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6 mars

Aussitôt réveillé vers 05 heures je vais chez le capitaine Delahaye. Avant de le réveiller je commence le compte rendu de la nuit où il n’y a rien à signaler. Puis je réveille mon chef qui content de mon initiative le signe.

Crespel et Cailliez n’ont pas ce qu’on appelle chez nous « le filon ».

Comme il fait jour, Crespel part seul au Trapèze porter l’ordre.

Ne sachant que faire je me recouche jusque 8 heures. Je suis réveillé par une conversation à haute voix.

Ce sont deux officiers de l’état-major de la 87e brigade commandée par le général Rémond notre ancien colonel. Ces messieurs sont a l’observatoire et examinent la plaine qui s’étend devant nous. Ils ne tardent pas à repartir.

Je passe ma matinée à classer les papiers de Gallois. Puis je vais dire bonjour au médecin auxiliaire Paris. Nous causons de Gallois de mon nouveau poste que certainement à son avis va m’échoir définitivement avec le grade. J’apprends par lui, en causant de nos pertes, que le sous-lieutenant Dupont fut blessé par un obus qui tua cinq ou six de ses mitrailleurs. C’était un grand ami du sous-lieutenant d’Ornant, jeune comme lui et arrivé en même temps en janvier à Charmontois au régiment.

Mais Gauthier à l’heure comme un réveil matin arrive avec la soupe. Nous mangeons aussitôt. On cause de Gallois dont Gauthier qui fait la cuisine au Mesnil a été voir la croix placée près de celle du colonel. Il me raconte à moi seul que Jombart est rentré au village tout en refusant de monter ici : il lui prête certains propos qui sont plutôt malveillants au sujet de mes aptitudes au grade d’adjudant de bataillon et revendiquerait la place. Ce sont des cancans. Je suis au-dessus de cela certes, mais quand même je mets tout ceci dans ma manche. Où se trouve l’ami sincère ?

Vers 2 heures je suis appelé par le capitaine Delahaye. Il vient de recevoir l’ordre de relève du 2e bataillon pour ce soir 9 heures et me dicte ses ordres pour les quatre compagnies.

Rassemblement à Mesnil-les-Hurlus à 9h30. Aussitôt arrivées, les 5e et 7e feront prévenir le chef de bataillon au poste de secours où il se trouvera. A 9h25 rassemblement des 6e et 5e sur la route Mesnil – Hurlus. Le commandant prendra la tête de la colonne. Nous allons à Somme-Tourbe.

Je dicte la note à Brillant (5e) Sauvage (7e) Verleene (6e) et Garnier (8e) qui aussitôt vont la communiquer à leurs compagnies.

Je prépare mon fourniment et passe l’après-midi dans mon trou entendant toutes les deux minutes les obus de canon revolver siffler en pure perte au-dessus de ma tête. Parfois un obus de gros calibre s’égare par ici, mais sans grand dommage.

Vers 5 heures je mange ce qui me reste de nourriture ; il faudra des forces car Somme-Tourbe est loin. Il y a certainement 15 km.

Le temps est beau. Si les boches veulent être sages, cela pourra marcher.

J’envoie par Cailliez et Crespel le compte rendu de la journée en leur disant de filer ensuite à Somme-Tourbe par Wargemoulin où ils ont laissé leurs bécanes.

A 8h45 je rassemble la liaison et nous partons, le capitaine Delahaye en tête. Nous ne recevons pas d’obus. Les boches dorment sans doute ou jugent que nous sommes tous exterminés.

Après un long parcours, nous commençons à rencontrer l’eau dans le boyau. Nous montons le parapet et sans encombre arrivons à Mesnil-les-Hurlus par la route de Minaucourt.

Nous nous arrêtons près du poste de secours. Le capitaine Delahaye y rentre me disant de l’avertir quand le bataillon sera là. Nous attendons donc par un clame parfait. Le marmitage a cessé. Il fait beau temps, mais les routes sont boueuses et il fait noir comme dans un four.

J’avertis que la 5e et la 7e sont sur la route et que 6 et 8 se rassemblent. Pour cela je rentre dans le poste de secours où autour d’une table sont rassemblés des docteurs et le capitaine. A mon nom qu’on prononce, on m’adresse la parole. C’est le docteur Demmeux [ ?] de Calais, major mobilisé au 8e d’infanterie qui me demande des nouvelles de ma famille dont il est l’ami. On se serre la main : je lui cause de mes deux cousins [1] l’un tué, l’autre prisonnier.

En route ! Le capitaine Delahaye en tête nous partons. Plutôt que de prendre le boyau nous laissons la route de Hurlus à notre droite et filons rapidement à travers champs. Le capitaine se guide sur la boussole. Nous marchons aussi à travers tout, la boue, les trous, sautant les obstacles désireux de mettre le plus rapidement possible le plus grand espace entre les batteries boches et nous. Enfin après une heure de marche nous faisons la pause. Au loin nous voyons les fusées monter de tous côtés. C’est un vrai feu d’artifice.

Le capitaine dont je tiens la boussole regarde avec un coin de sa lampe électrique. Nous sommes à peu près dans la direction de Somme-Tourbe.

