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[1] Fourrier : Officier ou sous-officier chargé de l’intendance : distribuer les vivres, pourvoir au logement des militaires.

30 novembre

Aujourd’hui, Courquin nous quitte dans la matinée car sa compagnie est assez éloignée et le capitaine Claire exige sa présence près de lui, laissant le caporal fourrier* Legueil près du capitaine Sénéchal, avec nous.

Carpentier et moi qui faisons une bonne paire d’amis, visitons le château et ses dépendances. Nous voyons des écuries en quantité, des serres, des pavillons et faisons un tour dans le parc qui s’étend bien loin. Mais tout est déjà dévasté, aussi bien le parc qui est couvert de tranchées que les bâtiments qui sont abîmés par le passage des troupes. Serres, pavillons, écuries, tout est rempli de troupes.sablon-28-011

L’extérieur du château lui-même fait pitié. Je crois cependant que l’intérieur est respecté, vu qu’il est toujours occupé par l’autorité supérieure.

Un cimetière militaire est tout à côté d’ici. Nous y allons et prions sur la tombe du lieutenant Lambert que nous trouvons parmi beaucoup d’autres. Nous assistons même à l’enterrement d’un soldat roulé dans sa toile de tente : un aumônier préside à la simple et funèbre cérémonie.

enterrement3Le temps est brumeux. Dans l’après-midi, nous recevons la visite de Renaudin, le vaguemestre*, qui nous apporte des foules de lettres. Puis, c’est le défilé des cuisiniers qui viennent des compagnies et se rendent à la Harazée pour les distributions des vivres.

Quand les voitures de ravitaillement arrivent, nous nous précipitons pour être servis, allant tous, afin de nous entraider.Lieu:Saint Crepin aux Bois - Description:GUERRE 1914-15 - OFFEMO

Les journées sont longues malgré cela. Nous passons notre temps ici à écrire à nos familles et à bayer aux corneilles.

À 5 heures, il fait nuit. Nous mangeons dans notre chambre, le fameux cabinet noir, vers 5 heures 30. Pris de gaieté, nous chantons sous la direction de Carpentier qui fait le pitre, jouons aux enfants. Que voulez-vous, il faut bien se distraire ! Cela nous amène agréablement à 9 heures du soir, après que nous avons bu tout le vin et toute l’eau-de-vie. C’est une de nos plus agréables soirées.

23 novembre

Nuit à la cote 211 – Ferme de la Seigneurie

Nuit excellente, agrémentée cependant de quelques démangeaisons. On se lève au plus vite à 8 heures tandis que le courageux Gauthier est occupé à faire le café.

Les agents de liaison* en second sont heureux également dans leur coin. Ils nous sont d’un précieux concours pour copier les notes et les communiquer car les notes sont très nombreuses.

Je vais voir Louis qui a passé un bon séjour de tranchées* et ne m’apprend rien de particulier.

A la compagnie, le capitaine est installé avec le sous-lieutenant Vals. Le feu pétille. Les cuisiniers Chochois et Chopin rivalisent d’activité.

Dans une pièce de derrière, je trouve l’adjudant Culine, Lannoy, sergent major, les sergents Moreau et Gibert occupés à se nettoyer et faire popote.

Dans l’après-midi, je vais au PC du colonel toucher, avec une corvée, des chaussures et du linge. J’amène tout cela au sergent major qui va en faire la distribution et j’hérite d’une paire de chaussettes.

Le temps est au beau depuis midi. Notre popote* de liaison fonctionne bien. Nous renvoyons vers 2 heures de Juniac qui nous fait ses adieux : il est évacué pour fatigue mais assure revenir sous peu. Nous voici donc avec Gallois à notre tête. Cela marchera admirablement car nous sommes tous, au même titre, bons camarades. Le caporal fourrier* Jombart met la note gaie dans notre comité. Il connaît de plus la cuisine. Nous commençons à manger très bien. Un riz au chocolat clôture le repas et c’est le cas de dire que nous nous léchons les doigts. Nous avons de plus trouvé dans la maison assiette et verres. C’est une des très rares fois qu’il nous est donc donné d’avoir un table, des bancs et un couvert. C’est donc la plus franche gaieté parmi nous.

Le vaguemestre* nous apporte chaque jour des paquets de lettres pour nos compagnies. Nous en avons chacun pour une heure à les trier. Bon nombre de paquets arrivent également. Ce sont des cris de joie quand l’un d’entre nous en reçoit un.

