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11 janvier

Bois de la Gruerie – 10e séjour

La nuit n’est pas fameuse. Il n’y a pas de feu dans l’abri. Impossible de s’allonger. L’eau coule à la longue par gouttelettes et s’infiltre à l’intérieur. Je n’ai ni sacs ni couvertures, ayant laissé le tout à la garde de Pignol, mon agent de liaison*. Je n’ai rien à me mettre sous la dent. En un mot, je suis abruti et malade. Quel métier que celui de la guerre. Nuit longue et affreuse !

Enfin il est écrit que tout passe, mêmes les nuits blanches. Le petit jour nous arrive quand même. Je sors pour voir ce que fait le temps : il ne pleut plus, tandis qu’à l’intérieur l’eau s’infiltre toujours et commence à former de petites mares.

Je suis appelé par le capitaine Claire qui me dit de prendre un second agent de liaison et de me débrouiller car nous passerons la journée ici. Bonne et mauvaise nouvelle ! Je vais donc à la compagnie chercher le compte rendu du matin et ramène avec moi Mascart, jeune soldat de sa classe 1913, qui fut mon voisin de chambre quand j’étais caporal. À la compagnie, à part quelques bombes qui tombent juste, quelques ripostes énergiques, la matinée a l’air de s’annoncer calme. Nous rejoignons l’abri si peu confortable et j’envoie mon homme du PC du bataillon disant de chercher dans ma musette de me rapporter de quoi calmer ma faim. Le brave garçon tarde un peu, mais m’apporte dans un bidon deux quarts* de café chaud. Je suis si heureux que je manque de l’embrasser ; ce garçon s’est révélé, il est débrouillard ; son avenir est fait, il restera agent de liaison. Je mange donc une boîte de pâté et du pain et fait une chère de roi.

La matinée se passe assez tranquille. Quelques obus sifflent au-dessus de nous, auquel les 75 répondent aimablement par des éclatements terribles «Giiii…Paff… . Giiii…Paff… ». Des bombes également veulent nous saluer ; on leur répond aimablement aussi, et c’est ainsi une petite lutte de 10 minutes, un repos d’une heure et ça recommence. C’est ce qui s’appelle un « secteur empoisonnant » ou à tout instant du jour et de la nuit il faut être en éveil.

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Extrait de l’album d’Etienne Maxime DUPONT, artilleur – Europeana 1914-1918

Avec cela, la pluie a transformé les parapets en paquets de boues, les tranchées en torrents et les occupants en troglodytes.

Je me demande ce qui nécessite la présence du capitaine commandant ici. Ce que je vois de clair, c’est que je ne suis pas logé, que je n’ai rien sous la main et que je claque des dents. Sauvage dort paisiblement, anéanti par le sommeil : il a de la chance, car dormir c’est oublier.

Vers une heure, croirait-on, un rayon de soleil filtre à travers la couverture boueuse qui bouche l’entrée et sert de portière. (Une portière en bleu ou en rose, en tulle ou en mousseline, reverra-t-on jamais cela !). Je suis si heureux, que je réveille Sauvage qui ronfle et nous sortons aussitôt. Le capitaine Claire me voit et m’envoie porter une note au capitaine Aubrun.

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Extrait de l’album d’Etienne Maxime DUPONT, artilleur – Europeana 1914-1918

Il descend au PC du bataillon et me dit de rentrer au bas de la cote le rejoindre et rejoindre la liaison : nouvelle attendue par mois avec impatience et bienvenue certes. Le commandant de la 5e est averti que le téléphone est ici et qu’il peut communiquer avec le PC du bataillon et avec le commandant Desplats. Je m’acquitte rapidement de ma commission et descend la cote boueuse par le boyau*, vrai torrent, ou on enfonce dans l’eau jusqu’à mi-jambe, suivi du fidèle Mascart.

J’arrive au gourbi* où Pignol fait un feu d’enfer. La première chose dont je m’occupe et manger ; la seconde me sécher. Je retrouve René qui est colocataire comme la fois dernière et consolide en ce moment le toit à fin d’empêcher l’eau de filtrer. Mascart s’installe avec nous. Nous serons donc à 4. Quant à moi, me voici à présent loti de 2 agents de liaison ; je décide d’en profiter. On ne me verra pas beaucoup là-haut.