Nous regardons après avoir eu connaissance que le bataillon suivait. C’est une nouvelle heure de marche, Dieu sait comment. Rien ne peut décrire une marche pareille à travers les champs détrempés, par l’obscurité la plus complète. Défense absolue de fumer et de se servir de lampes de poches. Nous montons des cotes, descendons des ravins, suivons des layons, passons un petit bois où plus d’un prend la buche.

Une bonne pause cette fois nous récompense. Nous sommes hors de la zone dangereuse.

Nous croyons voir des lumières bien loin. Ce doit être faux ou du moins c’est bien plus long que l’endroit où nous allons.

20 minutes après nous repartons. On voit quelques lumières encore qui se meuvent cette fois. Le capitaine me dit que c’est sûrement la route de Somme-Tourbe à Wargemoulin. Nous piquons là-dessus. C’est une nouvelle heure de marche. Nous pouvons plus.

Enfin nous tombons dans des obstacles qu’on ne peut déterminer. Devant nous tout est illuminé, lumières sous tente. Le capitaine près le bouton de sa lampe. Cri de surprise ! Nous somme dit-il dans le cimetière militaire de Saint-Jean-sur-Tourbe et les obstacles que nous prenons pour des piquets ce sont des croix.

Photos peu connues (16).jpg

On passe à gauche et après nous être embourbés dans une espèce d’étang nous tombons sur la route ou nous faisons une très longue pause afin de permettre aux quatre compagnies de se rassembler.

J’ai la curiosité de regarder ma montre. Il est 1 heure du matin. Nous sommes de vrais noctambules. Du coup heureux d’avoir la route, j’allume une bonne cigarette. Maintenant il n’y a plus de danger d’être repéré.

Une demi-heure après nous repartons éclairé par les phares des autos de ravitaillement par les lumières de voitures de toutes espèces, des caissons d’artillerie etc… Quel passage sur cette route !

Au bout de 1500 m nous cherchons les abris que nous avons occupés en arrivant ici. Le capitaine n’a eu aucune indication et croit que c’est ceux-ci que nous devons occuper.

Je m’arme de la lampe de mon chef et me paie une balade à travers champs, tandis que sur la route il suit tout doucement en m’appelant de temps en temps. Enfin après bien des misères je tombe sur les baraques. Aussitôt je tourne ma lampe du côté de la route et appelle. On se guide sur moi.

Une partie du baraquement est occupée par les artilleurs. Le cantonnement est cependant vite fait. Nous sommes aux plus 150 même avec les cuisiniers qui nous suivent depuis Mesnil. Les hommes s’engouffrent là-dedans heureux de pouvoir déposer armes et bagages. Des bougies s’allument ; on s’installe ; je rejoins le capitaine qui trouve le gourbi séparé des officiers ; je lui remets sa lampe il me dit « bonsoir ! Dormez ! Demain nous verrons ! Le régiment n’arrivera qu’au petit jour ; placer un planton à la route qui vous avertira ».

Je désigne donc la liaison pour ce poste une demi-heure chacun. Je n’ai pas encore vu Cailliez ni Crespel mais Jombart. Je m’étends parmi les artilleurs sur la paille à côté de l’ordonnance du capitaine. Je casse la croûte avec lui, tire mes chaussures et quelle joie de pouvoir le faire. Bientôt je m’endors harassé de fatigue. Je suis rendu. Il fait froid et je me couvre de mon mieux car je suis trempé de sueur.

 


[1] mes deux cousins : Louis Lobbedey tué le 31 décembre 1914 et Charles Lobbedey prisonnier au camp d’Ohrdruf.

8 février

À 6 heures, nous entendons le clairon. Debout ! Les cuisiniers ont déjà le chocolat prêt et Licour astique les affaires de l’un et de l’autre.

À 7 heures, selon l’habitude, chacun part à l’exercice. Nous recevons la visite de Brillant : il me faut ce matin à 9 heures aller chercher des fournitures à l’officier de détail. Voilà ma matinée occupée. J’avertis Jacquinot pour qu’il se tienne prêt et me rends chez Verley et Toulouse que je trouve encore couchés. Je leur dis que « C’est une honte » et les invite pour ce soir au nom de la popote*. Ils acceptent de grand cœur et seront prêts à 5 heures pour l’apéritif.

À 9 heures, je suis chez l’officier de détail et touche quantité de képis et quelques paires de souliers. J’entasse tout cela dans le magasin. J’assiste au retour de l’exercice de la compagnie. Réellement, elle a belle allure et on ne croirait pas que là-dedans la majorité sont des réservistes.

Le capitaine vient au bureau. Il nous montre, en criant, à Lannoy et à moi un papier du colonel Rémond, actuellement général de brigade, notre ex-colonel. Celui-ci le félicite et lui annonce qu’il est nommé chevalier de la Légion d’honneur. Notre cher capitaine est aux anges. Nul doute qu’aujourd’hui, la nouvelle paraîtra à l’ordre du régiment.

Du coup, Lannoy demande au capitaine un cochon pour la compagnie. On compulse le cahier d’ordinaire sur lequel le capitaine a toujours l’œil fixé car il tient à son boni [1] comme à la prunelle de ses yeux. Puis d’un noble geste, il offre le cochon. On le remercie vivement. Delbarre et Massy sont aussitôt avisés de la bonne nouvelle : ils vont chercher l’animal.