CP-arriveecourrierLe village est évacué. Des bruits comme toujours courent qu’il y avait des espions. Le moulin à eau fait toujours entendre son cri lugubre.

Une autre surprise peu agréable est l’arrivée de quelques obus non loin du village. Cela enlève un peu de notre verve.

Nous recevons la visite de Bourguignat, un ami de Sedan, secrétaire du trésorier-payeur. Il vient nous faire signer comme témoins les actes de décès de camarades tombés que nous connaissons ou les certificats d’origine de blessures de blessés connus.

Vers 4 heures, je pars à la ferme de la Seigneurie, laissant Blanchet à la liaison. 5e et 6e compagnies prennent position de nuit à la cote 211. Le capitaine Aubrun s’installe à la ferme. Je passe la soirée à jouer aux cartes avec quatre brancardiers du bataillon, deux infirmiers ayant un poste de secours, Tessier et Wydown (?), dans une pièce de la ferme. J’hérite d’un lit de Steenvoorde (Nord) avec draps, la ferme venant à peine d’être évacuée. Un ami du pays.
Je passe une nuit excellente et reste à la Placardelle au petit jour.

Les compagnies ne tardent pas à rentrer également.

 

2 novembre

C’est aujourd’hui le jour des Morts. C’était hier la Toussaint. Il n’y paraît pas beaucoup par ici.

Les voitures de ravitaillement sont stationnées dans la rue. On attend le régiment.

Il peut être 2 heures du matin quand il s’amène, notre beau bataillon, désemparé, vanné et démoli.

Je vois le sous-lieutenant Vals qui stationne avec sa troupe. Peu après, c’est le capitaine à cheval.

On place la compagnie dans les granges et différentes maisons abandonnées, tant bien que mal. J’avertis le capitaine que des coins sont occupés par des fractions isolées qui n’ont aucune discipline, aucune politesse, aucun droit et opposent la force d’inertie.

Ce n’est pas long. Une descente de cheval rapide, une entrée qui ressemble à un cyclone ; en 10 secondes, la place est déblayée. Les dormeurs se trouvent dehors, ayant chacun reçu coups de pied et coups de poing en guise de réveil, face à un homme hors de lui qui leur demande s’ils en ont assez. C’est ma revanche et je suis pris d’un fou rire.

J’ai trouvé pour mes officiers un coin de maison dont une partie est habitée par un homme hirsute et sa femme d’une amabilité d’orang-outan. Encore ce coin m’est-il disputé par mon ami Carpentier qui n’a rien trouvé et déclare que c’est mitoyen. Enfin, ces messieurs s’installent dans une pièce aux carreaux cassés, dont les trous sont bouchés par du carton. Une table, un fauteuil, trois chaises. Cela suffit. Un malheureux lit se trouve au fond de la pièce sans draps ni couvertures ; sommier et matelas font pitié. Le cuisinier Chochois et son auxiliaire Chopin sont dans une pièce à côté qu’ils ont dénommée du nom pompeux de cuisine, mais qui a tout d’une écurie.

103-cuisine

Extrait de : http://www.premiere-guerre-mondiale-1914-1918.com/cuisine-lavage.html

Je rejoins les cuisiniers qui s’ingénient à faire du feu avec du bois mouillé et soufflent sur les cendres à pleins poumons.

Je m’installe près du feu, grelottant, afin de me sécher et d’attendre le petit jour. Il faut absolument que je trouve autre chose. Pour cela, il faut attendre que les habitants soient levés.

Je somnole, fatigué, pendant qu’à côté j’entends les éclats de voix des officiers de 5e et 8e ; ces derniers n’ont rien comme logis.

Au petit jour, je continue ma randonnée. Je trouve une arrière-cuisine abandonnée avec un lit au fond. Il faudrait néanmoins un bon coup de balai et un nettoyage en règle. Je destinais cela au lieutenant Vals. Il n’a pas vu cela, il se dit malade et indigné que j’aie pu songer à lui procurer cela.

Je cherche ailleurs et rencontre un homme aimable qui fait fonction de maire et me donne une maison abandonnée, de deux pièces assez potables. Heureux suis-je quand j’apprends que ce coin appartient au 1er bataillon.

Je tourne alors mes vues vers le pâté de maisons qui se trouve en dehors du village, sur la route de Florent. Je suis désespéré.

Enfin, je tombe dans une maison proprette, habitée par un ouvrier et sa fille. Aimables, ces gens qui n’ont pas ouvert la nuit, acceptent de donner une chambre à deux lits. Je suis sauvé.