L’après-midi est ensoleillée. C’est un plaisir. Mais je n’y prends garde tout occupé à rester le dos au feu.

On emménage le gourbi afin qu’il nous donne toutes les commodités possibles. Les obus nous donnent quelques émotions. Il tombe à 50 m de nous dans un ravin et nous avons tout loisir d’admirer les énormes gerbes d’eau et de boue résultant de l’explosion : c’est d’ailleurs le seul résultat qu’obtiennent les boches. J’observe notre position : nous sommes un peu à flanc de coteau et à l’abri je crois grâce à la projectoire [1] de l’obus.

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Un peu séché, un gros rhume dans la poitrine, je sors vers le soir et visite les abris environnants où se trouvent Sauvage et Menneval ensemble, Gallois et l’agent de liaison de la 7e. Je dis au revoir à Jombart qui suivi de Gauthier rentre à la Harazée pour revenir demain matin.

J’assiste également au tir rapide de quelques batteries alpines de 65. Les petits obus passent au-dessus de nos têtes avec la rapidité du canon revolver.

Je rentre près du bon feu, tandis que Mascart et Pignol qui s’entendent comme larrons en foire font mijoter le rata qu’on ne tarde pas à avaler.

Et là-dessus, « bonne nuit, j’ai besoin de sommeil et compte sur vous deux s’il y avait quelque chose ».

Je m’étends dans un coin sur un peu de paille et m’endors aussitôt. Les boches peuvent bombarder, je ne me dérangerai pas.


 [1] Projectoire : Synonyme de trajectoire. 

9 janvier – Chapitre X

Chapitre X – Bois de la Gruerie : secteur Fontaine Madame
Séjour à la Harazée – voir topo tome I

Fauteuil voltaire

Enfin au petit jour la place est déblayée. Gauthier et moi, faisons l’inventaire de notre héritage : une pièce de 10 m de long sur 5 de large ; une commode ; une table ; 4 chaises, un voltaire*, un foyer où on pourra faire popote.

La liaison ne tarde pas à rappliquer chez nous et chacun s’installe comme il peut. Nous sommes littéralement les uns sur les autres. Gallois arrive à son tour et j’ai une nouvelle discussion avec lui, car je l’accuse de n’avoir pas fait son service.

Nous sommes là-dedans à 12 : Gallois, adjudant, Menneval, Sauvage, Jombart et moi, sergents fourriers, Paradis, Verleene, caporaux fourriers René, agent mitrailleur, Gauthier, clairon cuisinier, Pignol, Garnier et un homme de la 7e agents de liaison en second.

Enfin plus on est de fous, plus on rit, dit-on. C’est peut-être vrai car à notre misère de logement, on supplée par une grande gaieté.

Je garde cependant le fauteuil comme propriété personnelle, c’est ce qu’il y a de plus confortable.

Nous faisons popote*, jouons aux cartes l’après-midi, écrivons aux nôtres, recevons la visite du vaguemestre* et passons la journée assez péniblement.

Vers 5 heures nous assistons à un spectacle assez grandiose. Les voitures de ravitaillement arrivent sur la route de Vienne le château – la Harazée quand des sifflements d’obus se font entendre. Les obus éclatent en gerbes noires, ce sont des obus percutants*, à 25 m à droite et à gauche de la route avec un bruit terrifiant.

Les voitures au galop des chevaux passent, tandis que les obus tombent toujours. Sans doute l’ennemi grâce à un ballon observatoire ou un taube [1] sait-il quelque chose, de l’heure d’arrivée de nos voitures. En tout cas, celles-ci arrivent dans le village au triple galop.

02555 - Ballon d'observation allemand - Guerre mondiale 14-On se réfugie dans les caves croyant à un bombardement du village. Il n’en est rien.

Une heure après les distributions commencent et les hommes du ravitaillement me disent avoir passé une belle minute d’indicible émotion. Les obus boches ont d’ailleurs été lancés en pure perte, car tout est intact, hommes, chevaux et matériel.