10 heures, je vais lire le rapport qui ne contient rien d’intéressant quand Lannoy arrive avec la décision du jour signée du colonel. Les capitaines Claire et Aubrun sont nommés chevaliers de la Légion d’honneur, avec une citation presque identique qui a trait aux séjours dans la Gruerie du 16 au 19 septembre derniers et à l’attaque ennemie qui fut brillamment repoussée par la compagnie. Et dire que ces jours-là, Claire et Aubrun s’en voulaient à mort ! Je lis la chose à la compagnie dans la grange de la section Alinat et déclare aux poilus que le capitaine leur offre un cochon. C’est un enthousiasme général.

Après quoi, je rentre à la popote et nous nous mettons à table. J’annonce que ce soir, Verley et Toulouse sont des nôtres. Aussitôt, les cuisiniers sont chargés d’acheter ce qu’il faut et de nous faire quelque chose de convenable. Tous, nous espérons que le capitaine nous paiera le champagne, grâce à sa décoration. Au sujet de la citation, les avis sont un peu partagés. Mais on n’insiste pas. Culine cependant déclare qu’il aurait bien fait de faire citer quelques-uns d’entre nous qui lui ont fait gagner sa croix.

Au milieu du repas, Delbarre vient annoncer au sergent-major que le cochon est trouvé. Il indique le prix. Lannoy l’envoie à Charmontois-le-Roi s’entendre avec le capitaine.

À 1 heure, chacun part à l’exercice de nouveau tandis que je me plonge dans les paperasses.

Dans l’après-midi, je reçois des lettres de chez moi, ainsi qu’une lettre de Monsieur Roger de Marville, mon ancien hôte d’antan. Je lui avais écrit, ayant eu son adresse de son cousin, le sergent Prestat [2], vaguemestre*. Le brave homme est à Châlons-sur-Marne. Son jeune fils est engagé comme artilleur à Rennes. Il a quitté Marville à l’arrivée des Allemands avec son fils, laissant femme, filles et biens. Heureux est-il de m’annoncer qu’il a des nouvelles du pays : sa femme lui a écrit que Marville était respecté, le Kronprinz et l’empereur son père par la suite y ayant été bien accueillis et ayant promis de sauvegarder les habitants. La famille Roger loge des officiers qui se conduisent très bien. Tout ceci m’intéresse au plus haut point, car je songe souvent à Marville au temps où nous grillions de nous cogner avec les boches.

Enfin le soir tombe et Lannoy et moi, bouclons nos cahiers. C’est l’heure de la détente. Nos amis, revenus de l’exercice de l’après-midi, sont déjà chez La Plotte. Nous prenons Verley et Toulouse au passage et filons vivement là-bas amenant avec nous Jamesse que Rogery remplace. En route, nous rencontrons le colonel qui nous arrête, examine galons et dit à Jamesse qu’il devra les placer mieux que cela car ils vont s’effilocher. On salue.

Après une bonne heure passée ensemble au coin du feu avec les gendarmes, nous rentrons dîner, par un temps froid mais toujours sec.

La soirée se passe cordialement autour de notre table familiale. On jase, on parle, on rit beaucoup. Enfin on se quitte vers 11 heures après avoir épuisé notre répertoire de chansonnettes. Je me couche et hérite encore de Maxime et de Jamesse. Je ne puis les loger tous deux. Jamesse décide donc, en tant que plus jeune, d’aller coucher dans la paille avec ses couvertures. Maxime d’ailleurs n’a pas attendu cette décision pour dormir profondément.

Lannoy de son côté déclare dormir beaucoup mieux dans le foin que dans un lit. J’en suis content car je suis propriétaire du plumard de cette façon. Enfin, à 11 heures 30, toutes lumières éteintes, le calme [le] plus profond régnait, mais la table non desservie en disait long sur les libations de la soirée.

 

 


 

[1] boni : Somme qui excède la dépense faite ou l’emploi de fonds projeté.

[2] Prestat : Plus d’informations sur le Blog du 147e RI : http://147ri.canalblog.com/archives/2015/12/23/33093572.html

27 janvier

De bonne heure, debout ! Vivement le débarbouillage !

Cela nous remet en place depuis que chaque jour nous pouvons normalement procéder à notre toilette. La vermine a complètement disparu.

Licour dévoué et heureux d’être exempt de service lave le linge et s’occupe de toutes les questions matérielles comme un volontaire modèle : j’y ai retrouvé tout le linge reçu à Florent et heureux suis-je de pouvoir être propre.

Après le chocolat, je pars avec Jaquinot et ma voiture à l’officier de détails. J’arrive dans Charmontois-l’Abbé en grand équipage et voit Bourgerie, un ami d’antan de Sedan, sergents fourriers à la C.H.R.* qui dit me servir aussitôt, heureux de se débarrasser de sa camelote le plus vite possible.

Pendant qu’on me sert je vois pour la première fois des aspirants qui viennent d’arriver. L’un de et chef de poste de police : Boutollot affecté à la 7e compagnie.

J’inscris donc que tout ce que je reçois et bientôt brodequins, chemises, chaussettes, caleçons s’entassent pêle-mêle dans la voiture. Jaquotte [1 Jacquinot ?] qui flânait depuis deux jours aura du travail à ranger tout cela.

Nous touchons jusqu’à du fil, des aiguilles, du galon etc.… Je file avec toute ma marchandise. Au passage les gendarmes me saluent, riant de me voir marchand de nouveautés.