Je file alors rejoindre la liaison et trouve mes amis dans la rue, occupés à visiter, revisiter et contre visiter des demeures déjà vues cent fois. Il n’y a rien, rien de potable.

Je visite notre hôtel. Dans la première pièce, ignoble, Gauthier met un peu d’ordre et allume du feu. Dans la seconde, à l’arrière, je retrouve mon sac qui gît au milieu du désordre répugnant de la salle. Je monte au premier et rencontre deux chambres où le désordre le plus complet règne également.

Une idée me prend. J’appelle les fourriers*. Nous nous mettons à l’œuvre. On mettra de l’ordre et fera un nettoyage complet des deux pièces. Dans l’une, nous placerons les lieutenants Péquin et Monchy, dans l’autre, nous nous installerons, ce sera notre chambre à coucher.

Il est plus de midi quand le résultat est obtenu. Le lieutenant Péquin amène le lieutenant Régnier. Monchy fut invité par Vals, le capitaine Aubrun désirant rester seul et garder la pièce de la veille au soir. Le confort de la chambre est mesquin : une chaise, deux lits n’ayant que le sommier, une glace, un point c’est tout. Ces messieurs sont heureux quand même car ils n’avaient rien.

Pour nous, la seconde pièce possède un lit et une table. Le plancher nous suffit pour reposer ; il vaut bien le fond d’une tranchée. Nous nous installons et malgré tout, nous sommes heureux.

L’après-midi se passe à se nettoyer. Au moins cette fois, je ne suis pas ennuyé au point de vue du linge : la voiture de compagnie est là, je vais la voir et trouve mon ballot.

Vers le soir, enfin, l’installation est terminée. Chacun y a mis du sien, le bas, comme le haut, sans être propre, n’est plus dans l’état répugnant où nous l’avons trouvé. Nous mangeons de bon appétit et nous couchons, du moins c’est une façon de parler, nous étendons de bonne heure.

31 octobre

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Plan extrait du  J.M.O.* du 147e régiment d’infanterie (26 N 695/11) – 1er novembre 1914

La nuit est toujours mouvementée. On ne ferme pas l’œil car la fusillade crépite sans cesse et les tranchées sont si rapprochées qu’on craint toujours un coup de main.

Dans la matinée, on amène un homme qui a perdu la raison. On l’emmène à l’arrière, mais cela donne une triste impression.

Ensuite, on arrête un autre soldat qui fuit vers l’arrière sans fusil ni équipement. Le commandant le menace de son revolver et le fait ramener en première ligne à la 6e, sa compagnie, par le fourrier* Huvenois.

La matinée est aussi mouvementée que la nuit. Dans l’après-midi, on entend une fusillade à notre droite. Vers 2 heures, le colonel Rémond arrive au PC du bataillon avec le capitaine Sénéchal. Il reste une heure à conférer avec le commandant. La fusillade continue toujours sur la droite ; on dit que c’est la 8e qui est attaquée.

À la hâte, nous communiquons qu’il faut redoubler de surveillance.

Quand je rentre au PC du bataillon, le commandant est parti à la 8e compagnie avec le colonel et sa suite. Carpentier est parti avec eux.

Nous vivons des heures tragiques et attendons, anxieux, une mauvaise nouvelle car ici les nouvelles ne sont jamais bonnes.

Vers 6 heures du soir, Carpentier rentre affolé, disant de communiquer que les cuisiniers doivent rester jusqu’à nouvel ordre. Il nous atterre en disant que la 8e a subi une forte attaque boche et se voit réduite à la moitié de son effectif. Le sergent Lafaille, un petit bonhomme râblé, de mes amis, a défendu sa tranchée avec une poignée d’hommes comme un lion, enfilant les boches à la baïonnette. On l’a dit blessé très grièvement. Le commandant Jeannelle est blessé d’une balle à la cuisse. Il était au PC de lieutenant Péquin, commandant la compagnie, et, n’écoutant que son courage, est allé aux premières lignes afin d’encourager les troupes par sa présence. Je tremble pour mon cousin qui fait partie de la section De Brésillon.

Je communique tout au capitaine. À mon retour, le capitaine, commandant la 7e compagnie, blessé le 22 août et dont j’ignorais le retour, est près de nous. Il prend le commandement du bataillon.

La nuit est des plus agitées. Le ravitaillement n’a pas lieu.