Le soir tombe. Nous aidons Gauthier à faire la cuisine. Nous mangeons et comme on ne part pas aux bois, nous nous installons pour la nuit. Je décide d’occuper le fauteuil. C’est encore la meilleure place. Nous sommes littéralement les uns sur les autres. N’empêche qu’on dormira bien et dans le fauteuil les pieds sur une chaise, je ne serai pas le dernier.


[1] Taube : Avion autrichien monoplan à ailes et queue de pigeon employé dès 1912 à des fins militaires.

8 janvier

Relève au bois de la Gruerie

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

La journée se passe assez tranquille comme une vraie journée de repos. On s’attend bientôt au départ. Il n’a pas plu depuis quelques jours, nous espérons donc un temps clément.

On parle depuis quelque temps d’un long repos à l’arrière. C’est tellement beau qu’on n’ose espérer une belle chose. En tout cas, cela ne nous empêchera pas de revoir le bois, une fois encore.

Gallois reçoit dans la matinée la visite d’un adjudant du 120e de ses amis. L’air pédant du Monsieur ne me plaît que médiocrement. Je vais voir le capitaine Aubrun qui se plaint prêt de moi du manque de cadres : un adjudant et trois sergents, chef de section, Gibert, Diat qui a succédé à Vaucher et un 3e que je ne connais que médiocrement.

Je vois également Culine et Lannoy qui s’est levé tard et part rendre compte de sa gestion au capitaine. Culine et moi parlons popote* sous-officiers. Il me dit avoir coupé court à tout, car on n’arrivait pas à s’entendre. Certains voulaient à peine verser quelque monnaie qui ne suffisait pas à améliorer l’ordinaire d’une façon potable. C’était ensuite de petites jalousies, des discussions, mesquineries enfin qui sont l’opposé de la camaraderie. Ils ont donc formé un petit comité Lannoy, Gibert, Maxime Moreau, Cattelot et lui, et prennent leurs repas chez le père Thomas, toujours très heureux de les posséder. Je suis entièrement de son avis et tient parti pour leur popote, heureux après tout d’être en dehors de deux clans qui ne vont pas tarder à se former.

Les nominations paraissent : Bonnet, Badelet, Patelet sont nommés sergents.

Je rentre à la popote du bataillon pour déjeuner. Tout se passe comme d’habitude. Je reçois la visite de Lannoy qui m’apporte une lampe électrique et différentes petites choses que je lui avais commandées.

L’après-midi vers 3h00 une note annonce le départ à 5 heures pour la Harazée. Je me rends avec Gallois et Jombart rendre visite au capitaine Sénéchal et voir en même temps le curé de Florent afin de lui remettre l’argent pour les messes de Carpentier. On a décidé de garder 10 Fr. pour l’achat d’une couronne. Jombart devra la faire acheter par le personnel du ravitaillement. Il se charge de tout.

Nous trouvons le capitaine Sénéchal levé dans une pièce avec le brave curé. Je remets la monnaie devant lui au prêtre ; aussitôt il ajoute une pièce de 5 Fr.

Le curé et lui sont tout émus. Puis notre chef nous annonce qu’à son grand regret il reste à Florent à cette période de tranchées, ordre du docteur. Nous serons donc sous les ordres du capitaine Claire.

Vers 5 heures nous partons par l’itinéraire connu vers le bois de la Gruerie. En route le capitaine Claire nous fait dire à nos commandants de compagnie qu’on cantonne dans le village. Il peut être 7h30 quand nous y arrivons sans ennui après avoir traversé la cote 211 et la Placardelle désolée.

CP-LaHarazee2À la Harazée les cantonnements* sont indiqués rapidement et la 5e compagnie se place dans une vaste maison, de belle apparence et riche à l’intérieur. Les pièces sont dans un désordre effrayant : tout est cassé et abîmé. Je vois encore la section Culine se placer dans le salon dont les tapis sont couverts de paille et les meubles en miettes. Un lustre est encore en partie accroché au plafond ; la glace de la cheminée est cassée ; les vitres ont été remplacées par du carton. C’est une désolation. Je vais trouver le capitaine qui s’est réfugié dans un petit boudoir assez coquet et bien conservé : sans doute parce que les officiers seuls s’y sont succédé. Nous sommes ici en cantonnement d’alerte ; les hommes ne doivent pas s’éloigner et rester équipés.