À ma rentrée je rends compte à Gallois par écrit de ce que j’ai touché et envoie Jamesse avec ceci le chargeant également de monter le magasin.

Il est 10 heures. Je vois revenir la compagnie de l’exercice sous le commandement du capitaine Aubrun à cheval. Celui-ci descend et vient nous trouver.

Lannoy par lire le rapport. Je demande au capitaine de supprimer l’exercice de l’après-midi pour les distributions d’effets. Accepté. Je cours rejoindre Lannoy. Donc cet après-midi section par section à intervalle d’une demi-heure, distributions à partir de 2 heures, gradés présents.

Nous prenons notre repas à 11 heures, un peu plus tranquilles que la veille. Mascart vient cependant nous harceler au café. C’est une note du colonel qui déclare que les galons doivent être placés sur les manches de telle façon, suit le modèle, et non à la capote et à la tunique entre le 2e et le 3e bouton selon les ordres d’antan du colonel Rémond. Bon !

Le galon doit avoir 0,09m et les galons rouges sont remplacés par des noirs.

Je reçois un peu de courrier. J’ai toujours de bonnes lettres de ma famille, mais depuis hier seulement. Une seconde lettre aujourd’hui avec une carte de mon camarade le sergent Noël qui est en traitement et se dispose à rejoindre bientôt le dépôt. Le courrier avec notre déplacement à eu quelque retard. À présent tout est normal.

Je passe mon après-midi au magasin ou ayant en main l’état du manquant par section je procède aux distributions. Je reçois la visite du sous-lieutenant d’Ornant qui timidement vient essayer une paire de souliers.

Enfin à 4 heures mon magasin est vidé, et tout le monde n’est pas servi loin de là.

À mon retour je trouve le capitaine Aubrun au bureau. Celui-ci fait demain du service en campagne ; 7 heures, rentrée 10 heures. L’après-midi revu à 3 heures des capotes nouvellement galonnées. Repos pour le reste de la compagnie. Aussitôt le capitaine parti, nous bouclons tout et filons chez La Plotte. Nos amis n’y sont pas. Nous continuons, entrant en passant à l’épicerie, vers le coin de Culine. Nous y rencontrons nos amis occupés à jouer aux cartes. On s’attable, on raconte l’affaire des galons, du service en campagne pour demain et on trinque à la victoire.

Gaiement nous rentrons chez nous. Il fait un froid de canard. Depuis notre arrivée ici, il gèle à pierre fendre.

La soirée se passe gaiement et se termine par quelques chansonnettes.


[1] Jaquotte : s’agit-il d’un surnom donné à Jaquinot ou d’une erreur de nom ? Toujours est-il qu’aux dates du 26, 27 et 28 janvier le nom Jaquotte est rayé dans le cahier et remplacé par Jaquinot. Sauf ici dans une phrase ! S’agit-il d’un oubli de correction de la part d ‘Émile Lobbedey ?

13 décembre

Repos à Florent

Je passe une partie de la nuit à somnoler au coin du feu et à sortir avec ma lanterne, succession de De Juniac, pour voir si le bataillon n’arrive pas. Je désespère de le voir, tandis que je tombe de sommeil.

Il est 4 heures enfin quand j’entends du bruit. Je ne me trompe. C’est la 5e compagnie. J’indique le cantonnement, vois Pignol, lui fais réintégrer son escouade* et bientôt au milieu d’une pagaille sans nom, les hommes montent la grande échelle qui les jette pour ainsi dire dans le foin dont la grange est remplie. Le principal est que chacun se place et dorme rapidement. On verra demain pour placer tout cela par escouade et section.

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Florent, une rue du village animée – 1915.07.18 ©Ministère de la Culture

Au milieu de l’encombrement, car la rue est remplie de troupes du bataillon qui stationnent, j’installe le capitaine dans son hôtel. Il fait grise mine et je lui déclare qu’il n’y a que cela de potable. C’est ennuyeux pour moi autant que pour lui ! Mais Dieu sait, on n’a pas idée de loger un bataillon entier avec ses sections de mitrailleuses et ses brancardiers dans une seule rue.

Je rentre au logement de la liaison avec l’espoir de m’étendre et de reposer un peu. Je m’installe donc dans la pièce qui servira de dortoir tandis que les nouveaux arrivés, Gallois et les cyclistes, se chauffent se sèchent et boivent du café. Peu après, chacun s’étend. Il est certainement 5 heures du matin.

