Repos à Florent
Je passe une partie de la nuit à somnoler au coin du feu et à sortir avec ma lanterne, succession de De Juniac, pour voir si le bataillon n’arrive pas. Je désespère de le voir, tandis que je tombe de sommeil.
Il est 4 heures enfin quand j’entends du bruit. Je ne me trompe. C’est la 5e compagnie. J’indique le cantonnement, vois Pignol, lui fais réintégrer son escouade* et bientôt au milieu d’une pagaille sans nom, les hommes montent la grande échelle qui les jette pour ainsi dire dans le foin dont la grange est remplie. Le principal est que chacun se place et dorme rapidement. On verra demain pour placer tout cela par escouade et section.
Au milieu de l’encombrement, car la rue est remplie de troupes du bataillon qui stationnent, j’installe le capitaine dans son hôtel. Il fait grise mine et je lui déclare qu’il n’y a que cela de potable. C’est ennuyeux pour moi autant que pour lui ! Mais Dieu sait, on n’a pas idée de loger un bataillon entier avec ses sections de mitrailleuses et ses brancardiers dans une seule rue.
Je rentre au logement de la liaison avec l’espoir de m’étendre et de reposer un peu. Je m’installe donc dans la pièce qui servira de dortoir tandis que les nouveaux arrivés, Gallois et les cyclistes, se chauffent se sèchent et boivent du café. Peu après, chacun s’étend. Il est certainement 5 heures du matin.
Je ne suis pas tranquille longtemps. Il n’est pas 7 heures que déjà je suis harcelé par un tas de monde qui n’a pas de place. Le médecin auxiliaire Paris me demande un coin : je l’adresse au fourrier de la compagnie dont il dépend, qui lui-même, le brave Jombart qui a fait le cantonnement, l’envoie aux calendes grecques ; il est adjudant et non pas officier. Les brancardiers n’ont pas de place : je suis obligé de faire resserrer la 5e pour leur donner une maison abandonnée. Ce sont ensuite les mitrailleurs qui ont des chevaux à placer : obligé suis-je de nouveau d’expulser d’une grange une section de la 8e, au grand mécontentement de Carpentier. Le commandant Desplats veut un logement « digne d’un chef des corps ». L’ancien PC du colonel Rémond est occupé par une brigade. La place refuse un autre logement que celui préposé au 147e. D’où discussions, ennuis et la fameuse conclusion militaire : « Débrouillez-vous, cherchez ». Littéralement furieux, je m’attrape avec Gallois dont je fais le métier d’adjudant de bataillon et qui, lui, dort à poings fermés. Enfin vers 10 heures, le capitaine me fait demander de lui procurer une autre chambre en dehors du cantonnement. Après une heure de recherches, je trouve au débit de tabac la chambre vacante. La dame est heureuse d’héberger le capitaine qui me remercie. N’empêche qu’il est midi, que je n’ai pas fermé l’œil, que je cours depuis matin, après avoir couru toute la nuit, que je ne suis ni nettoyé, ni débarbouillé et que j’ai les sangs tournés. Fichu métier !
Je mange donc un morceau et me procure de l’eau et un seau afin de procéder à ma toilette. Cela me prend une bonne partie de l’après-midi car je suis dans un piteux état, couvert de boue de la tête aux pieds et force m’est de laisser sécher mes vêtements afin de procéder au grattage de la boue plus tard.
Je songe beaucoup à ma mère dont c’est la fête aujourd’hui. Triste fête pour moi ; que ne suis-je près de ma chère maman pour lui souhaiter la fête de vive voix, et lui donner un baiser filial.
De bonne heure je m’étends avec un mal de tête fou. Vraiment, c’est trop peu dormir en comparaison des fatigues.