Il fait nuit noire. Pourtant il y a tant de lumières qui se promènent, les cuistots font leur popote, qu’on y voit clair comme dans le jour. Je rejoins la liaison qui n’a aucun local. Réellement nous avons une andouille d’adjudant de bataillon.

Fauteuil voltaire

Je cherche et trouve non loin du PC du capitaine Claire une chambre occupée par des gens du 120e qui vont s’en aller. Je m’installe quand même attendant la sortie de ces gens. Un fauteuil voltaire* dernier vestige sans doute du mobilier me tend les bras. Je l’occupe aussitôt et n’en bouge plus de peur de perdre ma bonne place. Toute la nuit les cuisiniers font popote. Ils partent au petit jour. J’appelle Gauthier qui m’est reconnaissant de leur avoir procuré un coin, tandis que les autres toute la nuit se promènent en plein air, victimes de l’incurie Gallois. Celui-ci s’est installé avec les cuisiniers du capitaine Claire sans se préoccuper autrement de sa liaison.

24 décembre – Chapitre IX

Chapitre IX Bois de la Gruerie : secteur Fontaine Madame

Bois de la Gruerie – 9e séjour

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Cartes comparées Nov 1914Nous nous étions trompés car nous repartons après une heure d’attente pendant laquelle on a somnolé. Le bataillon n’est pas encore là ; sans doute arrivera-t-il bientôt.

La marche est un peu plus commode car le chemin est moins étroit. Mais toujours la boue, la sempiternelle boue.

On a raison de donner à ce secteur le nom de Fontaine. Nous arrivons à un carrefour (voir topo Fontaine Madame – premier séjour – tome VI [ci-dessous]) nous prenons à gauche et nous arrêtons 500 m plus loin près de quelques gourbis qui laissent filtrer de la lumière. Nous sommes arrivés.

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Topo  Fontaine Madame – 1er séjour, Tome VI – Plan dessiné par Émile Lobbedey

Nous rentrons dans les abris et y trouvons du 120e que nous devons relever et qui attend avec impatience. Il est d’ailleurs le temps d’attendre, car nous n’avons aucune nouvelle du bataillon. Où est-il ? Que fait-il ? Nous déposons armes et bagages et attendons. Je ne vois pas Gauthier : Carpentier me dit qu’il est resté à la Harazée avec Jombart.

Le capitaine Sénéchal nous appelle et nous demande l’heure exacte. Il est 2 heures aux dires de Sauvage. Nous avons comme mission de nous rendre à 800 m au-delà du carrefour sur la route par laquelle nous sommes venus. Il faut y attendre sa compagnie respective et l’amener ici.

Nous partons donc à 4, Menneval, Sauvage, Carpentier et moi. Nous nous installons, vanné, contre le talus après 10 minutes marche et attendons flegmatiques.

J’ignore le temps qui se passe. À sa grande joie, Sauvage voit arriver sa compagnie, le lieutenant Péquin en tête : celle-ci passe en file indienne ; on voit des amis qu’on salue d’un énergique bonsoir au passage.

Je salue ainsi le sous-lieutenant Monchy mon ex sergent Major, et un de mes amis sergent d’active avec moi élève caporal Brévier.

Un temps d’arrêt ; c’est la 8e ensuite avec le lieutenant Régnier ; Carpentier s’en empare aussitôt ; et c’est de nouveau un long défilé devant lequel je vois mon cousin Louis à qui je serre la main en lui souhaitant bonne chance.

Je vois également le lieutenant Fournier nouvellement arrivé, De Brésillon sergent Major, les adjudants Blay et Vannier.

J’espérais voir la 5e, c’est la 6e avec le capitaine Claire. Je serai donc servi le dernier. Je vois le sous-lieutenant De Monclin ( ?) et tranquillement j’attends de voir le faciès grimaçant de mon capitaine, car sûrement sera furieux et d’être la dernière compagnie du bataillon et d’avoir un chemin pareil et d’être le dernier placé et de l’heure tardive devenue matinale de la relève.