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Cantonnement. Soldats au coin du feu le soir – 1915.11 ©Ministère de la Culture

Je ne suis pas tranquille longtemps. Il n’est pas 7 heures que déjà je suis harcelé par un tas de monde qui n’a pas de place. Le médecin auxiliaire Paris me demande un coin : je l’adresse au fourrier de la compagnie dont il dépend, qui lui-même, le brave Jombart qui a fait le cantonnement, l’envoie aux calendes grecques ; il est adjudant et non pas officier. Les brancardiers n’ont pas de place : je suis obligé de faire resserrer la 5e pour leur donner une maison abandonnée. Ce sont ensuite les mitrailleurs qui ont des chevaux à placer : obligé suis-je de nouveau d’expulser d’une grange une section de la 8e, au grand mécontentement de Carpentier. Le commandant Desplats veut un logement « digne d’un chef des corps ». L’ancien PC du colonel Rémond est occupé par une brigade. La place refuse un autre logement que celui préposé au 147e. D’où discussions, ennuis et la fameuse conclusion militaire : « Débrouillez-vous, cherchez ». Littéralement furieux, je m’attrape avec Gallois dont je fais le métier d’adjudant de bataillon et qui, lui, dort à poings fermés. Enfin vers 10 heures, le capitaine me fait demander de lui procurer une autre chambre en dehors du cantonnement. Après une heure de recherches, je trouve au débit de tabac la chambre vacante. La dame est heureuse d’héberger le capitaine qui me remercie. N’empêche qu’il est midi, que je n’ai pas fermé l’œil, que je cours depuis matin, après avoir couru toute la nuit, que je ne suis ni nettoyé, ni débarbouillé et que j’ai les sangs tournés. Fichu métier !

Je mange donc un morceau et me procure de l’eau et un seau afin de procéder à ma toilette. Cela me prend une bonne partie de l’après-midi car je suis dans un piteux état, couvert de boue de la tête aux pieds et force m’est de laisser sécher mes vêtements afin de procéder au grattage de la boue plus tard.

Je songe beaucoup à ma mère dont c’est la fête aujourd’hui. Triste fête pour moi ; que ne suis-je près de ma chère maman pour lui souhaiter la fête de vive voix, et lui donner un baiser filial.

De bonne heure je m’étends avec un mal de tête fou. Vraiment, c’est trop peu dormir en comparaison des fatigues.

12 décembre

Relève des tranchées

Le colonel Rémond est nommé général de brigade et remplacé par le commandant Desplats du 128e. Gallois est nommé adjudant de bataillon.

Vers 7 heures, c’est encore l’arrivée épique de notre cuisinier. Aussitôt debout, rassemblement, distribution d’eau-de-vie pendant que dans la marmite le café chante sur le feu.

Gauthier pour une fois nous annonce une grande nouvelle. Le colonel Rémond est nommé général de brigade. Il est remplacé dans son commandement par le commandant Desplats du 128e.

On annonce cela au capitaine Sénéchal qui n’en sait encore rien et reste sceptique. Gauthier dit tenir cela du personnel des voitures de ravitaillement.

Dans la matinée, une note arrive, apportée par un cycliste du colonel. La nouvelle est vraie. C’est un adieu de notre chef à ses troupes qu’il se dit fier d’avoir commandées. Il nous recommande le valeureux commandant Desplats, chef sans peur et de grand mérite, ancien colonial.

Une autre note annonce la promotion de Gallois au grade d’adjudant de bataillon et celle de Menneval à celui de sergent fourrier.

Nous nous promettons de fêter ces fameuses promotions aussitôt que les circonstances le permettront.

Gallois est des plus heureux et nous partageons sa joie car le voilà définitivement à notre tête et c’est un charmant camarade.

La pluie a complètement cessé et le soleil luit misérablement, un petit soleil d’hiver qui ne réchauffe et ne sèche pas. Les terrains sont détrempés au possible. Vers 1 heure, une note annonce que nous serons relevés cette nuit. Cantonnement* à Florent. Nous nous apprêtons donc immédiatement, attendant que le capitaine Sénéchal nous dise de partir préparer le cantonnement. Il nous appelle bientôt en effet, avec ordre d’aller reconnaître la route de La Harazée.

Nous suivons donc Gauthier qui nous mène par trois ou quatre layons jusqu’au moment où il n’y a qu’à suivre pour arriver le layon sur lequel nous nous trouvons.

En route, nous rencontrons une batterie alpine bien dissimulée qui tire depuis plusieurs jours. Nous l’avions entendue, nous demandant quel était ce genre d’obus rapide qui ressemble aux 75 par sa rapidité. C’est la première fois que nous sommes dotés d’une batterie de ce genre.

Nous revenons au PC du bataillon. Le capitaine Sénéchal m’appelle et me charge de partir, chef de cantonnement, avec les fourriers Carpentier Menneval, et Jombart qui fera le cantonnement de la 7e compagnie. Je ne suis pas satisfait car ma charge est double : cantonnement du bataillon et cantonnement de ma compagnie.

D’un autre côté, je me charge d’en profiter pour la loger princièrement. Gallois reste donc avec le commandant. Gauthier m’accompagne.

Nous partons, laissant nos agents en second, Pignol, Frappé et Garnier des 5e, 6e et 8e appelés pour la circonstance ainsi que Legueil de la 6e compagnie, caporal fourrier, les cyclistes et René, l’agent de liaison de mitrailleuses.

Il peut être 4 heures. Grâce à Gauthier qui connaît parfaitement le chemin, nous passons par les routes les meilleures. Nous loin du village quelques balles sifflent à nos oreilles, serions-nous vus ? En tout cas nous prenons le petit pas gymnastique qui nous amène rapidement au patelin.