27 octobre – Chapitre III

Bois de la Gruerie : secteur Bagatelle Pavillon – Troisième séjour

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

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Plan extrait du  J.M.O.* du 147e régiment d’infanterie (26 N 695/11) – 1er novembre 1914

Toute la nuit la fusillade a été incessante. Nous n’avons pas fermé l’œil.

Au petit jour, chacun de nous se rend à sa compagnie pour prendre le compte rendu de la nuit. Je trouve le capitaine assez satisfait. La relève* s’est bien passée. Il me dit que le secteur est mauvais et qu’il a des soucis pour la section* Culine qui est isolée et avec qui il est difficile de communiquer de jour.

Pour l’aller et le retour, je suis un chemin boueux dans le bois. Il me faut au bout de 200 mètres obliquer à droite et foncer sur le PC du capitaine que j’aperçois car je puis être vu.

Sur mon chemin, je rencontre des éléments de tranchée*. Ce n’est pas chose facile et la difficulté doit s’accroître la nuit. Heureux ai-je été la nuit dernière de suivre le commandant de la compagnie relevée. Je ne m’y serais pas reconnu.

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Secteur Z : boyau conduisant à l’ouvrage Prévost – 1916.05.20 ©Ministère de la Culture (France)

Dans le jour, je communique plusieurs fois et profite de chaque voyage pour amener un sac de 1000 cartouches. Je prends des points de repère pour la nuit. Je compte mes pas malgré les balles qui sifflent et me font instinctivement baisser la tête. Le terrain est boueux. Je souhaite n’avoir pas à communiquer dans l’obscurité.

Nous passons notre journée à nous installer. Le gourbi* que nous occupons prend tournure. Nous pouvons y faire un peu de feu en prenant soin à la fumée. Gauthier fait la popote* du commandant que nous voyons souvent à la porte de son gourbi, fumant tranquillement sa pipe.

Le mitrailleur René nous raconte que le matin, il a manqué de se faire tuer en s’égarant entre les deux lignes. Heureusement, en se repliant en rampant sous les balles ennemies, il est tombé dans la tranchée du lieutenant Lambert de la 5e compagnie. Il a mis deux heures à se reconnaître et trouver l’emplacement des sections de mitrailleuses. Sale métier que celui d’agent de liaison*.

Gallois et Carpentier se plaignent que leurs compagnies sont éloignées et qu’il leur faut une heure pour l’aller et le retour. Nous sommes tous pleins de boue.

Une fraction du 272e est derrière nous en soutien. Deux officiers logent avec le commandant.

Je porte vers le soir un sac de bombes en forme de boîtes de conserve, des pétards à mèche en forme de nougats au capitaine. Celui-ci envoie une corvée [1] pour en toucher ainsi que des cartouches au PC du bataillon. Ces pétards sont bien reçus par la troupe qui, aussitôt, accable les boches de projectiles. On entend les détonations et la fusillade crépite. Les tranchées sont très rapprochées : le sergent Collin est à 15 mètres d’eux. Le plus tranquille est le sergent Huyghe qui se trouve à 60 mètres et derrière un dos d’âne. Quant à Culine, il est presque impossible de communiquer avec lui de jour. Il se trouve à droite d’un boyau séparé du lieutenant Lambert par une trentaine de mètres, qu’on creuse sous les bombes ennemies afin de faire communiquer les deux tranchées. Dans le rapport du soir, on signale quelques pertes en blessés surtout.

À la nuit, les cuisiniers partent. Ils doivent rentrer au petit jour. Le commandant garde ses fourriers* il n’y a pas d’ailleurs d’agent de liaison en second. Gauthier, le mitrailleur René et Crespel partent donc pour La Harazée.

Nuit assez calme malgré une intense fusillade.


[1] Corvée : Désignation générale de tous les travaux pénibles susceptibles d’être effectués par les combattants, au front comme au cantonnement. Les corvées peuvent être de nature très diverse : de cuisine, d’eau, de feuillées, de réparation, de barbelés… Le terme désigne enfin les hommes qui sont chargés de les accomplir.

18 octobre

Relève de tranchées

Nous rentrons au petit jour. Il a encore plu la nuit. Les terrains sont détrempés et on glisse à tout instant. La journée est encore agrémentée de quelques obus.

Je vois à plusieurs reprises le lieutenant Péquin qui loge avec le capitaine Sénéchal.