Je suis pourtant accueilli avec un cri de joie. On arrête faisant demander si ça suit. Puis nous partons vers les gourbis que j’ai entrevu cette nuit. Déjà des éléments du 120e relevés viennent à notre rencontre au grand mécontentement du capitaine qui craint une pagaille. « Belle nuit » me dit-il. C’est mon avis aussi : on serait bien mieux à 50 km d’ici.

Il faut bientôt attendre que les éléments de tête se placent : le chemin est obstrué. Force nous est donc de faire la pause. Sacrée relève !

Le jour se lève que nous sommes encore en train d’attendre. Je vais voir en avant : c’est la 6e qui attend sans savoir. J’arrive au capitaine Sénéchal ; celui-ci m’envoie à tous les diables.

Force m’est donc de rentrer près de mon commandant de compagnie ce que je fais non sans difficultés vu que les hommes de la 6e barrent littéralement la route. C’est à coups de pieds et coups de poing que je me fraye un passage. Je raconte mon odyssée au capitaine qui se morfond et de guerre lasse s’assied dans la boue attendant comme il dit « le bon vouloir de ces Messieurs ».

Il peut être 7 heures. Voilà donc encore une nuit blanche à notre actif, la nuit de Noël. Ah ! Le beau réveillon ! Je parle avec mon chef qui me montre ses bottes et me déclare qu’il les mettra plus tard en vitrine, s’il en revient.

Enfin un mouvement se dessine. On a des velléités d’avancer. Pas encore car il faut faire place à une compagnie du 120e relevée qui veut passer à tout prix. Philosophe, le capitaine ne bronche pas. « Arriver là-haut un peu plus tôt ou un peu plus tard, dit-il, c’est quand même pour se faire casser la figure » et là-dessus il avale une bonne ration d’eau de vie. Décidément la bonne humeur l’emporte. Nous parlons encore de la nuit qui fut calme malgré Noël ; sans doute les boches ont-ils jugé inutile de nous relancer. Quant à nous, nous avons conservé le statu quo.sem_retour_des_trancheesAprès le défilé et pique des poilus du 120e, nous nous acheminons lentement vers le PC du capitaine Sénéchal, non sans rencontrer des fractions du 120e qui filent au plus vite.

Enfin nous voici (voir topo PC Sénéchal) à l’avant dernier étape. Nouveau stationnement pendant lequel le capitaine Aubrun prend quelques indications sur la relève à faire. Un agent de liaison* de la compagnie à relever est là. Nous partons.

Nous tournons à droite longeant le bas d’un coteau puis à gauche traversant sur un pont de bois une petite rivière (voir topo [plus haut]) qui n’est autre que la « Fontaine Madame » et commençons aussitôt l’ascension par un boyau d’une nouvelle cote. À l’entrée du boyau 3 cadavres de soldats du 120e sont allongés.La cote est presque à pic. Il faut tendre le jarret. À 40 m nous rencontrons 4 agents de liaison de section de la compagnie à relever.

Cadavres dans une tranchée (Marne)

Nous obliquons dans un boyau à gauche qui nous amène au PC de la dite compagnie (voir topo PC Aubrun) tandis que la troupe section par section conduite par un agent de liaison continue l’ascension de la crête au haut de laquelle se trouvent les tranchées.

Dans le PC de compagnie se trouve un lieutenant commandant la compagnie relevée. Celui-ci passe les croquis, topo et consignes.

Quant à moi, je rentre après le passage des troupes, par le boyau, à mon poste près du capitaine Sénéchal.

Il peut être 8 heures du matin. Je m’installe dans un misérable gourbi (A, voir topo) à côté du PC de bataillon. Ce gourbi* n’est autre qu’un espèce de boyau* recouvert. La pluie la percée et le sol n’est autre que du limon sur lequel nos prédécesseurs ont posé des claies*[1] et des branchages. Comme confort c’est bien rudimentaire d’autant plus que nous sommes là-dedans à 10 les uns sur les autres.

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Topo  Fontaine Madame – 1er séjour, Tome VI – Plan dessiné par Émile Lobbedey

Je ne tarde pas à sortir et à chercher fortune ailleurs toujours aidé du Cher Carpentier. Nous trouvons quelque chose à 30 m de là. Le gourbi (B, voir topo) naturellement n’est pas imperméable du moins il est plus large et nous le nettoierons.