Ici je dois rassembler tout ce que je trouve de cuisiniers et les diriger sur Florent. Ceux-ci, petit à petit avançant sans cesse l’heure du départ des tranchées pour chercher et préparer les vivres au village, et retardant petit à petit l’heure d’arrivée le matin, ont réussi sans qu’on s’en aperçoive à s’installer au village où ils passent la majeure partie du temps. C’est ainsi que je trouve à La Harazée, dans quatre coins différents connus de Gauthier, les caporaux d’ordinaire de chaque compagnie installés dans de véritables chambres garnies, meublées avec des débris de table, de chaises et de literies trouvés un peu partout. Les cuisiniers ont une véritable installation digne d’un Vatel*. Cela se passe de cuisiniers de bataillon relevé à cuisiniers du bataillon de relève. C’est tout juste si on ne dresse pas un état du matériel avec signatures au bas. Cela me fait rire. Nous faisons une longue pause au logis de la 8e compagnie où nous buvons force café. Une nouvelle pause m’amène à la 6e compagnie où on fait des crêpes : j’en avale plusieurs. Là nous voyons le frère d’un cuisinier de la 6e compagnie, Verleene ; celui-ci part à Florent avec une voiture et se charge d’emporter nos havresacs que nous n’aurons qu’à lui réclamer à destination. Grand soulagement !

Je quitte donc La Harazée, suivi d’une file interminable de cuistots qui font un grand remue-ménage de plats et marmites. C’est un cortège digne de tenter le pinceau d’un maître. L’obscurité est complète : il peut être 6 heures du soir.leroux_cortege

Nous passons la Placardelle où des obus, tombant à la cote 211, nous font faire une bonne pause et nous procurent la joie d’un pas de gymnastique rapide à l’endroit dangereux.

Au parc d’artillerie, je dépasse une petite caravane et reconnaîs mon ami Pécheur, sergent secrétaire du colonel, qui, lui-même, se rend à Florent faire le cantonnement de l’état-major du régiment. Nous faisons route ensemble, échangeant nos impressions sur le nouveau commandant du régiment que nous ne connaissons pas et qui doit se trouver au village où nous cantonnons.

Il peut être 9 heures quand nous arrivons à Florent par une obscurité complète et un vent qui souffle en bourrasque. Temps détestable sans pluie heureusement.

Toujours suivi de ma brillante suite, je fais halte sur la place, attendant Pécheur parti à la mairie où se trouve le bureau de cantonnement. Il revient bientôt avec les renseignements voulus et m’amène d’abord avec lui pour saluer le commandant Desplats dont il a le numéro du logement. Nous attendons le départ de deux cavaliers qui sont reçus en ce moment, puis c’est notre tour. Nous nous présentons et sommes reçus aimablement par un homme petit, nerveux, ne tenant pas en place, chauve, au teint bronzé, aux yeux scrutateurs derrière des lunettes, un vrai colonial. Il s’informe vaguement du régiment et nous dicte ses désirs au sujet du cantonnement. Nous pouvons nous retirer, ce que nous faisons avec empressement. Mes impressions : homme peut-être excellent, mais très méticuleux.

Pécheur m’indique mon cantonnement que je commence, éclairé par toutes les lanternes des cuistots qui suivent et s’installent aussitôt qu’une répartition est faite entre les quatre compagnies. Mon cantonnement est restreint car je n’ai qu’une rue, la rue A. (Voir topo Tome IV).Plan14-11Florent Je loge aussi bien que possible la compagnie et envoie paître mes amis qui déclarent que le cantonnement est exigu tant pour la troupe que pour les officiers. De guerre lasse et après bien des pourparlers, je retrouve Pécheur et obtient de lui une chambre épouvantable qu’il me cède même à regret, gêné lui-même dans son cantonnement : cette chambre est en dehors du cantonnement, je la cède à Jombart qui, de concert avec Carpentier, décide d’y loger les lieutenants Régnier, Péquin et de Monchin ; deux lits à trois matelas, une table, aucun siège. C’est luxueux. Quant à moi, je loge le capitaine Aubrun dans un rez-de-chaussée de deux pièces. La première servira de cuisine et déjà Chopin et Verhee, le nouveau successeur de Chochois relevé, font bonne besogne. La seconde contenant deux lits à peu près potables sera la salle à manger et le dortoir pour le capitaine, le sous-lieutenant Vals et le médecin aide major Veyrat. Que faire ? Impossible de trouver mieux.

Très ennuyé de tout cela, je me rends près de Gauthier, il peut être minuit. Celui-ci, à qui j’ai donné tous droits de choisir, est dans une petite cabane, sans étage, en briques : deux modestes pièces ayant une petite fenêtre chacune ; dans la première, un bois de lit, deux chaises, une table, un foyer ; dans la seconde, de la paille. Je bois un quart de café, me chauffe, me sèche et attends, bientôt rejoint par Carpentier, Menneval et Jombart qui tâchent de compléter le cantonnement en cherchant des coins partout. Le capitaine Sénéchal est logé au presbytère. Lui seul sera bien. Dehors, le temps est pluvieux et le vent siffle. Beau temps pour une relève.

7 décembre

Relève au bois de la Gruerie

90423614img-2120-jpgNuit excellente et réveil tardif.

Le temps est à la pluie. Cela nous désole car on sent bien que la relève* au bois est proche. Dans la matinée en effet, une note arrive fixant le départ à la tombée de la nuit. On se prépare donc tranquillement, tout en copiant de temps en temps une nouvelle note qu’on communique. Menneval remplace Courquin. Il attend sa nomination de sergent fourrier.