Je vois aussi mon cousin Louis qui est en réserve non loin de moi. Ni l’un ni l’autre n’avons de nouvelles des nôtres.

Hier soir, nous avons touché de nouveau du tabac. On passe sa journée à fumer. Vers 5 heures de l’après-midi, nous recevons l’ordre de relève*. Il commence à être temps. Chacun était fatigué.

Bientôt, l’adjudant de bataillon et les quatre fourriers*, suivis de notre clairon cuisinier Gauthier, nous partons faire le cantonnement à Florent.

Il fait déjà nuit noire. Heureusement nous connaissons un peu la route à travers bois et Gauthier la connaît très bien. Le temps et brumeux. Il a plu. On glisse. De guerre lasse, après un certain parcours et des chutes nombreuses, nous allumons une lanterne que nous avons avec nous. On se suit à la queue l’un de l’autre. Plusieurs fois, des officiers rencontrés nous ordonnent d’éteindre notre bougie. Nous allons attirer des obus, dit-on. On rallume chaque fois un peu plus loin.

Enfin, après une marche impossible à décrire, on descend une pente glissante où sont stationnées des troupes qui, elles aussi, protestent contre la lumière. De guerre lasse, nous l’éteignons. Je prends une bûche dans la descente. Il peut être 8 heures. Nous sommes dans La Harazée.

On continue et à la sortie nous faisons une longue pause qui nous semble délicieuse car on n’en peut plus. Nous quittons pour nous appuyer une forte côte du haut de laquelle nous apercevons toutes les lumières de La Harazée. Des batteries d’artillerie y sont installées.

Gallica-batterie On file clopin-clopant. La route fait un serpentin. Nous arrivons dans une autre agglomération que nous ne connaissons pas. C’est la Placardelle. Beaucoup de monde y circule et c’est un brouhaha indescriptible. Nous faisons de nouveau la pause à la sortie. C’est à croire que nous ne pourrons aller plus loin.
Un cycliste arrive et bute contre nous.Gallica-Vaguemestre On va s’invectiver quand on reconnaît la vaguemestre* Renaudin qui vient à la rencontre du bataillon. On lui dit qu’il peut attendre toute la nuit car le bataillon n’est pas près d’arriver. Il se charge donc de retourner et de nous conduire à Florent, village que nous ne connaissons pas. Il peut être 10 heures du soir.

Bientôt, c’est une nouvelle côte qu’il faut passer rapidement, car les balles y sifflent. Cela nous laisse froids, on en a vu bien d’autres. D’ailleurs impossible d’aller plus vite, on n’en peut plus.

On fait la pause de nouveau, désespérant d’atteindre jamais le contournement. Il y a encore 6 km à faire, on repart. Pour me distraire, je compte les pas, heureux de rapprocher petit à petit.

Gallica-ArtillerieConvoiNous rencontrons des convois d’artillerie en quantité. Il ne pleut pas mais il a plu et les terrains sont boueux. De chaque côté de la route, c’est un bois. On désespère d’en voir la fin.

Enfin, après deux heures de marche et de multiples pauses espacées de 500 en 500 mètres, nous atteignons notre but. On tourne à gauche et une sentinelle*, 100 mètres plus loin, nous arrête. De Juniac a le mot heureusement et nous passons.

On voit ou plutôt on devine les premières maisons. On tourne à droite, voici une rue qu’on monte, guidés toujours par Renaudin et nous arrivons bientôt sur la Grand-Place.

Arrivés, cri de joie ! Mais le cantonnement* est à faire !

15 octobre

Je trouve Huvenois couché. Il n’a pas trouvé sa compagnie et n’est pas reparti ! D’ailleurs, autant prendre la lune, dit-il. Cela ne le préoccupe pas plus que cela.

Notre journée est agrémentée d’obus. Ceux-ci tombent à 600 mètres derrière nous, près du colonel.

Les cuisiniers des compagnies ne sont pas partis. Les fourriers* sont donc à couvert.

La 7e compagnie est en réserve près du colonel. Le lieutenant Régnier loge avec le capitaine Sénéchal.
CP-tonneauPopoteChaque jour, des mulets de mitrailleuses amènent des petits tonneaux de thé [1. lire le commentaire ci-dessous] et les compagnies viennent prendre leur ration par section, dans les bidons des hommes.

Dans l’après-midi, une centaine de couvertures arrive pour chaque compagnie. On les étend, les compte. Par ballots, elles partent pour les combattants.
Ceux-ci seront heureux, car il fait un froid de loup.