Tandis qu’avec pelle et pioche nous enlevons les détritus de toutes sortes aidés de René et de mon agent Pignol, la dernière compagnie du 120e passe relevée par la 5e compagnie.

Enfin vers 11 heures, nous nous installons promettant l’après-midi de nous occuper du toit.

C’est l’arrivée des cuisiniers. Gauthier s’amène avec Jombart suivi des cuisiniers du capitaine Sénéchal et du lieutenant Péquin qui se trouve avec lui. Nous offrons le foyer de notre abri pour y faire du feu et procéder à notre popote* et à celle de nos officiers. Puis c’est le passage des cuisiniers de compagnie en particulier de ceux de la 6e et de la 5e en tête desquels je vois Jamesse caporal fourrier. Bientôt nous mangeons chaud, car il est permis de faire un feu moyen en veillant à ce que la fumée ne soit pas trop épaisse. Manger chaud n’est pas pour nous la moindre des consolations.

Après le repas je vais communiquer plusieurs notes au capitaine Aubrun. Je suis le layon connu dans la direction de l’ennemi par une tranchée : dans celle-ci un petit poste (voir topo) d’un caporal et 6 hommes veille jour et nuit. Je tourne à gauche, passe les quelques planches qui servent de pont au-dessus du petit ruisseau « Fontaine Madame » et monte la cote par le boyau escarpé, bois, glissant qui doit m’amener au PC du capitaine. À 40 m, a mi-côte j’oblique à gauche et 15 m plus loin trouve l’objet de mes désirs. Le capitaine se trouve dans un gourbi confortable quoique petit : un énorme foyer flambe dans le fond, une table, un banc, un lit de paille. C’est même du luxe. En sortant j’admire le paysage : de l’endroit où je suis a mi-côte et à 60 m de hauteur je vois les crêtes avoisinantes couvertes de tranchées*, hérissées de fil de fer, les ravins qui sont encore des champs de fils barbelés avec leur pics menaçants, au bas un petit lac à droite avec un pont de bois, et dans ce lac quelque petit ruisseaux torrents qui descendent des crêtes lui apportant leurs eaux avec un bruit de cascade. Le capitaine admire tout cela avec moi et m’explique la direction de l’ennemi, l’impossibilité où il est de nous voir, sa distance des tranchées. Je rentre. Il peut être 4 heures. Gauthier et Jombart sont partis au village nous laissant notre repas du soir. Carpentier et René se chargent de faire chauffer le tout. Puis c’est le défilé des cuisiniers des compagnies qui partent également au ravitaillement.

Le soir tombe. Il ne pleut pas. On allume une bougie et ferme l’entrée au moyen d’une toile de tente. Le feu marche merveilleusement et le rata* chante dans la marmite.

N’oublions pas que ce soir c’est le réveillon de Noël. Aux dires de Carpentier, nous ne nous coucherons pas et passerons le temps à jouer aux cartes. À minuit nous nous ferons un petit repas avec ce que chacun possède dans son sac, conserves, fromage, friandises, biscuits, chocolat. Ainsi dit, ainsi fait et la soirée s’avance. Le cycliste Crespel vient avec nous tandis que Pignol rejoint le gourbi Gallois. Crespel est un fort joueur de cartes. Quant à Cailliez il nous rejoint également : il sert de cuisinier au capitaine Sénéchal en l’absence des titulaires qui sont au village.

86-partie-de-carteNous faisons donc une manille épique, coalisés par deux, assis sur nos sacs, jouant sur une couverture et toile de tente pliées qui servent de table, tandis qu’un bon chocolat au lait condensé bouillonne sur le feu qui nous réchauffe. Nous sommes heureux, nous rions, nous chantons quelques cantiques d’autrefois sur Noël.

L’heure avance. On cesse après des parties interminables. On prépare les couverts. Et à minuit juste, on ouvre une boîte de pâté truffé qui sera suivi d’une boîte de langouste. Après cela fromage camembert, de la confiture, quelques biscuits ; le tout arrosé d’un quart de vin des alliés ; café « Pinard » liqueur qui consiste dans la « gnole » l’eau-de-vie que tout poilu connaît et apprécie. On avait oublié l’apéritif : les artilleurs l’envoient au moment où nous nous asseyons ; durant 5 minutes de grande joie c’est un roulement de tambour de 75 qui file de l’autre côté ; les boches, ce qu’ils prennent ! Dédaigneux ils ne répondent pas : on n’y tient pas d’ailleurs.


