le sergent téléphoniste Gabriel. Roussel me raconte que le chef de musique Legris a obtenu une permission de deux jours pour Paris dans le but (?) d’acheter des instruments de musique (!!!).

Je quitte la petite réunion vers 3 heures. Au bureau, je ne trouve que Rogery. Je passe donc un moment à écrire aux miens. Vers 4 heures, je file chez La Plotte croyant y trouver ma bande. Je ne rencontre que Jamesse qui s’y trouve avec le maire de Charmontois dont je fais la connaissance et avec qui je passe deux heures agréables à causer.

Mon ami et le maire s’en vont. Ils sont bientôt remplacés par une partie de notre bande, Lannoy, Cattelot et Gibert, qui sont très gais. Nous vidons quelques tournées et rentrons chez la mère Azéline où la soirée se prolonge très tard.

Nous recevons vers 8 heures. À table, Diat nous raconte une petite algarade qu’il eut la veille avec son chef de section, Mimile, qui voulait lui en imposer. Diat répondit que vis-à-vis de lui, il ne serait jamais qu’un bleu. Loin de se fâcher, l’officier rit de bon cœur et offrit un paquet de cigarettes à son sergent.

L’ami Aristide arrive et nous fait lire la note du colonel : demain rassemblement du régiment à 8 heures au sud de Belval. Marche manœuvre sur Sommeilles. Rentrée probable, 13 heures. Se munir d’un repas froid.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Puis nous lisons la note du chef de bataillon : rassemblement du bataillon route de Sénard à 6 heures 30. Départ 6 heures 45.

Rogery va donc voir le capitaine Aubrun. Celui-ci était rentré de peu de Bar-le-Duc. Notre agent de liaison revient avec les ordres : rassemblement de la compagnie à 6 heures 15 ; départ pour le rassemblement du bataillon 6 heures 20. Tout le monde présent sans exception. Quant au repas froid, cela regarde les cuisiniers d’escouade.

Rogery part donc communiquer ses ordres au chef de demi-section. Le brave garçon rentre quand nous nous séparons. Il est fatigué me dit-il. Rien d’étonnant.