Je passe l’après-midi à composer ma chansonnette sur un air connu et je donne la primeur du premier couplet à mes braves camarades qui applaudissent à tour de bras.

Le voici, intitulé : Le 147e en Argonne

Depuis trois mois qu’on vadrouille en Argonne
Qu’est-ce qu’on y fait ? C’est ce que je vais vous conter
Car notre colon nous permet qu’on déconne
Un petit air que l’on pourra chanter
Quand on va traverser
Toutes les petites cités :

La Harazée    pan pan pan pan
Florent et son clocher         D°
Le pont de la Neuville         D°
Et bientôt Binarville            D°
Vienne-le-Château               D°
Saint-Thomas, son plateau D°
Placardelle, le Claon           D°
Moiremont et plus tard Servon.

Nous partons subitement vers 3 heures, le départ ayant été avancé. Il pleut un peu et cela ajoute à la mélancolie d’une relève. Nous suivons en groupe l’itinéraire connu et fastidieux de Florent à La Harazée, derrière le capitaine Sénéchal à cheval, suivi de Jacques tandis que le bataillon marche dans l’ordre fixé aux compagnies.

Après différentes pauses, le passage au parc d’artillerie, à la cote 211, à la Placardelle, à la cote de La Harazée où nous passons rapidement, nous arrivons dans La Harazée vers 5h30.

Nous entrons dans le jardin qui se trouve devant le château. Quelques obus arrivent dans le village. Nous faisons la pause entre les grands marronniers pendant que le bataillon stationne sur place. Les officiers avec le capitaine commandant rentrent dans le château et en ressortent quelques instants après. Je vois sur le seuil le colonel Rémond qui leur serre la main.harazee

Nous partons, suivons une route qui nous est inconnue, boueuse, plus que boueuse à flanc de coteau. La marche est lente et très pénible. Parfois la boue étant trop dense, nous sommes obligés de monter parmi les arbres auxquels nous nous accrochons et de marcher à flanc de côté. Heureusement que la pluie a cessé et qu’un léger, très léger clair de lune nous permet de voir à peu près où nous marchons.

Enfin nous sommes anéantis bientôt par la fatigue. Il faut suivre quand même.

Plus d’une heure après, suant sang et eau, nous arrivons à un petit carrefour où nous voyons quelques lumières. Une petite rivière barre la route. Il y a un pont de bois fait de quelques modestes planches. C’est tout un art de passer là-dessus par l’obscurité. Plusieurs l’apprennent à leurs dépens et roulent dans l’eau. C’est un bain douche inédit. On s’arrête, croyant être arrivés. On attend, car le capitaine Sénéchal a disparu comme par enchantement. Gallois est affolé.

Une demi-heure après, nous sommes rappelés par une voix connue, celle de notre chef qui nous dit de le suivre. Nous retraversons le pont et nous enfonçons à droite dans une espèce de ravin où nous avons de l’eau jusqu’à mi-jambe. Marche agréable s’il en est ! Jamais je n’ai vu cela et pourtant j’ai vu quelques coins peu enviables !

Le ravin passé, nous sommes sur un boyau adossé contre une colline très haute. On fait une courte pause.

Le capitaine nous rassemble à voix basse et dit qu’on doit monter là-haut en silence sans cigarettes. Il fait nuit noire et sans cela, nous serions vus de l’ennemi. Donc si une fusée monte, s’aplatir et ne pas bouger.

On monte donc. Quelle suée ! Le capitaine, comme nous, est à bout de souffle. On s’arrête tous les 25 m. Parfois on désespère de passer, tellement l’herbe est haute, les boqueteaux nombreux, la terre détrempée. On s’accroche partout, on tombe sur les genoux, il faut parfois ramper, car la crête est presqu’à pic.

Combien de temps ces 100 m d’ascension nous demandent-ils ? Beaucoup. Enfin nous arrivons au haut. Dans quel état ? Heureusement qu’il fait noir et qu’on ne se voit pas. Nous tombons sur un petit boyau qui nous amène bientôt à quelques abris éclairés. Le bois est des plus touffus.

Il commence à tomber quelques gouttes de pluie. Le capitaine nous quitte, disant de nous caser et de lui faire savoir quand chacune de nos compagnies arrivera : il va dans l’abri du chef de bataillon que nous relevons.

Celles-ci ont pris une autre route moins fatigante.

Nous sommes donc arrivés, ce n’est pas trop tôt. Se caser est facile à dire, tous les abris sont remplis de troupes.

Je rentre dans l’un d’eux et reçois l’ordre formel de sortir d’un officier que je reconnais : le lieutenant Ducroo du régiment qui se trouve là avec sa section. C’est donc du régiment qui est là, le premier bataillon, qui va au repos et que nous remplaçons.

Très peu flatté du cordial accueil reçu, je retrouve Carpentier qui me console et qui, flegmatique sous la pluie, mange une saucisse, assis sur un arbre abattu. Je ris malgré moi et fais la même chose que lui. Je crois que tous deux, nous sommes attachés l’un à l’autre pour l’existence.

La saucisse avalée et l’estomac calmé, nous cherchons de nouveau car la pluie continue et sommes assez heureux pour trouver un grand abri occupé par quelques téléphonistes qui nous donnent une place et déclarent qu’ils vont bientôt s’en aller. J’appelle Pignol qui se morfond sous la pluie.