 


[1] claies : Treillage en bois ou en fer

29 novembre – Chapitre VI

Chapitre VI Bois de la Gruerie : secteur Fontaine la Mitte

Bois de la Gruerie, 6e séjour La Harazée (voir topo Tome I)

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Plan dessiné par Émile Lobbedey (Topo Tome I)

Le bois comprend différents secteurs dénommés d’après les appellations de chasseurs qui se donnaient rendez-vous dans le bois.

C’est ainsi qu’il y a « Bagatelle Pavillon » au centre un peu vers l’ouest, du côté de Binarville ; ce fut notre secteur jusqu’ici ; « Fontaine Madame » et « Fontaine aux charmes » au-dessous de Bagatelle ; la première à droite face à l’ennemi, la deuxième à gauche côté ouest. « Saint-Hubert » à l’est en dessous de Fontaine Madame. « Fontaine la Mitte » en dessous de Saint-Hubert, au-delà et un peu à droite de La Harazée.

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Il y a bien d’autres coins encore, mais ceux que je viens de citer sont les principaux.

Le bataillon occupe donc le secteur de Fontaine la Mitte. C’est une position de repli, de deuxième ligne, qui se retrouve derrière la première ligne qui se trouve à Saint-Hubert. Je vais voir le capitaine dans la matinée et trouve la compagnie assez bien installée dans des gourbis*. On fait du feu et les cuisiniers préparent la popote*. Le capitaine a un gourbi potable avec un fauteuil d’osier et une table à l’extérieur. S’il fait beau, me dit-il, ce sera un séjour des plus agréables. Je lui apporte des journaux de la part du capitaine Sénéchal qui est remercié chaleureusement.28 nov 1914 archives_SHDGR__GR_26_N_695__011__0036__T

Ce dernier a son PC dans le château. Je le vois dans une chambre proprette et respectée, avec un mobilier de prix.

VienneLeChateau-APD0000585Dans le château se trouvent le colonel Rémond et l’état-major du régiment. Le colonel a le commandement du secteur.

Quant à nous, sortis de bonne heure de notre abri, la pluie ayant cessé, nous furetons dans les dépendances et faisons popote dans une grange ouverte à tous vents et qui porte trace du passage des troupes. Tout ce qui paraît bois ou qui est susceptible de brûler a été enlevé, coupé à la hache par les cuisiniers. C’est lamentable. Quelles bandes de pillards.

Nous nous trouvons dans cette grange avec des mitrailleurs qui font popote également.

Vers 10 heures, le mitrailleur René trouve non loin de là une petite pièce proprette avec plafond et plancher. Cette pièce donne dans un grenier un peu plus respecté des cuisiniers, donnant lui-même dans l’espèce de grange où nous nous trouvons. À en juger par la seule petite fenêtre qui l’éclaire et un carreau noir qui s’y adapte, cette pièce devait servir de chambre noire pour les jeunes gens du château, amateurs photographes. Aussitôt nous nous installons à dix dans cet enclos qui mesure peut-être 6 mètres sur 3, laissant nos agents de liaison en second se loger dans le grenier avoisinant.

Quelle joie d’avoir trouvé une semblable aubaine. Nous sommes entassés comme des lapins, qu’importe ! Nous serons à l’abri du vent, du froid et de la pluie.

Bientôt chacun a son coin. Gauthier fait la cuisine et, assis sur nos sacs, à l’abri, nous mangeons chaud avec délices.

Quelques notes dans la journée ! Une visite du capitaine Sénéchal qui est heureux lui-même que nous ayons trouvé quelque chose ! Le soir tombe et nous nous couchons sur le plancher, allongés les uns contre les autres. La nuit, nous n’en doutons pas, sera excellente.

16 novembre

Relève au bois de la Gruerie

C’est ce soir que nous relevons. Nouvelle toujours pénible à apprendre. Ce maudit bois est donc notre lot, il nous en aura fait voir de drôles.