Il peut être minuit quand j’entends la voix du capitaine Aubrun qui, furieux, sa lampe électrique en main, furète partout. Je l’amène à tâtons au capitaine Sénéchal et les laisse se débrouiller tous deux. Je rentre car il pleut toujours et je suis ruisselant d‘eau et de boue de la tête aux pieds. Il y a de quoi attraper une fluxion de poitrine mais je n’ai guère le temps de songer à une pareille bagatelle. Je rencontre Crespel et Caillez qui, au prix de mille difficultés, amènent un paquet de boue : leur bicyclette. Ils ont suivi le bataillon.

Les téléphonistes partent bientôt, nous laissant l’abri qui, heureusement, à certains endroits, empêche l’eau de filtrer. Nous avons alors tout loisir de nous admirer, boueux d’une couche épaisse de boue de la tête aux pieds. Carpentier en a même la figure recouverte car il a fait plusieurs chutes et me fait rire par ses remarques et les grimaces qu’il nous fait.

On ne peut se coucher ; on ne se réveillerait pas. Nous prenons donc le parti à cinq, Pignol, Crespel, Caillez, Carpentier et moi, de continuer le feu laissé par nos prédécesseurs et de passer la nuit à nous sécher. Nos autres amis sont dans des gourbis avoisinants.broquet_halte

Je n’ai pas le courage de m’informer où peut se trouver la compagnie. Je la trouverai toujours demain. Quant aux sacs et aux fusils, attendons le petit jour pour les retrouver.

Le feu nous cause des misères, car le bois est mouillé et nous nous usons les poumons à tour de rôle à souffler dessus.

 

 

 

 

 

 

29 novembre – Chapitre VI

Chapitre VI Bois de la Gruerie : secteur Fontaine la Mitte

Bois de la Gruerie, 6e séjour La Harazée (voir topo Tome I)

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Plan dessiné par Émile Lobbedey (Topo Tome I)

Le bois comprend différents secteurs dénommés d’après les appellations de chasseurs qui se donnaient rendez-vous dans le bois.

C’est ainsi qu’il y a « Bagatelle Pavillon » au centre un peu vers l’ouest, du côté de Binarville ; ce fut notre secteur jusqu’ici ; « Fontaine Madame » et « Fontaine aux charmes » au-dessous de Bagatelle ; la première à droite face à l’ennemi, la deuxième à gauche côté ouest. « Saint-Hubert » à l’est en dessous de Fontaine Madame. « Fontaine la Mitte » en dessous de Saint-Hubert, au-delà et un peu à droite de La Harazée.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Il y a bien d’autres coins encore, mais ceux que je viens de citer sont les principaux.

Le bataillon occupe donc le secteur de Fontaine la Mitte. C’est une position de repli, de deuxième ligne, qui se retrouve derrière la première ligne qui se trouve à Saint-Hubert. Je vais voir le capitaine dans la matinée et trouve la compagnie assez bien installée dans des gourbis*. On fait du feu et les cuisiniers préparent la popote*. Le capitaine a un gourbi potable avec un fauteuil d’osier et une table à l’extérieur. S’il fait beau, me dit-il, ce sera un séjour des plus agréables. Je lui apporte des journaux de la part du capitaine Sénéchal qui est remercié chaleureusement.28 nov 1914 archives_SHDGR__GR_26_N_695__011__0036__T

Ce dernier a son PC dans le château. Je le vois dans une chambre proprette et respectée, avec un mobilier de prix.

VienneLeChateau-APD0000585Dans le château se trouvent le colonel Rémond et l’état-major du régiment. Le colonel a le commandement du secteur.

Quant à nous, sortis de bonne heure de notre abri, la pluie ayant cessé, nous furetons dans les dépendances et faisons popote dans une grange ouverte à tous vents et qui porte trace du passage des troupes. Tout ce qui paraît bois ou qui est susceptible de brûler a été enlevé, coupé à la hache par les cuisiniers. C’est lamentable. Quelles bandes de pillards.

Nous nous trouvons dans cette grange avec des mitrailleurs qui font popote également.

Vers 10 heures, le mitrailleur René trouve non loin de là une petite pièce proprette avec plafond et plancher. Cette pièce donne dans un grenier un peu plus respecté des cuisiniers, donnant lui-même dans l’espèce de grange où nous nous trouvons. À en juger par la seule petite fenêtre qui l’éclaire et un carreau noir qui s’y adapte, cette pièce devait servir de chambre noire pour les jeunes gens du château, amateurs photographes. Aussitôt nous nous installons à dix dans cet enclos qui mesure peut-être 6 mètres sur 3, laissant nos agents de liaison en second se loger dans le grenier avoisinant.

Quelle joie d’avoir trouvé une semblable aubaine. Nous sommes entassés comme des lapins, qu’importe ! Nous serons à l’abri du vent, du froid et de la pluie.

Bientôt chacun a son coin. Gauthier fait la cuisine et, assis sur nos sacs, à l’abri, nous mangeons chaud avec délices.

Quelques notes dans la journée ! Une visite du capitaine Sénéchal qui est heureux lui-même que nous ayons trouvé quelque chose ! Le soir tombe et nous nous couchons sur le plancher, allongés les uns contre les autres. La nuit, nous n’en doutons pas, sera excellente.