La journée se passe à se préparer, à s’approvisionner en conserves, bougies, tabac et allumettes.

On attend ensuite de communiquer l’heure du départ. Le temps se maintient beau. C’est déjà un grand avantage.

Dans l’après-midi, Carpentier et moi réussissons à avoir les bandes molletières* commandées. Joie nouvelle.

Nous partons vers 5 heures comme cela commence à devenir l’habitude. Le capitaine Sénéchal est à cheval en tête avec Jacques, le maréchal des logis de liaison.

Nous suivons en groupe. Derrière nous vient le bataillon. Le temps est sec. Cela nous change de la pluie. Il a gelé et il fait bon à marcher.

Nous faisons la pause au parc d’artillerie et repartons bientôt pour la Placardelle.

Il fait un beau clair de lune. Si les boches sont calmes, nous ferons une belle relève.

TomeVI

16 novembre (suite)

À la cote 211, les officiers descendent de cheval. Ceux-ci, conduits par les ordonnances et Jacques, vont cantonner dans une ferme à la Grange au Bois, village situé à 3 km de Florent et 4 de Sainte-Ménehould.

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

À la Harazée, nous laissons les cuisiniers des officiers et partons aussitôt sans pause vers la première ligne. Le secteur est calme. Le terrain assez bon. Grâce à la clarté de la lune, on peut se guider un peu. Nous sommes contents.

Il peut être 8 heures quand nous arrivons au poste du colonel où nous faisons une halte d’une heure, tandis que le capitaine Sénéchal se trouve avec le colonel.

Il fait froid et nous sommes gelés.

Bientôt nous repartons, traversons la clairière dans le plus grand silence et tombons enfin au même secteur [?] que nous quittâmes quelques jours auparavant.

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Plan extrait du J.M.O.* du 272e régiment d’infanterie (26 N 734/1) – 16 au 22 novembre 1914

Jamais relève ne se fait plus facilement. Chacun connaît son coin. J’accompagne le capitaine Aubrun qui retrouve son gourbi* avec satisfaction.

Peu après, je suis avec Blanchet occupé à m’installer dans le gourbi que j’ai cédé aux officiers du 272e. Ce gourbi est vide et transformé en mieux. Il y a une table et un banc et deux banquettes couvertes de paille en guise de couchettes. C’est une aubaine pour nous. Les autres de la liaison sont installés. a6_agents_de_liaisonÀ deux dans un tel gourbi, nous serons des rois. Nous allumons une cigarette avant de nous étendre. Rien à signaler tout est calme. C’est donc le sourire aux lèvres que nous nous endormons.

7 novembre – Chapitre IV Bois de la Gruerie

Bois de la Gruerie, secteur Bagatelle, Pavillon – 4e séjour90423614img-2120-jpg

6-12nov14 GRUERIE 272e archives_SHDGR__GR_26_N_734__001__0059__T

Plan extrait du J.M.O.* du 272e régiment d’infanterie (26 N 734/1) – 6 au 12 novembre 1914

Le jour se lève. La pluie a cessé. Je vais chercher le compte rendu du matin. Nuit calme. Nous avons reculé depuis la dernière fois. Une ligne de tranchée* a été prise par l’ennemi.

Je fais venir Blanchet, un élève caporal, comme agent de liaison en second. Nous passons notre matinée à aménager et nettoyer le grand gourbi* dont nous sommes les heureux possesseurs avec Gallois.

Je communique dans la matinée. Le capitaine est en grands travaux d’agrandissement. Nous avons un peu de soleil, il en profite.

Le secteur est assez calme. Quelle différence avec le séjour précédent.

J’ai hérité, dans ma succession du 120e, d’un petit réchaud à braise. Nous en avons un sac. Aussi se chauffe-t-on autour du petit poêle.

Vers 10 heures, les cuisiniers arrivent : Gauthier et Crespel nous amènent la pitance. Bientôt, c’est un long défilé de cuisiniers des compagnies.

103-corvee-de-soupeIls sont couverts de boue et souvent le modeste repas a bien souffert des chutes des porteurs. Le soir arrive sans que j’entende parler de pertes. La nuit sera sans doute tranquille.